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Date : 20080229

Dossier : IMM-2081-07

Référence : 2008 CF 270

Ottawa (Ontario), le 29 février 2008

En présence de Monsieur le juge Orville Frenette

 

 

ENTRE :

ALVARO ANTONIO OROZCO HURTADO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Orozco (le demandeur) présente en l'espèce, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 30 avril 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle la Commission rejetait la demande de réouverture de sa demande d'asile.


 

I. Le contexte

            M. Orozco

[2]               M. Orozco est né au Nicaragua le 3 juillet 1985. Il a grandi dans une famille où régnait la violence et où il était régulièrement battu par son père alcoolique. Vers l'âge de 13 ans, il s'est enfui de la maison et il a voyagé au Honduras, au Guatemala et au Mexique pour se rendre aux États‑Unis. M. Orozco a voyagé à pied et en faisant de l'autostop et il a généralement compté sur l'amabilité et l'hospitalité de groupes confessionnels des localités qu'il a traversées. De temps en temps, il se trouvait divers emplois et, à une occasion, alors qu'il tentait de traverser la frontière pour se rendre au Mexique, il a dû convaincre un agent de la patrouille frontalière qu'il était un enfant de la rue guatémaltèque afin d'éviter d'être placé en détention ou d'être renvoyé dans son pays.

 

[3]               À l'âge de 14 ans, M. Orozco a traversé le Rio Grande à la nage, à partir du Mexique, pour entrer aux États-Unis. Les autorités américaines l'ont intercepté et l'ont envoyé dans un centre de détention de l'immigration à Houston, au Texas. Il soutient qu'il s'est présenté à la Cour quelques fois sans représentation juridique et que ses parents-substituts à l'époque l'ont finalement convaincu de retirer sa demande d'asile et de signer une déclaration selon laquelle il avait l'intention de quitter le pays de bon gré. Comme il avait peur d'être renvoyé dans son pays, il s'est échappé du centre de détention et il s'est enfui, d'abord à Dallas, puis à Miami, où il a habité et travaillé illégalement pendant quelques années avant d'entrer au Canada. M. Orozco a présenté une demande d'asile au Canada le 19 janvier 2005.

[4]               Par souci de clarté, pour désigner le décideur qui a rejeté la demande d'asile de M. Orozco, j'utiliserai les termes « le tribunal » ou « le membre du tribunal » et, pour désigner le décideur qui a rejeté la demande de réouverture, j'utiliserai les termes « la Commission » ou « la commissaire ».

 

La décision défavorable du tribunal

[5]               La première demande d'asile de M. Orozco était fondée sur son allégation selon laquelle il est homosexuel et craint d'être persécuté par son père et par d'autres Nicaraguayens homophobes.

 

[6]               Une audience a eu lieu par vidéoconférence entre Calgary et Toronto le 6 octobre 2005. M. Orozco était représenté par l'avocat Michael Brosdky, qui a aussi aidé M. Orozco à remplir et à modifier son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Même si M. Orozco parle et comprend l'anglais, il a préféré communiquer en espagnol et il a eu accès aux services d'un interprète.

 

[7]               Dans une décision qu'il a rendue le 11 octobre 2005, le tribunal a conclu que M. Orozco n'était pas un réfugié au sens de la Convention, qu'il n'avait pas la qualité de personne à protéger et que sa demande n'avait pas de fondement crédible. Le tribunal a conclu qu'il ne disposait pas d'une preuve crédible et digne de foi suffisante pour établir que M. Orozco est réellement homosexuel, ou qu'il éprouvait une crainte d'être persécuté au Nicaragua aujourd'hui fondée sur l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[8]               Compte tenu de ce qu’a vécu M. Orozco et du chemin qu'il a pris pour venir au Canada, le membre du tribunal a conclu qu'il était avisé, qu'il avait de l'expérience de la rue et qu'il était une personne débrouillarde et conciliante. Enfin, le tribunal a conclu que M. Orozco avait quitté le Nicaragua pour s'assurer une meilleure vie ailleurs et qu'il s'était inventé une orientation sexuelle afin d'appuyer sa demande d'asile au Canada, qui autrement aurait été sans fondement. Le membre du tribunal a ajouté que, compte tenu de l'âge de M. Orozco (qui avait vingt ans au moment de l'audience), s'il retournait au Nicaragua, il serait capable de se trouver un endroit loin de son père où habiter et il pourrait se bâtir une vie sans craindre d'être persécuté.

 

[9]               La Cour a examiné la demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal sans comparution des parties et, le 14 février 2006 à Ottawa, le juge de Montigny a rejeté cette demande (Alvaro Antonio Orozco Hurtado c. MCI, IMM-6561-05).

 

Le rapport psychologique

[10]           En décembre 2006 et de nouveau en janvier 2007, M. Orozco a consulté un psychiatre à la Shout Clinic à Toronto, un organisme de bienfaisance qui fournit des soins de santé aux sans-abris et aux enfants de la rue à Toronto. D'après une lettre préparée par Mme Marcia Zemans, qui comprenait censément un rapport psychiatrique, les employés du service médical de la Shout Clinic ont recommandé que M. Orozco consulte un psychiatre parce que ses niveaux d'anxiété et de dépression les inquiétaient. On ne m'a présenté aucune preuve qui précise à quel moment M. Orozco s'est rendu à la Shout Clinic pour la première fois, mais il soutient qu'il a commencé la thérapie à l'hiver 2006. Je peux seulement conclure que M. Orozco a participé à au moins deux séances de consultation avec Mme Zemans.

