Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080417

Dossier : IMM-159-07

Référence : 2008 CF 496

Toronto (Ontario), le 17 avril 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

CLAUDIA ALEJANDRA ARIAS DE ACEVEDO

RENSO DAVID ACEVEDO

MARIANELA ACEVEDO

JUILET HAYLEN ACEVEDO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Mme Acevedo est la mère des trois autres demandeurs nommés dans la présente demande de contrôle judiciaire. Ses enfants et elle ont été demandeurs conjoints dans une demande d’asile présentée par son mari en 2001. En 2006, Mme Acevedo a présenté une demande à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) en vue de faire rouvrir sa demande d’asile pour qu’elle puisse faire valoir des moyens distincts de ceux invoqués par son mari. La SPR a rejeté sa demande le 18 décembre 2006 et cette décision est contestée dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               La demande de réouverture de Mme Acevedo a été présentée en vertu de l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 :

55. (1) Le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

(2) La demande est faite selon la règle 44.

 

(3) Si la demande est faite par le demandeur d’asile, celui-ci y indique ses coordonnées et en transmet une copie au ministre.

 

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

 

(2) The application must be made under rule 44.

 

(3) A claimant who makes an application must include the claimant’s contact information in the application and provide a copy of the application to the Minister.

 

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

                                   

                                    [Non souligné dans l’original.]

Par conséquent, pour répondre à la demande de réouverture présentée par Mme Acevedo, la SPR devait établir s’il y avait eu un manquement à la justice naturelle lors de l’audience initiale.   

 

[3]               À l’appui de sa demande devant la SPR, Mme Acevedo a présenté une preuve abondante établissant le déni de justice naturelle. En plus des documents justificatifs, Mme Acevedo a fourni une déclaration sous serment décrivant en détail les mauvais traitements que lui avait fait subir son mari et comment ces mauvais traitements l’avaient empêchée de participer à la demande présentée par son mari. Les éléments cruciaux de sa déclaration sont les suivants :

[traduction] Les mauvais traitements n’ont pas cessés après notre arrivée au Canada. En fait, je crois que l’absence de statut a fâché Victor encore plus. Il ne savait pas ce que l’avenir lui réservait et il me blâmait pour ses problèmes. Il me battait deux à trois fois par semaine. La situation était pire les fins de semaine, puisqu’il était à la maison et me battait pour la moindre raison.

 

[…]

 

Il me faisait aussi subir beaucoup de violence verbale. Il me traitait toujours de tous les noms et me dénigrait. Les enfants ont été témoins d’un bon nombre de ces incidents de mauvais traitements physiques, psychologiques et verbaux. Après ces mauvais traitements, Victor s’excusait toujours et prétendait regretter ses gestes. Il affirmait qu’il avait changé, mais il n’a jamais changé et a continué à me maltraiter.

 

Victor avait présenté une demande d’asile fondée sur des problèmes auxquels il était confronté au travail. Il m’a dit qu’il avait été victime de persécution grave. Je ne connais pas les détails de sa situation, puisqu’il ne me disait presque rien au sujet de sa vie. Il m’a seulement dit qu’il devait quitter le pays pour se rendre au Canada avec trois collègues de travail et qu’il craignait pour sa vie.

 

J’ai assisté à l’audience sur sa demande d’asile, mais on ne m’a posé aucune question. Je ne me souviens pas précisément, mais je crois que son audience a eu lieu vers 2003 ou 2004. Les mauvais traitements qu’il me faisait subir se sont intensifiés après le rejet de sa demande. Il ne m’a pas dit s’il avait interjeté appel de la décision ou non.

 

[…]

 

Au moment où mon mari a présenté une demande, je ne savais pas que je pouvais présenter ma propre demande fondée sur les mauvais traitements que j’avais subis. Une fois que je me suis trouvée dans un refuge, les employés du refuge m’ont dirigée vers la Barbra Schlifer Commemorative Clinic. J’ai été en mesure de rencontrer un des avocats spécialisés en droit de l’immigration qui m’a adressée à ma conseil, Mme Sapru. J’ai rencontré Mme Sapru vers la fin juillet. Elle a été la première personne à m’aviser que je pouvais demander la réouverture de ma demande d’asile en raison des mauvais traitements que nous avions subis et du fait que nous n’avions pas bénéficié d’une audition équitable de notre demande.

 

Mme Sapru m’a immédiatement adressée à une conseillère pour que j’obtienne des services de thérapie. Ma conseillère est actuellement en vacances, mais je vais présenter une lettre de sa part dès qu’elle sera de retour. Ma vie est en train de changer pour la première fois. Je commence à me sentir importante, à croire que ce que je ressens est important et que ma vie est importante. Je commence à prendre des forces. Je n’ai jamais vu mes enfants si détendus et à l’aise. Je ne peux imaginer retourner à cette vie d’enfer ou la faire subir à mes enfants de nouveau.

 

J’ai demandé à Mme Sapru d’agir en notre nom en vue de faire rouvrir notre demande d’asile pour que notre histoire soit racontée. En raison des mauvais traitements, je n’ai pas eu la possibilité de prendre une décision libre et éclairée relativement à ma demande d’asile initiale.

