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Date : 20080103

Dossier : T-1769-06

Référence : 2008 CF 4

Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 3 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

Le CHEF VICTOR BUFFALO, pour son propre compte

et pour le compte de la BANDE INDIENNE DE SAMSON

également appelée NATION CRIE DE SAMSON, et la BANDE

INDIENNE DE SAMSON également appelée NATION CRIE DE SAMSON

 

demandeurs

 

et

 

DARRELL REGAN BRUNO,

DARWIN SOOSAY et LARRON NORTHWEST

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 2 octobre 2006 par la Commission des appels en matière électorale (CAE) de la Nation crie de Samson, dans laquelle les plaintes de M. Bruno et de M. Soosay ont été jugé fondées après nouvel examen.

 

[2]               Les demandeurs veulent obtenir une ordonnance selon laquelle :

            1.         La décision rendue le 2 octobre 2006 par la CAE est annulée;

            2.         La CAE n’a pas compétence pour superviser l’exercice que fait la superviseure des élections du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 16 quant à la fermeture des bureaux de scrutin lors d’élections;

            3.         La CAE n’a pas compétence pour suspendre ou destituer un conseiller ou un chef en poste;

            4.         La plainte de M. Bruno, fondée sur l’article 58 de la Loi électorale, est renvoyée à la CAE avec des directives expresses établissant que, selon l’interprétation correcte de la Loi électorale, il n’y a pas eu violation de cette loi lorsque la superviseure des élections a verrouillé les portes du bureau de scrutin à 18 h le 19 mai 2005 tout en permettant aux électeurs déjà sur les lieux de voter, que la plainte de M. Bruno n’est pas fondée et que la plainte de M. Bruno est invalide; 

            5.         La plainte de M. Soosay, fondée sur le sous‑alinéa 4b)(i) de la Loi électorale, est renvoyée à la CAE avec des directives expresses établissant que, selon l’interprétation correcte de la Loi électorale, l’alinéa 4a) n’exclut pas un membre de la Nation crie de Samson normalement admissible en vertu de l’article 3, mais ayant auparavant été déclaré coupable d’un acte criminel le 8 mars 1993 ou après, si ce membre a été réhabilité soit par le système de justice canadien, soit par une cérémonie crie célébrée par un aîné.

 

[3]               Les défendeurs demandent une ordonnance selon laquelle :

            1.         La décision de la CAE concernant la plainte de M. Soosay est confirmée et la tenue de nouvelles élections le 15e jour suivant la date de l’ordonnance, ou à toute autre date raisonnablement possible, est ordonnée;

 

            2.         La décision de la CAE concernant la plainte de M. Bruno est confirmée et la tenue de nouvelles élections le 15e jour suivant la date de l’ordonnance, ou à toute autre date raisonnablement possible, est ordonnée;

            3.         À titre subsidiaire, la superviseure des élections a le pouvoir discrétionnaire de permettre aux électeurs déjà sur les lieux à 18 h, heure de fermeture des bureaux de scrutin, de voter;

            4.         La CAE a exercé correctement les pouvoirs que lui confère l’article 88 de la Loi électorale en ordonnant que, à l’avenir, la superviseure des élections demande conseils et directives au président de la CAE relativement à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin, avant l’heure de fermeture à 18 h;

            5.         La CAE a correctement exercé les pouvoirs que lui confère son mandat de formuler des recommandations pour que soit appliquée efficacement la Loi électorale (article 10) en ordonnant que les conseillers en poste soient suspendus de leurs fonctions respectives de conseillers et quittent sur‑le‑champ leur bureau, dès 16 h 30 le mardi 6 octobre 2006, jusqu’à ce que soient tenues les nouvelles élections.

 

Le contexte

 

[4]               La Loi électorale de la Nation crie de Samson est entrée en vigueur le 8 mars 1993. 

 

[5]               La Nation crie de Samson a tenu des élections pour choisir les conseillers le 19 mai 2005. À 17 h 45, de nombreuses personnes attendaient encore à l’extérieur des portes du bureau de scrutin pour obtenir leur bulletin de vote. À ce moment, la superviseure des élections a décidé de permettre à toutes les personnes qui attendaient en ligne d’entrer dans le bureau de scrutin. Les portes du bureau de scrutin ont été fermées à 18 h. Les électeurs qui étaient entrés dans le bureau de scrutin avant 18 h ont obtenu un bulletin et ont pu voter. Environ 300 personnes ont été autorisées à voter après 18 h.

 

[6]               Plus tard ce jour‑là, douze individus ont été déclarés élus au conseil. Par lettre datée du 24 mai 2005, le défendeur, Darrell Bruno, s’est plaint des élections tenues le 19 mai 2005. M. Bruno s’est plaint que des bulletins de vote avaient été déposés après l’échéance de 18 h. Par lettre datée du 26 mai 2005, le défendeur Darwin Soosay s’est également plaint des élections. M. Soosay contestait le résultat des élections au motif que certains candidats ne satisfaisaient pas aux critères énoncés à l’article 4 de la Loi électorale et qu’il aurait dû leur être interdit de se présenter aux élections. 

 

[7]               L’alinéa 4a) de la Loi électorale interdit aux individus déclarés coupables d’un acte criminel après l’entrée en vigueur de la Loi électorale (le 8 mars 1993) de poser leur candidature dans le cadre d’élections du conseil. L’alinéa 4b) interdit aux individus déclarés coupables d’un acte criminel au plus tard le 8 mars 1993 de poser leur candidature dans le cadre d’élections du conseil, à moins qu’ils n’aient été réhabilités par la culture crie ou par le gouvernement fédéral.

 

[8]               En conséquence, l’élection de Larron Northwest au conseil a été contestée dans la plainte de M. Soosay. M. Northwest a été nommé candidat aux élections du conseil le 5 mai 2005. Bien qu’il semble répondre aux critères de nomination énoncés à l’article 3 de la Loi électorale, les parties contestent son admissibilité par rapport à l’article 4. M. Northwest a été déclaré coupable de possession de marihuana et d’entreposage non sécuritaire d’une arme à feu en 1998. Il s’est adressé à Joe Boysis, un aîné de la collectivité, et a demandé à être réhabilité par une cérémonie culturelle ou traditionnelle crie pour ces actes criminels. Il a pris part à une cérémonie célébrée par M. Boysis et a été informé qu’il était réhabilité. Il a déposé une demande de réhabilitation au gouvernement fédéral, mais il n’avait pas obtenu sa réhabilitation en date des élections du 19 mai 2005.

 

[9]               La CAE a examiné les plaintes de M. Bruno et de M. Soosay et, dans une décision datée du 8 juin 2005, a jugé que les deux plaintes étaient fondées. Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la CAE et la décision a été annulée par une ordonnance du juge Rouleau rendue le 21 octobre 2005. Dans un arrêt rendu le 4 juillet 2006, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel en partie et a renvoyé les deux plaintes à la CAE pour nouvel examen.

 

[10]           Pour ce qui est de la plainte de M. Bruno, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 58 ne visait que les heures durant lesquelles les bureaux de scrutin pouvaient demeurer ouverts pour recevoir des électeurs. La Cour d’appel fédérale a également conclu que la superviseure des élections avait agi en conformité avec les dispositions de la Loi électorale quand elle a permis aux électeurs entrés dans le bureau de scrutin avant 18 h de voter.

 

[11]           Après s’être penchée sur la plainte de M. Soosay, la Cour d’appel fédérale a estimé que le juge Rouleau avait eu raison de conclure que la CAE avait commis une erreur susceptible de contrôle en n’offrant pas à M. Northwest la possibilité de répondre à la plainte. Cependant, la Cour d’appel fédérale a estimé que le juge Rouleau avait eu tort d’examiner la question de savoir si la candidature de M. Northwest était admissible et s’il avait été réhabilité avant la date de sa nomination.

