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Date: 20080501

Dossier: IMM-3367-07

  Référence: 2008 CF 562

Montréal (Québec), le 1er mai 2008

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE:

JIMMY NKONGOLO MUBIAYI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire résulte d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal) ayant pour effet de refuser au demandeur « la qualité de réfugié au sens de la Convention » et de « personne à protéger », au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et ce, au motif qu’il considère invraisemblable son récit quant à la crainte de persécution invoquée au point de ne pouvoir y prêter foi.

[2]               Après étude du dossier et considérant les représentations écrites et orales des parties, la Cour conclut au maintien de la décision parce que non déraisonnable compte tenu du contexte factuel et de l’analyse qu’en fait le Tribunal.

 

Faits

[3]               Citoyen de la république démocratique du Congo (RDC), le demandeur revendique la protection du Canada au motif qu’il craint la persécution de son pays d’origine en raison de ses opinions politiques. Il soutient posséder la qualité de « personne à protéger » telle que définie à la Loi (paragraphe 97(1)).

 

[4]               Alors qu’il agissait comme assistant-professeur, le demandeur aurait passé des messages politiques auprès d’étudiants pour protester contre le gouvernement congolais en place. Il aurait aussi participé à des réunions et manifestations organisées par l’Union démocratique pour le progrès social (UDPS).

 

[5]               En raison de ses activités et de certaines prises de position plus vindicatives, le demandeur aurait craint pour sa vie au moment de quitter la RDC le 26 août 2006. Bien que déjà détenteur d’un passeport de la RDC, il arrive au Canada pour réclamer l’asile avec en sa possession un faux passeport fourni par un passeur.

 

Décision contestée

[6]               Le rejet par le Tribunal de la demande d’asile repose principalement sur l’invraisemblance des allégations du demandeur, sur son manque de crédibilité, sur ses réponses improvisées pour se tirer d’embarras et éviter les questions, sans compter les contradictions de son récit sur les évènements à la base de sa revendication d’asile et de son statut de personne à protéger. Plus précisément, le Tribunal dans sa décision retient contre le demandeur entre autres éléments, les suivants :

a)         Ne pas avoir pu préciser de façon acceptable son rôle d’agiteur alors qu’on l’invitait à le faire;

 

b)         Ne pas avoir su expliquer de façon satisfaisante le rôle politique qu’il s’attribue pour sensibiliser la population congolaise contre le gouvernement, pour finalement admettre que ses messages ne revêtaient aucune couleur politique mais visaient uniquement l’économie de son pays;

 

c)         Ne pas avoir pu préciser l’année approximative des menaces reçues tout en étant capable de préciser le mois approximatif de celles-ci; mais confronté à son récit situant à septembre 2004 le début de sa crainte par suite de menaces reçues, il finit par admettre ne pas avoir prêté attention aux questions avant de répondre à celles-ci;

 

d)         Ne pas avoir pu préciser le moment des appels téléphoniques qu’il déclare avoir reçus entre 2004 et 2006;

e)         Ne pas avoir jugé bon de déposer en preuve les quatre convocations qu’il aurait reçues alors qu’il n’a pas encore quitté la RDC, et n’avoir pu expliquer pourquoi il n’a pas jugé bon de les obtenir de l’ami qui les détient toujours pour lui, afin de les offrir en preuve, plutôt que de se contenter de produire uniquement les deux convocations reçues après son départ de la RDC alors qu’il n’avait plus rien à craindre;

 

f)          Ne pas avoir cité lors de son témoignage aucun incident personnel ayant pu justifier sa décision de quitter la RDC, pour se limiter à une description générale de la situation dans son pays. Puis sur l’invitation suggestive de sa représentante, il finit toutefois par préciser que lors de sa participation en juillet 2006 à des marches pacifiques, des policiers l’auraient interpellé sur un « ton bizarre ». Pourtant s’il finit par parler dans son témoignage d’une interpellation de policiers faite sur un « ton bizarre », il ne parle plus toutefois dans son témoignage, malgré l’invitation suggestive de son avocate, de son récit antérieur voulant qu’il se soit alors senti menacé par le tir en l’air de policiers.

 

[7]               Les lacunes et contradictions dans la preuve et les inférences qu’en tire le Tribunal amènent celui-ci à ne pouvoir prêter foi au témoignage du demandeur et à conclure que son histoire n’est qu’une pure invention imaginée pour étayer sa demande d’asile.

 

[8]                Enfin résumant le tout, le Tribunal mentionne avoir appliqué à la situation du demandeur le paragraphe 97(1) de la Loi définissant la « personne à protéger », mais n’avoir pu identifier aucun élément de crédibilité pouvant justifier une décision favorable sous ce volet.

