Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20071221

Dossier : T-552-07

Référence : 2007 CF 1355  

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2007

En présence de l’honorable Orville Frenette 

 

ENTRE :

DOMINIC MORIN

Demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Dominic Morin (le « demandeur ») à l’endroit d’une décision de la Commission des droits de la personne (la « Commission ») de ne pas statuer sur la plainte déposée par le demandeur contre son employeur, Pêches et Océans Canada (« POC »), pour le motif que la plainte était irrecevable au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »).

 


LES FAITS

[2]               Le demandeur est entré à l’emploi de POC en mars 1999 à titre d’agent des pêches saisonnier (niveau GT-01) pour la région de Ste-Anne-des-Monts, en Gaspésie. Le poste d’agent des pêches requiert une période de formation étendue lors de laquelle l’employé demeure en probation jusqu’à l’obtention du plein niveau du poste, c’est-à-dire agent GT-03. Le demandeur a été promu au niveau GT-02 le 29 juillet 1999. Le 25 juillet 2001, le demandeur a été congédié alors qu’il était toujours en probation.

 

[3]               En août 2002, le demandeur dépose une plainte devant la Commission, alléguant avoir été congédié en raison de son problème d’alcool et avoir donc fait l’objet de discrimination au sens de l’alinéa 7a) de la LCDP. En septembre 2003, la Commission informe le demandeur qu’une allégation de discrimination en milieu de travail doit faire l’objet d’un grief devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP »).

 

MOTIFS DE LA DÉCISION DE L’ARBITRE DE GRIEF

[4]               L’enquête s’est déroulée sur une période de cinq jours alors que les parties étaient représentées par procureurs. Le demandeur a témoigné et l’employeur a fait entendre deux témoins.

 

[5]               Cette enquête a révélé, inter alia, les faits suivants :

1-                 Le demandeur avait des problèmes d’alcoolémie, qui, suite à un accident de la route, ont mené à deux arrestations et condamnations pour conduite d’automobile alors que ses facultés étaient affaiblies par l’alcool, soit en 2000 et 2001, et occasionnant la suspension de son permis de conduite pour une période de trois ans.  Il n’a pas averti sa superviseure de ces condamnations et a continué à conduire une voiture du ministère.

2-                 Il niait alors son problème d’alcoolisme, mais éventuellement il fit un séjour au Pavillon Chaleurs en désintoxication de l’alcool, et ce avec succès.

3-                 Il fut suspendu au travail pour des manquements graves, tel la tenue inappropriée de ses notes et rapports ainsi que des manquements importants concernant l’entreposage de munitions et d’armes à feu.

4-                 Il avait des problèmes d’absentéisme. Il ne s’est pas présenté à une session de formation obligatoire et ni à une enquête disciplinaire.

5-                 Il y avait aussi des lacunes importantes dans son rendement de travail.

 

[6]               Le 24 mars 2006, un arbitre de grief de la CRTFP, soit Sylvie Matteau, dans une décision de 15 pages, rejeta le grief du demandeur pour le motif que son congédiement avait eu lieu durant sa période de stage pour des raisons reliées à son inaptitude au travail, et que POC n’avait pas commis de discrimination à son égard.

 

[7]               Elle rejeta les prétentions du demandeur a l’effet qu’il s’agissait d’un licenciement disciplinaire déguisé dû à son alcoolisme et que l’employeur n’avait pas offert d’accommodement raisonnable.

 

[8]               Le 10 mai 2006, le demandeur informe la Commission qu’il a épuisé tous les recours préliminaires. La Commission assigne donc une enquêtrice à l’affaire. Le 16 novembre 2006, l’enquêtrice remet à la Commission son « Rapport d’analyse en vertu de l’article 41 » (le « rapport d’analyse »).

 

[9]               Je crois utile de résumé le rapport de l’enquêteur Pascale Lagacé, du 16 novembre 2006.

 

[10]           Elle débute en résumant la plainte du demandeur, en ces termes :

1. Le plaignant, qui s’identifie comme étant dépendant à l’alcool, allègue que le mis en cause a discriminé à son endroit en refusant de l’accommoder et en mettant fin à son emploi, en raison de sa déficience.

