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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080505

Dossier : IMM‑3751‑07

Référence : 2008 CF 571

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

SARA LAURA TRIANA AGUIRRE,

JAVIER JOSHUE GONZALEZ TRIANA,

SABRINA LETICIA TRIANA AGUIRRE,

WILFRIDO ZUNIGA TRIANA et

DAVID SEBASTIAN ZUNIGA TRIANA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse principale, Sara Laura Triana Aguirre, son fils Javier Joshue Gonzalez Triana, sa sœur Sabrina Leticia Triana Aguirre et les deux fils de celle‑ci, Wilfrido et David Sebastian Zuniga Triana (collectivement appelés les « demandeurs »), ont présenté une demande de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’égard d’une décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait le 14 août 2007 qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               La demanderesse principale, Sara Laura Triana Aguirre, et les autres membres de la famille sont des citoyens du Mexique. Dans leur récit, ils allèguent qu’ils vivaient ensemble avec le mari de la demanderesse principale. Cette dernière a commencé à être maltraitée par son mari en 2003. Le 10 décembre 2004, la sœur de la demanderesse principale a découvert de la cocaïne, de l’argent comptant, un revolver, ainsi qu’une liste de noms associés à un cartel de la drogue dans le porte‑documents du mari. Ce dernier est arrivé sur ces entrefaites, et l’a menacée, elle et ses enfants, si elle mentionnait quoi que ce soit à la demanderesse principale sur ce qu’elle avait découvert.

 

[3]               Le 15 décembre 2005, le mari a agressé et tenté de violer la sœur de la demanderesse principale. Cette dernière a raconté à la demanderesse principale, le 16 décembre 2005, tout ce qu’elle avait subi et, le lendemain, elle a officiellement porté plainte à la police. Quatre jours plus tard, la demanderesse principale décidait elle aussi, après avoir consulté un avocat, de dénoncer officiellement son mari relativement à la violence conjugale qu’il avait exercée contre elle.

 

[4]               Pendant que son mari était absent, la demanderesse principale a changé les serrures de la résidence familiale. Son mari s’est introduit par effraction dans la maison et a emporté ses bijoux, un ordinateur, ainsi que d’autres documents. Le 24 décembre 2005, la demanderesse principale et les autres membres de la famille sont allés se réfugier au domicile de sa mère. Lorsqu’ils sont retournés à la maison pour y récupérer certains objets de valeur, ils ont découvert que leur chien avait été abattu et qu’une mise en garde avait été inscrite sur le mur. La demanderesse principale a ensuite appris, par l’intermédiaire de son avocat, qu’on n’avait pas donné suite aux plaintes déposées contre son mari faute de preuve.

 

[5]               Le 2 janvier 2006, le mari a téléphoné à la demanderesse principale au domicile de sa mère à elle et l’a menacée. La demanderesse principale a dénoncé dans un journal local les autorités qui n’avaient pas assuré sa protection. Le 7 janvier 2006, le fils de la demanderesse principale, qui était seul au domicile de sa grand‑mère, a été menacé et fouetté à coups de pistolet par le mari qui était son beau‑père et non son père biologique.

 

[6]               Les demandeurs ont fui à Juarez, Chihuahua. Après l’incident survenu le 11 janvier 2006, où des inconnus avaient tiré sur la voiture que conduisait la demanderesse principale, les demandeurs se sont enfuis à Mexico pour aller chercher leur passeport. Ils sont arrivés au Canada le 13 janvier 2006.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[7]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce que certaines parties de leur témoignage n’étaient ni crédibles ni dignes de foi en raison d’incohérences, d’omissions et de conjectures.

 

[8]               La Commission a commencé en faisant référence aux directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) et en soulignant qu’il peut être difficile pour certaines personnes vivant dans une relation de violence de quitter leur partenaire.

 

[9]               La Commission a affirmé que des questions de crédibilité ont été soulevées parce que les demandeurs n’avaient pas fourni les documents requis et que les explications qu’ils avaient données pour justifier leur omission n’étaient pas satisfaisantes. La Commission était d’avis que le temps que les demandeurs avaient mis avant d’essayer d’obtenir les documents était attribuable à un manque d’intérêt quant à la progression de leur demande d’asile.