 

[12]           La CAE a examiné de nouveau les plaintes de M. Bruno et de M. Soosay et a rendu une deuxième décision le 2 octobre 2006. Cette décision confirmait la position originale de la CAE relativement aux deux plaintes. La CAE a également ordonné à la superviseure des élections de consulter le président de la CAE relativement à la fermeture des bureaux de scrutin avant la tenue des élections à venir. En outre, la CAE a suspendu de leurs fonctions les douze conseillers déclarés élus en attendant les résultats des nouvelles élections devant se tenir le 17 octobre 2006. 

 

[13]           Le 4 octobre 2006, les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 octobre 2006 par la CAE. Le 13 octobre 2006, le juge Blanchard a reporté, jusqu’à ce que soit tranchée la présente demande de contrôle judiciaire, l’exécution de la décision rendue le 2 octobre 2006 par la CAE ainsi que les élections prévues pour le 17 octobre 2006. Il s’agit donc du contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 octobre 2006 par la CAE.

 

Les motifs de la CAE

 

[14]           Dans une décision datée du 2 octobre 2006, la CAE a examiné de nouveau le bien‑fondé des plaintes de M. Bruno et de M. Soosay relativement aux élections tenues par la Nation crie de Samson le 19 mai 2005, conformément aux directives énoncées par la Cour d’appel fédérale dans son arrêt du 4 juillet 2006.

 

La plainte de M. Bruno : la fermeture du bureau de scrutin

 

[15]           En se fondant sur l’expérience de ses membres, la CAE a établi que la coutume et la tradition de la Nation crie de Samson était de mettre fin au vote à 18 h. La CAE a pris note que, par le passé, on a refusé à des électeurs l’accès à la table d’inscription des électeurs et qu’aucun bulletin n’était distribué après 18 h. Bien que les électeurs possédant un bulletin de vote aient pu voter, les quelques électeurs remplissant leur bulletin après 18 h ne dépassaient que de quelques minutes le délai fixé à l’article 58 et le retard n’était pas tel qu’il aurait permis à trois cents membres de voter après l’heure prévue de fermeture des bureaux de scrutin.

 

[16]           Selon l’article 58 de la Loi électorale, tous les bureaux de scrutin ouvrent à 9 h et demeurent ouverts jusqu’à 18 h. Bien qu’il y ait des différences entre les procédures de fermeture des bureaux de scrutin dans d’autres codes électoraux, l’existence de procédures externes applicables à d’autres élections ne constituait pas une raison pour modifier les traditions la Nation de Samson. La plainte de M. Bruno a donc été accueillie.

 

[17]           La CAE a également ordonné que, pour les élections à venir, la superviseure des élections demande conseils et directives relativement à la coutume et à la tradition quant à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin au président de la CAE de la Nation crie de Samson avant le délai de 18 h.

 

La plainte de M. Soosay : la réhabilitation

 

[18]           M. Northwest était conseiller quand la Loi électorale est entrée en vigueur en 1993. Il aurait donc participé à l’élaboration de la Loi électorale et aurait été conscient que les actes criminels qu’il a commis en 1998 l’empêcheraient à l’avenir de participer aux élections du conseil. Son affirmation selon laquelle il ne comprenait pas les effets de l’article 4 de la Loi électorale manquait de crédibilité.

 

[19]           La CAE a conclu qu’il n’y avait pas de contradiction entre les articles 3 et 4 de la Loi électorale. L’article 3 établit les critères d’admissibilité de base pour un candidat et l’article 4 disqualifie les candidats qui satisfont aux critères de l’article 3, mais qui ne satisfont pas aux conditions relatives aux antécédents criminels. La CAE a pris note qu’une cérémonie de réhabilitation tenue après le 8 mars 1993 pour des actes commis en 1998 ne satisfaisait pas aux exigences énoncées à l’alinéa 4a) de la Loi électorale. L’appel de M. Soosay a donc été accueilli.

 

Directive

 

[20]           La tenue de nouvelles élections a été ordonnée conformément à l’alinéa 87c) de la Loi électorale. La CAE a également imposé des conditions, notamment la suspension des conseillers en poste de leurs fonctions de conseiller en attendant les nouvelles élections, afin d’éviter la répétition de la violation ayant fait l’objet de la plainte.

 

Les questions en litige

 

[21]           Les demandeurs soumettent à l’examen de la Cour les questions suivantes :

            1.         En examinant de nouveau la plainte de M. Bruno, la CAE a‑t‑elle commis une erreur de droit en ne suivant pas les directives expresses de la Cour d’appel fédérale, c’est‑à‑dire en n’appliquant pas la seule interprétation rationnelle des articles 58 et 16 de la Loi électorale?

            2.         La CAE avait‑elle compétence pour ordonner que la superviseure des élections, pour toutes les élections à venir, consulte le président de la CAE quant à la fermeture des bureaux de scrutin?

            3.         En examinant de nouveau la plainte de M. Soosay, la CAE a‑t‑elle commis une erreur de droit en adoptant une interprétation littérale mais discriminatoire de l’article 4 de la Loi électorale, laquelle interprétation ne tenait pas compte des effets de l’article 5 de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C‑47, du paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte), ainsi que de la culture et des traditions non discriminatoires des Cris‑des‑Plaines?

            4.         La CAE avait‑elle compétence pour suspendre de leurs fonctions les conseillers qui avaient été déclarés élus?

 

[22]           Les défendeurs soumettent à l’examen de la Cour les questions suivantes :

            1.         La CAE a-t-elle commis une erreur dans son nouvel examen en confirmant la décision prise quant à la plainte de M. Soosay?

            2.         La CAE a-t-elle commis une erreur dans son nouvel examen en confirmant la décision prise quant à la plainte de M. Bruno?

            3.         La CAE avait-elle compétence pour ordonner ceci :

a)         [traduction] « À l’avenir, la superviseure des élections demandera conseils et directives quant à la coutume et aux traditions relatives à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin au président de la Commission des appels en matière électorale de la Nation crie de Samson avant l’échéance de 18 h. »

b)         [traduction] « Les conseillers en poste sont suspendus de leurs fonctions respectives de conseiller sur‑le‑champ et doivent quitter leur bureau dès le jeudi 3 octobre 2006 à 16 h 30 en attendant les nouvelles élections. »

 

Les observations des demandeurs

 

La norme de contrôle

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que l’interprétation de la Loi électorale et la décision de savoir si les faits témoignaient d’une violation de la Loi électorale sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193). Il est avancé que la Loi électorale doit être appliquée en fonction de son objet (voir Simon c. Nation crie de Samson (2001), 205 F.T.R. 49, 2001 CFPI 467).

 

La plainte de M. Bruno : la fermeture des bureaux de scrutin

 

[24]           Les demandeurs soutiennent que l’article 58 doit être interprété en conjonction avec les articles 41, 51, 52 et 59 de la Loi électorale. En examinant ces dispositions, la Cour d’appel fédérale a statué que la seule interprétation rationnelle de la Loi électorale était que l’article 58 ne fait qu’indiquer les heures au cours desquelles les bureaux de scrutin sont ouverts pour accueillir les électeurs (voir Bande indienne de Samson c. Bande indienne de Samson (Commission d’appel en matière électorale)(2006), 352 N.R. 119, 2006 CAF 249). Il est avancé que la CAE a commis une erreur en n’appliquant pas la seule interprétation légale de l’article 58 de la Loi électorale, contrairement aux directives de la Cour d’appel fédérale.

 

[25]           La CAE a appliqué la coutume crie de Samson et a conclu que les électeurs se trouvant à l’intérieur du bureau de scrutin n’auraient pas dû pouvoir voter après 18 h. Il est soutenu que la coutume sur laquelle la CAE s’est appuyée ne se trouve pas dans la Loi électorale et il est avancé que la CAE a commis une erreur en appliquant cette coutume plutôt que la Loi électorale, ce qui contrevient au paragraphe 49 de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bande indienne de Samson, précité.