 

[11]           Dans son rapport, Mme Zemans a mentionné que M. Orozco montrait des [traduction] « symptômes du syndrome de stress post-traumatique de type chronique et de troubles de stress aigu co-morbide »; ce traumatisme découlait de ses expériences au Nicaragua et avait été aggravé pendant des années alors qu'il vivait dans la terreur des autorités et qu'il craignait que son orientation sexuelle ne soit découverte. Elle a déclaré que, lorsque M. Orozco répond à une entrevue en anglais, il devient nerveux, il peut bégayer et il se peut qu'il ne s'exprime pas clairement. Elle a recommandé que la personne posant les questions à M. Orozco soit avisée que sa peur intense de l'autorité nuirait à sa capacité de présenter des renseignements clairement et qu'il est possible qu'il ne comprenne pas entièrement la nature et la portée des questions posées en anglais. Il est aussi possible qu'il soit incapable de se concentrer, qu'il s'éloigne du sujet et qu'il semble distrait ou qu'il ait de la difficulté à se souvenir de certains renseignements ou à les formuler de façon intelligible. Finalement, Mme Zeman était d'avis que M. Orozco [traduction] « devrait être interrogé dans un lieu familier et [qu']une personne de son choix devrait être présente pour le soutenir ». Même si M. Orozco a plus de 18 ans, Mme Zemans a soutenu qu'il [traduction] « lui serait bénéfique d'avoir un représentant désigné pour toute procédure officielle ».

 

[12]           Le rapport psychologique avait été préparé pour un examen des risques avant renvoi (ERAR) et faisait partie du dossier présenté à la commissaire De Rousseau; sa décision fait l'objet du présent contrôle judiciaire. Une première demande d'ERAR a été rejetée et l'autorisation de contrôle judiciaire a été refusée. Le demandeur a présenté une deuxième demande d'ERAR.

 

II. La décision faisant l'objet du présent contrôle judiciaire

[13]           Dans une lettre qu'il a envoyée à la Commission le 8 février 2007, M. Orozco a présenté une demande de réouverture de sa demande d'asile en vertu des paragraphes 55(1) et 55(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles). Il a insisté pour que la demande soit examinée le plus rapidement possible parce que son renvoi du Canada était prévu pour le 13 février 2007.

 

            Motifs allégués justifiant la réouverture

[14]           La commissaire a relevé les trois motifs suivants dans la demande de réouverture de la demande d'asile de M. Orozco : 1) l'interprète espagnol qui a participé à l'audience avait un accent du Chili que M. Orozco a eu de la difficulté à comprendre; 2) M. Orozco aurait dû être reconnu comme étant une personne vulnérable et, en n'effectuant pas un [traduction] « examen de ses vulnérabilités avant l’audience ou au début de celle-ci », le tribunal a manqué aux principes de justice naturelle, ce qui justifie la réouverture de la demande; 3) l'ancien avocat de M. Orozco a commis une erreur ou a fait preuve de négligence parce qu'il a omis de demander que la procédure tienne compte des vulnérabilités de son client et parce qu'il n'a pas fourni d'évaluation psychologique au tribunal.

 

[15]           Autrement dit, la question que devait trancher la commissaire était de savoir si M. Orozco avait eu droit à une audience équitable. La commissaire a interprété et appliqué les Règles et les Directives no 8 de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (les Directives) et elle a conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle dans le cadre de sa première demande. Par conséquent, la demande de réouverture a été rejetée.

 

Les conclusions de la commissaire

(1) Problèmes avec l'interprète

[16]           La commissaire s'est fondée sur l'affaire Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (1re inst.), et a conclu que, si le demandeur ne soulève pas d'objection au sujet de l'interprétation lors de l'audience, il renonce à son droit de soulever une objection plus tard pour soutenir une demande de réouverture. De plus, la commissaire a conclu que rien dans le dossier ne portait à croire qu'il y avait eu un problème d'interprétation ou que le demandeur n'avait pas compris l'interprète ou les questions qu'on lui posait. Comme le demandeur n'a présenté aucune autre observation à ce sujet, il n'est pas nécessaire de l'examiner plus en profondeur et, de toute façon, je suis d'accord avec la commissaire sur cette question.

 

2) Qualification du demandeur à titre de « personne vulnérable » avant l'audition de la demande

[17]           Pour les motifs suivants, la commissaire a conclu que le dossier et les preuves subséquentes ne faisaient état d'aucune lacune dans la procédure et d'aucun manquement à la justice naturelle.

 

[18]           La commissaire a noté qu'il n'y avait eu aucune demande d'accommodement entre le moment où M. Orozco a présenté son FRP et le début de l'audience, qui a eu lieu huit mois plus tard. De plus, le seul point soulevé dans la demande semble être que le demandeur n'était pas à l’aise avec l'utilisation de la vidéoconférence. Cependant, le demandeur et son avocat n'ont jamais soulevé d'objection avant ou pendant l'audience initiale. À la lecture du rapport de Mme Zemans, la commissaire a noté que le rapport précisait que le demandeur pourrait être stressé s'il devait répondre à une entrevue en anglais, ce qui n'était pas le cas lors de l'audience. La commissaire a aussi conclu que rien ne donnait à penser que M. Orozco avait été incapable de s'exprimer à l'audience. Après un examen minutieux de la transcription de l'audience initiale, la commissaire a conclu que M. Orozco n'avait fait preuve d'aucune difficulté lorsqu'il s'expliquait ou qu'il s'exprimait; il a répondu clairement et complètement aux questions qu'on lui posait et il a demandé des précisions lorsque c'était nécessaire. À la fin de l'interrogatoire, lorsqu'on l'a invité à ajouter quelque chose, M. Orozco a fait une déclaration éloquente au sujet de son espoir d'avoir une nouvelle vie au Canada. Finalement, le demandeur n'a mentionné aucune autre mesure d'accommodement qui aurait pu être prise dans les circonstances. Par conséquent, la commissaire a conclu que le dossier et les preuves subséquentes ne permettaient pas de conclure qu'il y avait eu manquement à la justice naturelle envers le demandeur.

