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Date : 20080107

Dossier : IMM-3465-06

Référence : 2008 CF 15

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

INDER SINGH

GURSHARAN KAUR

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          APERÇU

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de l’une des nombreuses décisions de ne pas accorder au demandeur principal (le demandeur) un visa parce que l’on estime qu’il participe à l’organisation d’entrée illégale de personnes. Il est temps de régler cette affaire de façon convenable et juste plutôt que d’une manière machinale comme les demandes de visa du demandeur semblent avoir été traitées.

 

II.         LES FAITS

[2]               Le demandeur a présenté une première demande de visa de résidence temporaire en août 1996 (la première demande), qui a été rejetée. Les décisions ultérieures de ne pas lui accorder un visa étaient fondées sur ce rejet.

 

[3]               Le rejet de la première demande était fondée sur une entrevue avec M. Singh pendant laquelle il avait déclaré avoir été leurré pour qu’il participe à l’organisation de l’entrée illégale d’un technicien aux Pays‑Bas. L’agent des visas a conclu que M. Singh aidait beaucoup de personnes à entrer illégalement dans d’autres pays.

 

[4]               La décision de rejeter la première demande n’a pas été contestée. En 2005, le demandeur a présenté deux autres demandes de visa, une en août et l’autre en octobre, qui ont été rejetées au vu des faits invoqués à l’appui du refus de 1996. Dans le cadre de la deuxième demande présentée en 2005, le demandeur a fait l’objet d’une entrevue; l’agent des visas n’était pas convaincu par les explications fournies concernant des voyages dans des pays européens où l’entrée illégale de personnes est connue. Les deux décisions de rejeter les demandes de visa présentées en 2005 n’ont pas été contestées.

 

[5]               Dans le cadre de la quatrième demande de visa présentée en 2006, demande visée par le présent contrôle judiciaire, l’agent des visas s’est simplement fondé sur les déclarations faites en 1996. Aucune entrevue n’a été accordée au demandeur.

 

 

III.       ANALYSE

[6]               Bien que la Cour fasse preuve d’une grande retenue judiciaire à l’égard de la prise en considération des faits par un agent des visas, elle fera preuve d’une bien moins grande retenue si la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. Dans les cas où la décision concerne l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) ou d’autres points de droit à des faits précis, j’adopte le raisonnement développé dans l’arrêt Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, et je conclus que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable simpliciter.

 

[7]               La décision de rejeter la demande de visa en cause comporte au moins trois problèmes : 1) la prise en compte de la présumée organisation d’entrée illégale à laquelle aurait participé le demandeur; 2) le défaut de ne pas avoir tenu compte du fait que M. Singh avait obtenu un visa aux Pays‑Bas (pays dans lequel il aurait fait entrer quelqu’un illégalement); 3) le défaut de ne pas avoir tenu compte de toutes les circonstances, y compris de la preuve démontrant une réadaptation.

 

[8]               En ce qui concerne le premier problème (allégation d’organisation d’entrée illégale), l’article 117 de la Loi prévoit qu’au Canada, quiconque organise « sciemment » l’entrée illégale ou participe « sciemment » à l’organisation d’entrées illégales commet une infraction. M. Singh a toujours admis que des entrées illégales avaient eu lieu, mais il a toujours nié qu’il avait participé « sciemment » à leur organisation.

 

[9]               Si le motif invoqué par M. Singh était uniquement la dénégation qu’il a formulée en 1996, il pourrait être considéré comme étant une contestation parallèle de la décision de rejeter la première demande, peu importe les erreurs que pouvait comporter cette décision. Cependant, la délivrance d’un visa aux Pays‑Bas exigeait, à tout le moins, un examen de la question de savoir si M. Singh avait commis une infraction dans ce pays. La quatrième demande de visa de M. Singh a été rejetée parce qu’on avait conclu que ce demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)c) de la Loi :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

 

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

 

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

[10]           Quant au deuxième problème, le visa néerlandais (délivré le 8 août 2005) était inséré dans le passeport du demandeur. Bien que le demandeur n’eût droit à aucune entrevue, cela lui aurait permis présenter des explications. L’agent des visas n’a pas vu l’importance du visa parce qu’il a, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, décidé de ne pas accorder une entrevue au demandeur.

 

[11]           Pour ce qui est du troisième problème, c’est‑à‑dire même si le demandeur avait participé à l’organisation d’entrée illégale, l’agent n’a pas tenu compte des dix années qui s’étaient écoulées depuis cet incident. Il n’y a aucune preuve démontrant que le demandeur avait commis d’autres infractions ailleurs. Cependant, des éléments de preuve révélaient ce qui suit au sujet du demandeur : voyages fréquents sans aucun incident, relevé d’emploi stable, disponibilité de fonds et présence de membres de sa famille au Canada.

