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Date : 20080502

Dossier : IMM‑4369‑07

Référence : 2008 CF 518

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2008

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

RANJIT BACHAN SINGH MOOKER

MAJINDER SINGH MOOKER

KANWALJIT KAUR

AMRITPAL KAUR MOOKER

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 4 octobre 2007 par laquelle l’agent chargé d’apprécier les considérations humanitaires (CH) S. McCaffery (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente que les demandeurs ont présentée pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Les demandeurs soulèvent trois questions en l’espèce :

a)      L’agent a‑t‑il commis une erreur en appliquant un critère incorrect à l’évaluation des risques comprise dans la décision CH?

b)      L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse des difficultés auxquelles les demandeurs seraient confrontés?

c)      L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse du degré d’établissement et d’intégration des demandeurs au Canada?

 

[3]               Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

FAITS

[4]               Les demandeurs, une famille composée de quatre personnes, sont arrivés au Canada le 6 février 2002 et ont demandé l’asile. Le demandeur principal, M. Rajit Bachan Singh Mooker, est un citoyen du Kenya qui est né le 8 octobre 1958 en Inde. Il a épousé Kanwaljit Kaur, qui est née le 5 janvier 1958 et qui est une citoyenne de l’Inde. Ils ont deux enfants, soit Manjinder Singh Mooker, un garçon qui est né le 7 novembre 1982, et Amritpal Kaur Mooker, une fille qui est née le 5 mai 1984. Les deux enfants sont des citoyens du Kenya.

 

[5]               La demande d’asile que les demandeurs ont présentée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a été rejetée le 10 mars 2003. Le 15 décembre 2003, les demandeurs ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), et ils ont reçu une décision défavorable à l’égard de cette demande le 5 avril 2004.

 

[6]               Le 18 mai 2004, les demandeurs ont été renvoyés du Canada vers les États‑Unis. Ils ont soumis une demande d’asile aux États‑Unis, mais ils se sont désistés et sont revenus au Canada le 18 novembre 2004. Ils ont présenté une deuxième demande d’ERAR à leur retour. Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, que les demandeurs avaient présentée en septembre 2003, était aussi en traitement. Le 11 janvier 2007, une décision défavorable a été rendue à l’égard de la deuxième demande d’ERAR et de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[7]               Le 8 février 2007, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour pour contester la décision CH défavorable. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire en partie au motif que l’agent avait commis une erreur en appliquant la norme d’ERAR à l’évaluation des risques à laquelle il a dû procéder pour trancher la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour a conclu qu’aucune erreur n’avait été commise dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ou du degré d’établissement des demandeurs au Canada. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie le 26 juillet 2007, et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été renvoyée pour qu’on statue de nouveau sur celle‑ci.

 

[8]               Les demandeurs ont présenté à l’agent d’autres observations qui avaient essentiellement trait aux facteurs de risque. Ils alléguaient qu’ils seraient confrontés à des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives s’ils étaient obligés de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Ils ont prétendu faire face à des risques du fait de la discrimination à laquelle ils sont exposés en tant qu’Asiatiques du sud vivant au Kenya, et parce que des criminels les prennent pour cible en raison de leur origine ethnique et de leur sexe. Ils ont en outre soutenu qu’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devrait leur être accordée en raison de leur degré appréciable d’établissement au Canada.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               La demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs a été refusée dans une lettre datée du 4 octobre 2007. Les motifs de l’agent sont consignés dans les notes versées au dossier, et ils contiennent les antécédents circonstanciés ainsi qu’une récapitulation des observations des demandeurs, y compris l’ensemble des documents déposés à l’appui de leur demande. L’agent a donné des sommaires et des extraits de la preuve documentaire que les demandeurs avaient produite et de la preuve documentaire qu’il avait consultée dans le cadre de ses recherches. Avant de présenter ses notes sur tous les documents, l’agent a apporté la précision suivante : [traduction] « La documentation est trop volumineuse pour me permettre de prendre des notes détaillées, mais j’ai tenu compte de l’ensemble des documents. » Dans sa décision rendue le 3 mars 2003, l’agent a passé en revue les conclusions de la Section de la protection des réfugiés de la Commission.