 

[19]           La commissaire a examiné la demande de M. Orozco en fonction des Directives, bien qu'elle ait conclu qu'elles n'étaient pas très utiles et qu'elles n'étaient guère applicables à M. Orozco. Elle a noté que les Directives sont entrées en vigueur en 2006 et que, par conséquent, il n'existait aucune procédure formelle d'identification des personnes vulnérables au moment où l'audience initiale de M. Orozco a eu lieu. Néanmoins, la commissaire a noté qu'avant la publication des Directives, la Commission s'acquittait de son obligation de respecter les principes de la justice naturelle et adaptait la procédure au besoin, au cas par cas. Quoi qu'il en soit, la commissaire a conclu que rien n’indiquait [traduction] « que le demandeur était une personne dont la capacité de présenter son cas devant la CISR est grandement diminuée, au sens de la définition de personne vulnérable du paragraphe 2.1 des Directives ». Une fois de plus, la commissaire n'a rien trouvé qui laissait penser que le demandeur était incapable de s'exprimer, et le demandeur n'a jamais précisé quelles autres mesures d'accommodement auraient pu être prises pour surmonter les difficultés alléguées.

 

 3) Négligence de l'avocat

[20]           Dans les observations écrites qu'il a présentées à la Commission, le demandeur s'est fondé sur le principe que, si l'exclusion de la preuve « [a] été encourue uniquement à cause de l'erreur et/ou de la négligence d'un procureur, il n'incombe pas au justiciable qui a agi avec diligence de supporter les conséquences de semblables erreur ou négligence » (Mathon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 707 (QL)). La commissaire conclu à partir de ces observations que le demandeur semblait alléguer, sans clairement le déclarer, que son avocat précédent avait négligé de présenter une demande avant l'audience pour que soient prises des mesures d'accommodement, que M. Orozco n'a pas précisées, ou de présenter une évaluation psychologique avant l'audience.

 

[21]           La commissaire a noté que l'avocat précédent de M. Orozco, Michael Brodzky, est un avocat qui a une très grande expérience en ce qui a trait à la Commission et aux demandes d'asile. Elle a ajouté que le demandeur ne précisait pas ce que M. Brodzky aurait pu ou aurait dû faire.

 

[22]           Lorsqu'elle a tiré sa conclusion, la commissaire a mentionné l'affaire Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 555 (QL), dans laquelle le juge Pelletier a déclaré que les accusations de négligence ou d'incompétence contre un avocat ne doivent pas être prises à la légère et ne seront pas admises sans une explication par celui-ci des agissements en question ou sans la preuve que l'affaire a été soumise à l'ordre des avocats pour enquête. La commissaire a conclu qu'il n'y avait aucune preuve démontrant que M. Brodzky avait manqué à ses obligations d'une quelconque manière et qu'il n'était pas négligent de la part d'un avocat de conclure qu'une demande d'accommodement ou une évaluation psychologique n'étaient pas nécessaires.

 

III. La question en litige

[23]           La seule question en litige importante en l'espèce est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans sa manière d'interpréter et d'appliquer l'article 55 des Règles en rejetant la demande de réouverture de la demande d'asile de M. Orozco. Le demandeur doit démontrer que la commissaire a commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas eu manquement aux principes de justice naturelle dans la décision défavorable rendue au sujet de la première demande d'asile.

 

IV. La norme de contrôle

[24]           Dans les affaires portant sur le refus de la Commission de rouvrir une décision défavorable rendue au sujet d'une demande d'asile, la Cour a conclu que la décision raisonnable simpliciter était la norme de contrôle applicable. À ce sujet, je me fonde sur la décision de la juge Elizabeth Heneghan dans Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 2097 (QL), au paragraphe 24, et en particulier sur l'analyse approfondie du juge François J. Lemieux dans Masood c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1480 (QL), aux paragraphes 7 à 15). Dans cette décision, le juge Lemieux a tiré sa conclusion en faisant une analogie avec la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission dans lesquelles il est conclu qu'une demande est abandonnée (voir Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.) et Mangat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1301 (1re inst.)). En l'espèce, la nature de la décision de la Commission a des répercussions importantes sur le demandeur et doit faire l'objet d'un examen approfondi.

 

[25]           La question que devait trancher la commissaire était de savoir si le tribunal précédent n'avait pas observé un principe de justice naturelle. À première vue, une telle question semble en être une de droit, parce qu'elle porte sur l'équité de l'audience, et semble favoriser l'application d'une norme de contrôle qui commande une moins grande déférence. Cependant, compte tenu de l'expertise relative des commissaires, de leurs connaissances des adaptations à la procédure dont peuvent bénéficier les demandeurs, du mandat de la CISR lui conférant l’obligation d’élaborer et de mettre en œuvre ses propres procédures, et du fait que la question dont la commissaire était saisie demande l'interprétation et l'application d'une loi aux faits (une question mixte de faits et de droit), je conclus aussi que la décision raisonnable simpliciter est la norme de contrôle appropriée dans l'examen d'un refus de rouvrir une demande d'asile.