 

[10]           La Commission a jugé que les omissions et les divergences relevées dans les notes prises au point d’entrée constituaient un autre motif pour justifier sa conclusion défavorable quant à la crédibilité. Elle a prêté une attention particulière au fait que les notes prises au point d’entrée n’indiquaient pas que les demandeurs s’étaient réfugiés chez la mère de la demanderesse principale ni que le fils avait été victime d’une agression. La Commission a également conclu qu’un aspect important était que la demanderesse principale avait fourni, au point d’entrée et à l’audience, des descriptions différentes quant à l’issue de sa dénonciation à la police. La Commission a fait observer que les notes prises au point d’entrée indiquaient que le dossier avait été égaré, alors que la demanderesse principale avait déclaré à l’audience que le dossier avait été clos faute de preuve.

 

[11]           Enfin, la Commission a jugé que l’allégation selon laquelle des inconnus avaient tiré sur la voiture que conduisait la demanderesse principale à l’instigation de son mari ne reposait que sur des suppositions.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en fondant son appréciation de la crédibilité sur l’absence d’éléments de preuve documentaires corroborants, et en ne tenant pas compte de l’explication fournie par les demandeurs pour justifier cette absence?

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion quant à la crédibilité fondée sur des omissions et des divergences relevées dans les notes prises au point d’entrée?

 

NORME DE CONTRÔLE

[13]           La Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC  9, qu’il n’y a que deux normes de contrôle, celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable (l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 34). En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. La Cour suprême a poursuivi en précisant que les décisions de la Commission quant aux faits et à la crédibilité continuent d’être assujetties à un degré élevé de déférence.

 

[14]           La crédibilité est une question qui relève de l’expertise de la Commission (Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Ainsi, pour ce qui est des questions relatives à l’examen des conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique, laquelle commande la déférence (Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 15.

 

ANALYSE

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en fondant son appréciation de la crédibilité sur l’absence d’éléments de preuve documentaires corroborants, et en ne tenant pas compte de l’explication fournie par les demandeurs pour justifier cette absence?

 

[15]           Les faits relatés par un demandeur d’asile à l’audience devant la CISR sont présumés véridiques (Puentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1335, au paragraphe 16; Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux paragraphes 6 à 8). Dans la décision Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 705, au paragraphe 45, le juge Teitelbaum s’est exprimé au sujet de l’absence d’éléments de preuve documentaires corroborants pour justifier des conclusions de fait et de crédibilité :

La Commission semble avoir commis une erreur en déterminant que le requérant n’était pas digne de foi parce qu’il n’était pas capable de fournir des éléments de preuve documentaires corroborants ce qu’il avançait. Comme cela a été le cas dans la décision Attakora, précitée, où la C.A.F. a décrété que le requérant n’était pas tenu de fournir des rapports médicaux pour justifier la blessure dont il disait avoir souffert, on ne s’attend pas non plus en l’espèce à ce que le requérant produise une copie d’un rapport d’arrestation. Le fait de n’avoir pas fourni de document concernant l’arrestation - et il s’agit là d’une conclusion de fait exacte - ne peut être lié à la crédibilité du requérant en l’absence de preuve contredisant les allégations.

 

[16]           L’analyse de la Commission sur la crédibilité commence au deuxième paragraphe de ses motifs (dossier du Tribunal, page 5) :

Un certain nombre de questions relatives à la crédibilité ont été soulevées. Les demandeurs d’asile n’ont fourni aucun des documents suivants qui étaient pourtant indispensables : les dénonciations ayant été faites aux autorités, le rapport médical établi après l’agression dont aurait été victime le fils de la demandeure d’asile principale aux mains de l’époux de cette dernière, ainsi qu’une copie de la dénonciation publique qui avait été publiée dans le journal local.

 

L’accent qu’a mis la Commission sur l’omission des demandeurs de fournir des documents laisse entendre que l’absence d’éléments de preuve documentaires corroborants constitue le fondement principal de sa conclusion relative au manque de crédibilité des demandeurs. Utiliser l’absence d’éléments de preuve documentaires pour attaquer la crédibilité d’un demandeur va à l’encontre de ce qui est énoncé dans la décision Ahortor, précitée.

 

[17]           Dans certaines affaires, l’omission de fournir des éléments de preuve corroborants peut être un facteur dont la Commission tiendra compte à bon droit. Dans la décision Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10, le juge Kelen a expliqué la situation dans laquelle l’absence d’éléments de preuve corroborants est susceptible d’influer sur la crédibilité d’un demandeur :

[...] lorsqu’un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, le fait que celui‑ci n’ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s’il n’accepte pas l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas transmis ces documents.