 

[26]           Les demandeurs avancent que la CAE a commis des erreurs en ne respectant pas : 1) la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la superviseure des élections par l’article 16 de la Loi électorale; 2) l’exercice en bonne et due forme de ce pouvoir discrétionnaire, par lequel les électeurs se trouvant à l’intérieur du bureau de scrutin ont pu voter après 18 h, ce qui contrevient aux directives énoncées aux paragraphes 44 et 46 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Il est également prétendu que la CAE a commis une erreur en ne respectant pas la directive exposée au paragraphe 47 de l’arrêt, laquelle avait la nature d’un verdict imposé. 

 

[27]           Les demandeurs notent que la plainte de M. Bruno a déjà été renvoyée à la CAE pour nouvel examen et que la CAE a fait fi des directives expresses de la Cour d’appel pour appliquer une coutume non écrite. Il est avancé que la plainte de M. Bruno doit être renvoyée avec un jugement déclaratoire et une directive expresse enjoignant à la CAE de rejeter la plainte de M. Bruno. 

 

La plainte de M. Soosay : la réhabilitation

 

[28]           Les demandeurs notent que la CAE a appliqué littéralement l’alinéa 4a) de la Loi électorale et a conclu que M. Northwest n’était pas admissible à se présenter aux élections parce qu’il avait été déclaré coupable d’un acte criminel après le 8 mars 1993, qu’il ait été réhabilité ou non. Il est avancé que la CAE n’a pas appliqué le principe moderne de l’interprétation des lois qui exige que le libellé d’une loi soit interprété dans le contexte de la loi en entier, en accordant aux mots leur sens ordinaire en fonction de l’objet de la loi et de l’intention du législateur.  

 

[29]           Les demandeurs soutiennent que l’interprétation littérale de l’alinéa 4a), lorsque interprété dans tout son contexte, est contraire à l’esprit de la Loi et à l’intention des électeurs de la Nation crie de Samson qui l’ont adopté. Il est prévu à l’alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire que la réhabilitation : 

[…] fait cesser toute incapacité ou obligation […] que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements.

 

 

[30]           Les demandeurs soutiennent que, dans son nouvel examen de la plainte de M. Soosay, la CAE aurait dû : (1) confirmer l’intention des électeurs de Samson qui ont adopté la Loi électorale, selon laquelle une réhabilitation crie équivaut à une réhabilitation accordée par le système juridique canadien; (2) interpréter l’alinéa 4a)  en respectant l’intention qu’avait le législateur d’interdire la discrimination quand il a adopté l’article 5 de la Loi sur le casier judiciaire et en respectant l’article 15 de la Charte (les droits à l’égalité) et les traditions non discriminatoires des Cris‑des‑Plaines.

 

[31]           Les demandeurs soutiennent que la décision de la CAE relativement à la plainte de M. Soosay doit être annulée, car la CAE a mal interprété juridiquement le paragraphe 4a) de la Loi électorale. En outre, il est avancé que, puisque M. Northwest a été réhabilité par le gouvernement fédéral le 26 octobre 2006, la décision doit être annulée parce qu’elle a été rendue sur la base de suppositions factuelles qui ne sont plus valables (voir Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.)).

 

[32]           Les demandeurs prétendent que la plainte de M. Soosay devrait être renvoyée à la CAE avec un jugement déclaratoire et une directive expresse établissant que l’alinéa 4a) de la Loi électorale, lorsque correctement interprété, ne prive pas de son droit de se présenter à une élection un membre de la Nation crie de Samson normalement admissible, mais déclaré coupable d’un acte criminel le 8 mars 1993 ou après, si ce membre a été réhabilité par le gouvernement fédéral ou une cérémonie culturelle crie.

 

La directive à la superviseure des élections relativement à la fermeture des bureaux de scrutin

 

[33]           Les demandeurs soutiennent que les pouvoirs de la CAE se limitent à ceux énoncés aux articles 86 à 89 et 95 à 101 de la Loi électorale. Il est avancé que ces articles ne confèrent pas à la CAE le pouvoir de superviser l’exercice que fait la superviseure des élections de son pouvoir discrétionnaire pendant les élections, comme la CAE l’a fait en exigeant une consultation à la mi‑élection avec le président de la CAE au sujet de la procédure de fermeture des bureaux de scrutin. Il est avancé que la décision de la CAE doit être annulée dans la mesure où elle accorde à la CAE le pouvoir de superviser l’exercice que fait la superviseure des élections de son pouvoir discrétionnaire relativement à la fermeture des bureaux de scrutin.


La suspension des conseillers élus

 

[34]           Les demandeurs soutiennent que la Loi électorale ne permet pas à la CAE de suspendre de leurs fonctions les conseillers déclarés élus par la superviseure des élections, même si la CAE a décidé de la tenue de nouvelles élections du conseil. Selon la Loi électorale, les conseillers exercent leurs fonctions pendant trois ans à partir de la date de leur élection. L’article 82 de la Loi électorale précise que la date des élections est la date à laquelle le superviseur des élections a déclaré le résultat des élections. Il est soutenu que le mandat d’un conseiller se termine au troisième anniversaire de la date à laquelle le superviseur des élections a déclaré élu le conseiller, à moins qu’un remplaçant ait été déclaré élu.

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que le mandat des conseillers élus le 19 mai 2005 commence à cette date. Il est soutenu que relever de ses fonctions un conseiller en poste est une question grave et ne peut se faire avant l’expiration de son mandat, sauf s’il existe une disposition prévoyant qu’il puisse être ainsi suspendu ou relevé de ses fonctions (voir la décision Simon, précitée). Il est soutenu que la décision de la CAE doit être annulée dans la mesure où elle suspend les conseillers en poste non seulement jusqu’à la tenue des nouvelles élections prévues pour le 17 octobre 2006, mais également jusqu’à ce que la CAE ait vérifié et approuvé les qualifications des candidats élus à ces élections.


Les observations des défendeurs

 

Les considérations préliminaires

[36]           Les défendeurs soutiennent que, pour que soit annulée la décision de la CAE ordonnant la tenue de nouvelles élections du conseil, les demandeurs doivent prouver que la CAE a commis une erreur de droit tant dans sa décision relative à la plainte de M. Bruno que dans celle relative à la plainte de M. Soosay. Il est soutenu que, si les demandeurs échouent à prouver qu’il y a eu erreur dans l’une des deux décisions, l’ordonnance de la CAE quant à la tenue de nouvelles élections demeurerait valide pour cette décision.

 

[37]           Les demandeurs soutiennent qu’une conclusion défavorable de la Cour relativement aux directives de la CAE concernant en premier lieu l’obligation de la superviseure des élections de demander conseil relativement à la fermeture des bureaux de scrutin et en second lieu la suspension des conseillers élus doit entraîner le prononcé d’une nouvelle ordonnance relativement aux directives particulières de la CAE.

 

La plainte de M. Bruno : la fermeture des bureaux de scrutin

 

[38]           Les défendeurs soulignent que la coutume de la Nation crie de Samson relativement à ce qui doit se passer à 18 h dans les bureaux de scrutin n’est pas écrite dans la Loi électorale. En outre, il est soutenu qu’il n’existe aucune autre preuve claire de l’existence de cette coutume. 

 

[39]           Les défendeurs soutiennent que les faits dont ont été saisies la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans des procédures antérieures connexes ne sont pas ceux dont la Cour est actuellement saisie. Il est soutenu que la CAE a comblé le manque de preuve en concluant, à partir de l’expérience conjuguée de ses membres, que la coutume de la Nation crie de Samson était de mettre fin au vote à 18 h. Les défendeurs soutiennent que la Cour doit respecter la coutume crie, telle que définie par la CAE, concernant la cessation du vote et doit maintenir la décision de la CAE sur la plainte de M. Bruno. 