 

[10]           L’agent a conclu ne pas être convaincu que les circonstances de l’espèce étaient telles qu’elles justifiaient l’octroi aux demandeurs d’une dispense des exigences habituelles de la Loi. Cette conclusion repose sur les motifs suivants :

a)      L’agent a conclu que le degré d’établissement et d’adaptation des demandeurs était conforme à celui auquel on s’attendrait d’une famille qui vit au Canada depuis cinq ans et demi. Il a remarqué que les deux enfants adultes travaillaient à temps partiel et étudiaient, que le demandeur principal travaillait et que Mme Kaur gardait les enfants d’un membre de la collectivité. Selon l’agent, les documents d’appui démontraient que les demandeurs entretenaient des liens avec la collectivité.

b)      L’agent a conclu que les difficultés soulevées n’étaient pas imprévisibles eu égard au fonctionnement normal de la Loi et qu’elles n’étaient pas indépendantes de la volonté des demandeurs. L’agent a mentionné que les demandeurs avaient, ou auraient pu avoir, connaissance du processus dans lequel ils s’engageaient en venant au Canada. En prolongeant leur séjour, les demandeurs devaient avoir conscience, en raison du fonctionnement normal de la Loi, des difficultés et des déceptions pouvant résulter d’une décision défavorable. L’agent a conclu ne pas être convaincu que les répercussions du renvoi des demandeurs seraient indues et il a dit que la famille pourrait retourner au Kenya et continuer à prospérer en y étant raisonnablement en sécurité.

c)      L’agent a précisé que l’argument principal des demandeurs était qu’ils seraient exposés à des risques à leur retour, et que même si les risques en question n’atteignaient peut‑être pas le seuil nécessaire pour avoir droit à l’asile, ils constitueraient néanmoins des difficultés. L’agent a estimé que la preuve n’étayait pas l’allégation de risque. Il a souligné plutôt que le Kenya était un pays pauvre où un gouffre profond sépare les fortunés et les démunis. La preuve fait état d’un taux élevé et d’un risque généralisé de criminalité, particulièrement dans les régions dominées par la secte Mungiki et d’autres organisations criminelles. L’agent a conclu que le Kenya se distinguait des autres pays de l’Afrique de l’Est quant à l’estime portée aux minorités de l’Asie méridionale, qui font parfois l’objet de ressentiment dans certains milieux, mais qui sont, règle générale, bien établies grâce à leurs liens politiques, commerciaux et sociaux.

d)      L’agent a conclu que la protection de l’État n’était pas insuffisante au point que le risque de voir atteinte sa prospérité et d’être victime d’activités criminelles constitue en soi une difficulté. L’agent a indiqué que le Kenya était une démocratie et que le gouvernement réformiste en place avait déployé des efforts réels pour améliorer le respect de la loi et du principe de la légalité. Plus particulièrement, l’agent a conclu que le programme réformiste visait notamment à juguler la secte Mungiki, et que les forces policières et l’État ne faisaient montre d’aucune connivence avec les organisations criminelles.

 

[11]           L’agent a conclu ne pas avoir été convaincu par l’ensemble de la preuve sur le degré d’établissement et les risques que les demandeurs devraient bénéficier d’une dispense des exigences habituelles de la Loi pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[12]           La Cour a statué dans des décisions antérieures que les décisions CH devaient faire l’objet d’une grande déférence et que la norme applicable à leur contrôle était celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

[13]           Après le prononcé de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par la Cour suprême du Canada, les décisions CH appellent toujours la déférence de la Cour, la norme applicable à leur contrôle étant la nouvelle norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, paragraphes 47, 55, 57, 62 et 64).

 

[14]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

[15]           Cependant, la première question en litige en l’espèce est une question de droit, qui, selon la jurisprudence de la Cour, est assujettie à la norme de la décision correcte dans le contexte du contrôle d’une décision CH (Mackiozy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1106, paragraphe 9, [2007] A.C.F. no 1428; El Doukhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1464, paragraphe 11, [2006] A.C.F. no 1843; Mooker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 779, paragraphe 16, [2007] A.C.F. no 1029). J’estime qu’il faut continuer à appliquer la norme de la décision correcte pour établir si le critère approprié a été appliqué à l’évaluation des risques comprise dans une décision CH (Dunsmuir, paragraphes 55, 57, 62 et 64).