 

[18]           Dans l’énoncé de ses motifs relatifs à la crédibilité, la Commission poursuit en concluant que les explications fournies par les demandeurs pour justifier leur retard et leur peu de succès à obtenir les documents requis étaient insatisfaisantes, puisque, selon elle, les demandeurs avaient fait preuve d’un manque d’intérêt quant à la progression de leur demande d’asile, et elle tire une inférence défavorable quant à leur crédibilité :

 

Lorsqu’on a demandé à la demandeure d’asile principale et à son fils quelles mesures ils avaient prises en vue d’obtenir les documents en question du Mexique, ils ont répondu n’avoir rien tenté avant mars 2007, soit environ 15 mois après leur arrivée au Canada. Ils ont expliqué qu’ils n’avaient contacté personne au Mexique et qu’ils n’avaient aucunement l’intention de contacter qui que ce soit. En mars 2007, la demandeure d’asile principale a contacté une amie qui pouvait, selon elle, l’aider à obtenir certains documents. L’amie en question a refusé d’obtenir les documents parce qu’elle ne voulait pas avoir de problèmes. Le fils de la demandeure d’asile principale a également contacté un ami par téléphone, mais n’a pu obtenir aucun document. D’autres questions ont été posées afin de savoir pourquoi l’avocat n’avait pas été en mesure de lui procurer la dénonciation. La demandeure d’asile principale a répondu qu’elle n’avait pas pensé que cela était nécessaire et que l’avocat en question avait de toute façon perdu toute crédibilité à ses yeux. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi la dénonciation publique qui avait prétendument été publiée dans le journal n’était pas disponible, elle a répondu qu’elle n’y avait pas pensé. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’y avait aucun rapport médical décrivant les blessures subies par son fils, elle a répondu qu’elle craignait la police et les institutions. Les explications fournies n’étaient pas satisfaisantes. Les demandeurs d’asile ont fait preuve d’un manque d’intérêt quant à la progression de leur demande d’asile, étant donné qu’ils ont attendu jusqu’au mois de mars 2007 pour tenter d’obtenir des documents corroborants disponibles et qu’ils n’ont même pas eu recours aux différents moyens dont ils auraient pu se prévaloir pour obtenir lesdits documents. Le tribunal tire une inférence défavorable quant à leur crédibilité.  (Dossier du Tribunal, aux pages 5 et 6.)

 

Bien que la Commission ait examiné les notes prises au point d’entrée pour juger de la crédibilité des demandeurs, son analyse ne remplit pas la condition préalable des « motifs valables » énoncée par le juge Kelen dans la décision Amarapala, précitée.

 

[19]           Il est clair que la Commission n’a pas trop tenu compte de l’explication fournie par les demandeurs pour justifier l’absence de documents corroborants. Les incidents qui ont mené les demandeurs à fuir le Mexique sont survenus dans l’espace d’un mois. Ils fuyaient un mari violent qui semblait être mêlé à un cartel de la drogue. La demanderesse principale fuyait un mari qui avait été violent envers elle au cours des deux années précédentes et dont la violence s’étendait maintenant aux autres membres de la famille, à savoir sa sœur et son fils. Ils ont donc déménagé deux fois avant de quitter le Mexique.

 

[20]           Cette situation semble avoir entraîné le détachement de la demanderesse principale par rapport à son passé au Mexique. La demanderesse s’est expliquée de la façon suivante :

[traduction]

 

Puisque je n’étais en contact avec personne, lorsque je suis partie, lorsque j’ai fui mon pays, je n’avais aucunement l’intention de téléphoner à qui que ce soit au Mexique, parce que la dernière chose que je souhaitais c’était d’appeler au Mexique, parce que je ne recevais aucun soutien de personne là‑bas. Et puis je n’avais aucune raison d’appeler au Mexique. (Dossier du Tribunal, à la page 360.)