 

[12]           Des exceptions à l’interdiction de territoire, en raison d’une réadaptation, sont également mentionnées à l’article 36 de la Loi, soit la disposition en vertu de laquelle la quatrième demande de visa a été rejetée. Le paragraphe 36(3) prévoit ce qui suit :

36. (3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

 

a) l’infraction punissable par mise en accusation ou par procédure sommaire est assimilée à l’infraction punissable par mise en accusation, indépendamment du mode de poursuite effectivement retenu;

 

b) la déclaration de culpabilité n’emporte pas interdiction de territoire en cas de verdict d’acquittement rendu en dernier ressort ou de réhabilitation — sauf cas de révocation ou de nullité — au titre de la Loi sur le casier judiciaire;

 

 

 

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

 

d) la preuve du fait visé à l’alinéa (1)c) est, s’agissant du résident permanent, fondée sur la prépondérance des probabilités;

 

 

e) l’interdiction de territoire ne peut être fondée sur une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ni sur une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants.

36. (3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

 

 

(a) an offence that may be prosecuted either summarily or by way of indictment is deemed to be an indictable offence, even if it has been prosecuted summarily;

 

 

 

(b) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on a conviction in respect of which a pardon has been granted and has not ceased to have effect or been revoked under the Criminal Records Act, or in respect of which there has been a final determination of an acquittal;

 

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

 

(d) a determination of whether a permanent resident has committed an act described in paragraph (1)(c) must be based on a balance of probabilities; and

 

(e) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on an offence designated as a contravention under the Contraventions Act or an offence under the Young Offenders Act.

 

[13]           L’alinéa 18(2)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés présume la réadaptation de certaines personnes :

18. (2) Font partie de la catégorie des personnes présumées réadaptées les personnes suivantes :

 

 

c) la personne qui a commis, à l’extérieur du Canada, au plus une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation si les conditions suivantes sont réunies :

 

 

 

(i) l’infraction est punissable au Canada d’un emprisonnement maximal de moins de dix ans,

 

(ii) au moins dix ans se sont écoulés depuis le moment de la commission de l’infraction,

 

(iii) la personne n’a pas été déclarée coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation,

 

(iv) elle n’a pas été déclarée coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable par procédure sommaire dans les dix dernières années ou de plus d’une telle infraction avant les dix dernières années, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ou une infraction à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents,

 

(v) elle n’a pas, dans les dix dernières années, été déclarée coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ou une infraction à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents,

 

(vi) elle n’a pas, avant les dix dernières années, été déclarée coupable, à l’extérieur du Canada, de plus d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par procédure sommaire,

 

(vii) elle n’a pas été déclarée coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

18. (2) The following persons are members of the class of persons deemed to have been rehabilitated:

 

 

(c) persons who have committed no more than one act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament, if all of the following conditions apply, namely,

 

(i) the offence is punishable in Canada by a maximum term of imprisonment of less than 10 years,

 

(ii) at least 10 years have elapsed since the day after the commission of the offence,

 

(iii) the person has not been convicted in Canada of an indictable offence under an Act of Parliament,

 

 

(iv) the person has not been convicted in Canada of any summary conviction offence within the last 10 years under an Act of Parliament or of more than one summary conviction offence before the last 10 years, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act or an offence under the Youth Criminal Justice Act,

 

 

 

(v) the person has not within the last 10 years been convicted outside of Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act or an offence under the Youth Criminal Justice Act,

 

 

(vi) the person has not before the last 10 years been convicted outside Canada of more than one offence that, if committed in Canada, would constitute a summary conviction offence under an Act of Parliament, and

 

 

(vii) the person has not been convicted outside of Canada of an offence that, if committed in Canada, would constitute an indictable offence under an Act of Parliament.

 

[14]           L’agent ne s’est jamais penché sur ces dispositions. Il était déraisonnable de continuer à se fonder uniquement sur le rejet de la première demande sans tenir compte de l’ensemble des faits de l’affaire. Pour ces motifs, la décision sera annulée.

 

[15]           Le demandeur a demandé à la Cour qu’elle ordonne au défendeur de lui délivrer un visa ou, au moins, qu’elle dise ce que le renvoi de l’affaire devrait avoir comme résultat.

 

[16]           La justice commande parfois l’adoption d’une telle voie, mais ce n’est pas le cas en l’occurrence. Le demandeur a le droit à un examen exhaustif et juste de sa quatrième demande de visa pour que les allégations (explicites et implicites) soient évaluées sérieusement. La Cour estime que le recours à une entrevue serait le point de départ approprié d’une procédure équitable en l’espèce. Néanmoins, elle laisse cette question à la discrétion du nouvel agent qui sera chargé de réexaminer la demande.

 

[17]           La Cour est également d’avis que la demande de M. Singh devrait être réexaminée en priorité.

 

IV.       CONCLUSION

[18]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de rejeter la demande de visa sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas ou à un supérieur pour un nouvel examen qui prendra en compte les présents motifs.

 

[19]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de rejeter la demande de visa est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas ou à un supérieur pour un nouvel examen qui prendra en compte les motifs du présent jugement.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3465-06

 

INTITULÉ :                                       INDER SINGH et GURSHARAN KAUR

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 janvier 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marshall E. Drukarsh

 

POUR LES DEMANDEURS

Marina Stefanovic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GREEN AND SPIEGEL, LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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