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Date : 20071220

Dossier : IMM-4836-06

Référence : 2007 CF 1349

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF

 

ENTRE :

CESAR ANUA MARUQUIN, SOFRONIA TAGANAS MARUQUIN

 ET CHERYL TAGANAS MARUQUIN

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Cheryl Maruquin est la fille des deux autres demandeurs (M. et Mme Maruquin); ils sont tous citoyens des Philippines et demandent à obtenir le statut de résidents permanents au Canada par parrainage. Les demandeurs ont rempli leurs formulaires de demande en avril 2003.

 

[2]        Au début du mois de mars 2006, la demande des demandeurs a été acceptée et leurs visas préparés.

 

[3]        Le 21 mars 2006, le parrain des demandeurs au Canada a envoyé le message suivant par télécopieur à l’agent d’immigration compétent : [traduction] « […] Cheryl Maruquin, a donné naissance à Jhon Lloyd Maruquin pendant la période de traitement de son document d’immigration. Elle est mère monoparentale. Pour l’instant, la famille a décidé de laisser le bébé aux Philippines; sa mère présentera une demande pour lui dans un proche avenir. » Le fils de Cheryl Maruquin est né en juillet 2004.

 

[4]        Quand les agents d’immigration ont été mis au courant de la naissance du fils de Cheryl Maruquin, les visas des demandeurs avaient été accordés, mais ne leur avaient pas encore été délivrés. Les notes du STIDI du 22 mars 2006 relatent que :  

 

[traduction]

LES VISAS N’ONT PAS ÉTÉ DÉLIVRÉS ET ONT ÉTÉ RETIRÉS DE L’UNITÉ DES DOCUMENTS AUJOURD’HUI. AI PARLÉ À LA PERSONNE À CHARGE, CHERYL MARUQUIN. LUI Ai DEMANDÉ DE SOUMETTRE [LES DOCUMENTS RELATIFS À LA NAISSANCE DE SON ENFANT] ET l’AI INFORMÉE QUE NOUS NE DÉLIVRERIONS PAS TOUT DE SUITE LES VISAS DANS LA MESURE OÙ LE CAS DE L’ENFANT DOIT FAIRE L’OBJET D’UN EXAMEN. ELLE DOIT AUSSI NOUS INFORMER PAR ÉCRIT DU FAIT QUE L’ENFANT L’ACCOMPAGNE OU NON (non souligné dans l’original).

 

 

 

[5]        Le 5 juillet 2006, un agent d’immigration a fait passer une entrevue à Mme Maruquin ainsi qu’à ses parents. Les notes du STIDI de l’agent relatent que :

 

            [traduction]

CHERYL MARUQUIN A ACCOUCHÉ DE JHON LLOYD MARUQUIN EN JUILLET 2004. CE N’EST QU’APRÈS QUE LES VISAS ONT ÉTÉ ÉMIS QU’ELLE L’A DÉCLARÉ, 21 MOIS APRÈS SA NAISSANCE. LE DEMANDEUR PRINCIPAL AINSI QUE SON ÉPOUSE ÉTAIENT TOUT À FAIT AU COURANT DE LA SITUATION DE LEUR FILLE ET N’ONT PAS PRIS LA PEINE DE NOUS INFORMER QU’ELLE ÉTAIT ENCEINTE ET, PLUS TARD, QU’ELLE AVAIT ACCOUCHÉ. LES DEMANDEURS ONT DISPOSÉ DE PRESQUE DEUX ANS POUR DÉCLARER L’ENFANT, MAIS NE L’ONT JAMAIS FAIT.

 

RAISONS DE NE PAS DÉCLARER L’ENFANT : CHERYL MARUQUIN A AFFIRMÉ NE PAS SAVOIR QU’ELLE DEVAIT LE DÉCLARER. ELLE A AJOUTÉ QU’AU MOMENT DE PASSER LA VISITE MÉDICALE, ELLE EN A INFORMÉ LA PERSONNE. QUAND ON LUI A DEMANDÉ POURQUOI ELLE NE NOUS EN AVAIT PAS INFORMÉS, ELLE A DIT QU’ELLE NE SAVAIT PAS, MAIS QUE CELA NE POSAIT PAS DE PROBLÈME DE LAISSER L’ENFANT AUX PHILIPPINES.