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur en appliquant un critère incorrect à l’évaluation des risques comprise dans la décision CH?

 

[16]           Les demandeurs prétendent que l’agent a énoncé le critère approprié, mais qu’il ne l’a pas appliqué. Les demandeurs maintiennent que l’agent a appliqué à tort le critère applicable à une décision d’ERAR pour trancher la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Alors que le risque dans le cadre d’une décision d’ERAR doit correspondre à une menace à la vie ou à un risque de peine cruelle et inusitée ou de torture, le risque est évalué différemment dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’agent devait se demander si les facteurs de risque correspondaient à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le juge de Montigny a exposé les grandes lignes du critère et a examiné attentivement la jurisprudence sur la question aux paragraphes 42 et 45 de la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404, [2006] A.C.F. no 1763 :

[42]     Il va sans dire que la notion de « difficultés », dans une demande CH, et la notion de « risque » envisagée dans une ERAR ne sont pas équivalentes et doivent être appréciées selon une norme différente. Comme le juge en chef Allan Lutfy l’a expliqué dans la décision Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 366, 2005 CF 296 :

 

[3] Dans une demande fondée sur des raison d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur qu’il y aurait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.

 

[4] Dans un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 97, 112 et 113 de la LIPR, la protection peut être accordée à une personne qui, suivant son renvoi du Canada vers son pays de nationalité, serait exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités.

 

[5] À mon avis, l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas tenue de traiter des facteurs de risque dans son examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Elle n’aurait pas dû se fermer aux facteurs de risque même si une décision défavorable valide avait pu être rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi. Il peut exister des considérations relatives au risque qui soient pertinentes à une demande de résidence permanente depuis le Canada, lesquelles sont loin de satisfaire le critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités. [Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

[45]     Il se peut que la violence, le harcèlement et les mauvaises conditions sanitaires ne constituent pas un risque personnalisé pour l’application de la LIPR, mais ces facteurs peuvent bien être suffisants pour établir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. J’adopterai donc la conclusion suivante que le juge O’Keefe a tirée dans la décision Dharamraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 853, 2006 CF 674 :

 

[24]     Les parties ne contestent pas le fait que la preuve des risques que les demandeurs doivent faire est plus lourde dans le cas d’un ERAR que dans celui d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Aussi, il peut arriver qu’un facteur de risque soit pertinent pour une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais pas pour une demande d’ERAR.

 

[25] En l’espèce, l’agente a simplement fait sienne l’évaluation des risques effectuée par la CISR et par l’agent d’ERAR sans effectuer une analyse plus approfondie pour les besoins de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. À mon avis, l’agente a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle n’a pas examiné les facteurs de risque dans le contexte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

 

 

[17]           Les demandeurs renvoient également à la décision Mooker, précitée, où le juge Teitelbaum a admis ce même argument qu’ils avaient présenté.

 

[18]           En outre, les demandeurs soutiennent qu’en appliquant un critère incorrect, l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve qui auraient pu satisfaire au critère moins rigoureux de risque applicable à l’analyse des difficultés.

 

[19]           Le courant jurisprudentiel sur lequel les demandeurs se sont fondés (Ramirez et Mooker, précitées; Dharamraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 853, 2006 CF 674; Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 366, 2005 CF 296) impose à l’agent chargé de trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire l’obligation d’apprécier le risque généralisé de violence ou les risques découlant de la discrimination en fonction du critère approprié, mais il ne l’oblige pas à conclure que la discrimination et un risque généralisé de violence constituent toujours des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[20]           J’estime que l’agent a pris en considération le critère approprié et l’a appliqué à l’évaluation des risques comprise dans la décision CH. L’agent a fait la déclaration suivante à la page 34 des notes versées au dossier :

[traduction]

On a fait valoir que le risque constitue un élément crucial de la demande, et qu’il s’agit d’un risque qui pourrait ne pas satisfaire au critère donnant ouverture à la protection internationale mais qui est néanmoins assez grave pour engendrer, seul ou de concert avec d’autres facteurs, des difficultés.