 

La plainte de M. Soosay : la réhabilitation

 

[40]           Les défendeurs soulignent qu’il n’est apparu que lors du nouvel examen de la plainte de M. Soosay par la CAE que M. Northwest avait été déclaré coupable de deux actes criminels après la date d’entrée en vigueur de la Loi électorale. En conséquence, conformément à l’alinéa 4a) de la Loi électorale, la CAE a confirmé que la candidature de M. Northwest aux élections était inadmissible.

 

[41]           Les défendeurs soutiennent que, conformément au principe du « sens ordinaire » applicable à l’interprétation des lois, principe énoncé dans l’arrêt Rizzo c. Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, l’article 4 de la Loi électorale classe l’éligibilité des candidats en trois catégories. En vertu du paragraphe 4a), un membre de la Nation de Samson n’est pas éligible s’il a été déclaré coupable d’un acte criminel après le 8 mars 1993. Les défendeurs soulignent que M. Northwest a été déclaré coupable d’un tel acte en 1998 et qu’il est donc inéligible selon ce critère.

 

[42]           Selon l’alinéa 4b) de la Loi électorale, les membres de la Nation de Samson déclarés coupables d’un acte criminel au plus tard le 8 mars 1993 ne peuvent présenter leur candidature comme conseiller, à moins qu’ils n’aient été réhabilités par la culture crie ou le gouvernement fédéral. Il est avancé que, puisque M. Northwest a été déclaré coupable d’actes criminels en 1998, il n’appartient pas à cette catégorie.

 

[43]           Les défendeurs soutiennent que le libellé de la disposition laisse clairement paraître l’intention des électeurs de Samson. Les personnes déclarées coupables avant le 8 mars 1993 disposent d’un « droit acquis » au moyen de la procédure de la réhabilitation, tandis qu’il est expressément exclu que les personnes déclarées coupables après cette date puissent poser leur candidature. Selon les défendeurs, supposer que l’alinéa 4a) comprend la même disposition relative à la réhabilitation que l’alinéa 4b) défie toute interprétation raisonnable de l’article 4. Les défendeurs soutiennent qu’une telle interprétation de l’article 4 donnerait à penser qu’il est possible d’interpréter l’alinéa 4c) de façon à ce qu’il comporte cette même disposition relative à la réhabilitation, ce qui annulerait toute disqualification, dans la mesure où il y a eu réhabilitation. 

 

[44]           Les demandeurs avancent qu’il faut également tenir compte de l’alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire dans l’interprétation de l’alinéa 4a) de la Loi électorale. Si c’est le cas, selon les défendeurs, les demandeurs soutiennent que la Loi électorale est « une loi fédérale ou [un] de ses règlements » et, en outre, que les électeurs n’auraient pas le droit de rendre inadmissibles les candidats comme bon leur semblerait selon leurs valeurs culturelles.

 

[45]      Il est soutenu que, en plus des arguments relatifs à la Charte soulevés par les demandeurs, cette prétention donne à penser que la question de l’autonomie gouvernementale de la Nation crie de Samson relativement à la Loi électorale serait mise en question par les demandeurs. Les défendeurs ne se sont pas étendus sur cet argument, étant donné que les demandeurs ne l’ont pas beaucoup développé. Cependant, les défendeurs notent que le régime législatif en question, énoncé dans la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, prévoit un mécanisme par lequel les bandes indiennes peuvent être exemptées du cadre de la loi canadienne et obtiennent, aux fins de la création de leurs lois électorales, les pouvoirs pleins et entiers conférés par l’autonomie gouvernementale.

 

[46]           Pour ce qui est de la question de la Charte, les défendeurs avancent qu’il est inapproprié que les demandeurs, qui sont l’autorité habilitée à adopter la loi en question, se plaignent de cette loi alors qu’ils ont le pouvoir de la modifier. Il est soutenu que, si la discrimination devait être invoquée, il reviendrait à la victime de l’acte discriminatoire de demander un redressement au moyen du contrôle judiciaire. À titre subsidiaire, il est soutenu que les arguments portant sur l’article 15 de la Charte sont sans fondement. Les défendeurs soulignent que l’alinéa 4a) de la Loi électorale s’applique également à tous les membres de la bande. 

 

[47]           Les défendeurs soutiennent que la décision de la CAE relativement à la plainte de M. Soosay ne comporte pas d’erreur susceptible de contrôle.

 

La directive à la superviseure des élections relativement à la fermeture des bureaux de scrutin

 

[48]           Les défendeurs soutiennent que les directives de la CAE ont été données en application des pouvoirs que lui conférait l’article 88 de la Loi électorale. Celui‑ci prévoit que, lorsque de nouvelles élections sont ordonnées, elles sont tenues conformément aux coutumes décrites dans la Loi électorale, sous réserve des autres exigences imposées par la CAE afin d’éviter la répétition de la violation de la loi ayant fait l’objet de la plainte. Il est avancé que les pouvoirs conférés par l’article 88 sont confirmés par le mandat de la CAE, lequel prévoit que la CAE peut formuler des recommandations pour veiller à l’application efficiente et efficace de la Loi électorale.

 

[49]           Les défendeurs affirment que la CAE a uniquement ordonné à la superviseure des élections de [traduction] « demander conseils et directives » relativement à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin. Il est soutenu que cette directive ne doit pas être interprétée comme étant une atteinte au pouvoir discrétionnaire de la superviseure des élections d’accepter ou de rejeter les conseils. Les défendeurs font observer que toute décision prise par la superviseure des élections dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire peut être contrôlée par la CAE en appel; par conséquent la directive de la CAE lui enjoignant de demander conseil relativement à la fermeture des bureaux de scrutin est conforme à l’article 88 de la Loi électorale.

 

La suspension des conseillers élus

 

[50]           Les défendeurs soutiennent que la directive de la CAE suspendant les conseillers constitue un exercice approprié des pouvoirs que lui confèrent l’article 88 de la Loi électorale et le mandat de la CAE. Ils invoquent l’affidavit de Darwin Soosay, dans lequel ce dernier déclare que, lorsque les conseillers en poste posent leur candidature pour être réélus, ils prennent congé deux semaines avant la date des élections, conformément à l’article 10 de la Loi électorale. Selon M. Soosay, la directive de la CAE suspendant de leurs fonctions les conseillers élus est conforme à l’article 10 et à la pratique bien connue des demandeurs.

 

Analyse et décision

 

La norme de contrôle

 

[51]           Dans Okeymow c. Nation crie de Samson (2003), 235 F.T.R. 87, 2003 CFPI 737, le juge Russell a appliqué l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux questions de droit et de compétence sur lesquelles s’était penchée la CAE relativement à la Loi électorale et a affirmé ce qui suit aux paragraphes 25 à 33 :

La Cour suprême du Canada a exposé une approche pragmatique et fonctionnelle qu’il convient d’adopter pour déterminer la norme de contrôle à appliquer à un acte administratif. Voir l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, et l’arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19. Quatre facteurs principaux doivent être pris en compte : a) l’existence d’une clause privative; b) la spécialisation de l’office; c) l’objet de la Loi en général, et de la disposition en particulier; et d) la nature du problème. Une analyse pragmatique et fonctionnelle de la décision dont je suis saisi me conduit à dire que la norme applicable est celle de la décision correcte.

 

Clause privative

 

L’article 90 de la Loi électorale prévoit que la décision de la Commission d’appel est définitive et contraignante. Ce n’est pas là une clause privative formulée vigoureusement, mais elle montre néanmoins que la bande voulait que les voies de recours soient restreintes. Cette disposition milite donc en faveur d’une retenue élevée.

