Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080104

Dossier : DES-4-01

Référence : 2008 CF 9

ENTRE :

MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeurs

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

[1]        Le demandeur fait l’objet d’un certificat de sécurité déposé en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le 12 avril 2007, il a été mis en liberté sous réserve de conditions qui équivalent à une détention à domicile. Conformément à la directive donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350 (l’arrêt Charkaoui), les conditions d’une mise en liberté doivent être revues régulièrement. Les conditions de la libération du demandeur ont été revues les 22, 23, 24 et 25 octobre, les 26, 27, 28 et 29 novembre et le 4 décembre 2007. L’audience était publique. Les présents motifs donnent le détail des modifications qui seront apportées aux conditions existantes. Les conditions modifiées de libération seront jointes à mon ordonnance en tant qu’annexe A.

 

Les faits

[2]        Le cas du demandeur a nécessité de nombreuses audiences et procédures qui sont bien expliquées dans diverses décisions de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale. Les faits sont exposés d’une manière approfondie dans la décision du juge MacKay, Re. Jaballah (2006), 58 Imm. L.R. (3d) 267 (C.F.) (Re. Jaballah) et il n’est pas nécessaire de les rappeler. Une chronologie des événements apparaît à l’annexe A des motifs du juge MacKay. La chronologie, mise à jour pour tenir compte des événements ultérieurs, était annexée aux motifs de la décision que j’ai rendue dans l’affaire Jaballah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (2007), 296 F.T.R. 1 (la décision Jaballah), une décision qui concernait un autre des examens de la détention du demandeur.

 

[3]        Dans la décision Jaballah, j’écrivais que le demandeur a admis qu’il constitue un danger pour la sécurité nationale. Toutefois, comme je le mentionnais au paragraphe 38 de mes motifs, je serais de toute façon arrivée à cette conclusion. Puisque M. Jaballah constitue un danger pour la sécurité nationale, au sens de la LIPR, il doit être détenu à moins que le danger qu’il représente puisse être neutralisé par l’imposition de conditions judicieuses. Tout en sachant que des conditions rigoureuses de libération limitent considérablement la liberté individuelle, j’ai estimé, dans la décision Jaballah, que des conditions restrictives étaient nécessaires pour compenser le niveau de danger. La nécessité de conditions rigoureuses s’expliquait en partie parce que la surveillance que devait exercer l’une des principales cautions (l’épouse du demandeur, Mme Al-Mashtouli) chargées de cette surveillance laissait à désirer. Avec la collaboration et l’assistance des avocats de toutes les parties, des conditions de libération ont été rédigées. Ces conditions étaient jointes comme annexe A à mon ordonnance du 12 avril 2007. Certaines d’entre elles ont été source de difficultés.

 

[4]        Avant la libération du demandeur, des difficultés ont surgi à propos de la condition n° 3 (vidéosurveillance). Après avoir entendu les arguments des avocats, et avec le consentement de tous les avocats, je suis arrivée à la conclusion que la mise en liberté du demandeur ne devrait pas être différée davantage. J’ai autorisé sa libération et ordonné que, jusqu’à la résolution de la difficulté posée par la condition n° 3, le demandeur resterait à l’intérieur de son domicile ou sur les terrains l’entourant (à l’avant ou à l’arrière de son domicile), sauf autorisation préalable de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), ou en cas d’urgence médicale (auquel cas l’ASFC devait en être informée conformément aux alinéas 8(iii) ou (iv) de l’ordonnance).

 

[5]        L’affaire n’a pas été réglée aussi rapidement qu’on l’espérait. Le 31 mai 2007, le demandeur voulait que la condition n° 3 soit supprimée de l’annexe A, tandis que les ministres voulaient que les visiteurs soient interdits, à l’exception des visiteurs qui sont les camarades des enfants. J’ai rejeté les deux requêtes et conclu que, sauf preuve attestant un abus, les mesures compensatoires temporaires appliquées par l’ASFC pour les visiteurs pouvaient être maintenues à titre provisoire. J’ai aussi permis au demandeur de s’absenter de son domicile comme le prévoit la condition n° 8.

 

[6]        Le 26 septembre 2007, après avoir été informée et convaincue que l’ASFC avait autorisé un changement de domicile pour le demandeur et sa famille, j’ai approuvé la demande de changement de domicile faite par le demandeur à condition que le nouveau domicile soit occupé uniquement par la famille Jaballah. J’ai alors informé les avocats que, si l’on trouvait des locataires acceptables pour l’appartement du sous-sol et s’ils étaient approuvés par l’ASFC, j’étudierais plus tard la possibilité d’autoriser la présence de locataires. J’ai aussi ordonné que l’ASFC puisse, lorsqu’elle le jugerait à propos, étendre au-delà de 21 heures le couvre-feu imposé au demandeur.

 

[7]        Dans le présent examen de la détention du demandeur, les deux parties voudraient que les conditions soient modifiées. Il est devenu évident aussi que, en dépit des efforts déployés par les avocats des parties et par la Cour, le libellé de certaines des conditions est ambigu et requiert des éclaircissements.

 

[8]        Avant de passer à l’examen de la présente affaire, je voudrais revoir les postulats fondamentaux qui guideront mon analyse.

 

Les postulats fondamentaux

[9]        Il est admis que le précédent qui fait autorité ici est l’arrêt Charkaoui de la Cour suprême. La Cour suprême a conclu à l’unanimité que les personnes telles que le demandeur doivent disposer d’une possibilité réelle de contester leur maintien en détention ou les conditions de leur mise en liberté. Un processus valable de contrôle continu est un processus qui tient compte du contexte et des circonstances propres à chaque cas (paragraphe 107). Le processus de contrôle doit aussi tenir compte de l’existence de solutions de rechange. Les conditions de la mise en liberté ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger (paragraphes 116 et 117). Les juridictions de contrôle doivent observer ces lignes directrices lorsqu’elles examinent des détentions ou des conditions de mise en liberté (paragraphe 123). Au cours de l’audience, les avocats des parties ont fort à propos qualifié d’exercice de proportionnalité l’exercice consistant à moduler les conditions selon l’affaire considérée. Je suis de leur avis.

 

[10]      Le demandeur n’a pas rétracté son admission selon laquelle il constitue un danger pour la sécurité nationale. Il n’a pas non plus laissé entendre que j’ai commis une erreur en concluant qu’il constitue un tel danger. Nul n’a prétendu que la mise en liberté du demandeur ne devrait pas s’accompagner de conditions. Ma tâche, dans l’examen des conditions de la mise en liberté du demandeur, consiste à examiner les circonstances propres au demandeur et à observer les lignes directrices de l’arrêt Charkaoui, évoquées ci-dessus. Il ne vaut guère la peine que je me réfère à ce qui a pu être ordonné dans d’autres examens intéressant d’autres personnes. Le cas du demandeur est un cas d’espèce.

 

Les conditions en général

[11]      La mise en liberté du demandeur était assortie de 24 conditions. La plupart d’entre elles ne sont pas en cause, et certains des changements proposés ne sont pas contestés. À la date du présent examen, la Cour et les avocats de toutes les parties ont passé en revue, ensemble, les conditions existantes pour voir si elles comportaient de possibles ambiguïtés. Les mots et expressions qui étaient ou pouvaient être susceptibles de plus d’une interprétation ont été modifiés afin de dissiper toute confusion possible. Le nouveau texte a été intégré dans l’annexe A de mon ordonnance, et je n’en dirai pas davantage sur cet aspect. Les modifications non contestées que j’ai approuvées sont examinées dans les présents motifs. Elles aussi sont incorporées dans l’annexe A. Les modifications contestées sont elles aussi examinées dans les présents motifs. Lorsque des modifications aux conditions ont été jugées nécessaires, lesdites modifications se retrouvent dans l’annexe A.

 

Les modifications non contestées

La ligne spécialisée

[12]      La condition n° 2 de mon ordonnance datée du 12 avril 2007 oblige le demandeur à prendre, à ses frais, des dispositions pour que soit installée, à son domicile, une ligne téléphonique terrestre spécialisée répondant aux exigences de l’ASFC, afin de permettre une surveillance électronique efficace. Les ministres voudraient que l’ASFC se charge de l’installation de la ligne spécialisée.

 

[13]      Cette requête découle du débranchement de la ligne spécialisée, le 10 août 2007. Après avoir entendu les témoignages du demandeur, d’Ahmad Jaballah et de M. Terrence Pearce de l’ASFC, je crois que la seule explication raisonnable du débranchement est que Bell Canada s’est trompée au moment de saisir le bon de travail dans sa base de données. Je ne crois pas qu’il y ait eu tentative de la part du demandeur de déjouer le système de surveillance électronique. Le demandeur a affirmé avoir demandé, pour le 30 août, un débranchement (à l’ancien domicile) et un nouveau branchement (au nouveau domicile). Sa demande concordait avec une deuxième demande portant sur le débranchement et le nouveau branchement de la ligne téléphonique terrestre résidentielle.

 

[14]      Cependant, l’erreur a rendu inopérant le système de surveillance électronique. En raison d’impératifs de respect de la vie privée, l’ASFC s’est heurtée à des difficultés lorsqu’elle a voulu corriger la situation. Par ailleurs, le déménagement projeté qui avait conduit à la requête du demandeur ne fut approuvé par la Cour que le 26 septembre. Les avocats reconnaissent, et je partage leur avis, qu’il est souhaitable d’éliminer les obstacles qui empêchent une communication directe entre l’ASFC et Bell Canada concernant la ligne spécialisée. On devrait donc confier à l’ASFC la responsabilité de l’installation de la ligne spécialisée. La condition sera modifiée en conséquence.

 

Le changement de domicile

[15]      L’ordonnance actuelle interdit au demandeur de changer de domicile sans l’autorisation préalable de la Cour. Les ministres voudraient une modification prévoyant qu’un avis de 60 jours francs devra être envoyé à l’ASFC avant tout changement (prévu) de domicile. Le demandeur consent à la modification et je crois qu’il s’agit d’une modification prudente. Le déménagement de la famille Jaballah de son ancien domicile à son domicile actuel a été marqué par la confusion et par des lenteurs. Cela aurait pu être facilement évité si l’avis avait été suffisant. La condition sera modifiée en conséquence.

 

Les sorties

[16]      La question des sorties du demandeur sera examinée plus en détail ultérieurement dans les présents motifs. À ce stade, je n’aborderai que les aspects non litigieux. Le premier est la nécessité d’un avis lorsque le demandeur s’absente de son domicile. En général, les conditions autorisent le demandeur, sous réserve de l’assentiment préalable de l’ASFC, à quitter son domicile trois fois par semaine (est prévu aussi un nombre défini de sorties prolongées). L’approbation des sorties par l’ASFC doit être demandée chaque semaine, sous réserve d’un avis d’au moins 72 heures. Les ministres voudraient que l’obligation de notification soit modifiée pour prévoir un avis d’au moins 72 heures ouvrables. Après avoir entendu le témoignage de M. Pearce concernant les besoins opérationnels et les fonctions de l’ASFC, le demandeur a souscrit à la requête des ministres. Je ne vois pas le rôle de la Cour comme un rôle opérationnel. Vu l’accord des parties, je ne demande pas mieux que de consentir à la modification demandée, qui selon moi tient plus d’une mise au point que d’un changement de fond.

