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Date : 20080515

Référence : 2008 CF 612

Dossier : IMM‑2010‑08

ENTRE :

GURCHARN SINGH MANN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

Dossier : IMM‑2033‑08

ENTRE :

GURCHARN SINGH MANN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE


LE JUGE PHELAN

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Voici les motifs de l’ordonnance datée du 5 mai 2008 par laquelle j’ai prononcé un sursis à l’expulsion du demandeur.

 

[2]               Il y a en litige deux demandes d’autorisation de contrôle judiciaire. Dans le dossier IMM‑2010‑08, le demandeur conteste la décision par laquelle un agent chargé du renvoi a refusé de reporter son expulsion jusqu’à ce que soit rendue une décision quant à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance depuis longtemps. L’autre affaire, dans le dossier IMM‑2033‑08, est une demande d’autorisation visant un mandamus pour une décision à l’égard de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, au motif que le délai de plus de trois ans pour le traitement de la demande constitue en fait un refus de rendre une décision à cet égard dans un délai raisonnable.

 

[3]               Je souhaite n’être aucunement considéré, du fait que j’ai prononcé le sursis et que j’énonce des motifs, comme usurpant la compétence du juge qui se penchera sur les demandes d’autorisation alors qu’il disposera d’un dossier plus complet (le défendeur n’a déposé son dossier dans aucune des affaires) et possiblement de plus de temps pour examiner le bien‑fondé de ces demandes.

 

[4]               La présente affaire est appuyée par les affidavits des deux avocates d’expérience portant sur les délais de traitement des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire dans le système d’immigration, de même que sur la probabilité qu’il y ait une possibilité raisonnable que soit acceptée une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire après qu’un demandeur a été renvoyé du pays.

 

II.         LE CONTEXTE

[5]               Le demandeur est citoyen de l’Inde. Il est au Canada depuis 22 ans, soit depuis le 6 décembre 1985. Sa demande d’asile a été rejetée en juin 1990 et son expulsion a été ordonnée en août 1990.

 

[6]               Le demandeur a disparu en novembre 1990 juste avant son renvoi. Il a été arrêté en 1997 en vertu d’un mandat de l’immigration et libéré sous conditions peu après.

 

[7]               Depuis, soit depuis les 11 dernières années, il est à la disposition des autorités de l’immigration, qui sont au courant de sa présence, pour son expulsion.

 

[8]               La première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur a été refusée en février 2001. Sa demande d’ERAR a été rejetée en janvier 2005.

 

[9]               Il a présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en novembre 2004. En avril 2005, le dossier a été transféré à Mississauga où il est apparemment resté.

 

[10]           Le 23 avril 2008, le demandeur a présenté une demande de report de renvoi en raison de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance. Le report a été refusé le 28 avril 2008, et le renvoi devait avoir lieu le 7 mai 2008.

 

III.       L’ANALYSE

[11]           Le critère juridique applicable à un sursis est connu au point qu’il n’est pas nécessaire de le répéter ici.

 

[12]           Pour les besoins de l’analyse, j’ai combiné les deux affaires parce qu’elles se fondent essentiellement sur les mêmes faits et les mêmes questions de droit.

 

A.        Question sérieuse

[13]           Il se dégage de l’examen de toutes les observations que la question de droit soulevée par le demandeur est le délai déraisonnable de traitement de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[14]           À première vue, la situation du demandeur abonde en délais gouvernementaux déroutants, en particulier depuis sa libération en 1997.

 

[15]           Dans son affidavit, Robin Seligman, présidente de la Section du droit de l’immigration de l’Association du Barreau canadien, déclare qu’Immigration Canada peut remédier aux délais, et en fait y remédie, en transférant des dossiers d’un bureau très occupé comme celui de Mississauga à des centres moins occupés. Il s’ensuit que des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire peuvent être traitées, dans certains cas, dans un délai de six mois.

 

[16]           Le défendeur n’a pas traité de cet élément de preuve.

 

[17]           La Cour ne peut que conclure, à la présente étape, que le délai, long de prime abord, est allongé du fait de questions de commodité administrative plutôt que de charge administrative.