 

Prétentions des parties

[9]               Le demandeur se plaint principalement du comportement de la commissaire qui préside le Tribunal, et plus précisément de sa façon de mener le débat, de ses interventions, ainsi que de l’agacement et de l’impatience qu’elle aurait manifestés à l’audience. La commissaire aurait décidé selon lui de le juger non crédible avant même que ne débute l’audience. Il lui reproche de plus de ne pas avoir retenu ses explications, d’avoir tiré des conclusions de fait contraires à la preuve et de n’avoir pas retenu des éléments de preuve corroborants qui favorisent sa demande.

 

[10]           Le défendeur pour sa part insiste un peu trop sur les irrégularités de l’affidavit d’une étudiante en droit qui, après l’écoute de la trame sonore, se contente de résumer les diverses étapes de la preuve et des échanges devant le Tribunal. Cet affidavit n’ajoute rien au débat, ni à la transcription des débats que la Cour a pu lire et relire pour mieux apprécier les reproches faits à la présidente du Tribunal. Puisque la Cour n’accorde aucune importance au contenu de cet affidavit, elle ne voit pas l’utilité de trancher le débat préliminaire relatif aux irrégularités de la date de signature et celle de l’assermentation, préférant s’en remettre à la transcription des débats qu’elle se devait d’apprécier.

 

 

[11]           S’attaquant aux reproches que le demandeur dirige contre le Tribunal et sa décision, le défendeur soutient que le demandeur a failli à son fardeau de démontrer la partialité du Tribunal  et que de plus la décision, loin d’être déraisonnable, se justifie en regard des faits et du droit. Le défendeur réclame donc pour ces motifs le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

 

Questions en litige

[12]           Le litige soulève essentiellement deux seules questions pour cette Cour à décider :

1.      Le comportement de la présidente du Tribunal est-il de nature à susciter une crainte raisonnable de partialité ?

2.      Le Tribunal a-t-il commis une erreur révisable dans son appréciation de la preuve?

 

Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal fondées sur l’absence de crédibilité du revendicateur d’asile est celle de la décision déraisonnable définie dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) :

[47] […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Bien entendu dans le cas où l’on peut démontrer la partialité de la personne qui préside le Tribunal, tout le processus judiciaire s’en trouve vicié et l’équité procédurale commande alors une nouvelle audition. Voyons si les reproches de partialité du demandeur contre la présidente du Tribunal et les erreurs qu’il voit dans sa décision tiennent la route.

 

Analyse

Le comportement de la présidente du Tribunal est-il de nature à susciter une crainte raisonnable de partialité?  

 

[14]           Sur la partialité reprochée au Tribunal, la Cour croit bon de rappeler le test énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, et repris à plusieurs reprises, notamment dans la décision Pasion c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 91 :

[11] Le test applicable pour savoir s’il y a accroc à l’équité procédurale à cause de partialité est de se demander si une personne raisonnable et bien informée de la communauté percevrait de la partialité (voir Mohamed c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 696, [2006] A.C.F. no 881 (1re inst.) (QL)).

 

 

[15]           Après avoir lu, relu avec les parties et relu ensuite en cabinet, puis analysé la transcription et la preuve au dossier ainsi que la décision attaquée, la Cour ne peut accepter les reproches de partialité que le demandeur fait à la présidente du Tribunal. Bien que celle-ci soit intervenue aussi souvent qu’elle l’estimait utile ou nécessaire pour clarifier le témoignage du demandeur, nous sommes loin du cas où une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, pourrait conclure que la personne qui présidait le Tribunal a fait preuve de partialité.

[16]           Au contraire, la Cour est d’avis que les interventions reprochées ne visaient manifestement qu’à permettre au demandeur de préciser davantage son témoignage plutôt que de se confiner à des généralités, ou encore pour éclairer davantage le Tribunal sur le fil conducteur des évènements relatés. La Cour ne voit pas en quoi le fait de questionner le demandeur, pour lui permettre de préciser davantage son histoire, deviendrait après coup un indice de partialité, à moins de vouloir prêter des intentions non justifiées par la preuve. Oui de toute évidence la décision n’est pas celle attendue par le demandeur. Oui le Tribunal a pris parti contre sa demande en ne prêtant pas foi à son histoire; mais n’est-ce pas le cas de toute décision  où le Tribunal doit prendre parti pour ou contre une demande?  

 

[17]           Chose certaine le demandeur a pu se faire entendre, la présidente du Tribunal s’est manifestement intéressée à son histoire, mais souhaitait obtenir plus de précisions sur les faits pouvant justifier la crainte invoquée, et c’était là son rôle. Si le demandeur n’a su répondre à l’attente du Tribunal, et s’il n’a pas pu le convaincre de la véracité des faits rapportés, lui seul doit en supporter le prix puisque le fardeau de la preuve reposait sur ses épaules. Une lecture objective de la transcription démontre que loin d’être partiale, la présidente du Tribunal cherchait par ses interventions à être davantage éclairée pour mieux se laisser convaincre.