 

Spécialisation

 

[…]

 

L’article 80 de la Loi électorale requiert seulement que les membres nommés à la Commission d’appel soient âgés de 25 ans révolus, ne soient pas des membres de la Bande de Samson et jouissent d’une bonne réputation. Il n’exige pas qu’elles aient des connaissances particulières. Il en résulte une retenue moindre.

 

Objet de la Loi

 

[…]

 

La bande a codifié dans sa Loi électorale ses coutumes et ses traditions se rapportant au choix d’un chef et d’un conseil. En d’autres termes, elle a établi le régime administratif de sa procédure électorale. Il ne semble donc pas que l’objet de la Loi électorale requiert la mise en équilibre attentive d’une diversité d’intérêts. La bande n’a pas non plus, selon les mots du juge Muldoon, imprégner les dispositions de principes juridiques non limitatifs. Cette analyse signale donc une retenue moindre.

 

Nature du problème

 

Le demandeur affirme que la présidente de la Commission d’appel a outrepassé sa compétence. Subsidiairement, il donne à entendre que la présidente a commis une erreur de droit en interprétant mal la Loi électorale. Les erreurs de compétence et les erreurs de droit requièrent l’application de la norme de la décision correcte.

 

Ma conclusion générale est que ces facteurs donnent à penser que c’est la norme de la décision correcte qui devrait être appliquée à la décision de la présidente selon laquelle la procédure d’appel ne pouvait pas être invoquée par le demandeur. Il existe une clause privative, qui pourrait militer en faveur de la norme de la décision raisonnable simpliciter, mais son libellé imprécis et vague ne suffit pas à mon avis à neutraliser les trois autres facteurs, qui tous militent fortement en faveur de la norme de la décision correcte. J’observe aussi que, dans l’affaire Grand Rapids, précitée, le juge Muldoon avait lui aussi conclu que la norme de la décision correcte devait s’appliquer à l’affaire dont il était saisi.

 

 

[52]           Les questions soulevées en l’espèce sont des questions de droit, notamment l’interprétation qu’a faite la CAE de l’article 58 et de l’alinéa 4a) de la Loi électorale, et des questions de compétence, notamment le pouvoir que détient la CAE de donner des directives relativement à la fermeture des bureaux de scrutin et de suspendre de leurs fonctions des conseillers élus en attendant la tenue de nouvelles élections. J’adopterais le raisonnement du juge Russell  pour déterminer la norme de contrôle applicable. À mon avis, les questions en l’espèce doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte.

 

[53]           La première question

            La CAE a‑t‑elle commis une erreur de droit dans son nouvel examen en accueillant de nouveau la plainte de M. Bruno?

            La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Nation crie de Samson, précité, au sujet de la plainte de M. Bruno (voir les paragraphes 39, 40, 42, 47 et 50) :

Je suis donc convaincu que les seules coutumes et traditions qui régissaient l’élection du conseil de bande le 19 mai 2005 sont celles qui sont énoncées dans la Loi électorale. Les coutumes et traditions qui pourraient prendre naissance par la suite et qui pourraient différer de celles dont parle la Loi électorale sont à mon avis hors de propos, à moins que la Loi électorale ne soit modifiée conformément à son article 109. Cependant, les pratiques et coutumes électorales courantes peuvent servir à dissiper les ambiguïtés ou à combler les lacunes de la Loi électorale.

 

Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge a eu raison de dire que la Commission avait commis une erreur en ordonnant la tenue d’une nouvelle élection dans les deux semaines de sa décision.

 

[…]

 

Si l’on considère conjointement ces dispositions, il devient évident que les expressions « bureau de scrutin », « isoloir », « scrutin » et « urne » ont des sens différents. Selon moi, bien que l’on puisse trouver dans un « bureau de scrutin » un « isoloir » et une « urne », il ne s’agit pas de la même chose qu’un « bureau de scrutin ». L’unique interprétation possible de ces dispositions, lues conjointement, est donc que l’article 58 n’indique que les heures au cours desquelles les « bureaux de scrutin » seront ouverts pour recevoir les électeurs.

 

[…]

 

Pour conclure sur ce point, il ne fait guère de doute que les motifs de la Commission ne font pas reposer sa conclusion sur un fondement raisonnable. Comme je l’ai déjà dit, la manière dont elle a interprété l’article 58 conduit à un résultat absurde et, en tout état de cause, elle ne saurait être appuyée par les diverses dispositions de la Loi électorale. Dans ces conditions, la pratique des surveillants électoraux en matière de fermeture des bureaux de scrutin – pratique à laquelle la Commission se réfère d’une manière quelque peu elliptique dans ses motifs – est hors de propos. S’agissant du litige soulevé dans le présent appel, la Loi électorale n’admet qu’une seule interprétation rationnelle.

 

[…]

 

[…] s’agissant de la plainte Bruno, je renverrais l’affaire à la Commission pour nouvel examen, étant entendu que la surveillante électorale a agi conformément aux dispositions de la Loi électorale lorsqu’elle a permis que les électeurs qui étaient entrés dans le gymnase avant 18 heures le 19 mai 2005 déposent leurs bulletins dans l’urne.

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[54]           L’article 58 de la Loi électorale est rédigé ainsi :

[traduction]

58. Tous les bureaux de scrutin ouvrent à 9 heures et ferment à 18 heures.

 

 

[55]           Après avoir examiné de nouveau la plainte de M. Bruno, la CAE a confirmé la décision qu’elle avait prise précédemment, malgré les conclusions de la Cour d’appel fédérale. La CAE a conclu de la manière suivante :

[traduction]

Le fondement de l’appel de M. Bruno est l’article 58 de la Loi électorale.

 

[…]

 

Lorsqu’elle a examiné de nouveau cette question, la CAE s’est appuyée sur l’expérience de ses membres, qui en comptaient chacun au moins vingt ans, avec la Loi électorale de 1993 et les élections dans la nation de Samson ayant précédé la Loi électorale, lesquelles ont été menées conformément à la Loi sur les Indiens.

 

À la lumière de l’expérience et du savoir conjugués des membres de la CAE, le tribunal a conclu que la question de la fermeture des bureaux de scrutin n’avait jamais été soulevée auparavant en appel lors d’élections de la Nation crie de Samson parce que le vote a toujours cessé à 18 h. La coutume de la Nation crie de Samson est donc de mettre fin au vote à 18 h.

 

[…]

 

[…] La pratique traditionnelle de la Nation crie de Samson est de mettre fin au vote à 18 h. Lors des élections passées, on a prié des électeurs se trouvant à la table d’inscription des électeurs devant le fonctionnaire électoral de s’en aller et on a cessé de distribuer des bulletins de vote. Les électeurs inscrits ayant en main un bulletin de vote ont pu inscrire leur choix et déposer leur bulletin dans l’urne. Lors des élections passées, les quelques électeurs remplissant leur bulletin après 18 h ne dépassaient que de quelques minutes le délai fixé à l’article 58 et le retard n’était pas tel qu’il aurait permis à trois cents (300) membres de voter après l’heure prévue de fermeture du bureau de scrutin.

 

[…]

 

Les membres de la Nation crie de Samson ont parlé par l’intermédiaire du libellé de leur Loi électorale et par les pratiques qu’ils ont adoptées lors d’élections précédentes.

 

 

[56]           Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale, la seule interprétation logique de l’article 58 de la Loi électorale est que la disposition n’indique que les heures au cours desquelles les « bureaux de scrutin » sont ouverts pour recevoir les électeurs. 

 

[57]           Je soulignerais que la CAE semble ne pas avoir tenu compte de la raison pour laquelle la Cour d’appel fédérale lui avait renvoyé sa décision pour qu’elle l’examine de nouveau. La Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire à la CAE pour nouvel examen au motif que la superviseure des élections avait agi conformément aux dispositions de la Loi électorale en permettant aux électeurs qui étaient entrés dans le gymnase avant 18 h le 19 mai 2005 de voter.