 

[26]           Aux fins de l’application de cette norme, ma propre conclusion au sujet de la question dont la Commission était saisie n'est pas pertinente (Canada (Direction des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 80), et je dois m'attacher à l'examen du caractère raisonnable de la décision ou de l'ordonnance, non à la question de savoir si celle‑ci s'écarte de manière acceptable d'un résultat préférable (Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672, au paragraphe 50). Cette tâche est assez difficile en l'espèce parce que je ne dois pas tenir compte de ce que je pourrais qualifier de résultat préférable dans deux décisions, la première décision défavorable du tribunal et la décision ultérieure de la Commission, qui est la seule décision à examiner en l'espèce. Je ne peux accueillir la présente demande de contrôle judiciaire que si je conclus que la décision de la Commission ne résiste pas à un examen assez poussé. Autrement dit, je dois rejeter la demande si je conclus que la commissaire a énoncé dans ses motifs un mode d'analyse qui pouvait raisonnablement l'amener, au vu de la preuve, à conclure comme elle l'a fait (voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 (QL), au paragraphe 55).

 

V. Analyse

Les Règles

[27]           Selon l'article 55 des Règles, un demandeur peut présenter une demande de réouverture d'une demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision et la demande doit être accueillie sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle :

55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

 

[28]           Comme la commissaire l'a mentionné, la compétence de la Commission en matière de réouverture d'une demande d'asile a été clarifiée et réaffirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] A.C.F. no 179 (C.A.F.) (QL), conf. par [2005] A.C.F. no 2097, autorisation de pourvoi refusée [2007] C.S.C.R. no 196 :

[82] La Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel, bien que l’article 55 des Règles oblige expressément la Section à rouvrir sa décision pour manquement à un principe de justice naturelle, il n’empêche pas la Section de rouvrir ses décisions pour d’autres motifs, y compris l’existence de nouveaux éléments de preuve, étant donné qu’il ne dit pas que le manquement à un principe de justice naturelle est le seul motif possible de réouverture. La Cour a déclaré que l’article 55 n’élargit pas la compétence de la Section de rouvrir ses décisions portant sur la qualité de réfugié et la qualité de personne à protéger. La Section peut rouvrir ses décisions uniquement pour manquement à un principe de justice naturelle : Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1153, (2004), 258 F.T.R. 226, aux paragraphes 23 à 25.

 

Les passages pertinents de la décision Ali, que la Cour d'appel fédérale a mentionnée en l’approuvant, sont les suivants :

[24] À première vue, le libellé de la règle 55 des Règles de la SPR ne semble pas limiter les motifs permettant d'examiner les demandes de réouverture et le seul facteur qui appelle une décision positive est l'établissement par le demandeur de la violation de la justice naturelle. Cependant, après un examen approfondi, je suis convaincu que la bonne interprétation est que la demande de réouverture ne peut être accueillie que s'il est établi qu'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle.

 

[25] Sous l'ancienne législation en matière d'immigration, il n'existait pas de mécanisme autorisant les requêtes en réouverture des demandes d'asile ayant fait l'objet d'une décision de désistement, mais ces requêtes étaient présentées aux termes de la règle 28 des anciennes Règles, conformément à la jurisprudence, comme l'arrêt Longia, précité, qui indiquait que la Commission avait le pouvoir inhérent de rouvrir une demande d'asile dans le seul cas où il y avait eu manquement à un principe de justice naturelle. J'estime que les nouvelles Règles de la SPR visent à codifier cette interprétation. Je note que cette interprétation de la règle 55 des Règles de la SPR a récemment été appliquée par la Cour dans l'arrêt Wackowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 315 (C.F.) (Q.L.), au paragraphe 12.

 

Il est donc très clair qu'une demande d'asile ne doit être rouverte que si le demandeur démontre que la première décision était injuste ou qu'il y a eu manquement à un principe de justice naturelle.

 

Les Directives

[29]           Les Directives (précitées au paragraphe 15) sont entrées en vigueur le 15 décembre 2006. Elles n'étaient pas en vigueur au moment où l'audience de M. Orozco a eu lieu. Cependant, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a toujours reconnu son obligation de garantir que toute personne qui se présente devant elle puisse présenter sa demande conformément aux principes de justice naturelle. Les Directives mêmes notent que les personnes particulièrement vulnérables ont toujours eu droit à un traitement spécial et que de telles situations étaient examinées au cas par cas (paragraphe 1.4).

 

[30]           Le paragraphe 2.1 des Directives établit la définition d'une personne vulnérable :

2.1 Pour l'application des présentes directives, une personne vulnérable s'entend de la personne dont la capacité de présenter son cas devant la CISR est grandement diminuée. Elle peut, entre autres, être atteinte d'une maladie mentale; être mineure ou âgée; avoir été victime de torture; avoir survécu à un génocide et à des crimes contre l'humanité; il peut aussi s'agir d'une femme qui a été victime de persécution en raison de son sexe.