 

La preuve n’étaye pas les prétentions concernant le risque. […]

 

 

[21]           Il appert clairement de cet extrait que l’agent comprenait que le risque pourrait être apprécié selon un critère plus sévère aux fins d’une demande d’asile, et selon un critère moins rigoureux dans le contexte des difficultés indues. L’agent avait connaissance de la décision Mooker, précitée, où la Cour avait renvoyé l’affaire pour qu’on statue à nouveau sur celle‑ci.

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse des difficultés auxquelles les demandeurs seraient confrontés?

 

[22]           Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur dans son analyse des difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Les demandeurs prétendent que la décision de la Commission datée du 10 mars 2003, la décision relative à l’ERAR datée du 5 avril 2004 ainsi que la décision relative à l’ERAR et la décision CH datées du 11 janvier 2007 font toutes ressortir la discrimination pratiquée à l’égard des Kényans originaires de l’Asie méridionale. Les demandeurs soutiennent que ces quatre décisions antérieures, et la conclusion même de l’agent portant qu’il existe un risque généralisé de criminalité dans toutes les régions du Kenya, démontrent clairement l’existence d’un manque de sécurité personnelle qui correspond à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[23]           En avançant cet argument, les demandeurs tentent d’assimiler le manque de sécurité personnelle à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Je ne suis pas d’accord.

 

[24]           L’agent a expressément tenu compte de la preuve concernant la discrimination contre les Asiatiques du sud et a expliqué pourquoi il estimait que les demandeurs ne feraient pas face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Plus particulièrement, l’agent a fait référence à la preuve dont il disposait qui démontrait que les Asiatiques du sud font à l’occasion l’objet de ressentiment au Kenya, mais qu’ils sont [traduction] « bien établis au sein des élites, où ils ont tissé des liens politiques, commerciaux et sociaux solides ».

 

[25]           Les motifs de l’agent sont justifiés et intelligibles. L’agent pouvait raisonnablement conclure que les difficultés découlant du fait que les demandeurs étaient des Asiatiques du sud vivant au Kenya ne correspondaient pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve soumise au décideur. Bien que les demandeurs puissent être insatisfaits de la décision, celle‑ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve dont était saisi le décideur.

 

[26]           Les demandeurs affirment que le fait que l’agent ait privilégié la preuve documentaire sur le traitement réservé aux Asiatiques du sud au Kenya plutôt que les conclusions tirées dans quatre décisions antérieures et la preuve qu’ils ont produite constitue une erreur susceptible de révision. Ils allèguent en outre que l’agent n’a pas motivé son choix et que cela constitue aussi une erreur.

 

[27]           Je suis d’avis que l’agent a examiné attentivement la preuve documentaire des demandeurs ainsi que d’autres documents et a reconnu que les demandeurs pourraient faire face à une certaine discrimination et à une certaine criminalité s’ils étaient renvoyés au Kenya. Il était loisible à l’agent de privilégier certains éléments de preuve documentaire plutôt que d’autres sources. L’agent n’était pas lié par les décisions antérieures rendues dans le contexte d’une demande d’ERAR ou d’une demande d’asile puisqu’il devait évaluer les faits à la lumière de motifs d’ordre humanitaire. L’appréciation de la preuve documentaire relative au risque de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives relève directement des fonctions de l’agent chargé de trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’agent s’est acquitté de ses fonctions avec diligence.

 

[28]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en soulevant la question de la protection de l’État, qui n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et qu’il a donc commis une erreur dans l’analyse des difficultés.

 

[29]           Il ressort clairement des motifs de l’agent qu’il n’a abordé la question de la protection de l’État que dans le contexte de l’évaluation des risques. L’agent a fait la déclaration suivante à la page 35 des notes versées au dossier :

[traduction]

Par conséquent, même si elle est prise au pied de la lettre, la déclaration de M. Mooker selon laquelle il a été victime de jeunes nationalistes africains, « vraisemblablement » membres de la secte Mungiki, devrait être évaluée en tenant compte de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État, même lorsque le risque est tout simplement défini en tant que difficulté. […]

 

 

[30]           Dans les circonstances, il était loisible à l’agent de tenir compte de la protection de l’État dans la mesure où celle‑ci pouvait influer sur l’évaluation des risques et, en conséquence, des difficultés. En fait, ce sont les demandeurs eux‑mêmes qui ont soulevé la question de la protection de l’État dans les observations qu’ils ont soumises à l’agent, et celui‑ci pouvait donc se pencher sur cette question.