 

Elle refera ensuite à la décision de la CRTFP, qui avait rejeté la plainte le 24 mars 2006, où les mêmes questions soulevées par le demandeur devant l’arbitre de grief dans le présent dossier, ont été débattues et décidées.

 

 

[11]           L’enquêtrice a alors analysé l’ensemble des éléments factuels et le droit applicable pour conclure que le demandeur avait soulevé tout les mêmes arguments que ceux qui furent rejetés par la décision du CRTFP du  24 mars 2006. Par conséquent, elle recommandait de ne pas statuer sur la dernière plainte parce qu’elle « reposait sur les mêmes faits que le grief décidé par le CRTFP et l’arbitre de grief.

 


LA DÉCISION CONTESTÉE

[12]           Le 20 février 2007, la Commission adopte la recommandation de l’enquêtrice et conclut que la plainte du demandeur est irrecevable au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, c’est-à-dire qu’elle est « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi », pour le motif que le recours devant l’arbitre de grief a déjà permis de trancher l’allégation de discrimination à l’encontre de POC et tous les points litigieux résultant de la plainte de M. Morin, incluant celui des mesures d’accommodements raisonnables. Elle refera aussi aux deux offres de redressements offerts à M. Morin, lesquels n’avaient pas remédié à ses déficiences et aux manquements au travail.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[13]           Le demandeur allègue que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte en ce qui a trait à la portion de la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte, et celle de la décision raisonnable en ce qui a trait à la portion de la décision de la Commission de conclure que la question de la discrimination avait déjà été traitée par l’arbitre de grief. Dans les deux cas, le demandeur soumet que cette Cour devrait intervenir afin d’annuler la décision de la Commission.

 

[14]           Le demandeur affirme qu’il est de jurisprudence constante que la Commission ne peut simplement refuser de statuer sur une plainte pour le seul motif qu’une autre instance a déjà tranché une allégation contenue dans la plainte. En ce sens, le demandeur s’appuie sur la décision par la juge Tremblay-Lamer rendue dans l’affaire Boudreault c. Canada (Procureur Général), [1995] A.C.F. no. 1055 et la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] A.C.F. no. 539.

LA LÉGISLATION PERTINENTE

Loi canadienne sur les droits de la personne ( L.R., 1985, ch. H-6 )

 

Irrecevabilité

 

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

 

Refus d’examen

 

 

(2) La Commission peut refuser d’examiner une plainte de discrimination fondée sur l’alinéa 10a) et dirigée contre un employeur si elle estime que l’objet de la plainte est traité de façon adéquate dans le plan d’équité en matière d’emploi que l’employeur prépare en conformité avec l’article 10 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

 

Définition de « employeur »

 

(3) Au présent article, «employeur » désigne toute personne ou organisation chargée de l’exécution des obligations de l’employeur prévues par la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

 

Rapport

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

Suite à donner au rapport

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

 

Idem

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

 

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

 

Avis

 

(4) Après réception du rapport, la Commission :

 

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

 

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

Commission to deal with complaint

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

Commission may decline to deal with complaint

 

(2) The Commission may decline to deal with a complaint referred to in paragraph 10(a) in respect of an employer where it is of the opinion that the matter has been adequately dealt with in the employer’s employment equity plan prepared pursuant to section 10 of the Employment Equity Act.

 

 

 

Meaning of "employer"

 

(3) In this section, "employer" means a person who or organization that discharges the obligations of an employer under the Employment Equity Act.

 

 

Report

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Action on receipt of report

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

 

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

Idem

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

Notice

 

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

 

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

 

 

[15]           Le demandeur allègue que sa plainte ne rencontre pas les critères de l’alinéa 41(1)d) de la LCPD puisque la question de savoir si POC a rencontré son devoir d’accommodation n’a pas été tranchée par l’arbitre de grief. Selon lui, la question devant l’arbitre était de savoir si POC avait agi de mauvaise foi ou avait eu recours à un subterfuge pour justifier le congédiement. Or, toujours selon le demandeur, les motifs de renvoi contenaient des éléments reliés non pas uniquement à son rendement, mais aussi à son problème d’alcool. Il allègue donc qu’il existe de la preuve selon laquelle POC a fait preuve de discrimination à son égard.

