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Date : 20080108

Dossier : IMM-1646-07

Référence : 2008 CF 19

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

ENTRE :

MARIA THERESA PHILLIP

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          APERÇU

[1]               Il s’agit d’une affaire mettant en cause une grand-mère de 64 ans qui réside au Canada  depuis 19 ans et est de fait mère-substitut des enfants de sa fille (sinon la seule dispensatrice de soins). Le défendeur affirme qu’elle n’a pas droit à une décision CH en sa faveur lui permettant de rester au Canada. Le défendeur a commis à tout le moins une erreur susceptible de contrôle.  

 

 

II.         CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Trinité-et-Tobago âgée de 64 ans. Née à la Grenade, elle vit au Canada depuis le mois d’octobre 1988. Sa demande de résidence permanente a été refusée en 2004. En 2007, son ERAR a donné lieu à une décision défavorable et elle a présenté sa demande CH, l’objet du présent contrôle judiciare, après avoir introduit sa demande d’ERAR.

 

[3]               Sa demande CH était fondée sur les facteurs suivants : la résidence de fait (19 années au pays), les liens familiaux, le parrainage, l’intérêt supérieur des enfants canadiens (ses                  deux petits-enfants nés au Canada étant sous sa garde), son établissement financier en raison de son travail et de ses paiements d’impôts, son établissement dans la communauté, d’autres aspects liés à l’établissement, les difficultés causées par un retour dans son pays à son âge ainsi que l’absence de possibilités d’emploi.

 

[4]               Le dossier est rempli d’éléments de preuve appuyant sa demande CH. Plus important encore, on y retrouve une preuve selon laquelle sa fille renonce à la garde de ses petits-enfants ainsi qu’une ordonnance de garde de la Cour de justice de l’Ontario accordant à la demanderesse la garde conjointe avec le père (il devait payer aussi une pension alimentaire). La Cour a statué que les petits-enfants résideraient principalement chez la demanderesse. 

 

[5]               Dans sa décision, l’agent a  noté les réalisations de la demanderesse, mais n’a pas considéré son établissement comme « exceptionnel ». L’agent a aussi mentionné qu’une grande partie des problèmes de la demanderesse étaient liés au fait qu’elle demeurait illégalement au Canada et qu’elle devait désormais en subir les conséquences, c’est-à-dire être renvoyée comme l’exige la loi.

 

[6]               Quant à l’intérêt supérieur des petits-enfants, l’agent a présumé qu’ils seraient  pris en charge par leur famille élargie et que le père ferait aussi partie de leur vie. L’agent a répliqué aux  allégations de manque de soutien financier et moral du père en se reportant  au succès de sa demande CH, dans laquelle le père inclut son autre fille, ce qui montrait ainsi, selon l’agent, l’engagement du père envers ses deux autres enfants, les petits-enfants de la demanderesse. L’agent a conclu son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, en disant que la mère des enfants aurait dû réfléchir au renvoi potentiel de la demanderesse avant de renoncer à la garde.

 

III.       ANALYSE

[7]               La décision du défendeur pose deux problèmes importants et interdépendants – un d’ordre procédural et un de fond.  

 

[8]               Le problème en matière de procédure est que le défendeur s’est fondé sur le contenu de la demande CH du père, qui a été accueillie, pour en venir à la conclusion que l’intérêt supérieur des enfants ne souffrirait pas sensiblement du renvoi de la demanderesse. La demande CH du père ne se trouvait pas dans le dossier CH de la demanderesse et  n’a  jamais été soumise à la demanderesse pour commentaires.

 

[9]               Si un quelconque appui est nécessaire pour la proposition évidente que la demanderesse  avait le droit d’être avisée de ce document et d’avoir l’occasion d’y répondre, il peut être trouvé dans  Bara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 992  au paragraphe 15 (le juge-en-chef adjoint Richard, maintenant juge en chef de la                              Cour d’appel Fédérale) :

L'agent n'est pas tenu de porter à la connaissance du demandeur les conclusions provisoires qu'il peut tirer à partir de la preuve dont il est saisi, pas même celles qui se rapportent aux contradictions apparentes qui le préoccupent. Toutefois, s'il se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques, il doit donner au demandeur la possibilité de répondre à la preuve.

 

[10]            L’utilisation de la demande CH du père était non seulement une entrave à l’équité, mais elle a aussi entraîné ou aggravé une erreur importante dans l’étude de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[11]           Le fait de déclarer, comme l’a fait l’agent, qu’il était « récepti[f], attenti[f] et sensible à l’intérêt supérieur des enfants » n’en fait pas une réalité (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125). La prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant reposait principalement sur les paiements de pension alimentaire mensuels de 119 $ ordonnés par la Cour. Cependant, il n’y a eu aucune analyse de la capacité du père de s’occuper de ses enfants malgré l’aveu du père qu’il avait été incapable de s’en occuper dans le passé. Il n’y a eu aucune prise en compte du fait que la grand-mère avait été leur mère-substitut pendant les            sept dernières années.

 

[12]           Le commentaire de l’agent au sujet du fait que la mère aurait dû envisager la possibilité de renvoi de la demanderesse avant de lui céder la garde de ses enfants, quoique exacts, mettent l’accent sur l’intérêt supérieur des enfants compte tenu du comportement discutable du parent, et  non sur les besoins des enfants.

 

[13]           En se fondant sur la demande CH du père et sur l’inclusion de son autre fille dans cette demande, l’agent a non seulement commis une erreur en matière de procédure, mais a aussi adopté un raisonnement dépourvu de logique. On peut se demander en quoi l’inclusion par le père d’un autre enfant dans sa demande est une preuve d’un père attentionné pour ses deux enfants, sujet qui aurait sans doute pu être traité si la demanderesse en avait eu l’occasion. Il y a probablement une explication, mais celle-ci n’est pas apparente à première vue.

 

IV.       CONCLUSION

[14]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

[15]           La demanderesse a demandé les dépens dans la présente affaire. Les représentations  déposées par la suite ont abordé un grand nombre de sujets liés aux dépens. Le fait que la demanderesse soit une grand-mère âgée de 64 ans qui réside au Canada depuis 19 années n’est pas pertinent. Le fait qu’elle ait réussi à vivre au Canada de nombreuses années tout en passant inaperçue ne lui donne pas droit à une décision CH favorable.

 

[16]           Cependant, dans la présente affaire, la demanderesse a dû intenter deux demandes de contrôle judiciaire et obtenir deux sursis. Sa demande de contrôle judiciaire de la décision sur l’ERAR a été retirée par consentement alors que sa demande CH était en instance. Lors du retrait de cette demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a été informée que sa demande CH avait été rejetée.  

 

[17]           Ce comportement n’est pas nécessairement de mauvaise foi, mais il suscite certains doutes. La demanderesse doit maintenant débattre une autre demande CH. Il existe des raisons spéciales justifiant l’octroi de dépens compte tenu de la manière dont le défendeur a traité l’ensemble de ce dossier. L’adjudication de 5 000 $ des 13 000 $ demandés est équitable. Pour ses motifs, des dépens de 5 000 $ seront accordés à la demanderesse.

 

[18]           Il n’y a aucune question à certifier.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Des dépens de 5 000 $ seront adjugés à la demanderesse.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

David Aubry, LL.B

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1646-07

 

INTITULÉ :                                                               MARIA THERESA PHILLIP

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 13 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 8 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

         POUR LA DEMANDERESSE

John Provart

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

        POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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