 

[31]           Les demandeurs maintiennent que l’agent n’a pas examiné l’ensemble de la preuve, notamment les éléments se rapportant aux risques auxquels les demanderesses feraient face en raison de leur sexe, et qu’il n’a pas pris en considération la preuve de l’existence de discrimination contre les femmes dans son analyse.

 

[32]           Bien qu’une évaluation plus détaillée des risques auxquels les demanderesses seraient exposées aurait été préférable, j’estime que, dans les circonstances, le demandeur n’a pas soulevé d’erreur susceptible de révision.

 

L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse du degré d’établissement et d’intégration des demandeurs au Canada?

 

[33]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son analyse de leur degré d’établissement et d’intégration au Canada. Ils font valoir que l’agent n’aurait pas dû se demander si leur degré d’établissement était exceptionnel, mais plutôt s’ils seraient confrontés à des difficultés excessives s’ils étaient obligés de quitter le Canada. Les demandeurs exposent de nouveau des faits démontrés en preuve, notamment que rien ne les attend au Kenya alors qu’ils ont des amis, des parents et des associés au Canada, où ils occupent des emplois et suivent une formation au sein d’une communauté solide. En outre, les demandeurs affirment répondre aux cinq critères énumérés au paragraphe 11.2 du chapitre 5 du Guide de traitement des demandes au Canada, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, pour évaluer le degré d’établissement :

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut supposer certaines questions, par exemple :

•    Le demandeur a‑t‑il des antécédents d’emploi stable?

•    Y a‑t‑il une constante de saine gestion financière?

•     Le demandeur s’est‑il intégré à la collectivité par une participation aux organisations communautaires, le bénévolat ou d’autres activités?

•     Le demandeur a‑t‑il amorcé des études professionnelles, linguistiques ou autres pour témoigner de son intégration à la société canadienne?

•     Le demandeur et les membres de sa famille ont‑ils un bon dossier civil au Canada (p. ex. aucune intervention de la police ou d’autres autorités pour abus de conjoint ou d’enfants, condamnation criminelle)?

 

 

[34]           Bien que la preuve fasse état d’un degré appréciable d’établissement, l’agent pouvait pondérer ce facteur par rapport à plusieurs autres. L’agent a conclu que le degré d’établissement dont les demandeurs ont fait preuve découlait du fonctionnement normal des lois sur l’immigration et les réfugiés et n’était pas indépendant de leur volonté.

 

[35]           Le juge Rouleau a fait la déclaration suivante dans Nazim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 125, paragraphe 15, [2005] A.C.F. no 159 :

[15]     La possibilité de présenter une demande fondée sur des considérations humanitaires a pour but de prévoir un recours en cas de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives. Il ne s’agit pas de savoir si le demandeur apporterait ou apporte vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne. En examinant s’il existe des considérations humanitaires, les agents d’immigration doivent déterminer s’il existe une situation particulière dans le pays d’origine de la personne et si un renvoi peut causer des difficultés indues. C’est au demandeur qu’il appartient de prouver à l’agent qu’il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l’exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.

 

 

[36]           Je suis convaincu que l’agent a pris en considération en l’espèce tous les éléments de preuve dont il disposait. Sa conclusion selon laquelle la situation des demandeurs ne lui permettait pas de les dispenser de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada était justifiée et intelligible et appartenait aux issues possibles acceptables.

 

[37]           Les parties n’ont pas présenté de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4369‑07

 

 

INTITULÉ :                                       RANJIT BACHAN SINGH MOOKER

MAJINDER SINGH MOOKER

KANWALJIT KAUR

AMRITPAL KAUR MOOKER

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURTÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 2 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov                            POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer                                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates                        POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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