 

[16]           Enfin, le demandeur prétend que l’enquêtrice s’est limitée à la décision de l’arbitre de grief pour fonder sa recommandation et n’a pas analysé l’ensemble des faits du dossier. Plus particulièrement, elle n’a pas examiné à fond la question de savoir si POC avait tenté d’accommoder le demandeur. Ainsi, le demandeur allègue qu’aucune instance n’a déterminé s’il y avait effectivement eu tentative d’accommodement en sa faveur, ce qui conduit nécessairement à la conclusion que la plainte n’est pas frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCPD.

 

[17]           La Commission aurait donc dû procéder en vertu de l’article 44 de LCPD et faire un réexamen de la plainte de M. Morin et ce, même si ses chances de réussite sur le fond, seraient minimes.

 

[18]           Le défendeur allègue que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte est celle de la décision manifestement déraisonnable et qu’il n’existe aucun motif pour cette Cour d’intervenir en l’espèce. De manière subsidiaire, le défendeur soumet que même si cette Cour déterminait que la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable, son intervention serait là encore injustifiée puisque la Commission n’a commis aucun erreur susceptible de contrôle.

 

[19]           Le défendeur allègue qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que la plainte était irrecevable car frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi parce que les allégations de discrimination avaient d’abord été rejetées par l’arbitre de grief, faute de preuve suffisante à l’appui.

 

[20]           Le défendeur soumet également que la Commission, en tenant compte du rapport de l’enquêtrice, de la décision de l’arbitre de grief et des représentations des parties, s’est pleinement acquittée de son obligation de s’assurer que la plainte méritait d’être traitée. Selon le défendeur, permettre au demandeur de présenter les mêmes allégations à la Commission que celles présentées à l’arbitre de grief irait à l’encontre du principe de la chose jugée et constituerait un abus de procédure.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[21]           Contrairement à ce qu’allègue le demandeur, je suis d’avis qu’il n’existe que deux questions en litige dans la présente affaire, en ce sens que je ne crois pas qu’il soit nécessaire de subdiviser la décision de la Commission en deux volets. Selon moi, il ne s’agit que de savoir si la Commission a erré en refusant d’exercer sa compétence et de statuer sur la plainte. Ainsi, les questions soulevées par la présente affaire sont les suivantes :

a) Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?

b) La Commission a-t-elle erré en refusant d’entendre la plainte du demandeur?

 

 

ANALYSE

a) La norme de contrôle applicable

[22]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission prises conformément à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. Cette Cour s’est déjà prêtée à plusieurs reprises à l’exercice de déterminer, à l’aide de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme applicable à des décisions similaires de la Commission. Plus particulièrement, dans l’affaire Brine c. Canada (Procureur Général), [1999] A.C.F. no. 1439 (aux paragraphes 47 à 57), mon collègue le juge François Lemieux a déterminé, après avoir fait une analyse poussée de la jurisprudence pertinente, que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission prises en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP était celle de la décision raisonnable ou correcte, selon la nature de l’erreur alléguée (Brine, ci-dessus, au paragraphe 57, citant la décision Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] A.C.F. no. 1017).

 

[23]           Plus récemment, dans l’affaire Price c. Concord transportation Inc., 2003 FC 946, ma collègue la juge Elizabeth Heneghan, a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle complète afin de déterminer quelle était la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission prises en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCPD. Je me permets donc de reprendre l’essentiel de l’analyse effectuée par ma collègue, tout en prenant soin d’ajuster le facteur de l’analyse qui concerne la nature de la question en cause dans le cas de l’alinéa 41(1)d).