 

Cette définition est précisée au paragraphe 2.3 des Directives, qui reconnaît que les personnes qui présentent une demande d'asile fondée démontrent souvent une certaine vulnérabilité et fait la distinction entre les demandeurs d'asile qui sont généralement vulnérables et ceux qui sont très vulnérables et qui ont donc besoin de mesures d'accommodement particulières :

2.3 Les personnes qui comparaissent devant la CISR trouvent souvent le processus difficile pour diverses raisons, notamment à cause des contraintes de langue et de culture et parce qu'elles ont peut-être vécu des expériences traumatisantes qui sont à l'origine d'une certaine vulnérabilité. Les procédures de la CISR ont été conçues pour reconnaître la nature même du mandat de la CISR qui, de façon inhérente, fait intervenir des personnes pouvant être vulnérables. Dans tous les cas, la CISR prend des mesures pour assurer l'équité des procédures. Les présentes directives abordent des difficultés qui vont au-delà de celles auxquelles se heurtent habituellement la plupart des personnes qui comparaissent devant la CISR. Elles visent les personnes qui éprouvent des difficultés particulières et qui doivent faire l'objet de considérations spéciales sur le plan procédural dans le traitement de leur cas. Elles s'appliquent aux cas de vulnérabilité les plus sévères.

 

Une note en bas de page dans ce paragraphe cite le paragraphe 209 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR), préparé en vertu de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés (Genève, janvier 1992) (le Guide). Le Guide énonce qu’« on constate souvent un certain dérangement de l'esprit chez les personnes qui ont été exposées à de graves persécutions ». La note poursuit en expliquant que : « Ce genre de personnes comparaît régulièrement devant la CISR, et les processus de la CISR ont été conçus pour veiller à ce que toutes les personnes soient traitées avec compassion et respect. » Elle conclue enfin que : « Les présentes directives ne s'appliquent pas nécessairement à toutes ces personnes, étant donné qu'elles visent les personnes dont la capacité de présenter leur cas devant la CISR est grandement diminuée. » Il est donc clair que l'obligation d'adopter des mesures au delà de celles prévues dans la procédure de la CISR n'entre en jeu que dans les cas de grande vulnérabilité où la capacité du demandeur à présenter son cas devant la CISR est grandement diminuée.

 

Les observations du demandeur

[31]           Le demandeur se fonde fortement sur le rapport préparé par Mme Zemans pour soutenir que le tribunal qui a rendu une décision au sujet de sa demande d'asile initiale aurait dû tenir compte de sa grande vulnérabilité et pour soutenir que la procédure aurait dû être adaptée afin de garantir la tenue d'une audience équitable. Il n'y a guère d'autre preuve à l'appui de cette allégation.

 

[32]           Bien que le demandeur n'ait mentionné aucune mesure d'accommodement particulière, un rapport de M. Mark Federman intitulé [traduction] « Les effets des médias pour les audiences relatives à l'immigration et aux réfugiées tenues par vidéoconférence » laisse clairement entendre que le demandeur conteste le fait que l'audience initiale a été tenue par vidéoconférence. Cependant, je remarque qu'aucune objection au sujet de la vidéoconférence n'a été soulevée devant le tribunal, qu'au cours de l'audience initiale, personne n'a semblé y voir d'inconvénient et qu'il semble que la question a été soulevée pour la première fois dans la présente demande.

 

[33]           Le demandeur soutient qu'en tranchant la question dont elle était saisie, la commissaire n'a pas porté attention au fait que le tribunal ne disposait d'aucune preuve qui lui aurait permis de correctement tenir compte de la santé mentale et des vulnérabilités du demandeur.

 

[34]           Le demandeur soutient premièrement que la commissaire n'a pas examiné si le tribunal avait manqué à un principe de justice naturelle, mais qu'elle a plutôt demandé au demandeur de démontrer que le tribunal avait commis une erreur par rapport à la preuve qui lui avait été présentée. Cet argument semble ne pas tenir compte du principe selon lequel un tribunal peut omettre de respecter un principe de justice naturelle lorsqu'il n'a pas accès à la preuve pertinente au moment de l'audience (Muqueem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 565 (QL); Taher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1327 (QL); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1394 (QL); Bouguettaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 992 (QL)). Il semble que, selon le demandeur, la commissaire ne s’est pas rendue compte que le tribunal ne savait pas qu'il aurait dû tenir compte de la santé mentale de M. Orozco et qu'il ne pouvait pas vraiment être tenu responsable du fait que M. Orozco n'a pas eu droit à une audience équitable.

 

[35]           En s’appuyant sur cet argument, le demandeur soutient que la commissaire a commis une erreur en exigeant qu'il démontre que son avocat précédent avait fait preuve de négligence en ne soulevant pas de question au sujet de la vulnérabilité de son client devant le tribunal. Le demandeur fait valoir que la commissaire aurait simplement dû examiner si les actions (ou l'inaction ) de l'avocat précédent de M. Orozco ont fait en sorte que des preuves essentielles au sujet de la vulnérabilité de son client n'ont pas été présentées au tribunal et que M. Orozco n'a donc pas eu droit à une audience équitable au cours de laquelle des mesures d'accommodement appropriées auraient été prises pour ses vulnérabilités.

 

[36]           Finalement, le demandeur soutient que la commissaire aurait dû conclure que les conclusions du tribunal ne cadraient pas avec la preuve psychologique. Le tribunal a noté que M. Orozco avait réussi à voyager seul et à subvenir à ses besoins dans six pays différents avant de venir au Canada et a conclu qu'il était un jeune homme débrouillard et conciliant. Le tribunal ne serait pas arrivé à cette conclusion si le rapport psychologique lui avait été présenté, ce qui devrait démontrer que M. Orozco n'a pas eu droit à une audience équitable.