 

[58]           La Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt Bande indienne de Samson, précité, que les seules coutumes et traditions qui régissaient l’élection tenue le 19 mai 2005 étaient celles énoncées dans la Loi électorale. La Loi électorale précise l’heure de fermeture des bureaux de scrutin; cependant, elle ne codifie pas la coutume de la Première nation crie de Samson relativement à l’échéance pour le dépôt de bulletins dans l’urne lors d’élections du conseil. La Cour et la CAE sont liées par les conclusions de la Cour d’appel fédérale.

 

[59]           J’ai pris en considération les motifs fournis par la CAE à l’appui de sa conclusion selon laquelle la plainte de M. Bruno devrait être confirmée. La CAE a noté que, lors des élections passées, aucun bulletin n’a été distribué après 18 h et que les électeurs sans bulletin n’ont pas été autorisés à voter. La CAE a noté que l’heure d’échéance établie à l’article 58 de la Loi électorale ne pouvait être étirée pour permettre à trois cents électeurs de déposer leur bulletin après 18 h. Je soulignerais l’affirmation de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Bande indienne de Samson, précité, dans laquelle elle conclut que la pratique passée des superviseurs des élections relativement à la fermeture des bureaux de scrutin était hors de propos, puisque la Loi électorale n’admet qu’une seule interprétation rationnelle.

 

[60]           À mon avis, après avoir pris en considération : 1) la seule interprétation rationnelle de l’article 58 et la conclusion de la Cour d’appel fédérale à ce sujet; 2) le fait que la coutume de la Nation crie de Samson concernant le dépôt des bulletins de vote ne soit pas codifiée dans la Loi électorale; et 3) le fait que les pratiques passées des superviseurs des élections relativement à la fermeture des bureaux de scrutin ne soient pas pertinentes, j’estime que le contrôle judiciaire doit être accueilli pour ce motif. La décision de la CAE est annulée.  

 

[61]           La deuxième question

            La CAE a-t-elle commis une erreur dans son nouvel examen en confirmant la décision prise quant à la plainte de M. Soosay?

            La Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit relativement à la plainte de M. Soosay, aux paragraphes 23 à 25 de l’arrêt Nation crie de Samson, précité :

Cependant, je suis convaincu que le juge n’aurait pas dû ensuite se demander si M. Northwest était qualifié pour se porter candidat et, plus particulièrement, s’il avait obtenu un pardon avant la date de sa mise en candidature. Selon moi, après avoir dit qu’il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle, le juge ne pouvait pas se substituer à la Commission et statuer sur le bien‑fondé de la plainte. L’article 86 de la Loi électorale dit clairement qu’il appartient à la Commission « de statuer sur la validité de la plainte ». Selon moi, le juge devait annuler la décision de la Commission et lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, accompagnée des directives qu’il jugeait nécessaires dans les circonstances.

 

J’ajouterais qu’il paraît à tout le moins légitime de se demander si un pardon peut être invoqué par un candidat qui a été déclaré coupable d’un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la Loi électorale. Il paraît également légitime de se demander si le pardon en cause a été obtenu à la faveur d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la bande reconnu à cette fin par le chef et le conseil de la bande.

 

Je ne veux pas donner ici à entendre que les appelants devraient obtenir gain de cause sur ces points. Je voudrais simplement faire observer que, au vu de la preuve telle qu’elle est aujourd’hui, la solution des points soulevés par les appelants n’est pas réglée d’avance. Il appartiendra à la Commission de statuer d’après la preuve qu’on lui soumettra.

 

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[62]           Quand la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire devant la CAE, cette dernière devait encore déterminer si M. Northwest était disqualifié en vertu de l’article 4 de la Loi électorale, lequel est rédigé ainsi :

[traduction]

4.  Un membre de la Nation crie de Samson n’est pas admissible à la charge de chef ou de membre du conseil de la Nation crie de Samson :

 

a) s’il a été déclaré coupable d’un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la présente disposition;

 

b) si son casier judiciaire fait état d’un acte criminel à la date d’entrée en vigueur de la présente disposition :

 

(i) à moins que ce membre n’ait obtenu un pardon au cours d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la Nation crie de Samson qui a été reconnu à cette fin par le chef et le conseil; ou

 

(ii) à moins que ce membre n’ait obtenu un pardon en vertu du système juridique.

 

[63]           Dans sa deuxième décision, la CAE a confirmé sa décision précédente et a jugé que la plainte de M. Soosay était valide, c’est‑à‑dire que M. Northwest n’avait pas le droit de devenir membre du conseil parce qu’il avait un casier judiciaire faisant état d’un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la disposition, soit le 8 mars 1993.

 

[64]           Une partie de la décision de la CAE est rédigée ainsi :

[traduction]

De son propre aveu, M. Northwest était un conseiller en poste lorsque la Loi électorale est entrée en vigueur en 1993. […] Il faut donc présumer qu’il avait conscience que des actes criminels commis en 1998 l’empêcheraient à l’avenir de participer à des élections du conseil. L’affirmation de M. Northwest selon laquelle il ne comprenait pas comment s’appliquait l’article 4 n’est pas crédible.

 

[…]

 

Ce n’est pas la moralité de M. Northwest qui est en litige. Il ne s’agit pas de savoir s’il est une bonne ou une mauvaise personne, quelle peine il a purgée et dans quelles circonstances ou institutions. Il s’agit de savoir s’il répond aux exigences de l’article 3 et s’il est disqualifié en vertu de l’alinéa 4a). Une cérémonie de réhabilitation ayant eu lieu après mars 1993 ne peut être considérée comme respectant les règles, lesquelles M. Northwest connaissait pleinement étant donné sa position particulière de membre du conseil en poste en 1993 […] 

 

La CAE estime n’avoir besoin d’aucune aide externe pour interpréter le sens de l’article 4 et la façon de l’appliquer. La CAE ne fera pas subir de contorsions au sens clair de l’article 4 en faisant référence à des lois externes pour juger de l’intention des membres de la Nation crie de Samson. Les rédacteurs et les membres avaient l’intention d’établir des normes pour le leadership. La norme a été clairement établie et expressément énoncée aux articles 3 et 4. Il revient aux membres de la Nation crie de Samson de décider de changer cette norme.

 

La CAE conclut qu’il n’y a pas de contradiction entre l’article 3 et l’article 4 de la Loi électorale. L’article 3 énonce les conditions d’admissibilité de base pour les candidats. L’article 4 disqualifie les candidats qui satisfont à l’article 3 mais ne satisfont pas aux conditions relatives aux antécédents criminels. Les deux articles vont de pair et doivent être interprétés comme une enquête en deux temps sur les antécédents des candidats.

 

[65]           Afin d’établir le sens à donner à l’article 4, j’appliquerai à cet article le principe d’interprétation des lois du « sens ordinaire », établi dans l’arrêt Rizzo, précité. À mon avis, il est clair que l’alinéa 4a) signifie qu’un membre de la bande de Samson qui commet un acte criminel après la date d’entrée en vigueur de la Loi électorale ne peut devenir ou demeurer chef ou membre du conseil. L’alinéa 4b) prévoit clairement qu’un membre de la bande de Samson ne peut devenir ou demeurer chef ou membre du conseil s’il avait un casier judiciaire à la date d’entrée en vigueur de la Loi électorale (le 8 mars 1993) à moins que cette personne n’ait été réhabilitée au moyen d’une cérémonie culturelle et traditionnelle crie menée par un aîné de la Nation crie de Samson reconnu comme apte à le faire par le chef ou le conseil ou à moins que la personne n’ait été réhabilitée par le système juridique. 