 

Je me souviens vivement de la torture physique. Victor utilisait ses poings pour me frapper sur la tête, il me donnait des coups de pied et il me poussait. Les agressions ne finissaient plus.

 

Victor ne croit pas que je suis un être humain. Il me disait toujours des choses comme « qui penses-tu être? » et « tu as intérêt à me faire montre de respect; c’est moi l’homme ». Il me dénigrait de façon quotidienne en me traitant de chienne, de salope, etc.

 

Durant cette relation avec Victor, j’avais constamment peur de sa rage. Il m’empêchait de voir mes amis et ma famille, de sortir et d’avoir une indépendance quelconque. Je ne pouvais prendre aucune décision sans d’abord lui demander son avis.

 

Je n’avais aucune vie privée; Victor contrôlait tout ce que je faisais. Il me privait aussi sur le plan financier.

 

Je suis demeurée dans cette relation de violence pendant quinze [sic]; il est difficile d’expliquer en détail la crainte et la honte qui m’ont empêchée de m’en sortir. Victor me disait que je n’étais rien sans lui et je crois qu’il m’en avait convaincue. Je ne peux retourner à cette vie. En fait, même si j’y retournais, je ne crois pas que je survivrais.

                       

                        (Dossier du tribunal, aux pages 96 à 100.)

 

[4]               Dans ses observations écrites, la conseil de Mme Acevedo a allégué, en se fondant sur la preuve présentée par sa cliente, que l’audience initiale sur la demande d’asile constituait un déni de justice naturelle :

[traduction] En tant que concept général, la justice naturelle met en cause le « droit d’être entendu ». Les cours ont déjà statué qu’il y a violation du droit d’être entendu lorsqu’une personne se sent contrainte sur le plan mental ou émotif à un point tel qu’elle ne peut pas présenter les faits complets de son affaire. (Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 64 D.L.R. (4th) 317 (C.A.F.).)

 

Par exemple, dans l’arrêt Kaur, la Cour a jugé qu’une femme maltraitée avait été « privée de la possibilité de prendre une décision libre et éclairée relativement à la revendication du statut de réfugiée ». La Cour a conclu qu’il s’agissait d’un déni de justice fondamentale et naturelle.

 

(Dossier de la demande de la demanderesse, à la page 79.)

 

 

[5]               Dans sa décision, la SPR était consciente du fait que si Mme Acevedo avait fait l’objet de contrainte au moment de l’audition initiale de la demande d’asile, cela pouvait entraîner un déni de justice naturelle; cependant, la SPR a rejeté la demande de réouverture pour les motifs suivants :

Rien n’indique que son conjoint contraignait ses gestes ou l’empêchait de demander des conseils indépendants relativement à sa situation.

Aucun élément de preuve n’a été porté à la connaissance de la Commission relativement à son état psychologique de l’époque. De l’avis du tribunal, il n’a pas été démontré que l’ampleur des contraintes imposées à la demandeure au moment de la tenue de l’audition de sa demande d’asile était si importante qu’il l’aurait privée de son droit d’être représentée par un conseil indépendant, de même que de sa capacité de prendre librement une décision éclairée et indépendante relativement à sa demande d’asile.

                       

                        [Non souligné dans l’original.]

 

                        (Décision, à la page 3.)

 

 

[6]               Dans sa décision, la SPR affirme être « conscient[e] des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et des facteurs susceptibles d’influer sur le comportement d’une femme victime de violence », mais indique malgré tout :

[L]e tribunal n’estime pas que ces Directives justifient la réouverture des demandes d’asile.

 

                        (Décision, à la page 4.)

 

[7]                 Selon moi, la décision de la SPR comporte une erreur manifeste puisque sa conclusion selon laquelle il n’y a « aucun élément de preuve » appuyant certains éléments cruciaux de la demande de réouverture est erronée et, de plus, la décision fait état d’une absence totale d’appréciation du contenu et de l’esprit des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe exigent du décideur qu’il soit sensibilisé aux demandes fondées sur le sexe et qu’il ne porte pas de jugement sur les actions d’une femme maltraitée en l’absence de connaissances approfondies sur ce à quoi il faut s’attendre. La SPR, en n’étant pas sensibilisée aux questions propres à chacun des sexes comme l’exigent les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, a omis de tenir compte du fait que le déséquilibre de pouvoir présent dans la relation de violence qu’entretenaient Mme Acevedo et son mari aurait certainement pu faire en sorte que la demanderesse fasse l’objet de contrainte. 

 

[8]               Par conséquent, je conclus que la décision comporte une erreur susceptible de contrôle.

 


ORDONNANCE

 

            J’annule donc la décision faisant l’objet de contrôle et je renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci conformément à la directive voulant que soit appliquée l’approche exigée par les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

 

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM-159-07

 

INTITULÉ :                                             CLAUDIA ALEJANDRA ARIAS DE ACEVEDO,

      RENSO DAVID ACEVEDO,

      MARIANELA ACEVEDO,

      JUILET HAYLEN ACEVEDO

      c.

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

      L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 15 AVRIL 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                   LE 17 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Preevanda Kaul Sapru

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Preevanda Kaul Sapru

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.