 

Les observations du défendeur

[37]           Le défendeur soutient que la décision de la commissaire était raisonnable et que le demandeur n'a pas produit de preuve convaincante permettant d'établir qu'il n'avait pas eu droit à une audience équitable.

 

[38]           Le défendeur soutient premièrement que la simple existence d'un nouvel élément de preuve, soit le rapport de Mme Zemans, n'est pas suffisante pour justifier la réouverture d'une demande d'asile (Longia c. Canada, [1990] 3 C.F. 288 (C.A.F.)). Deuxièmement, si le rapport de Mme Zemans n'est pas considéré comme étant entièrement un nouvel élément de preuve, le défendeur soutient que le rapport a peu de poids ou de valeur probante. Il note que le rapport est vague, qu'il ne fait état d'aucune méthodologie, qu'il ne contient aucune liste de questions que l'avocat de M. Orozco aurait posées à Mme Zemans à l'époque, qu'il n'explique pas la signification des termes utilisés, qu'il ne porte aucun regard vers l'audience de M. Orozco afin de démontrer qu'il y a eu manquement à la justice naturelle et qu'il n'a fait l'objet d'aucun examen ou d'aucune qualification. De plus, le défendeur doute de l'objectivité et de l'authenticité du rapport. Il fait valoir que le langage que Mme Zemans a utilisé, en particulier l'expression « représentant désigné » ressemble de façon évidente au langage utilisé dans les Directives.

 

[39]           Troisièmement, même si l'authenticité du rapport de Mme Zemans est acceptée à titre provisoire, le défendeur soutient que les rencontres entre le demandeur et Mme Zemans, et toute conclusion au sujet de la santé mentale de M. Orozco à l'époque, n’oblige pas à conclure qu’il y a eu manquement aux principes de justice naturelle lors de l'audience d'octobre 2005. Mme Zemans n'a pas eu la chance d'examiner le dossier complet dont le tribunal était saisi et elle s'est donc entièrement fondée sur les déclarations du demandeur ou de son avocat. Compte tenu des renseignements dont elle disposait, Mme Zemans ne pouvait pas affirmer que M. Orozco avait montré certains symptômes pendant sa première audience ou que son état de santé mentale apparent existait à l'époque. Mme Zemans pouvait seulement examiner l'état de M. Orozco à l'hiver 2006, quelques mois avant la date prévue de son renvoi du Canada. Pour ces motifs, la pertinence du rapport même est très douteuse.

 

[40]           Finalement, le défendeur fait valoir que, indépendamment de la preuve psychologique, le demandeur n'a pas prouvé qu'il n'avait pas eu droit à une audience équitable le 6 octobre 2005 ou qu'on lui avait refusé le droit et la chance de participer de façon significative à l'audience à l'époque. Le défendeur souligne que la commissaire a examiné la preuve psychologique par rapport au dossier et, en tenant compte de toute la preuve, a conclu qu'il n'y avait pas de preuve suffisante permettant d'établir que M. Orozco avait eu de la difficulté à s'exprimer ou à participer de façon significative à l'audience. Par conséquent, la commissaire a conclu avec raison qu'il n'y avait pas eu manquement à la justice naturelle.

 

[41]           En ce qui a trait à l'action ou à l'inaction de l'ancien avocat de M. Orozco, le défendeur soutient que le demandeur essaie de donner une nouvelle vie aux questions dont la commissaire était saisie. Il est clair que l'incompétence d'un avocat, librement choisi par un client, ne saurait, en aucun cas à l'exception du cas le plus extraordinaire, entraîner l'annulation d'une décision à l'occasion d'un contrôle judiciaire (Seikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.); Shirwa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1re inst.), [1994] 2 C.F. 51, au paragraphe 12, citant Huynh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 11 (C.F. 1re inst.)). Plutôt que d'alléguer que son avocat avait été négligent, comme il semble l'avoir fait devant la Commission, le demandeur a changé de raisonnement. Il soutient maintenant que la question de la négligence n'était pas significative et que la question appropriée était de savoir si son ancien avocat avait fait en sorte que le tribunal manque à un principe de justice naturelle. Cependant, le défendeur note que, dans sa demande de réouverture, le demandeur soutient avec force que sa vulnérabilité était tout à fait évidente et il se fonde sur la jurisprudence pour faire valoir qu'il ne devrait pas subir les conséquences d'une erreur attribuable à la négligence ou à l'erreur de l'avocat. Au vu de telles observations, je ne peux pas conclure que la commissaire a commis une erreur lorsqu'elle a examiné si le demandeur avait prouvé qu'il y avait eu négligence de la part de son avocat, particulièrement en l'absence d'une preuve montrant qu'une plainte a été présentée à l'ordre des avocats (Mathon, précité).

 

[42]           Quoi qu'il en soit, le défendeur soutient que la justification des arguments du demandeur à ce sujet sont spécieux et nuisibles : soit les problèmes de santé mentale du demandeur étaient si évidents que son avocat a fait preuve de négligence en ne les remarquant pas, alors des preuves convaincantes suffisantes ou un avis à l'ordre des avocats sont nécessaires pour soutenir l'allégation, ou, subsidiairement et plus probablement, le demandeur n'avait pas de problèmes de santé mentale importants à l'époque.

 

[43]           Le défendeur fait valoir en somme que la commissaire a correctement conclu qu'à l'époque de la première audience, M. Orozco n'était pas une personne vulnérable au sens des Directives, qu'il était représenté par un avocat pour sa demande d'asile et que personne, surtout l'avocat, mais aussi le tribunal, l'agent de protection des réfugiés et un juge de la Cour fédérale, n'a constaté une quelconque vulnérabilité parce qu'il n'y avait probablement rien à remarquer.