 

[18]           Le demandeur affirme que l’agent chargé du renvoi n’a pas traité de la question du délai. En toute déférence, l’agent chargé du renvoi n’a qu’un pouvoir très limité de reporter un renvoi. Le fait de se fier à l’atteinte à la capacité du demandeur de jouer dans son groupe musical ou d’enseigner dans son temple est un argument faible au point qu’il met en cause le caractère sérieux de la contestation du système de traitement des dossiers d’immigration.

 

[19]           Toutefois, étant donné que le critère préliminaire applicable à une question de droit sérieuse est peu élevé et qu’il y a un délai de trois ans inexpliqué, un délai qui se rapproche du celui pour lequel la Cour, dans des affaires comme Bakhsh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 256 F.T.R. 195, a conclu qu’il soulevait des questions quant au caractère raisonnable, le demandeur a satisfait au premier critère préliminaire permettant d’obtenir un sursis.

 

B.         Le préjudice irréparable

[20]           De nouveau, en mettant l’accent sur le fond des deux dossiers du demandeur, le préjudice invoqué est que, en fait, le droit de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devient inopérant à la suite d’un renvoi.

 

[21]           À cet égard, le demandeur a présenté les affidavits de deux avocates – Robin Seligman et Barbara Jackman. Leur preuve établit que, en dépit des déclarations de principe du gouvernement, leur expérience leur apprend qu’une fois qu’un demandeur qui a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est renvoyé, alors que le processus à l’égard de sa demande se poursuit, le traitement de la demande va [traduction] « vers un refus ».

 

[22]           La Cour reconnaît les faiblesses de cette preuve en ce qu’elle est anecdotique, non scientifique ou non documentée. Cependant, les auteures des affidavits ont démontré, au moyen d’une demande d’accès à l’information, que le gouvernement ne conserve pas des statistiques permettant de montrer qu’un demandeur qui présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a une bonne chance d’avoir gain de cause malgré son renvoi du pays.

 

[23]           Cette preuve est faible, mais le défendeur n’a présenté aucune preuve contraire quant au fond.

 

[24]           Comme le révèle la jurisprudence, la Cour présume qu’un renvoi est un événement neutre dans le contexte de l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. D’ailleurs, le défendeur fournit apparemment régulièrement à la Cour une assurance à cet effet.

 

[25]           Le demandeur a mis en doute l’assurance à cet égard. L’effet de la preuve du demandeur est qu’un demandeur, dans la pratique, perd son droit d’obtenir un examen juste de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’il est renvoyé du Canada.

 

[26]           La question de l’effet du renvoi porte sur les trois éléments intéressant le sursis – la question sérieuse, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

 

[27]           Il peut y avoir toutes sortes de raisons pour lesquelles la perception de l’avocate qui a signé l’affidavit n’est pas tenable. Le problème, à la présente étape, est que la Cour ne dispose pas d’autres éléments de preuve permettant de démontrer que la perception est dénuée de fondement.

 

[28]           Par conséquent, le demandeur a satisfait au critère préliminaire du préjudice irréparable – selon le présent dossier.

 

C.        Prépondérance des inconvénients

[29]           La Cour est consciente que le présent demandeur a souillé son « attitude irréprochable » du fait qu’il a disparu pendant sept ans. La Cour n’est pas non plus particulièrement convaincue, même si le demandeur a fait usage de nombreuses procédures d’immigration, que le critère milite en sa faveur.

 

[30]           Cependant, la question de l’intérêt du public est soulevée par la question du délai de traitement d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de même que par celle de l’effet du renvoi sur une telle demande non tranchée. La prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur dans la présente affaire.

 

IV.       CONCLUSION

[31]           Pour tous les motifs énoncés, j’ai exercé le pouvoir discrétionnaire me permettant d’accorder un sursis jusqu’à ce que les demandes d’autorisation puissent être traitées sur le fondement d’un dossier plus complet.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 mai 2008

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM‑2010‑08 et IMM‑2033‑08

 

INTITULÉ :                                       GURCHARN SINGH MANN

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

                                                            GURCHARN SINGH MANN

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mai 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 mai 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Ricky Tang

 

POUR LE DÉFENDEUR

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WALDMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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