 

[21]           En plus de ce détachement volontaire de son pays, la demanderesse principale s’est également détachée de sa famille. Elle a témoigné qu’elle n’entretenait pas de relation étroite avec ses frères et qu’elle ne pourrait pas compter sur eux pour obtenir des documents corroborants (dossier du Tribunal, à la page 365). Les demandeurs ont expliqué dans les documents supplémentaires joints au Formulaire de renseignements personnels (le FRP) que :

[traduction]

 

[D]epuis notre départ du Mexique, nous n’avons pas été en contact avec notre famille. Notre relation avec elle est devenue assez distante en raison des incidents que nous avons vécus là‑bas. Mes frères n’étaient pas tous attentifs à nos problèmes et nous ne leur avons pas parlé depuis. Nous ne voulions pas non plus exposer notre famille à des risques accrus en indiquant où nous étions. Nous avons été tellement traumatisés par notre expérience au Mexique que nous avons jugé qu’il valait mieux couper tout lien avec notre famille là‑bas.

 

Récemment, nous avons appris par l’entremise d’un tiers que ma mère était décédée. Nous avons tenté de communiquer avec mon père pour savoir ce qui s’était passé, mais nous n’avons pas réussi à le joindre. Nous ne savons pas s’il a changé de numéro de téléphone ou s’il a déménagé, ni ce qui s’est passé. Nous n’avons pas communiqué avec mes frères parce que nous sommes certains qu’ils nous blâmeront pour ce qui est arrivé à ma mère.

 

 

[22]           La Commission n’a pas retenu l’explication fournie par les demandeurs pour justifier leur omission d’avoir cherché à obtenir les documents corroborants avant mars 2007. Bien qu’elle ne soit pas tenue d’accepter leur explication, la Commission doit l’examiner au lieu de la refuser au motif qu’elle constitue un manque d’intérêt quant à la progression de leur demande d’asile. Cela est d’autant plus vrai dans le cas des victimes de violence conjugale, compte tenu des Directives et des documents sur la situation dans le pays dont disposait la Commission.

 

[23]           Les Directives recommandent aux commissaires de se montrer sensibles aux questions relatives à la persécution fondée sur le sexe, comme celles soulevées par les demandeurs en l’espèce. Tant la demanderesse principale que son fils ont témoigné que les amis avec qui ils avaient communiqué pour obtenir les documents avaient refusé de les aider parce qu’ils ne voulaient pas avoir de problèmes. Étant donné que les Directives recommandent à la Commission de se montrer sensible aux questions fondées sur le sexe, il est étonnant qu’elle n’ait pas tenu compte de l’isolement volontaire de la demanderesse principale, de son détachement de la famille, ou de la perte de contact avec ses amis en raison de l’absence de soutien offert aux victimes de violence conjugale par la société et les autorités mexicaines.

 

[24]           La preuve documentaire indique que les autorités mexicaines ne protègent pas adéquatement les femmes contre la violence et les mauvais traitements. À l’extrémité juridique du spectre, les lois étatiques mexicaines fixent un critère exigeant pour les poursuites en matière de violence conjugale contre les femmes. Le rapport de Human Rights Watch, dont disposait la Commission, précise (dossier du Tribunal, à la page 321) :

[traduction]

 

Dans plusieurs États, les lois et les politiques ne traitent pas adéquatement de la question de la violence faite aux femmes, et les protections existantes ne répondent pas à l’obligation internationale du Mexique qui consiste à adopter toutes les mesures administratives, civiles et pénales nécessaires pour prévenir, réprimer et éliminer la violence faite aux femmes. Dans sept des trente‑deux États indépendants du Mexique, on ne trouve aucun texte législatif traitant précisément de la prévention et de la répression de la violence conjugale. Sept États ne reconnaissent pas la violence conjugale en tant que crime. Dans les vingt‑cinq États où la violence conjugale est sanctionnée, quinze codes pénaux étatiques exigent que les femmes aient subi de la violence « de manière répétitive » dans leur famille pour que cette violence soit considérée comme un crime. Dans onze États, la violence conjugale est considérée comme une infraction au code civil de l’État en plus de constituer une infraction criminelle, bien que sept de ces États exigent que la violence ait été subie de manière répétitive pour qu’elle puisse être sanctionnée.

 

[25]           À l’autre extrémité du spectre visant l’application de la loi, les services de police n’accorderaient guère d’importance, selon les données disponibles, aux plaintes de violence conjugale. Comme l’a décrit une femme dans le rapport de Human Rights Watch déjà cité :

[traduction]

 

[U]n jour, je suis allée porter plainte contre mon ex-mari. J’avais été rouée de coups et j’étais couverte de meurtrissures. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve. Ils ont pris ma dénonciation et n’ont rien fait ». (Dossier du Tribunal, à la page 323.)