 

[17]      Le demandeur se rend à une mosquée chaque vendredi soir pour la prière. Pour l’instant, sa visite à la mosquée est considérée comme l’une de ses trois sorties hebdomadaires autorisées. Le demandeur voudrait que sa visite à la mosquée le vendredi pour la prière demeure autorisée, mais ne soit pas considérée comme une sortie. Il appert de la preuve que M. Dawud accompagne le demandeur chaque vendredi et que tout se passe toujours bien. Les ministres accèdent à la requête du demandeur, et je n’ai aucune difficulté à l’approuver. La visite du demandeur à la mosquée le vendredi soir ne sera pas comptée comme une sortie.

 

[18]      Dans le même registre, le demandeur voudrait que l’ASFC [traduction] « puisse exercer raisonnablement son pouvoir discrétionnaire d’autoriser le demandeur à observer les pratiques importantes de sa religion », par exemple le Ramadan et l’Aïd. La question du Ramadan a été évoquée auparavant et j’ai accordé à l’ASFC le pouvoir discrétionnaire de différer au-delà de 21 heures le couvre-feu imposé au demandeur. On ne sait pas ce qu’il en est des célébrations de l’Aïd. Les ministres ont relevé que des célébrations de l’Aïd ont eu lieu au Centre Rogers, à Toronto, et que l’on ne pouvait raisonnablement penser que l’ASFC puisse autoriser la présence du demandeur au Centre Rogers, en raison de difficultés opérationnelles. Je partage leur avis. Cependant, rien n’indique que toutes les célébrations de l’Aïd ont lieu au Centre Rogers. Je suis disposée à donner à l’ASFC le pouvoir nécessaire, espérant qu’il sera exercé avec discernement.

 

[19]      Le demandeur voudrait aussi que l’ASFC soit autorisée à régler les imprévus de la vie quotidienne. Il y avait les exemples suivants : [traduction] « Si un fusible de la cuisinière saute et que je doive aller en chercher un neuf, ou si je dois acheter du lait sur mon trajet de retour à la maison après une sortie. » Fait à noter, il ne semble pas que la famille Jaballah ait connu des situations de ce genre. En l’absence de preuves sur ce point, je me demande si la requête est légitime ou illusoire. Cependant, les ministres ne s’y sont pas opposés. Je suis donc prête à donner à l’ASFC l’autorisation nécessaire, pour autant que l’ASFC ne soit pas submergée de requêtes portant sur des imprévus qui jusqu’à maintenant n’ont pas surgi. Il appartiendra à l’ASFC d’évaluer le bien-fondé de toute requête du genre.

 

[20]      Les modifications susmentionnées, qui concernent la visite à la mosquée le vendredi, le fait de participer à des pratiques religieuses importantes et la prise en compte des imprévus de la vie quotidienne, requièrent un ajout aux conditions existantes. L’insertion apparaît en tant que condition n° 8 (vi).

 

[21]      Je considère comme une question réglée la question de l’itinéraire des sorties. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de l’examiner.

 

Les rencontres fortuites

[22]      Le demandeur voudrait des éclaircissements sur la possibilité pour lui de rencontrer des gens en dehors de chez lui. Sa requête est formulée ainsi : [traduction] « [L]’ordonnance autorise les visites de "toute personne autorisée […] par l’ASFC" – je crois que les gens dont les visites chez moi sont autorisées devraient être considérés comme des personnes à qui je suis autorisé à parler en dehors de chez moi; par exemple si je rencontre une connaissance à l’épicerie ou dans un parc, et que cette personne est autorisée, l’ASFC dit que je n’ai pas le droit de lui parler. »

 

[23]      Aucun témoin n’a été appelé à propos de cette demande d’éclaircissements. L’unique témoignage, rattaché de loin à la question, a été celui de M. Pearce, quand il a décrit une sortie de la famille Jaballah dans le parc. Durant la sortie, un agent de l’ASFC s’est discrètement approché du demandeur pour se renseigner sur l’identité d’un jeune homme (inconnu de l’agent) à qui le demandeur avait donné une accolade.

 

[24]      J’ai parcouru plusieurs fois les conditions existantes. Il m’est impossible de trouver la prétendue interdiction. Il y a une clause selon laquelle le demandeur n’a pas le droit de parler à quiconque lorsqu’il dépose ses enfants à l’école ou qu’il va les y chercher. Je crois comprendre que le demandeur n’est pas à pied quand il fait ce trajet. J’ai donc du mal à voir comment la situation pourrait surgir dans un tel cas.

 

[25]      Il y a plusieurs exceptions énumérées à l’interdiction faite au demandeur de rencontrer quiconque avec qui il aurait pris rendez-vous, ainsi que le prévoit la condition n° 10. Je me demande pourquoi les avocats du demandeur voudraient une modification de cette condition (si ce n’est le cas d’une demande précise et conditionnelle que j’aborderai plus loin, sous la rubrique des questions diverses). Comme j’avais du mal à comprendre le fondement de cette requête, j’ai prié les avocats de me donner des éclaircissements. Voici comment j’interprète ses explications.

 

[26]      Si le demandeur est à l’extérieur (par exemple dans le parc) et qu’il rencontre par hasard une personne dont l’ASFC autorise les visites au domicile des Jaballah, alors il est injuste d’interdire au demandeur de parler à cette personne. Plus exactement, il ne devrait pas être limité à un « bonjour »; il devrait pouvoir converser avec elle. Je ne vois rien dans les conditions existantes qui lui interdisent de le faire. Les conditions existantes interdisent au demandeur de rencontrer, après avoir pris rendez-vous, des personnes autres que celles qui sont mentionnées dans le paragraphe. Les ministres ne s’opposent pas à ce que le demandeur passe quelques instants avec une personne autorisée par l’ASFC qu’il rencontre par hasard au cours d’une sortie. Par conséquent, aucune modification n’est requise ici.

 

L’ordinateur portatif sans fil

[27]      Les conditions de l’ordonnance du 12 avril disposent que « [a]ucun ordinateur pouvant être connecté à Internet sans fil ne devra être emporté dans la maison ». À l’époque du précédent examen de la détention du demandeur, l’ordinateur portatif d’Ahmad Jaballah ne permettait pas une connexion sans fil. Par conséquent, seule la condition applicable à tous les ordinateurs pouvant être connectés à l’Internet concernait son ordinateur portatif. Ahmad a témoigné que, deux semaines avant le début de la présente audience, l’écran de son ordinateur portatif a rendu l’âme. Si je comprends bien la preuve, son ordinateur portatif ne fonctionne plus et se trouve donc hors d’usage. C’est-à-dire qu’il ne peut pas être réparé. Ahmad a dit qu’il s’est rendu chez Costco et Future Shop et qu’il n’a pas pu trouver un ordinateur portatif ne permettant pas une connexion sans fil. Selon lui, [traduction] « tous les nouveaux ordinateurs qui sont dans le commerce sont équipés d’une connexion sans fil ».

 

[28]      Le témoignage d’Ahmad sur ce point a été largement confirmé par M. Jerry Lukac, le spécialiste des technologies de l’information affecté au Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain (le CELTM). M. Lukac avait été appelé à témoigner par les ministres. Il a témoigné qu’il est très difficile d’acheter un ordinateur portatif neuf ne permettant pas une connexion sans fil. Je retiens du témoignage de M. Lukac que l’acquisition d’un ordinateur portatif ne permettant pas une connexion sans fil nécessiterait une communication avec le fabricant et une commande spéciale passée auprès du fabricant.

 

[29]      Ahmad a dit qu’il désactiverait la fonction permettant une connexion sans fil de son ordinateur portatif lorsqu’il se trouverait au domicile du demandeur. Ayant entendu M. Lukac, je ne suis pas convaincue que l’affaire soit aussi simple. Par ailleurs, il y a, concernant le service Internet au domicile du demandeur, d’autres difficultés qui seront abordées plus loin dans les présents motifs.

 

[30]      Après avoir bien réfléchi à la requête d’Ahmad, je suis d’avis que les conditions existantes ne l’empêchent nullement d’acheter un ordinateur portatif permettant une connexion sans fil. L’interdiction l’empêche d’apporter cet ordinateur au domicile du demandeur.

 

[31]      La preuve révèle d’une manière indiscutable qu’Ahmad passe une bonne part de son temps à l’université. Le matin, il est chez lui avec son père pendant que sa mère fait du bénévolat à l’École Um Al Qura. Il quitte la maison quand sa mère revient, vers midi ou 13 heures, sauf le lundi, où il reste souvent chez lui jusque vers la fin de l’après-midi, pour permettre à sa mère de passer la journée à l’école.

 

[32]      Après avoir pris le chemin de l’université, Ahmad a pour habitude d’y rester, en général jusque vers minuit ou 1 heure du matin. Il a un bureau sur le campus, en raison de son poste de vice‑président pour l’équité en milieu étudiant. Son poste l’oblige à être présent dans son bureau au moins 15 heures par semaine. Ahmad dit que, si sa présence n’est pas requise d’urgence chez lui, il reste sur le campus pour étudier et travailler. Il n’a pas dit qu’il étudiait chez lui ou qu’il avait besoin de son ordinateur portatif chez lui.

 

[33]      Il n’est pas impossible de fixer des conditions qui permettraient à Ahmad d’emporter son ordinateur portatif chez lui, mais ce n’est pas une tâche simple. Les conditions seraient complexes. Il faudrait aussi considérer la question du routeur sans fil. Le routeur n’est pas une question sérieuse s’il n’y a dans la maison aucun ordinateur permettant une connexion sans fil. Vu l’ensemble de la preuve (j’en dirai davantage sur ce point quand j’aborderai certaines des requêtes litigieuses), les difficultés qui ont surgi dans l’interprétation de certaines des conditions existantes, et le témoignage de M. Lukac concernant la désactivation de la fonction permettant la connexion sans fil, j’arrive à la conclusion qu’il y a une solution simple pour sortir du dilemme. Au reste, c’est la solution que je privilégie. Ahmad Jaballah est libre d’acheter un ordinateur portatif permettant une connexion sans fil, mais il ne peut pas l’apporter au domicile familial. Il peut laisser l’ordinateur à son bureau à l’université, ou à tout endroit de son choix, autre que le domicile familial.

 

[34]      Les requêtes restantes requièrent une analyse plus détaillée. Les ministres ne s’opposent pas à certaines des propositions du demandeur. Il y a d’autres requêtes (d’abord acceptées) auxquelles les ministres se sont opposés durant leurs conclusions finales. Pour être juste envers les ministres, il faut dire que leur position fut, du moins en partie, le résultat d'éléments nouveaux qui se sont manifestés à mesure que progressait l’audience. Il importe de se rappeler (comme je l’ai rappelé aux avocats durant l’audience) que l’assentiment des ministres est un facteur qui a beaucoup de poids. Cependant, il n’est pas déterminant. En dernière analyse, c’est à la Cour qu’il incombe de s’assurer que les conditions de la mise en liberté neutraliseront le danger.