 

 

[6]        Le même jour où les notes du STIDI ci-dessus mentionnées ont été rédigées, un autre agent d’immigration a déclaré ce qui suit :

 

[traduction]

D’après les informations obtenues au cours de l’entrevue, je suis d’avis que c’est délibérément que les demandeurs ont tu l’information relative à la personne à charge supplémentaire jusqu’au moment où les visas ont été prêts. Dans la mesure où cette information essentielle n’a pas été divulguée, la décision d’accorder les visas constitue en fait une erreur de droit.

 

 

[7]        Le 14 juillet, 2006, chacun des deux agents d’immigration a écrit au demandeur principal pour lui signifier que sa demande de résidence permanente avait été refusée pour le motif suivant : « […] directement ou indirectement, [avoir fait] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi » aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’accusation de présentation erronée reposait sur le fait que le demandeur principal et sa fille, Cheryl Maruquin, n’avaient pas révélé la naissance de l’enfant dans un délai opportun. Pour reprendre les termes des deux agents d’immigration, cette information ne leur avait été fournie [traduction] « qu’après avoir réglé les derniers détails et émis vos visas ».

 

[8]        La position principale des demandeurs consiste à dire qu’ils ont révélé la naissance de l’enfant de leur propre initiative, après que les visas eurent été prêts, mais avant qu’ils leur aient été délivrés et, quoi qu’il en soit, avant que l’un d’entre eux ait immigré au Canada. De même, d’après eux, la divulgation de la naissance de l’enfant le 21 mars 2006, quelque 21 mois après le fait, mais avant que les visas aient été délivrés, rendait impossible toute présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, qui entraînât ou risquât d’entraîner une erreur dans l’application de la loi.

 

[9]        Le défendeur allègue essentiellement que chaque demandeur s’était engagé d’informer « immédiatement » le bureau canadien des visas si l’information contenue dans les formulaires de demande changeait. De même, d’après le défendeur, la réglementation exigeait que la naissance de l’enfant à charge de Cheryl Maruquin soit divulguée.

 

[10]      Le 29 avril 2003, Cheryl Maruquin a apposé sa signature sur son formulaire de demande directement sous la déclaration suivante : « […] Je préviendrai immédiatement le bureau canadien des visas où j’ai présenté ma demande si certaines des informations ou réponses fournies dans les formulaires de demande changent. » Le formulaire en question n’exigeait pas qu’elle dise si elle avait des personnes à charge ou des enfants (dossier du tribunal, pages 74 à 77).

 

[11]      Le 11 septembre 2003, Cheryl Maruquin a rempli le formulaire Renseignements additionnels sur la famille, qui lui demandait si elle avait des enfants. À l’époque, elle n’en n’avait pas et elle a répondu [traduction] « sans objet ». Le formulaire signé à cette date ne contenait aucun engagement exigeant de Cheryl Maruquin qu’elle informe les agents d’immigration de tout changement dans l’information fournie (dossier du tribunal, feuille qui suit la page 50).

 

[12]      Le 5 août 2005, sur un formulaire apparemment identique à celui qu’elle a rempli le 29 avril 2003, il n’est nulle part demandé à Cheryl Maruquin de déclarer les enfants qu’elle est susceptible d’avoir, et elle s’y engage à communiquer tout changement dans l’information qu’on lui a demandé de fournir (dossier du tribunal, pages 33 à 36).

 

[13]      De la même façon, M. et Mme Maruquin ont tous deux signé des formulaires qui leur demandaient des renseignements sur les membres de leur famille et d’aviser les agents d’immigration de tout changement affectant l’information fournie. On n’y trouve aucune directive selon laquelle il fallait dresser la liste de leurs petits‑enfants ou dire si leur personne à charge, Cheryl Maruquin, avait des enfants (dossier du tribunal, pages 25 à 32, 64 à 69 et 70 à 73).

 

[14]      Tel que susmentionné, le formulaire dans lequel Cheryl Maruquin a déclaré ne pas avoir d’enfants à charge n’exigeait pas qu’elle avise les agents d’immigration de tout changement. Du point de vue du défendeur, c’est le premier formulaire, qu’elle a signé le 29 avril 2003, qui l’y obligeait. Le défendeur se serait attendu à ce que Cheryl Maruquin se rappelle d’un engagement général qu’elle avait pris sur un formulaire distinct environ 15 mois plus tôt et qu’elle déclare la naissance de l’enfant « immédiatement ». Selon moi, dans la présente affaire, il n’était pas raisonnable d’invoquer l’alinéa 40(1)a), particulièrement dans la mesure où les demandeurs n’ont aucune raison apparente de ne pas avoir divulgué l’information.