 

[26]      Je conclus que la Commission a fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur l’absence de documents et sur le rejet, sans examen convenable, de l’explication fournie par les demandeurs pour justifier leur retard et leur peu de succès à obtenir les documents en question.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant une conclusion quant à la crédibilité fondée sur des omissions et des divergences relevées dans les notes prises au point d’entrée?

 

[27]      La Commission a tenu pour important le fait que les notes prises au point d’entrée ne contenaient pas de description sur le refuge de la demanderesse principale au domicile de sa mère ou sur l’agression commise contre son fils, ainsi que l’explication différente fournie par la demanderesse principale au sujet de l’issue de sa dénonciation à la police.

 

[28]      Les notes prises au point d’entrée relativement à la demanderesse principale, à sa sœur et à son fils sont très brèves, mais elles concordent avec le FRP des demandeurs et le témoignage rendu à l’audience. La traduction de l’explication fournie par la demanderesse principale sur sa crainte de retourner au Mexique ne compte que cinq phrases, tout comme celle de son fils. L’explication de sa sœur se trouve dans une phrase de huit mots. (Dossier du Tribunal, aux pages 165 et 204.)

 

[29]      En conséquence, la présente affaire peut être distinguée d’avec l’affaire Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 587 (C.A.F.), au paragraphe 33, invoquée par le défendeur à l’appui de la proposition selon laquelle l’existence de contradictions ou d’incohérences entre le témoignage d’un demandeur et les notes prises au point d’entrée constitue un motif reconnu pour conclure à un manque de crédibilité. Dans l’arrêt Dehghani, une transcription complète de l’entrevue menée au point d’entrée, comportant 75 questions et réponses, était disponible pour le contrôle judiciaire.

 

[30]      Les notes prises au point d’entrée peuvent être pertinentes si elles sont très différentes des explications fournies par le demandeur dans son FRP ou dans son témoignage à l’audience. Elles peuvent également être pertinentes si l’entrevue menée au point d’entrée est longue et contient des différences importantes d’avec le témoignage subséquent du demandeur. En l’espèce, les brèves notes prises au point d’entrée concordent avec le témoignage subséquent des demandeurs. Compte tenu de leur brièveté, les notes prises au point d’entrée ne constituent pas un motif suffisant pour conclure à d’importantes omissions.

 

[31]      Enfin, les notes prises au point d’entrée ont été préparées avec l’aide d’un interprète tout comme l’ont été les déclarations figurant dans le FRP et le témoignage rendu à l’audience. Il ressort clairement des notes prises au point d’entrée qu’elles n’ont pas été rédigées par la demanderesse principale. L’auteur des notes a indiqué que la police avait [traduction] « égaré » la plainte. L’utilisation de guillemets, en particulier, tend à indiquer que le mot « égaré » a été employé au‑delà du sens ordinaire que lui donnent les dictionnaires, puisque rien d’autre ne figurait entre guillemets (dossier du Tribunal, à la page 165). Les motifs exposés par la Commission ne tiennent pas compte de cet aspect (dossier du Tribunal, à la page 6). Dans ce contexte, que la police ait « égaré » ou clos le dossier faute de preuve ne constitue pas une divergence décisive permettant de conclure à un manque de crédibilité.

 

CONCLUSION

[32]      J’estime que les conclusions de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs sont déraisonnables, malgré la retenue dont il convient de faire preuve à l’égard de telles conclusions. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[33]      La demanderesse principale a proposé aux fins de certification deux questions relatives à l’utilisation des notes prises au point d’entrée. Le défendeur s’oppose à la certification de ces questions, alléguant que l’utilisation des notes prises au point d’entrée est une question d’appréciation et dont l’issue pourrait varier d’un cas à l’autre. Je suis d’accord avec le défendeur. Je ne soumets aucune question de portée générale aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑3751‑07

 

INTITULÉ :                                                               SARA LAURA TRIANA AGUIRRE ET AL.

                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                               

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 22 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 5 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay                                                           POUR LES DEMANDEURS

 

Ned Djordjevic                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert I. Blanshay                                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

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