 

[35]      Avant de passer aux requêtes restantes, je voudrais brièvement évoquer les relations entre la famille Jaballah et l’ASFC.

 

L’ASFC et la famille Jaballah

[36]      La relation entre la famille Jaballah et l’ASFC, aux dires de tous, sauf une exception, est une relation fructueuse. M. Pearce, le chef intérimaire du CELTM, est le principal point de référence de l’ASFC. Il relève de son supérieur immédiat, le directeur du CELTM, M. Reg Williams. Quelqu’un est toujours là pour répondre aux inquiétudes du demandeur. M. Pearce a témoigné que, au cours d’une semaine normale, il est au téléphone avec le demandeur entre 10 et 20 fois. « Cela pourrait être davantage, mais jamais moins. » L’ASFC est là pour répondre aux inquiétudes du demandeur 24 heures par jour et sept jours par semaine.

 

[37]      Le demandeur et Ahmad Jaballah ont témoigné qu’ils avaient eu des difficultés avec un seul agent de l’ASFC. Ils n’ont plus affaire à cet agent. Tous deux ont dit qu’ils ont une bonne relation avec M. Pearce. Ahmad a qualifié de solide sa relation avec « M. Terry ». Le demandeur a dit que les agents d’exécution de l’ASFC sont [traduction] « gentils » et qu’il n’a [traduction] « aucune difficulté avec eux ». Il est évident que M. Pearce s’est fait un devoir de se montrer respectueux envers la famille Jaballah tout en surveillant l’application des conditions imposées par la Cour.

 

Les points contestés

[38]      Il y a des points accessoires, mais je suis d’avis que les points non réglés peuvent être répartis en six rubriques :

a)         les sorties de M. Jaballah et son désir d’enseigner;

b)         les surveillants additionnels;

c)         le télécopieur;

d)         l’Internet;

e)         les visiteurs;

f)          la vidéosurveillance.

 

Les sorties de M. Jaballah et son désir d’enseigner

[39]      Ces sujets sont combinés en raison de la manière dont ils sont présentés. Le demandeur voudrait que le nombre de ses sorties autorisées soit augmenté. Il voudrait aussi être autorisé à enseigner l’arabe et le Coran à l’École Um Al Qura, ou subsidiairement être autorisé à exécuter des tâches administratives à l’école. Subsidiairement encore, pour le cas où l’idée qu’il travaille à l’école serait inacceptable, il aimerait enseigner à des élèves dans l’appartement du sous-sol de son domicile. S’il est autorisé à enseigner, alors il retire sa demande d’augmentation du nombre de ses sorties.

 

[40]      Après avoir occupé durant trois mois le poste de directeur à l’École islamique Salaheddin, et avoir donné des leçons particulières chez lui durant six mois, le demandeur a fondé en juillet 2001 l’École Um Al Qura. Peu après l’ouverture de l’école, il a été détenu (le 14 août 2001). L’école offre des classes qui vont de la première année à la huitième année, bien qu’elle compte très peu d’élèves au-delà de la sixième année. Au départ, l’effectif scolaire était de 178 élèves. Aujourd’hui il est d’environ 50 élèves. L’école a été agréée par le ministère de l’Éducation de l’Ontario. Outre le programme provincial réglementaire, elle offre des cours d’arabe, et on y enseigne le Coran. C’est une entreprise à but non lucratif. Les salaires des instituteurs (et probablement ceux des employés non bénévoles) sont payés après les dépenses. L’école est administrée par un conseil d’administration composé de quatre personnes. L’un des membres du conseil est absent de la province depuis trois ans. Mme Al-Mashtouli est membre du conseil.

 

[41]      Le personnel de l’école comprend quatre instituteurs, un instituteur adjoint et quatre bénévoles. Il y a une directrice (Mme Al-Mashtouli) et un directeur adjoint. On ne sait pas, au vu du dossier, si la directrice et le directeur adjoint font partie du personnel enseignant. Il y a aussi une secrétaire.

 

[42]      Selon le témoignage du demandeur, l’unique raison pour laquelle il souhaite enseigner (ou faire des tâches administratives pour l’école) est la nécessité pour lui de subvenir aux besoins de sa famille. Le loyer de son ancien logement était de 400 $ par mois. Celui de son logement actuel est de 1 200 $ plus l’électricité. Il prévoit de payer un total de 1 500 $ par mois. En outre, il a pris la responsabilité du loyer mensuel de 900 $ pour l’appartement du sous-sol de son domicile. Il se sent tenu de prendre en charge ce loyer parce que les locataires (de l’ancien propriétaire) n’ont pas été agréés par l’ASFC en raison de leurs casiers judiciaires. Le demandeur a témoigné qu’il ferait tout genre de travail, quel que soit le nombre d’heures, à condition qu’il puisse gagner un peu d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille.

 

[43]      La famille perçoit actuellement des prestations d’aide sociale de 1 500 $ par mois et trois allocations pour enfants de 250 $, pour un revenu mensuel total de 2 250 $. Ahmad verse une contribution de 800 $ (parfois 900 $) par mois. En échange du travail bénévole de Mme Al Mashtouli à l’École Um Al Qura, les deux enfants Jaballah qui fréquentent l’école sont dispensés des frais de scolarité. Cela équivaut à environ 5 000 $ par an. Le demandeur dit qu’il peut gagner jusqu’à 800 $ par mois sans subir une diminution de ses prestations d’aide sociale.

 

[44]      Les ministres s’opposent énergiquement à la requête du demandeur. M. Pearce a signalé les conditions qui restreignent toute prise de contact avec d’autres personnes et a fait observer qu’il y aurait des instituteurs, des gardiens et des parents, que le demandeur serait à même de côtoyer. Il a évoqué la nécessité pour l’ASFC de faire constamment une évaluation du site en raison de l’emplacement de l’école, qui se trouve dans une zone industrielle comptant un grand nombre de camions gros porteurs dans le voisinage immédiat. Le fonctionnement du GPS serait compromis parce qu’il doit y avoir une zone libre à l’intérieur de l’école pour la perception du signal. M. Pearce ne savait pas quel serait le niveau de proximité entre le demandeur et le surveillant. Les téléphones cellulaires appartenant aux élèves, aux instituteurs et aux employés causeraient également des difficultés. En bref, M. Pearce pensait que l’ASFC ne serait pas en mesure de surveiller efficacement le demandeur s’il était autorisé à enseigner (ou à faire des tâches administratives) à l’école.

 

[45]      Le demandeur a dit qu’il faudrait informer de sa situation les parents d’élèves. Il pourrait communiquer avec eux par téléphone concernant leurs enfants (l’idée étant que l’ASFC, ayant installé un dispositif d’écoute sur sa ligne téléphonique, pouvait écouter les communications). Il a dit qu’il est autorisé à déposer et à prendre ses enfants à l’école et que l’ASFC lui a permis d’entrer dans l’école pour certaines de ses sorties. En outre, des gens sont là lorsqu’il se rend à la mosquée ou au centre commercial. L’obligation qu’il a est celle de ne pas communiquer avec des gens non autorisés. La même obligation pourrait s’appliquer à son enseignement ou à son travail à l’école.

 

[46]      Les inquiétudes de l’ASFC sont légitimes. Eu égard à la nature restrictive des conditions, ainsi qu’aux motifs que j’ai exposés à propos de l’examen antérieur de la détention du demandeur, il est évident, à mon avis, que la neutralisation du risque requiert une surveillance rigoureuse du demandeur et de ses activités. L’impératif de surveillance n’est pas disproportionné avec le danger.

 

[47]      Il ne m’est pas nécessaire d’entreprendre une longue analyse des diverses préoccupations évoquées par l’ASFC. La Cour et les avocats de toutes les parties se sont rendus à l’école pour inspecter les lieux. Les avocats du demandeur ont dit que l’école [traduction] « a[vait] un budget très serré », mais ils ont relevé, avec raison, que cela n’empêchait nullement les enfants d’y recevoir une éducation de qualité. Eu égard aux craintes de M. Pearce concernant le système de surveillance GPS (et ayant pris connaissance des difficultés possibles de fonctionnement de ce système), ce à quoi s’ajoute ma visite de l’établissement, je suis presque certaine que le GPS ne fonctionnerait pas.

 

[48]      Le fonctionnement du GPS s’est révélé problématique durant certaines sorties, mais l’ASFC a été en mesure de compenser ces difficultés en assurant une surveillance physique. Il y a une différence énorme entre une surveillance physique exercée durant un nombre précis de sorties hebdomadaires déterminées au préalable, et une surveillance physique quotidienne dans une école où la grande majorité des élèves sont de tout jeunes enfants.

 

[49]      Aspect plus important, le demandeur serait surveillé principalement par Mme Al‑Mashtouli durant le temps qu’il passerait à l’école. Ahmad a dit que, si sa mère devait tomber malade, il serait heureux de la remplacer ce jour-là. Il ne m’est pas nécessaire de redire les sérieux doutes qui ont surgi quant à la crédibilité de Mme Al Mashtouli (décision Jaballah, aux paragraphes 61 à 65). Ces doutes ne sont pas dissipés. Mme Al Mashtouli a choisi de ne pas témoigner dans la présente affaire. Fait à noter, lorsqu’elle surveille le demandeur à leur domicile, l’unité de base fonctionne en même temps que le bracelet émetteur. L’ASFC est donc en mesure de surveiller le demandeur. L’appareil de repérage GPS est une tout autre affaire. Sans un bon signal, le système ne fonctionne pas et la surveillance incombe alors à Mme Al-Mashtouli. Ce scénario n’est tout simplement pas acceptable.

 

[50]      J’accorde peu de valeur au témoignage de Mme Fauzia Abdullah, pour qui il ne serait nullement inquiétant que le demandeur enseigne à l’école. Mme Abdulla était certainement bien intentionnée. Cependant, il est évident qu’elle voyait le retour projeté du demandeur comme un moyen d’augmenter l’effectif de l’école car elle croyait que les gens y enverraient leurs enfants s’il revenait. Elle n’avait consulté personne, ni parlé à personne, si ce n’est un seul membre du conseil d’administration (incidemment, le matin de sa comparution).

 

[51]      Je rejette le témoignage du demandeur selon lequel Hashem Siwalen pourrait tenir lieu de surveillant tout en faisant des suppléances. Le demandeur a témoigné que l’école recourait aux services de M. Siwalen, [traduction] « parfois pour un mois, parfois pour une semaine ». M. Siwalen a dit qu’il n’a pas les qualités requises pour faire des suppléances, qu’il apporte son aide à titre de bénévole et qu’il le fait rarement, peut-être une fois ou deux par année.

 

[52]      En résumé, je ne suis pas disposée à modifier les conditions pour permettre au demandeur d’enseigner ou de faire des tâches administratives à l’École Um Al Qura. Je ne m’oppose pas à ce que le demandeur exécute chez lui les tâches administratives qu’il a décrites (établissement du calendrier, emplois du temps). Il me semble que la rémunération devrait être en rapport avec la quantité et la qualité du travail exécuté. Si le demandeur exécute un travail administratif chez lui, il devrait être rémunéré. Il a dit qu’il n’avait jamais demandé à être payé pour le travail qu’il faisait chez lui. Eu égard à sa situation financière actuelle, il devrait étudier la question.