 

VI. La décision

[44]           La compétence pour ordonner la réouverture d'une demande d'asile n'existe que lorsque le demandeur démontre qu'il y a eu manquement à la justice naturelle lors de la première audience (article 55 des Règles; Nazifpour, précitée). En conséquence, lorsqu'un décideur conclut que le demandeur a eu droit à une audience équitable, il n'existe aucun motif justifiant la réouverture d'une demande.

 

[45]           En l'espèce, le demandeur souhaite démontrer qu'il n'a pas eu droit à une audience équitable parce que, de toutes les personnes qui ont participé à la première audience, aucune n’a tenu compte du fait qu'il était une personne vulnérable au sens de la définition prévue dans les Directives et qu'il avait donc droit à des mesures d'accommodement spéciales. Je comprends les difficultés auxquelles M. Orozco a fait face au Nicaragua et en route vers le Canada et je n'ai aucune raison de douter qu'il est un jeune homme sensible qui désire réellement se bâtir une nouvelle vie au Canada. Cependant, ma tâche n'est pas de réexaminer le bien-fondé de sa première demande, ni de réexaminer la demande de réouverture de sa demande d'asile. Je dois plutôt trancher la question de savoir si la commissaire a commis une erreur en rejetant la demande de réouverture de la demande d'asile de M. Orozco.

 

[46]           Le demandeur soutient que la commissaire n'a pas tenu compte du fait qu'un tribunal peut manquer à un principe de justice naturelle lorsque des preuves pertinentes ne sont pas disponibles lors de l'audience. La jurisprudence citée par le demandeur fait état d'affaires précises dans lesquelles il y a eu manquement à la justice naturelle dans les mêmes circonstances qu'en l'espèce (Muqueem; Taher, Ali et Bouguettaya, précitées). Bien qu'il s'agisse d'une proposition valable, je suis d'avis que le lien entre la présente demande et la jurisprudence sur laquelle le demandeur se fonde est fragile, tout au plus.

 

[47]           Les trois premières décisions précitées portent sur le rejet de demandes de réouverture de demandes d'asile qui avaient été considérées comme abandonnées, malgré des preuves établissant l’existence de situations extraordinaires qui avaient causé le retard dans la présentation des Formulaires de renseignements personnels ou d'autres preuves essentielles. Dans chaque affaire, le tribunal d'instance supérieure a conclu que le commissaire avait commis une erreur en concluant qu'il n'y avait pas eu manquement aux principes de justice naturelle parce que le tribunal avait tranché l'affaire en fonction de la preuve dont il était saisi. L'affaire Bouguettaya n'est pas tellement plus utile. Dans cette affaire, le tribunal s'était fondé sur un élément de preuve pour justifier le rejet du témoignage du demandeur pour trois motifs. Après la décision, le demandeur avait prouvé que les renseignements sur lesquels le tribunal s'était fondé étaient faux et que les membres du tribunal qui avaient rejeté sa demande avaient reconnu par la suite, dans d'autres affaires, que c'était le cas. Le commissaire qui a rejeté la demande de réouverture n'avait absolument pas tenu compte de ce point important et n'en avait fait aucune mention dans sa décision. Dans toutes les affaires, la preuve manquante était non seulement pertinente quant à la décision, mais elle était aussi essentielle.

 

[48]           En l'espèce, la seule preuve dont le tribunal ne disposait pas était le rapport psychologique de Mme Zemans. Je conviens avec le défendeur que la pertinence et la valeur probante du document sont douteuses. Mme Zemans a examiné M. Orozco quinze mois après son audience, alors que sa date de renvoi approchait. Elle n'a pas eu accès au dossier complet dont le tribunal était saisi, elle n'a pas expliqué la signification de certains termes dans le rapport et elle a aussi utilisé un langage qui est ostensiblement emprunté aux Directives. Finalement, il est impossible de raisonnablement conclure que son diagnostic s'étendait jusqu'à l'audience initiale de M. Orozco. Cependant, malgré tout cela, la commissaire n'a pas vraiment soulevé d'objection au sujet du rapport et a tranché la demande de réouverture de M. Orozco au vu de cette nouvelle preuve. Après avoir examiné le dossier, elle a noté que M. Orozco n'avait pas eu de difficultés inhabituelles à s'expliquer ou à s'exprimer lors de l'audience. Elle a conclu que, indépendamment des conclusions de Mme Zemans, la capacité de M. Orozco de présenter sa preuve n'a jamais été grandement diminuée. Elle a conclu qu'il n'était pas une personne vulnérable et qu'il avait eu droit à une audience équitable. Il semble donc que l'existence du rapport n'est pas pertinente et qu'il n'était pas nécessaire de le présenter en preuve devant le tribunal, qui a traité M. Orozco équitablement, comme il l'aurait fait avec tout autre demandeur d'asile.

 

[49]           En ce qui a trait à l'argument du demandeur selon lequel la commissaire a demandé qu'il démontre la négligence de son ancien avocat, je suis d'accord avec le défendeur qu'il s'agit d'une nouvelle façon de présenter la question qui a été soumise à la commissaire. Dans les observations qu'il a déposées devant la commissaire, le demandeur a formulé la question en utilisant des termes très forts; il a soutenu sans relâche qu'il ne devait pas être puni pour une erreur qui était uniquement attribuable à l’action ou à l’inaction de son avocat. La commissaire a raisonnablement traité de la question dans sa décision.