 

Le Tribunal a-t-il commis une erreur révisable dans sa façon d’apprécier la preuve ?

[18]           Malgré un seuil de contrôle exigeant, le demandeur soutient que cette Cour devrait faire droit à sa demande de contrôle pour deux reproches faits au Tribunal : 1) avoir tiré des conclusions négatives sans s’en remettre aux faits et preuves disponibles; 2) avoir erré en omettant de considérer la preuve corroborante. 

 

[19]           Rappelons quant au premier motif les lacunes retenues par le Tribunal dans la preuve du demandeur et qui le font conclure que celui-ci ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve, et ce principalement en raison de son problème de crédibilité.

 

[20]           Le deuxième motif est intimement lié au premier. Selon le demandeur, plutôt que d’apprécier la preuve soumise, le Tribunal ne parle pas dans sa décision de la preuve corroborante. Mais ce n’est pas parce qu’il n’en parle pas qu’il ne l’a pas considérée. Car à partir du moment où le Tribunal ne prête pas foi à l’histoire du demandeur,  il n’a pas à relater dans sa décision tous les éléments de preuve soumis, et pas plus ceux dont il n’a pas besoin pour conclure.

 

[21]           En fait le demandeur, non satisfait de la décision obtenue, demande ni plus et ni moins à cette Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de substituer son opinion à celle du Tribunal dans l’espoir que sa demande reçoive un accueil différent. La Cour se doit de résister à une telle invitation, puisque son seul rôle doit se limiter à l’analyse de la décision du Tribunal et à vérifier si compte tenu du contexte factuel en preuve et des éléments retenus à son soutien, celle-ci peut être étiquetée de « déraisonnable ». Une conclusion d’absence de crédibilité, comme dans l’espèce, peut être fondée sur des invraisemblances, des contradictions, sur l’irrationalité et sur le sens commun (Shahamati c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL). De plus, et contrairement aux prétentions du demandeur, le Tribunal n’a pas à mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve considérés ou ceux qu’on lui a soumis (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL). Un tel reproche devient d’autant plus excusable dans la présente affaire alors que le Tribunal n’accorde aucune crédibilité à l’histoire du demandeur.

 

[22]           Il importe aussi de souligner la spécialisation et la pleine compétence du Tribunal pour juger la plausibilité, la crédibilité et les explications du demandeur au soutien des motifs pour revendiquer l’asile (Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL)).

 

[23]           Fort de ses connaissances et de son expertise, le Tribunal peut poser des questions pour faire préciser davantage la preuve offerte, il peut aussi tirer des inférences de celle-ci et l’apprécier à sa vraie valeur sans être taxé pour autant de partialité ou de ne pas avoir considéré toute la preuve comme le prétend le demandeur. Les personnes qui président les tribunaux ont le droit de faire appel à leur expérience et au sens commun pour vérifier si un récit tient la route et est véridique, ou est tout simplement invraisemblable et non crédible.

 

[24]           Si un demandeur présente une preuve au décideur, il peut s’attendre à ce que celui-ci l’accepte entièrement, ou en partie seulement ou encore la rejette dans son entier. Il revient au Tribunal de choisir et retenir les parties de preuve jugées les plus probantes et crédibles pour lui permettre de conclure correctement. Si, suite à la décision, le choix des faits retenus ou rejetés par le Tribunal ne convient pas au demandeur d’asile, parce que nuisible à sa cause, il n’en résulte pas pour autant un motif valable de contrôle judiciaire de la décision, comme le laisse entendre ici le demandeur.

[25]           Rien n’indique que le Tribunal ait procédé à une analyse sélective de la preuve entendue. C’était son rôle et à lui seul d’apprécier la preuve et d’en retenir les éléments les plus valables, et nul autre que le Tribunal pouvait mieux juger et apprécier la crédibilité du demandeur après avoir entendu celui-ci et pu observer son comportement et sa façon de témoigner. Le seul fait de l’existence d’éléments de preuve contraires à ceux retenus par le Tribunal ne justifie pas pour autant l’intervention de cette Cour, surtout lorsque les éléments de preuve retenus viennent appuyer la décision, comme c’est le cas ici (Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 363, [2002] A.C.F. no 477 (1re inst.) (QL)).

 

[26]           La Cour, pour ces motifs, se doit de conclure au caractère raisonnable de la décision en litige. Celle-ci se justifie au regard des faits et du droit. La requête du demandeur sera donc rejetée.

 

[27]           Enfin la Cour partage l’avis des parties à l’effet que cette affaire ne soulève aucune question de portée générale justifiant la certification.

 

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3367-07

 

INTITULÉ :                                       Jimmy Nkongolo MubiAYI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mars 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annick Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Simone Truong

Monsieur Alain Langlois

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Annick Legault

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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