 

[53]      L’idée du demandeur d’enseigner chez lui consisterait à instruire des élèves dans l’appartement du sous-sol. Nombre des mêmes préoccupations surgissent, en particulier pour ce qui concerne les communications avec des personnes non autorisées, ainsi que les téléphones cellulaires. Par ailleurs, ce que le demandeur entend réellement faire ne m’apparaît pas du tout évident. Il a déclaré (quand on l’a interrogé) que ses élèves seraient âgés de 14 à 16 ans. Les personnes âgées de plus de 15 ans doivent obtenir l’agrément de l’ASFC avant de pouvoir « visiter » le domicile du demandeur.

 

[54]      À l’origine, il disait que son intention était d’enseigner à environ 20 élèves. Quand M. Pearce a émis des doutes à propos des inspections possibles du commissaire des incendies ou autres instances municipales, et évoqué la question du respect des règlements et des codes régissant l’exploitation d’une entreprise, la proposition fut modifiée en cours de route. Il s’agissait désormais de [traduction] « cours particuliers » donnés à deux ou trois élèves. Le demandeur a dit qu’il déposerait des [traduction] « brochures » dans diverses mosquées. Il n’avait aucune idée si l’on y répondrait. Si la proposition consiste à donner des cours particuliers à deux ou trois élèves, alors pourquoi dans l’appartement du sous-sol?

 

[55]      Je dois mentionner que, à la suite de l’inspection de l’école, la Cour et les avocats se sont rendus au domicile des Jaballah. Il est apparu évident que le demandeur s’était appliqué avec soin à améliorer l’appartement du sous-sol. Cependant, son témoignage quant à l’utilisation de cet appartement fut tout à fait incohérent. Le demandeur se proposait de prendre des locataires, il se proposait d’y enseigner, il songeait à installer ses fils Ahmad et Munzir dans le sous-sol, et il songeait à y installer (un jour) Ahmad et sa future épouse. Il a exprimé le souhait de voir sa famille occuper l’immeuble sans personne de l’extérieur.

 

[56]      Or, alors que le demandeur faisait état de ces diverses possibilités, un locataire possible fut trouvé, dont le nom fut soumis à l’approbation de l’ASFC. La Cour en a été informée le mardi 29 novembre. J’ai émis des doutes concernant l'effet qu’un locataire aurait sur l’autre souhait formulé par le demandeur, celui d’enseigner dans le sous-sol. Ses avocats se sont exprimés ainsi :

[traduction] En tant qu’enseignant, il souhaite notamment pouvoir enseigner, mais il devait tenir compte aussi du facteur économique. Si le sous-sol allait être inoccupé durant quelque temps, alors son idée était de l’utiliser comme lieu d’enseignement et ainsi pouvoir gagner un peu d’argent. Si un locataire occupe le sous-sol, la nécessité pour lui de gagner un revenu sera moins urgente parce que la famille disposera d’une somme régulière.

 

 

 

[57]      L’avocat des ministres a été prompt à dire que, si l’éventuel locataire n’avait pas de casier judiciaire et franchissait les vérifications de sécurité, il recommanderait, sous réserve de l’approbation de la Cour, que la famille Jaballah soit autorisée à lui louer l’appartement du sous‑sol. De l’avis de l’avocat, la solution consistant à louer l’appartement du sous-sol devrait être sérieusement étudiée et être privilégiée (à des fins de revenu).

 

[58]      Cinq jours plus tard, la Cour était informée que [traduction] « il n’y a plus pour l’instant de locataires possibles. La situation financière de la famille n’en est que plus inquiétante. » La raison officielle était que l’autorisation de l’ASFC n'avait pas été obtenue à temps.

 

[59]      Il m’apparaît curieux que, dès que le demandeur a su que l’éventuel revenu de location pouvait être jugé suffisant pour qu’il n’ait plus besoin de travailler, le locataire éventuel s’est volatilisé presque immédiatement.

 

[60]      À ce stade, les conditions de la mise en liberté sont en vigueur depuis environ huit mois. Les modifications requises pour tenir compte du désir du demandeur d’enseigner sont des changements fondamentaux. L’avocat de M. Jaballah présente la requête d’une manière cohérente, mais la preuve produite à l’appui est mince. Je suis d’avis qu’une rigoureuse surveillance du demandeur et de ses déplacements est essentielle si l’on veut neutraliser le danger qu’il constitue pour la sécurité nationale. Je ne suis pas convaincue que les conditions devraient être modifiées pour lui permettre d’enseigner, comme il le souhaite, parce que, d’après moi, ses actions ne pourraient pas être efficacement surveillées. Il demeure loisible au demandeur d’arrondir son revenu en exécutant chez lui des tâches administratives pour l’école. Il a également la possibilité de soumettre d’éventuels locataires à l’approbation de l’ASFC et de la Cour.

 

[61]      Ayant rejeté l’idée du demandeur de faire de l’enseignement, je dois examiner la question de l’accroissement du nombre de ses sorties. Les conditions autorisent actuellement le demandeur à faire trois fois par semaine des sorties de quatre heures, entre 8 heures du matin et 9 heures du soir. L’ASFC a le pouvoir de prolonger ses sorties au-delà de 9 heures du soir. L’une des sorties hebdomadaires peut durer jusqu’à six heures. Il y a un maximum de trois sorties prolongées par mois. Il convient de noter que, lorsque le demandeur emmène ses enfants à l’école le mardi, le mercredi et le jeudi, le trajet à faire pour les y déposer et le trajet à faire pour aller les chercher ne comptent pas comme sorties. Pareillement, les rendez-vous chez des médecins ou des avocats ne comptent pas comme sorties, quels que soient leurs nombres.

 

[62]      J’ai déjà dit que la visite du demandeur à la mosquée le vendredi soir ne devrait pas être comptée comme une sortie. Comme je l’ai fait observer, près de huit mois se sont écoulés depuis la mise en liberté du demandeur. M. Pearce a témoigné que les sorties se sont bien déroulées, sans incident. Il a dit aussi que l’ASFC accéderait au nombre de sorties que la Cour jugera à propos.

 

[63]      Je suis disposée, au vu de la preuve, à faire passer de trois à cinq le nombre des sorties hebdomadaires, et de quatre à cinq le nombre d’heures de chaque sortie. Vu la fréquence des absences du demandeur de son domicile (y compris celles qui ne sont pas comptées comme des sorties), d’autres changements ne sont pas justifiés pour l’instant.

 

Les surveillants

[64]      Le demandeur voudrait avoir trois surveillants additionnels. La raison qu’il invoque est la lourde charge qui pèse sur les surveillants principaux, obligés d’être à sa disposition. Mme Al Mashtouli ne peut pas se rendre dans les magasins d’alimentation si Ahmad est à l’école, parce qu’elle doit demeurer auprès du demandeur. Plusieurs des surveillants suppléants travaillent, et il est difficile pour eux d’être rapidement disponibles. Si d’autres surveillants étaient ajoutés, cela aiderait la famille en allégeant la lourde charge qui pèse sur Ahmad et sur Mme Al-Mashtouli. Ce raisonnement contraste énormément avec les témoignages que Mme Al‑Mashtouli et Ahmad Jaballah ont produits lors de l’examen antérieur de la détention.

 

[65]      Les surveillants proposés sont Hashim Siwalen, Raza Mohammed et Matthew Behrens. Les ministres consentent à ce que Hashim Siwalen et Raza Mohammed tiennent lieu de surveillants. Ils ne veulent pas de M. Behrens.

 

[66]      M. Siwalen est un ami d’Ahmad Jaballah depuis qu’ils fréquentaient l’école secondaire. Le demandeur et Ahmad disent qu’il est étudiant, mais il travaille actuellement et il ne commencera ses études qu’en janvier 2008, quand il fréquentera le Centennial College. M. Siwalen a été agréé comme visiteur chez les Jaballah peu après la mise en liberté du demandeur. Il connaît bien les conditions de la mise en liberté. Il a témoigné qu’il est disposé à s’assurer que le demandeur se plie aux conditions.

 

[67]      M. Siwalen a aidé la famille Jaballah à emménager dans son nouveau domicile, il est allé chercher les enfants à l’école et il les a gardés. Il visite la famille Jaballah au moins une fois par semaine. Il a dit qu’il a, et qu’il aura, suffisamment de temps pour se mettre à la disposition de la famille Jaballah, durant la semaine et durant les fins de semaine.

 

[68]      Je présume, au vu du consentement des ministres, que les vérifications requises ont été effectuées en ce qui concerne Hashim Siwalen. Sur ce fondement, et puisqu’il est un ami de longue date d’Ahmad Jaballah et qu’il a beaucoup aidé la famille depuis la mise en liberté du demandeur, j’autoriserai Hashim Siwalen à agir comme surveillant.

 

[69]      Raza Mohammad a déposé un cautionnement d’exécution de 5 000 $ au soutien de la demande de mise en liberté du demandeur. Il a témoigné lors de l’examen antérieur de la détention, et à nouveau au cours de la présente audience. En tant que caution, il connaît bien les modalités de la mise en liberté.

 

[70]      M. Mohammad connaît la famille Jaballah depuis six ans. Leur relation a débuté lorsqu’il était bénévole au Youth Assessment Centre de Toronto. C’est au cours de son travail auprès des jeunes en difficulté qu’il a rencontré Munzir Jaballah. M. Mohammad est aujourd’hui marié et père d’un enfant. Il continue de travailler auprès de trois jeunes, dont l’un est Munzir. Jusqu’à maintenant, son rapport avec le demandeur concernait Munzir. Il croit qu’il a établi une bonne relation avec le demandeur.

 

[71]      M. Mohammad travaille dans l’immobilier. Il dit que sa profession lui permet des heures flexibles. Au besoin, il pourrait se mettre à disposition. Il demeure à 20 minutes du domicile de la famille Jaballah. Il croyait que son rôle auprès du demandeur pourrait requérir son attention quatre ou cinq fois par mois. Il a dit qu’il n’hésiterait pas à signaler tout manquement aux conditions de la mise en liberté. M. Mohammad, en tant que caution conditionnelle, a tout intérêt à ce que le demandeur se conforme aux conditions. J’autoriserai M. Mohammad comme surveillant.

 

[72]      Matthew Behrens est un éditeur, qui connaît et aide la famille Jaballah depuis un certain nombre d'années. Il a un emploi du temps flexible, et il a témoigné qu’il peut se mettre à la disposition de la famille Jaballah n’importe quand, et dans un bref délai.

 

[73]      M. Behrens a témoigné en détail sur les diverses manières dont il a aidé la famille Jaballah. La seule chose qu’il n’a pas pu faire, c’est de relayer les surveillants. Il est un visiteur autorisé et il est explicitement exclu, de par mon ordonnance, de l’interdiction touchant les visiteurs qui ont des casiers judiciaires. Outre qu’il aide la famille directement, il fait semble-t-il une quantité considérable de travail pour les avocats du demandeur.