 

[15]      De plus, les déclarations de chacun des deux agents d’immigration faites dans leurs lettres du 14 juillet 2006, selon lesquelles la naissance du fils de Cheryl Maruquin n’avait été divulguée qu’après que les visas eurent été « émis », ne résistent pas à l’analyse. Les notes du STIDI du 3 mars 2006 contiennent la mention suivante : [traduction] « Demande approuvée. Visas préparés. » Les notes du 22 mars 2006 relatent que : [traduction] «  […] nous ne délivrerons pas tout de suite les visas dans la mesure où le cas de l’enfant doit faire l’objet d’un examen ». Les visas n’ont jamais été délivrés aux demandeurs. Ils sont à tout moment demeurés en la possession des agents d’immigration. À mon avis, il fallait encore les « émettre ». Les demandeurs ne pouvaient pas entrer au Canada et y devenir résidents permanents sans être munis de visas.

 

[16]      Le défendeur se fonde sur les paragraphes 70(1) et (5) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, pour établir le caractère substantiel de la non‑divulgation de la naissance du fils de Cheryl Maruquin.

 

[17]      Aux termes de ces dispositions, l’agent d’immigration n’est pas tenu de délivrer un visa de résident permanent à un étranger s’il est établi qu’un membre de sa famille, même s’il ne l’accompagne pas, est interdit de territoire. Cependant, aucun visa n’a été délivré à Cheryl Maruquin ou émis à son intention, et il n’existe aucune preuve indiquant que son fils nouveau-né pourrait être interdit de territoire. Encore une fois, aux termes du Règlement, une telle décision n’est prise qu’à « l’issue d’un contrôle ». Dans la présente affaire, l’agent d’immigration a choisi de ne pas soumettre le cas du fils de Cheryl Maruquin à un tel contrôle.

 

[18]      Pour résumer, dans les circonstances particulières entourant la présente affaire, on ne peut pas dire que le fait que l’information concernant la naissance du fils de Cheryl Maruquin n’ait pas été divulguée avant le 21 mars 2006 constitue une réticence sur un fait important qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la loi. Les formulaires mis à notre disposition en l’espèce ne peuvent en aucune façon servir de fondement à l’exigence voulant que Cheryl Maruquin communique immédiatement tout changement dans l’information fournie. En fin de compte, la divulgation de la naissance de son fils a devancé le moment prévu par le Règlement pour ce faire.

 

[19]      Je suis également d’avis que la décision a été prise par les décideurs sans considération des éléments dont ils disposaient, aux termes de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Le dossier du tribunal ne contient aucune preuve qui aurait pu permettre à celui des deux agents d’immigration qui a le rang le plus élevé de conclure que l’information a été tue « délibérément ». Les notes du STIDI ne contiennent aucun élément donnant à penser que les demandeurs aient eu quelque intérêt que ce soit à ne pas divulguer la naissance de l’enfant, encore moins que la non‑divulgation ait été délibérée.

 

[20]      L’agent d’immigration devait exercer son pouvoir discrétionnaire. Il aurait pu examiner le cas du fils de Cheryl Maruquin, tel que les notes du STIDI du 22 mars 2006 le laissaient entrevoir, ou alléguer qu’il s’agissait d’un cas d’interdiction de territoire pour fausse déclaration tel que prévu par la législation. Le pouvoir discrétionnaire de prononcer l’interdiction de territoire ne pouvait pas être exercé de manière légitime dans la mesure où l’agent avait qualifié la non‑divulgation de délibérée, ce qui a mon avis était injustifié.

 

[21]      Pour ces motifs, la décision rendue le 14 juillet 2006 de refuser la demande de résidence permanente des demandeurs en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sera annulée. La demande de résidence permanente sera renvoyée devant un autre agent d’immigration que les deux agents qui ont écrit les lettres du 14 juillet 2006 pour un nouvel examen mené conformément aux présents motifs.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.               La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.               La décision rendue le 14 juillet 2006 de refuser la demande de résidence permanente des demandeurs est annulée et l’affaire renvoyée devant un autre agent d’immigration pour un nouvel examen mené conformément aux présents motifs.

 

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4836-06

 

INTITULÉ :                                       CESAR ANUA MARUQUIN ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DES AUDIENCES :                Toronto (Ontario) et Ottawa (Ontario)

 

DATE DES AUDIENCES :              Le 19 novembre 2007 et le 6 décembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge en chef Lutfy

 

DATE :                                               Le 20 décembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

                                                                                   

 

 

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