 

[50]           De toute façon, je ne suis pas convaincu par l'interprétation subsidiaire que le demandeur a soumise. Il  semble soutenir que l'inaction de son ancien avocat a entraîné le fait que des preuves essentielles n'ont pas été présentées au tribunal et qu’il n'a pas eu droit à une audience équitable. La seule preuve pertinente était le rapport de Mme Zemans et la commissaire a conclu que le rapport ne démontrait pas que M. Orozco était une personne vulnérable. Encore une fois, le fait que le rapport ait été présenté au tribunal ou non n'est pas pertinent. Dans cette optique, l'argument du défendeur est convaincant : soit la capacité de M. Orozco de présenter sa preuve était tellement diminuée que le défaut de consulter un médecin était négligent (et qu'il fallait alors présenter une explication ou une plainte formelle), soit il n'y avait aucune raison de consulter un médecin parce que M. Orozco n'était pas une personne vulnérable, et il a donc eu droit à une audience équitable.

 

[51]           Finalement, le demandeur soutient que la commissaire n'a pas tenu compte du fait que la décision du tribunal contredisait la preuve psychologique. Comment le tribunal aurait-il pu conclure que M. Orozco était une personne débrouillarde ou avisée, allègue-t-il, compte tenu du fait que Mme Zemans a fortement soutenu qu'il était une personne vulnérable? Une fois de plus, je crois que le demandeur cherche à donner trop d'importance à la preuve psychologique ou, à tout le moins, qu'il cherche à demander à la Cour de réexaminer la pertinence de cette preuve. Bien qu'il ne revienne pas à la Cour de le faire, je tiens à noter que les Directives précisent qu'un rapport médical d'un expert au sujet d'une personne censément vulnérable est un élément de preuve important (paragraphe 8.1). Les Directives énumèrent ensuite les renseignements que le rapport devrait renfermer :

8.3 Règle générale, les rapports d'experts devraient renfermer les renseignements suivants :

a. la qualification et l'expérience particulières du professionnel, qui indiquent une expertise pertinente par rapport à la condition particulière de la personne vulnérable;

b. les questions qui ont été posées à l'expert par la personne qui a demandé le rapport d'expert;

c. le fondement factuel sur lequel s'appuie l'avis de l'expert;

d. la méthodologie utilisée par l'expert pour évaluer la personne, notamment si une entrevue a été tenue ou non, le nombre et la durée des entrevues, si des tests ont été administrés ou non, et, dans l'affirmative, la nature de ces tests et la signification de leurs résultats;

e. des précisions à savoir si la personne suit un traitement, et, dans l'affirmative, la nature du traitement, et s'il permet de contrôler la condition de la personne vulnérable;

f. des précisions à savoir si l'expert procédant à l'évaluation traitait également la personne au moment de la production de son rapport;

g. l'avis de l'expert concernant la condition de la personne et sa capacité à participer au processus d'audience, y compris toute adaptation d'ordre procédural qu'il pourrait recommander ainsi que les motifs de cette recommandation.

 

8.3 Generally, experts' reports should contain the following information:

a. the particular qualifications and experience of the professional that demonstrate an expertise which pertains to the person's particular condition;

 

b. the questions that were posed to the expert by the person who requested the expert report;

c. the factual foundation underlying the expert's opinion;

d. the methodology used by the expert in assessing the person, including whether an interview was conducted, the number and length of interviews, whether tests were administered, and, if so, what those tests were and the significance of the results;

e. whether the person is receiving treatment and, if so, the nature of the treatment and whether the treatment is controlling the condition;

 

f. whether the assessing expert was also treating the person at the time of producing the report; and

g. the expert's opinion about the person's condition and ability to participate in the hearing process, including any suggested procedural accommodations and why particular procedural accommodations are recommended.

 

 

Je note que le rapport de Mme Zemans satisfait à peu de ces critères. Il me semble donc qu'il s'agit plus d'une lettre que d'un rapport d'expert.

 

[52]           Dans son analyse finale, la commissaire a néanmoins accepté et examiné la lettre de Mme Zemans, et elle a conclu qu'elle ne prouvait pas que M. Orozco était une personne vulnérable et qu'elle ne faisait pas valoir qu'il n'avait pas eu droit à une audience équitable. Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire de rouvrir la demande, ni de tenir une nouvelle audience. De plus, en l'espèce, comme la pertinence de la preuve psychologique est tellement douteuse, il n'était pas déraisonnable que la Commission souscrive aux conclusions du tribunal plutôt qu'à celles de Mme Zemans, qui n'avait eu l'occasion d'examiner M. Orozco que quinze mois après l'audience, alors que la date de son renvoi approchait. Comme seule Mme Zemans a semblé remarquer que M. Orozco était particulièrement vulnérable ou que sa capacité à présenter sa preuve était grandement diminuée, je ne peux pas déclarer que la conclusion de la commissaire était déraisonnable.

 

[53]           Je conclus que la commissaire n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle et qu'elle a tiré une conclusion raisonnable fondée sur la preuve dont elle était saisie. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question de portée générale n'est énoncée.

 

« Orville Frenette »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-2081-07

 

INTITULÉ :                                       Alvaro Antonio Orozco           

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VANDERVENNEN LEHRER

Avocats

45, rue Saint-Nicholas

Toronto (Ontario) M4Y 1W6

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

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