 

[66]           Je conviendrais avec les défendeurs que d’interpréter les alinéas 4a) et 4c) comme comprenant l’exception prévue à l’alinéa 4b) rendrait l’article 4 illogique. Le libellé de l’article 4 de la Loi électorale établit clairement que les individus déclarés coupables d’un acte criminel avant l’entrée en vigueur de la Loi électorale bénéficient d’un « droit acquis » leur permettant d’être réhabilités et de se présenter aux élections; cependant, cette possibilité ne serait pas offerte aux individus déclarés coupables d’un tel acte après le 8 mars 1993.

 

[67]           En l’espèce, la CAE a pris note que M. Northwest a été déclaré coupable de deux actes criminels en 1998. La CAE a jugé que sa candidature aux élections n’était pas admissible, en vertu de l’alinéa 4a) de la Loi électorale, puisqu’il avait été déclaré coupable d’actes criminels après le 8 mars 1993. À mon avis, il s’agit d’une interprétation correcte de la Loi électorale, compte tenu du sens ordinaire du libellé de la disposition. Je n’accueillerais pas la présente demande de contrôle judiciaire pour ce motif. Je ne suis pas non plus convaincu que l’alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire doit être jugé comme faisant partie de l’alinéa 4a) de la Loi électorale ou qu’il faille l’y ajouter.

 

[68]           Les demandeurs soutiennent que l’interprétation qu’a donnée la CAE à l’alinéa 4a) de la Loi électorale contrevenait à l’article 15 de la Charte parce qu’elle était source de discrimination envers les personnes ayant commis un acte criminel après le 8 mars 1993 mais ayant été réhabilitées. Comme c’était le cas dans leurs observations écrites, les demandeurs ne se sont pas beaucoup étendus sur cette question dans leurs arguments oraux et dans le contexte factuel, de sorte que je ne me pencherai pas sur cet argument. Les observations écrites et orales des défendeurs étaient semblables.

 

[69]           La troisième question

            La CAE avait‑elle compétence pour ordonner à la superviseure des élections, lors de toute élection à venir, de consulter le président de la CAE relativement à la fermeture des bureaux de scrutin?

            Dans sa décision, la CAE a donné la directive suivante à la superviseure des élections :

[traduction]

L’expérience qu’avait la superviseure des élections avec la procédure électorale prévue à la Loi sur les Indiens peut l’avoir incitée à adopter une certaine solution au problème des 300 électeurs attendant pour voter à 18 h. Cependant, la Nation crie de Samson n’est pas régie par la procédure prévue à la Loi sur les Indiens. À l’avenir, la superviseure des élections demandera conseils et directives quant à la coutume et aux traditions relatives à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin au président de la Commission des appels en matière électorale de la Nation crie de Samson avant l’échéance de 18 h.

 

[70]           Les demandeurs soutiennent que, en vertu de la Loi électorale, la CAE n’avait pas compétence pour superviser l’exercice que fait le superviseur des élections de son pouvoir discrétionnaire lors d’élections, notamment exiger qu’il consulte le président de la CAE relativement à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin. Les défendeurs prétendent que la directive donnée par la CAE relativement à la procédure de fermeture des bureaux de scrutin n’outrepassait pas la compétence que lui conférait l’article 88 de la Loi électorale.

 

[71]           Les fonctions du superviseur des élections sont énoncées à l’article 16 de la Loi électorale :

[traduction]

16.  Le superviseur des élections est reconnu comme la personne autorisée à veiller à l’entière administration et au processus de l’élection. Il s’acquitte notamment des responsabilités suivantes :

 

a) planifier et préparer l’élection;

 

b) assigner des tâches et donner des directives à ses assistants;

 

c) assurer une surveillance, présenter des rapports d’avancement et rester en contact au besoin avec le conseil de la Nation crie de Samson et les membres intéressés de la Nation crie de Samson;

 

d) obtenir les renseignements et documents requis de l’administration tribale de la Nation crie de Samson;

 

e) dresser une liste des électeurs de Samson et d’autres listes pour les afficher comme il se doit;

 

f) connaître toutes les dispositions de la Loi électorale.

 

[72]           L’article 88 de la Loi électorale est rédigé ainsi :

[traduction]

88.  Si la tenue d’une nouvelle élection est ordonnée, l’élection aura lieu d’une manière conforme aux usages mentionnés dans la présente loi, sous réserve cependant des autres exigences, conditions ou directives que pourra imposer la Commission afin d’éviter une répétition du manquement reproché. 

 

[73]           J’ai conclu que la CAE a commis une erreur en concluant que l’article 58 de la Loi électorale avait été violé quand les électeurs inscrits ont voté après 18 h. Compte tenu de ma conclusion à cet égard, je ne crois pas que la CAE avait compétence pour ordonner à la superviseure des élections de consulter le président de la CAE relativement aux questions de fermeture des bureaux de scrutin.

 

[74]           L’article 58 de la Loi électorale n’a pas été violé et une nouvelle élection ne pouvait avoir lieu pour cette raison; par conséquent, je ne crois pas que la CAE avait le pouvoir de donner une telle directive à la superviseure des élections, puisque, selon les faits en l’espèce, la directive n’a pas été imposée pour éviter une répétition de la violation.

 

[75]           La quatrième question

            La CAE avait-elle compétence pour suspendre de leurs fonctions des conseillers déclarés élus?

            Dans sa décision, la CAE a affirmé ce qui suit en suspendant les conseillers élus de leurs fonctions :

[traduction]

Les conseillers en poste sont suspendus de leurs fonctions respectives de conseiller sur‑le‑champ et doivent quitter leur bureau dès le jeudi 3 octobre 2006 à 16 h 30 en attendant les nouvelles élections.

 

[76]           Les demandeurs soutiennent que la CAE n’avait pas le pouvoir, en vertu de la Loi électorale, de suspendre un conseiller en poste qui avait été déclaré élu, même quand de nouvelles élections doivent avoir lieu. Les défendeurs soutiennent que la CAE n’a pas outrepassé le pouvoir que lui conférait l’article 88 de la Loi électorale en choisissant de suspendre les conseillers élus en attendant les nouvelles élections.

[77]           La Loi électorale ne précise pas si les conseillers élus doivent être suspendus de leur poste en attendant de nouvelles élections. L’article 88 énonce que, lorsque la tenue de nouvelles élections est ordonnée, celles‑ci doivent avoir lieu d’une manière conforme aux usages décrits dans la Loi électorale, sous réserve des autres directives que peut imposer la Commission afin d’éviter une répétition du manquement faisant l’objet de la plainte. Bien que le pouvoir prévu à l’article 88 soit large, il n’est pas absolu dans la mesure où la CAE doit agir [traduction] « afin d’éviter une répétition du manquement reproché ». Ne pas tenir compte de cette exigence équivaudrait à vider de leur sens les termes de cette disposition. À mon avis, la CAE n’a pas agi en l’espèce dans le but d’éviter une répétition du manquement faisant l’objet de la plainte. 

 

[78]           En outre, je ne souscris pas à l’argument des défendeurs selon lequel les actions de la CAE étaient conformes à l’article 10 de la Loi électorale. L’article 10 donne aux employés l’occasion de prendre un congé sans solde afin de faciliter leur participation pleine et entière à toutes les élections. Si je comprends bien cette disposition, bien que l’employé ne puisse se voir refuser un congé sans solde, il lui revient de l’accepter ou non. Par conséquent, suspendre les conseillers, comme l’a fait la CAE, ne respecte pas cette disposition.

 

[79]           Par conséquent, j’accueillerais le contrôle judiciaire pour ce qui est de la plainte de M. Bruno.

 

 


 

JUGEMENT

 

[80]           LA COUR STATUE que :

            1.         La décision de la CAE relativement à la plainte de M. Bruno est annulée.

            2.         La décision de la CAE relativement à la plainte de M. Soosay est maintenue.

            3.         La CAE n’avait pas compétence pour ordonner que la superviseure des élections, pour les élections à venir, consulte le président de la CAE quant à la fermeture des bureaux de scrutin.