 

[74]      Les ministres s’opposent énergiquement à ce que M. Behrens soit nommé surveillant. S’ils s’opposent à cela, c’est en raison des articles signés par M. Behrens, dans lesquels il critique les juges de la Cour fédérale et les décisions qu’ils ont rendues dans des affaires relatives aux certificats de sécurité. Les ministres disent qu’il ne respecte pas assez la Cour et ses procédures pour être agréé comme surveillant. M. Behrens rétorque qu’il signalerait néanmoins toute violation des conditions.

 

[75]      J’ai exprimé l’avis que, au vu du témoignage de M. Behrens, il considérait son rôle comme un rôle d’intermédiaire entre l’ASFC et la famille Jaballah, plutôt que comme un rôle de surveillant du demandeur. J’ai examiné une nouvelle fois son témoignage, et je me fie à cette évaluation. La relation entre l’ASFC et la famille Jaballah est une bonne relation, et je ne voudrais pas la voir de quelque manière compromise inutilement. En outre, au vu des diverses difficultés d’« interprétation » qui ont surgi à propos des conditions, l’idée des ministres selon laquelle l’interprétation donnée par M. Behrens pourrait ne pas s’accorder avec l’esprit des conditions n’est pas dépourvue de bien-fondé.

 

[76]      J’ai demandé à M. Behrens quelle différence entraînerait pour lui le fait d’être un surveillant. Autrement dit, ne pourrait-il pas continuer de faire ce qu’il fait normalement pour la famille sans être un surveillant? Sa réponse a été qu’il ne pouvait pas se trouver auprès du demandeur si un surveillant n’était pas présent.

 

[77]      En l’occurrence, je n’ai pas à me demander si M. Behrens serait un surveillant sérieux. Le demandeur avait cinq surveillants, et je viens d’en ajouter deux. Je ne crois pas qu’un autre soit requis. M. Siwalen et M. Mohammad ont dit tous deux qu’ils peuvent toujours s’arranger pour être accessibles. Le rôle de surveillant n’est pas un rôle de convenance; c’est un rôle de nécessité. Le nombre de surveillants ne doit pas devenir difficile à gérer. À mon avis, la désignation de M. Behrens comme surveillant du demandeur n’est pas nécessaire. Je sais que le juge Mosley a agréé (non sans quelque hésitation) M. Behrens comme surveillant de M. Mahjoub. Pour être juste envers le demandeur et M. Mahjoub, je crois que M. Behrens ne devrait pas trop s’éparpiller.

 

Le télécopieur

[78]      M. Pearce a témoigné que l’ASFC a commencé à recevoir par télécopieur, à la fin de mai ou au début de juin, des demandes d’approbation de visiteurs pour le demandeur. Vu l’absence d’un en‑tête indiquant un numéro de télécopieur, avec la date et l’heure, M. Pearce a d’abord pensé que les envois avaient été transmis depuis un endroit extérieur au domicile des Jaballah, par exemple un dépanneur. Il a interrogé le demandeur, qui lui a dit que les télécopies avaient été envoyées de chez lui. Le demandeur a informé M. Pearce qu’Ahmad envoyait les télécopies au nom du demandeur. Ne sachant pas si l’emploi d’un télécopieur contrevenait aux conditions de la mise en liberté, M. Pearce a soumis l’affaire à M. Williams, qui à son tour a sollicité l’avis de l’administration centrale. En attendant les directives de l’administration centrale, M. Pearce n’a pas soulevé la question auprès du demandeur. Toutes les demandes subséquentes d’approbation de visiteurs ou d’octroi de sorties pour le demandeur ont été présentées par télécopieur. La réponse de l’administration centrale au CELTM n’a pas encore été obtenue.

 

[79]      Ahmad Jaballah a témoigné qu’il avait acheté un appareil polyvalent (imprimante, scanneur, photocopieur et télécopieur) avant la libération de son père. L’appareil était branché à l’ordinateur et servait à imprimer. La fonction télécopie est exploitée à partir de la ligne téléphonique résidentielle terrestre. Cela signifie que, pour envoyer ou recevoir une télécopie, la ligne téléphonique doit être raccordée à l’appareil. Les appels téléphoniques (d’entrée ou de sortie) sont suspendus tant que le télécopieur est raccordé à la ligne téléphonique. Quiconque veut envoyer une télécopie en donne d’abord avis par téléphone pour que la fonction télécopie puisse être mise en service. La même procédure (sans la notification par téléphone) s’applique aux envois de sortie. Ahmad a dit que, une fois que la télécopie est reçue ou transmise, la ligne téléphonique est branchée à nouveau pour que les appels téléphoniques d’entrée ou de sortie puissent se faire.

 

[80]      On a beaucoup débattu l’à-propos de la présence du télécopieur au domicile des Jaballah. La condition n° 12 de l’ordonnance du 12 avril 2007 prévoit notamment ce qui suit :

Sous réserve de ce qui est prévu aux présentes, M. Jaballah ne devra pas, directement ou indirectement, posséder, avoir à sa disposition ou utiliser un poste de radio ou un dispositif radio ayant une capacité de transmission, de l’équipement de communication ou du matériel permettant la connexion à Internet, ou une composante d’un tel équipement, notamment un téléphone cellulaire, un ordinateur muni d’un modem ou donnant l’accès à Internet, ou une composante d’un tel ordinateur, un téléavertisseur, un télécopieur, un téléphone public, un téléphone à l’extérieur de la résidence, une installation Internet ou un appareil portatif comme un BlackBerry […]

 

 

 

[81]      Le reste de la condition traite explicitement de l’emplacement des ordinateurs pouvant être connectés à l’Internet, ainsi que des téléphones cellulaires, au domicile des Jaballah, et traite aussi de la procédure applicable à tels appareils. M. Jaballah ne peut utiliser qu’une ligne téléphonique terrestre.

 

[82]      Ahmad a témoigné qu'avant la mise en liberté de son père, le télécopieur n’était pour ainsi dire jamais utilisé. Depuis la mise en liberté, la fonction télécopie sert régulièrement pour communiquer avec les avocats du demandeur et avec Matthew Behrens, pour fixer des rendez-vous avec les médecins et pour demander à l’ASFC d’autoriser un visiteur ou d’approuver une sortie. Ahmad n’a pu se souvenir que d’une occasion où sa mère avait utilisé le télécopieur à une autre fin. Elle avait envoyé une télécopie à l’ambassade du Canada en Égypte à propos de sa mère ou à propos du frère du demandeur.

 

[83]      Selon les ministres, la condition interdit de façon générale la présence de tout télécopieur au domicile des Jaballah. D’après eux, il ressort clairement du caractère explicite de l’exclusion de l’ordinateur et des téléphones cellulaires que les mots « directement ou indirectement », « avoir à sa disposition » ou « posséder » signifient que les appareils énumérés ne peuvent pas se trouver à l’intérieur du domicile.

 

[84]      Le demandeur rétorque que le télécopieur a toujours été gardé à l’intérieur de la pièce verrouillée où se trouve l’ordinateur donnant accès à l’Internet, qu’il ne l’a pas utilisé et qu’il n’est pas interdit aux autres membres de la famille de posséder un télécopieur. Il affirme aussi que, selon l’interprétation donnée par les ministres, chaque fois qu’Ahmad appelle M. Pearce depuis son téléphone cellulaire dans la voiture (au nom du demandeur) ou chaque fois qu’Ahmad sollicite une sortie (au nom du demandeur) en envoyant un courriel, on pourrait dire que le demandeur a utilisé « indirectement » un téléphone cellulaire ou un ordinateur donnant accès à l’Internet, contrevenant ainsi à la condition. Il affirme que la position des ministres n’est pas défendable.

 

[85]      J’aurais pensé que la condition interdisait la présence d’un télécopieur au domicile des Jaballah, mais un doute subsiste. Le débat sur la question montre pourquoi j’ai jugé prudent de recenser (avec l’aide des avocats de toutes les parties) les obscurités possibles des conditions. À ce stade, il semble que le train est déjà parti. Je puis comprendre pourquoi le demandeur ne croyait pas que la présence du télécopieur chez lui constituait une violation des conditions alors que l’ASFC en avait connaissance et qu’elle ne lui avait fait aucune mise en garde.

 

[86]      L’ASFC exige que les demandes d’octroi de sorties et d’autorisation de visiteurs soient présentées par écrit. Évidemment, le demandeur ne pourra pas remplir une demande écrite par téléphone. Le seul autre moyen possible est de recourir aux agents de l’ASFC qui livrent le courrier quotidiennement. Le demandeur pourrait remplir les demandes d’autorisation et les renvoyer par l’entremise desdits agents. Cependant, je ne suis pas convaincue, si les envois par télécopieur peuvent être surveillés, qu’il soit nécessaire de recourir, selon l’expression des avocats, aux « messageries rapides ».

 

[87]      Puisque le télécopieur dépend de la ligne téléphonique résidentielle terrestre et que la ligne résidentielle est soumise à interception, le consentement à l’interception de la ligne téléphonique engloberait l’interception des télécopies. Le juge Mosley s’est dit du même avis quand il a examiné une question semblable se rapportant à M. Mahjoub. Cependant, si telle interception n’est pas autorisée, un consentement devrait être obtenu sur-le-champ. Subsidiairement, si le télécopieur est pourvu de la capacité de générer une liste automatisée des transmissions d’entrée et de sortie (une capacité qui ne puisse pas être altérée), le demandeur pourrait choisir de fournir chaque mois une telle liste à l’ASFC. L’utilisation du télécopieur doit d’une manière ou d’une autre être soumise à une surveillance.

 

L’Internet

[88]      L’Internet est devenu un important sujet de préoccupation à mesure que progressait l’audience. Quand la famille Jaballah vivait à son ancien domicile, l’ordinateur portatif d’Ahmad et un autre ordinateur pouvaient être connectés à l’Internet. Aucun ne permettait une connexion sans fil. Les ordinateurs étaient gardés sous clé dans la chambre d’Ahmad. Seul Ahmad était autorisé à détenir les mots de passe des ordinateurs (Mme Al Mashtouli n’a pas été autorisée à les connaître). Le demandeur ne pouvait pas pénétrer dans la chambre d’Ahmad. L’accès à l’Internet se faisait au moyen d’un réseau câblé.

 

[89]      Dans la nouvelle habitation, les chambres se trouvent au deuxième étage. Une pièce verrouillée, indépendante, située au premier étage, a été désignée salle de l’ordinateur. Au cours de l’audience tenue en octobre, le demandeur et Ahmad ont dit que la nouvelle maison n’avait aucun raccordement à l’Internet. Le demandeur a expliqué que le câble souterrain était en piteux état et qu’il faudrait pas mal de temps à Rogers pour le réparer. La famille Jaballah n’a que le service de télévision. Je dois noter ici que l’une des préoccupations de l’ASFC au moment de son inspection était la présence d’un câble qui allait d’une maison voisine à la maison projetée de la famille Jaballah. Le demandeur semblait penser que Rogers s’était évité la tâche de réparer le câble souterrain en posant un câble depuis la maison voisine. Ce câble a été enlevé, sur l’insistance de l’ASFC, avant que le demandeur ne déménage dans la nouvelle maison.