 

[24]           Dans le contexte des décisions prises en vertu de l’alinéa 41(1)e), la juge Heneghan a déterminé que la norme de contrôle applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable (Price, ci-dessus, au paragraphe 42). Or, les alinéas 41(1)d) et 41(1)e) de la LCPD entraînent des décisions de nature bien différente quant au degré de discrétion exercé par la Commission. Plus particulièrement, une décision prise en vertu de l’alinéa 41(1)e) n’exige que de constater si la plainte a été présentée à l’intérieur du délai prévu et s’il convient de prolonger le délai en question. Il ne s’agit ici que d’une détermination factuelle. Au contraire, une décision prise en vertu de l’alinéa 41(1)d) fait davantage appel à l’exercice de la compétence de la Commission puisque celle-ci doit alors statuer si elle choisit d’entendre une plainte. Elle prend alors une décision non pas uniquement sur une question procédurale (le respect des délais), mais bien sur une question de substance (l’exercice de sa compétence en lien avec le fondement de la plainte). Le facteur de l’analyse pragmatique et fonctionnelle relatif à la nature de la question en cause entraîne donc un résultat différent dans le cas de l’alinéa 41(1)d) puisqu’il permet une norme de contrôle plus souple.

 

[25]           Pour le reste, je suis d’accord avec la juge Heneghan que, bien que la LCPD ne comporte aucune clause privative, la nature discrétionnaire du mécanisme d’examen prévu au paragraphe 41(1) entraîne un certain degré de retenue (Price, ci-dessus, au paragraphe 39). De plus, la Commission possède une certaine expertise en tant que juge des faits (Price, ci-dessus, au paragraphe 41), mais à l’inverse, ses décisions qui, comme en l’espèce, concernent l’exercice de sa compétence seront sujettes à une norme de contrôle plus souple. Enfin, bien que la LCPD ait une portée d’intérêt public, l’objet de l’alinéa 41(1)d) concerne principalement le règlement de différends entre deux parties, ce qui milite également en faveur d’une norme de contrôle plus souple. Pour ces raisons, j’en arrive à la conclusion que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de ne pas statuer sur une plainte sur la base de l’alinéa 41(1)d) de la LCPD est celle de la décision raisonnable. En ce sens, l’intervention de cette Cour ne sera justifiée que si j’en viens à la conclusion que la décision de la Commission « n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56).

 

LE RÔLE DE LA COMMISSION

[26]           Le rôle de la Commission a été énoncé par la Cour Suprême du Canada dans les arrêts Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] A.C.S. no. 103, [1989] R.C.S. 879 , Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] A.C.S. no. 20, [1993] R.C.S. 554 et Bell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne); Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] A.C.S. no. 115, [1996] R.C.S. 854.

 

[27]           En résumé ce rôle consiste à :

1)                  Exercer des fonctions d’administration et d’examen préalable sans pouvoir décisionnel important;

2)                  Recevoir, gérer et traiter les plaintes concernant des actes discriminatoires;

3)                  Si une plainte doit être déférée à un tribunal des droits de la personne, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui, qu’un juge effectuera à une enquête préliminaire…

Plus amplement décrit dans Brine c. Société canadienne des ports, [1999] A.C.F. no. 1439, au para. 39.

 

b) La Commission a-t-elle erré dans sa décision?

[28]           Le demandeur fait mention de la décision rendue dans l’affaire Boudreault c. Canada (Procureur Général), [1995] A.C.F. no 1055, où la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 17, affirme que la Commission avait commis une erreur de droit en refusant d’exercer sa compétence sur la base de l’alinéa 41(1)d) de la LCPD. Elle avait alors accueilli la demande de contrôle judiciaire et renvoyé l’affaire à la Commission. Dans l’arrêt Boudreault, ci-dessus, comme en l’espèce, le demandeur alléguait que la Commission avait simplement entériné la décision du comité d’appel au lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 41(1). La juge Tremblay-Lamer avait adopté le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Burke c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] A.C.F. no. 440 et Pitawanakwat c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] A.C.F. no. 818, où il avait été décidé que la Commission ne pouvait refuser d’exercer sa compétence au motif que la chose avait déjà été jugée si le demandeur s’était d’abord prévalu des recours internes qui lui étaient ouverts (Boudreault, ci-dessus, au paragraphe 14).