            4.         La CAE n’avait pas, selon les faits en l’espèce, compétence pour suspendre de leur poste les conseillers déclarés élus.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross

 

 


ANNEXE

 

Les dispositions pertinentes

 

Les dispositions pertinentes sont présentées dans la présente annexe.

 

La Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47 :

 

5. La réhabilitation a les effets suivants:

 

a) d’une part, elle sert de preuve des faits suivants:

 

(i) dans le cas d’une réhabilitation octroyée pour une infraction visée à l’alinéa 4a), la Commission, après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s’est bien conduit,

 

(ii) dans le cas de toute réhabilitation, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur;

 

 

b) d’autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle entraîne le classement du dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaires et fait cesser toute incapacité ou obligation — autre que celles imposées au titre des articles 109, 110, 161, 259, 490.012 ou 490.019 du Code criminel ou du paragraphe 147.1(1) de la Loi sur la défense nationale — que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements.

 

5. The pardon

 

 

(a) is evidence of the fact

 

 

(i) that, in the case of a pardon for an offence referred to in paragraph 4(a), the Board, after making inquiries, was satisfied that the applicant for the pardon was of good conduct, and

 

 

(ii) that, in the case of any pardon, the conviction in respect of which the pardon is granted or issued should no longer reflect adversely on the applicant’s character; and

 

(b) unless the pardon is subsequently revoked or ceases to have effect, requires the judicial record of the conviction to be kept separate and apart from other criminal records and removes any disqualification or obligation to which the person so convicted is, by reason of the conviction, subject by virtue of the provisions of any Act of Parliament, other than section 109, 110, 161, 259, 490.012 or 490.019 of the Criminal Code or subsection 147.1(1) of the National Defence Act, or of a regulation made under an Act of Parliament.

 

La Loi électorale de la Nation crie de Samson, 8 mars 1993, révisée le 27 septembre 2004 (voir le dossier des défendeurs, vol. 1, pages 63 à 79) :

                        [traduction]

ÉLIGIBILITÉ À UNE CHARGE :

 

3.  Sous réserve de l'article 4, toute personne :

 

a) qui est âgée de vingt et un (21) ans révolu;

 

b) dont le nom apparaît sur la liste des électeurs de Samson, dressée par la Nation crie de Samson; et

 

c) qui a résidé ordinairement dans la Réserve de Samson ou du lac Pigeon durant une période d'au moins six (6) mois immédiatement avant une élection; et/ou qui réside ordinairement dans un rayon de 100 km des limites des réserves numéros 137, 138 et 138(A);

 

est éligible à la charge de chef ou de membre du conseil durant ladite élection.

 

DISQUALIFICATION

 

4. Un membre de la Nation crie de Samson n'est pas admissible à la charge de chef ou de membre du conseil de la Nation crie de Samson :

 

a) s'il a été déclaré coupable d'un acte criminel après la date d'entrée en vigueur de la présente disposition;

 

b) si son casier judiciaire fait état d'un acte criminel à la date d'entrée en vigueur de la présente disposition :

 

(i) à moins que ce membre n'ait obtenu un pardon au cours d'une cérémonie culturelle et traditionnelle crie conduite par un ancien de la Nation crie de Samson qui a été reconnu à cette fin par le chef et le conseil; ou

 

(ii) à moins que ce membre n'ait obtenu un pardon en vertu du système juridique;

c) si, à l'occasion d'une élection, il s'est rendu coupable de corruption, d'acceptation ou de versement de pots-de-vin, de malhonnêteté ou autre conduite condamnable.

 

EMPLOYÉ DE LA NATION CRIE DE SAMSON

 

10.  Afin de faciliter sa participation pleine et entière aux élections, tout employé nommé candidat à des élections, s’il accepte cette nomination, recevra un congé sans solde jusqu’à ce que soit connu le résultat définitif de ces élections.

 

OBLIGATIONS DU SUPERVISEUR DES ÉLECTIONS ET DE SES ADJOINTS

 

16.  Le superviseur des élections est reconnu comme la personne autorisée à veiller à l'entière administration et au processus de l'élection. Il s'acquitte notamment des responsabilités suivantes :

 

a)         planifier et préparer l'élection;

 

b)         assigner des tâches et donner des directives à ses assistants;

 

c)         assurer une surveillance, présenter des rapports d'avancement et rester en contact au besoin avec le conseil de la Nation crie de Samson et les membres intéressés de la Nation crie de Samson;

 

d)         obtenir les renseignements et documents requis de l'administration tribale de la Nation crie de Samson;

 

e)         dresser une liste des électeurs de Samson et d'autres listes pour les afficher comme il se doit;

 

f)          connaître toutes les dispositions de la Loi électorale.

 

PRÉPARATION POUR LES ÉLECTIONS :

 

41.     En outre, sera affiché à la vue du public, dans tous les bureaux de scrutin, et dans chaque isoloir destiné aux anciens, un bulletin portant la photographie et le nom, en ordre alphabétique, de tous les candidats.

 

[…]

 

 

 

LES BUREAUX DE SCRUTIN :

 

[…]

 

51.     Le superviseur des élections veillera à ce que les directives dont il est question aux articles 49 et 50 soient clairement affichées dans chaque isoloir et dans tous les autres lieux publics devant servir au scrutin.

 

52.     Le superviseur des élections ou son adjoint doit, en la présence de la personne qui lui a remis son bulletin, déposer le bulletin dans une urne.

 

[…]

 

CONGÉ POUR LES EMPLOYÉS DE LA NATION CRIE DE SAMSON

 

[…]

 

58.    Tous les bureaux de scrutin ouvrent à 9 heures et ferment à 18 heures.

 

59.     Immédiatement après la clôture du scrutin, le superviseur des élections doit, en la présence des candidats présents ou de leurs mandataires, ouvrir l'urne ou les urnes, examiner les bulletins et :

 

a) rejeter les bulletins qui ne sont pas paraphés par le surveillant électoral ou par son adjoint;

 

b) rejeter tout bulletin qui, de l'avis du surveillant électoral, n'est pas clairement marqué; et

 

c) rejeter ou accepter, à son gré, tout bulletin qui est marqué selon l'article 53.

 

[…]

 

DÉPÔT D'UN APPEL

 

[…]

 

87.  La Commission d'appel de Samson en matière électorale pourra :

 

[…]

c) déclarer que la plainte est valide et ordonner qu'une nouvelle élection ait lieu dans un délai de deux (2) semaines après la décision de la Commission.

 

88.  Si la tenue d'une nouvelle élection est ordonnée, l'élection aura lieu d'une manière conforme aux usages mentionnés dans la présente loi, sous réserve cependant des autres exigences, conditions ou directives que pourra imposer la Commission afin d'éviter une répétition du manquement reproché. 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1769-06

 

INTITULÉ :                                                   Le CHEF VICTOR BUFFALO, pour son propre compte et pour le compte de la BANDE INDIENNE DE SAMSON également appelée NATION CRIE DE SAMSON, et la BANDE  INDIENNE DE SAMSON également appelée NATION CRIE DE SAMSON

                                                                        c.

                                                                        DARRELL REGAN BRUNO, DARWIN SOOSAY et LARRON NORTHWEST

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 3 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 JANVIER 2008

 

COMPARUTIONS :

 

David C. Rolf

 

POUR LES DEMANDEURS

Conan Taylor et

Shawn Beaver

 

W. Scott Schlosser, c.r.

POUR LES DÉFENDEURS

Darrell Regan Bruno et Darwin Soosay

 

POUR LE DÉFENDEUR

Larron Northwest

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Parlee McLaws LLP

Edmonton (Alberta)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Taylor Beaver LLP

Edmonton (Alberta)

 

Schlosser Cook

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

Darrell Regan Bruno et Darwin Soosay

 

POUR LE DÉFENDEUR

Larron Northwest

 

 

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