 

[90]      Il est juste de dire que, lorsque l’audience a débuté, nul ne prévoyait les difficultés que poserait l’accès à l’Internet. Le demandeur présumait que les dispositions expresses de la condition n° 12 continueraient de s’appliquer. Il voulait que Mme Al-Mashtouli (outre Ahmad) ait en sa possession la clé de la pièce verrouillée, ainsi que le mot de passe de l’ordinateur, en raison des absences d’Ahmad de la maison. Il expliquait que Afnan est maintenant en neuvième année et qu’elle a besoin de l’accès à l’Internet pour faire ses devoirs. Si Mme Al-Mashtouli était autorisée à avoir la clé et le mot de passe, ce serait beaucoup plus commode.

 

[91]      Avant la clôture de l’audience, les ministres ont dit que l’Internet devrait être carrément absent de la maison. Les difficultés ont débuté quand fut examiné l’incident du 1er septembre. Pour situer le contexte, il faut rappeler les événements.

 

[92]      La famille Jaballah voulait quitter l’ancienne maison et emménager dans la nouvelle le 1er septembre. Le déménagement ne fut approuvé par la Cour que le 26 septembre, parce qu'un certain nombre d'imperfections devaient être corrigées dans la nouvelle maison. Toutefois, à la fin d’août, il semblait raisonnablement certain que la réinstallation projetée aurait lieu en son temps. L’ASFC savait que des dispositions avaient été prises pour le transport des meubles de la famille à la fin d’août. Le déménagement n'ayant pas été approuvé, la majeure partie des meubles a été déménagée comme prévu, mais la famille est restée dans l’ancienne maison. Le matin du 1er septembre, des agents de l’ASFC se sont présentés à l’ancienne maison pour s’assurer que les choses se déroulaient sans entrave. Les agents ont observé que la porte de la chambre d’Ahmad était ouverte et qu’il n’y avait pas de serrure sur la porte. Les agents en ont informé M. Pearce, qui a demandé que des photographies soient prises. Lorsque les agents sont revenus avec un appareil-photo (environ dix minutes plus tard), une serrure était sur la porte.

 

[93]      Ahmad Jaballah a expliqué que, lorsque son père avait été mis en liberté, il (Ahmad) avait posé une porte en bois franc à sa chambre. Avant de déménager, il lui fallait remettre à sa place la porte originale. Le soir précédent, Ahmad avait enlevé la porte en bois franc et l’avait emmenée au nouveau domicile. Il avait emporté avec lui le modem d’ordinateur (parce que sa chambre était ouverte). Lorsqu’il est retourné chez lui, il était minuit passé. Il avait installé la porte originale, mais pas la serrure (qui était sur la porte de la chambre de ses parents) parce qu’il était tard. Il avait remis la serrure sur la porte après que les agents de l’ASFC eurent été partis chercher un appareil-photo. Je reviendrai sur cet incident plus tard.

 

[94]      Le 16 novembre, M. Lukac s’est présenté au domicile des Jaballah pour vérifier sur les prises téléphoniques la présence d’un signal de ligne d’abonné numérique asymétrique. Pour le profane, la ligne d'abonné numérique (DSL) est simplement l’Internet à haut débit par le biais d’une ligne téléphonique plutôt que d’un câble. Il y avait des prises téléphoniques dans presque chaque pièce de la maison. Une prise (celle située derrière le congélateur, dans la cuisine) était équipée d’une connexion Internet active.

 

[95]      M. Lukac a témoigné que le service DSL est en principe accessible sur chaque prise téléphonique d’une habitation. Obtenir le service DSL pour une seule prise requiert une « boucle sèche ». Il s’agit d’un deuxième circuit téléphonique branché à une prise particulière qui est réservée au service DSL. Aucun service téléphonique n’est possible à partir d’une prise réservée au service DSL. La connexion, dans la maison des Jaballah, n’est pas une boucle sèche parce qu’un service téléphonique est accessible à partir de la prise.

 

[96]      M. Lukac a donné quatre explications possibles de la présence d’un service DSL dans une seule prise. Il n’a pu dire, d’une manière le moindrement exacte, laquelle des possibilités devait être privilégiée. Selon lui, on ne pouvait en avoir le cœur net que si un technicien de Bell venait sur place pour faire un examen approfondi des niveaux de signal.

 

[97]      M. Lukac a aussi cherché des mouchards sur l’ordinateur de bureau (dans la salle d’ordinateur du domicile des Jaballah). Un mouchard est créé en tant que fichier spécial (par un site Web) lorsqu’on navigue sur l’Internet. Les mouchards se trouvent dans un endroit précis du disque dur. Ils suivent les visiteurs à des fins de marketing et disent à quel moment un utilisateur revient sur un site Web donné. Les mouchards peuvent être supprimés d’un simple clic de souris. M. Lukac a trouvé des mouchards sur l’ordinateur de bureau. Sauf une exception, la visite sur l’Internet avait eu lieu avant le 25 septembre. Il y avait un unique mouchard isolé qui révélait une brève utilisation de l’Internet le 3 novembre.

 

[98]      Le demandeur a témoigné que sa fille Afnan avait été acceptée comme participante à un programme de bourses appelé « kids@computers scholarship project ». Ce programme, accessible par l’entremise des services sociaux de la ville de Toronto, vise à offrir une formation en informatique et un accès à l’Internet aux enfants de familles défavorisées. Afnan a été admise comme participante le 8 février 2007 (avant la mise en liberté du demandeur). Afnan a suivi, et réussi, les 8 et 22 août, les programmes d'initiation à l’informatique. Elle se verra donc équipée d’un ordinateur à domicile, qui lui donnera une année de libre accès à l’Internet (par l’entremise de Bell Sympatico). Le compte Bell a semble-t-il été établi sous le nom de Mme Al‑Mashtouli.

 

[99]      Le demandeur a témoigné que lui et les autres membres de sa famille n’étaient pas au courant de la connexion Internet active présente à leur domicile. Après sa découverte le 16 novembre, il a communiqué avec Bell à plusieurs reprises. Finalement, il a appris que la connexion Internet kids@computers devait être établie le 28 novembre, en même temps que serait livré le modem. Cependant, le compte avait été activé le 5 novembre. La présence du service DSL dans la prise unique reste un mystère. Le demandeur a semble-t-il été informé par Bell que, après que la famille aura reçu le modem, un technicien viendra vérifier les prises.

 

[100]    D’une part, les explications données concernant les incidents du 1er septembre et du 16 novembre semblent raisonnables. D’autre part, elles sont troublantes. S’agissant du 1er septembre, Ahmad Jaballah a été interrogé par un agent d’exécution de l’ASFC. Il a donné son explication concernant la porte de la chambre à coucher non verrouillée à l’agent, qui à son tour a fait rapport à M. Pearce. M. Pearce a accepté l’explication d’Ahmad, mais a pensé qu’il était prudent d’envoyer aussi une lettre à Ahmad pour lui rappeler ses responsabilités de surveillant. La lettre adressée par M. Pearce à Ahmad Jaballah le 12 septembre contient notamment ce qui suit :

[traduction]

Au cours de l’entrevue du 6 septembre 2007, vous avez donné l’explication suivante :

 

Vous avez dit que la porte était restée ouverte parce que vous aviez enlevé l’ancienne porte et l’aviez emportée à la nouvelle maison pour l’y installer. Par la suite, vous avez ajouté que la maison de la rue _____ devait être remise dans l’état où elle était lorsque vous y aviez emménagé, de telle sorte que la porte originale devait être réinstallée. Vous avez alors mentionné qu’il était tard le soir où vous aviez remis en place l’ancienne porte, et vous avez pensé que vous réinstalleriez la serrure, qui était dans la chambre de votre mère, le lendemain. Vous avez expliqué que vous dormiez dans la chambre de toute façon et que c’était l’unique incident où la pièce avait été déverrouillée.

 

S’agissant de l’accès de votre père à votre ordinateur portatif, vous avez dit que votre père n’y avait pas eu accès à votre ordinateur portatif durant le déménagement parce que vous l’aviez emporté avec vous. Vous avez ajouté que, si vous n’avez pas l’ordinateur portatif avec vous à tout moment, alors la pièce est verrouillée et l’ordinateur est protégé par le mot de passe. Vous avez dit avec certitude que votre père n’était pas entré dans votre chambre ni n’avait utilisé l’ordinateur portatif pendant que vous dormiez parce qu’alors vous vous seriez réveillé.

 

Finalement, vous avez dit que vous êtes le seul de la famille à avoir possession de la clé de la chambre où se trouve votre ordinateur portatif doté de l’accès à l’Internet et que, à l’exception de cet incident, la pièce est toujours verrouillée et la clé toujours en votre possession.

 

Eu égard à l’ensemble des circonstances et informations, je suis obligé de vous rappeler que, en tant que surveillant nommé par la Cour, vous devez montrer plus de soin à faire en sorte que les conditions de mise en liberté qui ont été imposées soient rigoureusement observées. Le non-respect des conditions de la mise en liberté pourrait entraîner la détention de Mahmoud Es-Sayyid Jaballah.

 

 

 

[101]    D’après la correspondance, il semble qu’Ahmad a qualifié d’événement ponctuel l’incident du 1er septembre. Durant l’interrogatoire principal, Ahmad parlait de son emploi du temps quotidien. S’agissant du statut de la salle d’ordinateur lorsqu’il était à l’école, il a dit : [traduction] « Durant cette période, si je ne suis pas à la maison, mes frère et sœur sont empêchés d’utiliser l’ordinateur parce que je suis le seul qui a droit au mot de passe, et je dois leur ouvrir la porte. »

 

[102]    Interrogé, en contre-interrogatoire, sur l’incident du 1er septembre, il a répondu ainsi aux questions :

[traduction]

Q.        Voulez-vous dire qu’elle peut être verrouillée quelquefois et déverrouillée quelquefois?

 

R.         Ce que je veux dire, c’est que, si je suis dans la pièce, alors il n’est pas nécessaire que la pièce soit verrouillée. C’est lorsque je suis en dehors de la pièce qu’elle doit être verrouillée.

 

            […]

 

Q.        L’ordonnance de la Cour dit peut-être que la pièce est censée être verrouillée.

 

R.         Elle ne dit pas qu’elle doit l’être en tout temps. Je crois que nous pourrions obtenir des éclaircissements là-dessus plus tard.

 

            […]

 

Q.        Au cours de l’entrevue que vous avez eue, avez-vous souligné à l’agent à qui vous parliez qu’il y avait des périodes où la pièce était déverrouillée, c’est-à-dire lorsque vous vous y trouvez?

 

R.         Oui.

 

 

 

[103]    Au cours d’un nouvel interrogatoire, Ahmad a été questionné sur le point de savoir si l’ASFC avait inspecté la salle d’ordinateur.

[traduction]

Q.        À tout moment après que votre père a été remis en liberté, et jusqu’à maintenant, et à l’exception de cet incident du 1er septembre, ont-ils pénétré dans cette pièce?

 

R.         Je ne pourrais pas le savoir. Durant la période où j’étais à la maison, je ne le crois pas, mais je ne sais pas si cela s’est produit lorsque je n’étais pas à la maison. J’en doute parce que c’est moi qui ai la clé de la pièce. Je ne le crois pas, non.