 

[29]           Dans l’affaire Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] A.C.F. no. 539, la Cour d’appel fédérale a ordonné à la Commission d’examiner à nouveau la plainte du demandeur et ce en vertu de l’article 44 précité. Une lecture des faits de cet arrêt démontre que la Cour d’appel est intervenue parce qu’elle considérait que la décision de la Commission n’avait, au moins prima facie, respecté son obligation de vérifier si les motifs allégués étaient fondés et ce avant de décider de tenir une enquête.

 

[30]           Cela dit, dans la présente affaire, une lecture de la décision de l’arbitre de grief qui exerce une juridiction concurrente sur le sujet en litige, et du rapport d’analyse de l’enquêtrice révèle que, contrairement à ce qu’allègue le demandeur, les questions de sa déficience, de discrimination et des tentatives d’accommodement par POC ont été considérées dans les deux instances. De plus, il appert que l’enquêtrice ne fonde pas sa recommandation uniquement sur la décision de l’arbitre de grief puisque son rapport montre qu’elle s’est également attardée aux allégations du demandeur en lien avec sa dépendance à l’alcool et la question d’accommodement raisonnable. En particulier, elle note que le demandeur a omis de présenter à l’arbitre de grief de la preuve suffisante sur sa condition alors qu’il lui était loisible de le faire. Selon l’enquêtrice, donc, le demandeur tenterait principalement de pallier à ce défaut en sollicitant une audience devant la Commission.

 

L’ABUS DE PROCÉDURE ET LA FRIVOLITÉ DU RECOURS

[31]           Le concept de la procédure frivole ou vexatoire est intimement lié au principe de l’abus de procédure, principe qui s’applique autant aux décisions des tribunaux judiciaires qu’administratifs, voir Toronto (ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] A.C.S. no. 64, [2003] 3 R.C.S. 77, aux paras. 43 à 45. Il s’agit d’empêcher le gaspillage de ressources judiciaires, et institutionnelles aussi que de dépenses inutiles pour les parties impliquées.

 

[32]           L’article 41 de la LCDF stipule que la Commission peut déclarer une plainte irrecevable inter alia, si elle « est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ».

 

[33]           J’estime que dans ce dossier, il faut considérer surtout la frivolité que se définit comme il suit dans le dictionnaire Petit Robert, SNL, Paris à la p. 750 « Frivole qui a peu de solidité, de sérieux et par suite d’importance» et dans le dictionnaire The Shorter Oxford English Dictionary, 3e ed-1986, à la page 809 : « Frivolous : of little weight or importance ». Le législateur a accordé à la Commission, le pouvoir discrétionnaire d’éliminer les recours frivoles, excessifs, inutiles, à moins que cette discrétion ne soit exercée arbitrairement, sans motifs raisonnables, il n’appartient pas aux tribunaux d’intervenir.

 

[34]           Dans ce dossier, la Commission a déterminé que le recours du demandeur tombait sous la catégorie précitée, sont un abus de procédure. À mon avis les faits établis, les procédures et les décisions, justifient amplement cette conclusion.

 

[35]            La présente affaire diffère des affaires Boudreaul, Brine et Barrette, ci-dessus, et je ne peux donc pas en arriver à la même conclusion. En l’espèce, la Commission, en acceptant la recommandation de l’enquêtrice de ne pas statuer sur la plainte, s’est appuyée sur des motifs valables et sa décision est donc raisonnable au sens de l’arrêt Southam, ci-dessus. Je suis donc d’avis que l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée. La décision de la Commission du 20 février 2007 est confirmée et la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                             


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-552-07

 

INTITULÉ :                                       Dominic Morin

                                                            c.

                                                            Procureur général du Canada

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               3 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     FRENETTE J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      21 décembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Cameron

 

POUR LEDEMANDEUR

Claudine Patry

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

James Cameron

Kim Patenaude-Lepage

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck

220, avenue Laurier Ouest, Bureau 1600

Ottawa, ON  K1P 5Z9

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                             

                                                                                               

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.