 

 

[104]   En réponse aux questions de la Cour, il s’est exprimé ainsi :

[traduction]

Q.        Ce que je voudrais savoir, c’est comment votre mère obtient l’accès à la pièce pour envoyer les télécopies, aux médecins pour un rendez-vous, ainsi qu’aux avocats et à l’ASFC, et tout cela, alors que vous n’y êtes pas vous-même et que le télécopieur se trouve dans la chambre, c’est-à-dire la chambre verrouillée, et que vous avez la clé avec vous.

 

R.         Parfois on attendra que je revienne et que je m’en occupe moi-même. Dans certains cas, si mes frère et sœur utilisent la salle d’ordinateur, je la laisse ouverte pour eux. Quand ils ont terminé, ils m’appellent, ou bien ils restent dans la pièce jusqu’à ce que je revienne. Ma sœur passe habituellement le plus de temps à l’ordinateur parce qu’elle utilise MSN. En fait, s’agissant de cela, je la laisse en général ouverte. Tant que quelqu’un s’y trouve et que je n’y suis pas, je considère qu’il n’y a pas non plus de problème, et ils peuvent l’utiliser.

 

            […]

 

Q.        Si l’un de vos frère et sœur se trouvait dans la salle pour utiliser l’ordinateur, et si vous laissiez cette salle ouverte pour lui ou elle, c’est-à-dire le plus souvent votre sœur, votre mère pourrait alors utiliser le télécopieur?

 

R.         Oui. Si je dis cela, c’est parce que – comme je l’ai dit à M. Tyndale, la manière dont j’interprète la condition, c’est que, lorsque personne n’est dans la pièce, la pièce doit être verrouillée. Par exemple, disons que je me trouve à la maison un jour et que ma sœur veut utiliser l’ordinateur. Je ne l’enfermerai pas dans la pièce. Si elle s’y trouve et que je suis assis avec mon père ou avec la famille dans le salon, par exemple, la porte sera ouverte. La manière dont j’interprète les conditions, c’est que, s’il n’y a personne dans la pièce, la pièce doit être verrouillée. S’il y a quelqu’un dans la pièce, alors il n’est pas nécessaire de la verrouiller.

 

            Si je partais pour l’école et que ma sœur utilisait l’ordinateur pour faire ses devoirs ou autre chose, je laisserais la porte ouverte pour elle. Si elle allait se coucher ou autre chose, alors je reviendrais et verrouillerais la porte.

 

 

 

[105]    Finalement, en réponse aux questions découlant des questions de la Cour, Ahmad a témoigné ainsi :

[traduction]

Q.        Ce qui peut arriver, c’est que votre frère cadet [âgé de huit ans] utilise l’Internet au moment où vous quittez la maison, et alors il est dans la pièce, à l’ordinateur. L’Internet est allumé. Vous êtes parti. La pièce est déverrouillée. Elle ne peut pas être verrouillée parce qu’il n’a pas de clé, et vos deux parents sont à la maison.

 

R.        Oui. Je considère que ma mère a le statut de surveillante, et je sais qu’elle veillera à l’application des conditions lorsque je ne suis pas là. Je ne quitte pas la maison en me disant que mon père va se trouver dans cette pièce, et cela parce que je sais que ma mère veillera à l’application des conditions, puisqu’elle est la surveillante qui se trouve à la maison quand je n’y suis pas.

 

Q.        C’est là votre interprétation de la condition selon laquelle la connexion à l’Internet doit être conservée dans une pièce verrouillée. C’est la manière dont vous interprétez cela?

 

R.        Oui, comme je l’ai dit, je crois que cela signifie que, lorsque personne ne se trouve dans la pièce, la pièce doit être verrouillée. La condition ne dit pas qu’elle doit être verrouillée en tout temps. Selon mon interprétation, si personne ne se trouve dans la pièce, alors la pièce doit être verrouillée. Si quelqu’un s’y trouve, alors il n’est pas nécessaire de la verrouiller.

 

 

 

[106]    La différence entre la réponse initiale d’Ahmad et sa réponse finale saute aux yeux. Elle est également troublante. Les avocats des ministres ont qualifié d’[traduction] « évolutif » son témoignage. C’est ce témoignage qui a conduit aux requêtes des ministres pour que soient installés un dispositif biométrique concernant l’accès à l’ordinateur, et un dispositif de vidéosurveillance à l’entrée de la salle d’ordinateur.

 

[107]    En outre, au cours de l’examen antérieur de la détention du demandeur, la mère d’Ahmad avait proposé qu’elle-même et Ahmad détiennent le mot de passe de l’ordinateur. J’ai refusé sa proposition et confié le mot de passe à Ahmad seulement. L’ordonnance ne dit pas explicitement que seul Ahmad doit avoir la clé de la salle d’ordinateur, mais tous les avocats (et la famille Jaballah) ont reconnu que, implicitement, c’est bien cela. Il est très décourageant de constater qu’Ahmad décide par lui-même de confier à Mme Al-Mashtouli la responsabilité même que la Cour a refusée à celle-ci. La preuve montrant qu’Ahmad ait cherché à obtenir des directives ou des indications auprès des avocats ou de l’ASFC concernant une question aussi cruciale brille par son absence.

 

[108]    Quant à la découverte, le 16 novembre, du service DSL au domicile des Jaballah, les ministres n’ont pas insinué que le demandeur savait son existence. Cependant, ce point reste problématique, pour deux raisons fondamentales. La première est que la Cour n’a pas été informée du service Internet gratuit découlant du programme kids@computers scholarship project. Il y a peu de doute que l’Internet constitue en la matière une considération importante. Toutes les parties sont pleinement conscientes de son importance. Ne l’oublions pas, il existe suffisamment de renseignements crédibles et convaincants permettant de croire objectivement que le demandeur agissait « en tant qu’agent de communication entre diverses cellules terroristes du Jihad et d’Al Qaïda » (décision Jaballah, au paragraphe 40). Ahmad et le demandeur ont inlassablement affirmé qu’il n’y avait aucun service Internet chez eux. Fait important, le demandeur m’a amenée à croire que l’Internet ne serait accessible que lorsque Rogers réparerait le câble. Pendant ce temps-là, la famille devait être raccordée à Bell Sympatico à la fin de novembre.

 

[109]    L'un des avocats du demandeur a dit que l’ASFC avait dû être au courant du projet informatique, à cause de l’interception du courrier. Cela n’est pas nécessairement le cas. Il n’y a aucune adresse sur la correspondance envoyée par les services sociaux à Mme Al-Mashtouli. La lettre a pu être remise en main propre; elle a pu être livrée à l’école; ou elle a pu être livrée chez les Jaballah. Je ne le sais pas, et il semble que l’avocat ne le sait pas. Il ne sert à rien de conjecturer. Je suis d’avis que la non-divulgation est ici inexcusable.

 

[110]    Le deuxième aspect qui pose problème est la présence de l’ordinateur dans la chambre principale. Je sais que cet ordinateur ne permet pas l’accès à l’Internet. Cependant, le demandeur a dit qu’il utilisait cet ordinateur quand il voulait aider son épouse [traduction] « à taper un texte, quelque chose, un document ». Il s’agit de l’ordinateur qui se trouvait dans le sous-sol de l’ancien domicile. Un ordinateur supplémentaire a été acquis pour l’usage des enfants les plus jeunes, et il se trouve dans leur chambre.

 

[111]    La difficulté que pose le témoignage du demandeur est qu’il ne s’accorde pas avec le témoignage d’Ahmad concernant l’utilisation par Mme Al-Mashtouli de l’ordinateur familial. Ahmad a témoigné que sa mère utilisait rarement l’ordinateur à la maison. Elle prépare les bulletins scolaires sur l’ordinateur de l’école. Elle n’utilise l’ordinateur familial que pour lire le journal arabe. Pour cela, elle a besoin d’un accès à l’Internet. De telles contradictions sont troublantes, comme est troublante l’utilisation inexpliquée (bien que brève) de l’Internet le 3 novembre.

 

[112]    Cela dit, la mise en garde faite dans l’arrêt Charkaoui subsiste. Selon ma compréhension du raisonnement de la Cour suprême, s’il est possible de concevoir des conditions propres à neutraliser le danger, alors on doit le faire. Qu’il suffise de dire que l’assouplissement des conditions relatives à l’Internet n’est pas, en l’occurrence, une solution viable.

 

[113]    Je ne suis pas disposée à accéder à la requête des ministres pour l’installation d’un dispositif biométrique, parce que je ne crois pas qu’un tel dispositif sera d’une aide particulière. Le dispositif biométrique ne concerne que l’accès. Il n’offre aucun moyen de surveiller l’utilisation. Puisqu’il ne peut pas surveiller l’utilisation de l’Internet, ce qui est la difficulté à résoudre, sa mise en place n’est pas justifiée.

 

[114]    Pareillement, pour des raisons qui deviendront évidentes lorsque j’aborderai la question de la vidéosurveillance, la requête des ministres pour l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance à l’entrée de la salle d’ordinateur sera refusée. Cela ne veut pas dire que l’utilisation de l’Internet ne devrait pas être surveillée. J’autoriserai l’Internet au domicile des Jaballah uniquement aux conditions suivantes :

a)           la connexion Internet pour les ordinateurs utilisés par les enfants du demandeur sera une connexion en boucle sèche à la prise téléphonique située dans la pièce désignée comme salle d’ordinateur, au premier étage du domicile familial. Le service Internet à toutes les autres prises téléphoniques du domicile familial doit être bloqué;

b)           la salle d’ordinateur doit être verrouillée en tout temps lorsqu’elle n’est pas utilisée. Quand elle est utilisée, la porte doit rester fermée. Seul Ahmad Jaballah et Husnah Al-Mashtouli posséderont la clé de la salle d’ordinateur;

c)         le demandeur n’est à aucun moment autorisé à pénétrer dans la salle d’ordinateur;

d)         chaque ordinateur pouvant être connecté à l’Internet doit se trouver et rester dans la salle d’ordinateur désignée;

e)         chaque ordinateur pouvant être connecté à l'Internet sera pourvu d’un mot de passe pour y accéder. Seul Ahmad Jaballah et Husnah Al-Mashtouli connaîtront les mots de passe de l’ordinateur;

f)          aucun ordinateur permettant une connexion sans fil ne sera introduit dans le domicile familial;

g)         Mme Al-Mashtouli, en tant qu’abonnée du service Internet, donnera son consentement écrit à ce que le fournisseur du service Internet communique périodiquement à l’ASFC l’information concernant les sites Web visités et les adresses courriels auxquelles ou depuis lesquelles des messages ont été envoyés ou reçus depuis la connexion Internet du domicile familial.

 

[115]    À moins que toutes les conditions susmentionnées ne soient remplies, il n’y aura pas de service Internet à l’intérieur du domicile des Jaballah. Si la famille Jaballah consent à se conformer auxdites conditions, alors Ahmad (s’il le souhaite) pourra faire ses travaux universitaires à la maison, les transférer sur son ordinateur portatif et inversement.

 

Les visiteurs et la vidéosurveillance

[116]    Il s’agit là de deux questions séparées, mais, compte tenu de mes conclusions sur chacune d’elles, il convient de les examiner ensemble. S’agissant des visiteurs, l’ordonnance actuelle permet aux enfants âgés de moins de 15 ans (les amis des enfants les plus jeunes du demandeur) de se présenter au domicile des Jaballah sans l’autorisation de l’ASFC. Tous les autres visiteurs doivent être autorisés au préalable par l’ASFC. Pour obtenir cette autorisation, le nom, l’adresse et la date de naissance du visiteur potentiel doivent être communiqués à l’ASFC. Une autorisation préalable n’est pas requise pour les visites ultérieures d’une personne déjà autorisée. Cependant, l’ASFC peut retirer à tout moment son autorisation. À la date de l’audience, l’ASFC avait autorisé environ 38 personnes à visiter le domicile des Jaballah.

 

[117]    La condition n° 3 (qui n’a pas encore été mise en application) prévoit l’installation d’un équipement de vidéosurveillance à toutes les entrées de l’habitation. Quand la condition relative à la vidéosurveillance a temporairement déraillé, l’ASFC a imposé des conditions plus rigoureuses pour l’autorisation des visiteurs. À un certain moment, les avocats du demandeur, et par la suite le demandeur lui-même et certains visiteurs, se sont indignés de l’insistance de l’ASFC sur la nécessité d’obtenir davantage de renseignements que ce qu’exigeait mon ordonnance. Il semble avoir échappé à leur attention que les renseignements additionnels constituaient une mesure provisoire destinée à compenser l’absence d’une vidéosurveillance comme je l’écrivais explicitement dans mon ordonnance du 6 juin 2007.

 

[118]    M. Pearce a témoigné que l’une des principales difficultés de l’ASFC était l’absence de pièces d’identité avec photo des visiteurs. L’ASFC autorisait les visiteurs sur la foi de documents. Autrement dit, les vérifications de sécurité et les filtrages de visiteurs se faisaient d’après les renseignements demandés, mais sans pièces d’identité avec photo. L’ASFC a donc autorisé des visiteurs sans jamais rattacher une image visuelle à un nom imprimé. Naturellement, certains sont connus de l’ASFC (les avocats et M. Behrens, par exemple). D’autres ne le sont pas.

 

[119]    Cela me cause une grande consternation. Dans la décision Jaballah, je concluais que le demandeur représentait une menace constante pour la sécurité nationale. Plus précisément, j’écrivais : « Je suis convaincue que, en l’absence de conditions restrictives, M. Jaballah pourrait communiquer et entretenir des liens avec des individus ou des organisations ayant des convictions et des objectifs terroristes […] » Si l’ASFC n’est pas en mesure de mettre un visage sur un nom, le risque persiste et ne saurait être considéré comme neutralisé.

 

[120]    Le demandeur était à l’origine opposé à la présentation de pièces d’identité avec photo pour les visiteurs, mais, après réflexion, il a trouvé que la requête était raisonnable. Ses avocats ont proposé qu’une photocopie du permis du conduire de l’intéressé soit remise à l’ASFC. Je trouve cette proposition acceptable, mais, si le visiteur potentiel n’a pas de permis de conduire, il devrait être possible pour l’ASFC d’exiger un autre document. Pareillement, l’ASFC devrait pouvoir dispenser quelqu’un de l’obligation de présenter une pièce d’identité avec photo, lorsqu’elle le juge à propos. Dans mon ordonnance initiale, je ne parlais pas de pièces d’identité avec photo, et je considère que c’était là un oubli.

 

[121]    Quant à la vidéosurveillance, le demandeur avait consenti, avant sa mise en liberté, à l’installation d’un équipement de vidéosurveillance à toutes les entrées de son domicile. Il n’est pas revenu sur son consentement, mais ses avocats ont exposé les raisons qu’ils avaient de s’opposer à l’installation d’un tel équipement. Les ministres ont demandé l’installation d’un équipement de vidéosurveillance à l’extérieur comme à l’intérieur de l’habitation. Ils disent que les caméras intérieures seraient situées de manière à ne montrer que la personne qui entre dans l’habitation. En outre, les ministres voudraient que soit installé un dispositif bidirectionnel de vidéoconférence pour permettre la communication visuelle entre les occupants du domicile des Jaballah et l’ASFC.

 

[122]    La condition qui prévoit l’installation de caméras extérieures existe depuis le début. Il en résulte que la question des caméras extérieures est tout à fait différente de celle des caméras intérieures. J’ai refusé une demande antérieure de suppression de la condition exigeant l’installation de caméras extérieures. Je rappelle que le demandeur, alors qu’il était encore détenu, a consenti à leur installation.

 

[123]    Dans son témoignage, M. Kilgore a dit que les caméras extérieures ne sont pas trop visibles. Une seule (la caméra n° 11) pouvait selon lui empiéter sur la vie privée de l’habitation voisine. Il se trouve que cette caméra était conçue pour capter les images de la porte de la buanderie. Cette porte donne sur l’extérieur, mais elle ne fonctionne pas comme porte d’entrée. La porte de la buanderie s’ouvre depuis l’intérieur. Plus exactement, elle donne sur la buanderie. Dans la buanderie, il y a un grand évier de trempage. Il est fixé au mur par la plomberie, et il est également attaché au sol. En bref, l’évier constitue un accessoire fixe. Sa présence empêche l’ouverture de la porte de la buanderie au-delà de quelques pouces. Par conséquent, la porte de la buanderie ne fonctionne pas comme porte d’entrée ni comme porte de sortie de l’habitation. Il n’est donc pas nécessaire de la surveiller.

 

[124]    Trois caméras sont proposées pour la surveillance des entrées extérieures. Une seule serait installée à l’intérieur, mais dans le garage (pour visionner les personnes pénétrant dans le sous-sol), non dans la maison elle-même. Les caméras proposées sont les caméras nos 5, 10 et 12. C’est la caméra n° 5 qui serait située dans le garage. Ces caméras saisiraient les profils des personnes pénétrant dans le domicile des Jaballah.

 

[125]    Je reconnais avec le demandeur que l’installation de caméras intérieures est sans précédent. En dépit des affirmations contraires des ministres, l’installation de caméras intérieures constituerait selon moi une intrusion injustifiée dans l’intimité de la famille Jaballah. Des questions se posent à propos de la tenue dans laquelle pourraient se trouver Mme Al-Mashtouli et Afnan. Leurs images seraient visibles au moment d’aller voir qui est à la porte.

 

[126]    Je reconnais que les caméras intérieures donneraient des images additionnelles et que, selon M. Kilgore, plus il y a d’images, mieux c’est. Je n’ai rien à redire à cette observation, mais je ne suis pas convaincue que la nécessité de caméras intérieures a été prouvée. Il me semble que, si un visiteur cache ou tente de cacher son image au moment où il entre au domicile des Jaballah, alors il est loisible à l’ASFC de retirer son autorisation pour ce visiteur.

 

[127]    Pour les motifs qui précèdent, la condition n° 3 de mon ordonnance datée du 12 avril 2007 subsistera, sans modification. J’ajouterais, pour le cas où un locataire serait trouvé, puis autorisé par l’ASFC à louer l’appartement du sous-sol, que la caméra n° 5 devra alors être enlevée avant que le locataire n’occupe l’appartement.

 

[128]    Je n’ai pas oublié la mise en garde du demandeur quant à la nécessité du consentement du propriétaire à l’installation des caméras extérieures. Je rappelle au demandeur que son logement actuel appartient à l’épouse d’une personne qui est caution et surveillante. M. Qablawi a consigné la somme de 10 000 $ auprès de la Cour et signé un cautionnement d’exécution d’une somme additionnelle de 10 000 $ avant la mise en liberté du demandeur. M. Qablawi a reconnu par écrit qu’il avait examiné (et compris) les modalités de mon ordonnance du 12 avril 2007, y compris la condition n° 3. Il serait choquant en effet que l’épouse de M. Qablawi refuse d’honorer une condition de l’ordonnance de la Cour, entraînant par le fait même une violation de ses modalités. À mon avis, il ne sied pas que le demandeur évoque même une telle éventualité.

 

[129]    L’ASFC pourra demander aux visiteurs potentiels une pièce d’identité avec photo, et il y aura une surveillance extérieure du domicile des Jaballah. Il me semble qu’un registre des visiteurs et un dispositif de vidéoconférence ne sont pas requis pour l’instant. Il reste loisible aux ministres de demander ultérieurement la mise en place de tels instruments pour le cas où ils viendraient à être justifiés.

 

Questions diverses

[130]    Le demandeur a souhaité que, pour le cas où Matthew Behrens ne serait pas autorisé comme surveillant, la condition n° 10 (iii)a) soit modifiée afin d’ajouter Matthew Behrens quand celui-ci accompagne Mme Jackman ou MM. Norris ou Copeland. Il s’agit de la condition qui interdit au demandeur de rencontrer toute personne, après avoir pris rendez-vous, autre que celles qui sont explicitement prévues. Cette requête du demandeur ne me cause aucune difficulté, et la condition sera modifiée en conséquence.

 

[131]    Les ministres voudraient que le demandeur ne soit pas autorisé à pénétrer dans un secteur où l’ASFC juge inefficace la surveillance électronique. La preuve ne m’autorise pas à accéder à cette requête. M. Pearce a témoigné en détail à propos des signaux GPS. Le système de surveillance ne fonctionne pas dans les hôpitaux, au bureau de Mme Jackman ni dans l’aire de restauration du centre commercial. L’ASFC a compensé cette faiblesse par une surveillance physique. Il n’est pas établi que le demandeur a tenté de déjouer le système. Si cela était établi dans l’avenir, je ferais droit à la requête des ministres. Pour l’heure, elle n’est pas justifiée.

 

[132]    Finalement, d’autres éclaircissements ont été demandés pour la condition n° 9 de l’ordonnance du 12 avril 2007. À ce stade, j’en ai assez dit sur l’interprétation que donne de mon ordonnance la famille Jaballah. Je considère comme impératif que le demandeur, et les visiteurs se rendant à son domicile, se conforment aux conditions. Lues dans leur intégralité, les conditions rendent cette obligation on ne peut plus claire. Pour dissiper toute confusion, la ligne introductive de la condition n° 9 est reformulée comme il suit : « Nul n’est autorisé, quelle que soit la période, à entrer dans la résidence, sauf : ».

 

[133]    Cela met fin à mon examen des diverses requêtes des parties portant sur les conditions de la mise en liberté du demandeur. Je rendrai mon ordonnance après avis des avocats du demandeur à propos des conditions relatives au télécopieur et à l’Internet. Cet avis devra être déposé au greffe dans un délai de sept jours après la date des présents motifs. Mon ordonnance sera rendue immédiatement par la suite.

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 janvier 2008

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    DES-4-01

 

INTITULÉ :                                                   MAHMOUD ES-SAYYID JABALLAH

            c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         LES 26, 27, 28 et 29 NOVEMBRE, ET

                                                                        LE 4 DÉCEMBRE 2007

Conclusions additionnelles : les 14 et 18 décembre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 JANVIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman                                              POUR LE DEMANDEUR

John Norris

 

Donald MacIntosh                                            POUR LES DÉFENDEURS

Angela Marinos

John Provart

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Ruby et Edwardh

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.