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Date : 20080429

Dossier : DES-3-07

Référence : 2008 CF 549

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2008

En présence de Monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

ABDULLAH KHADR

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Les États‑Unis d’Amérique ont demandé que M. Abdullah Khadr soit extradé du Canada afin qu’il soit traduit en justice pour des accusations criminelles se rapportant à des actes qu’il aurait commis au Pakistan pour appuyer des attaques visant les forces de la coalition en Afghanistan. Dans la présente affaire, M. Khadr demande que certains renseignements détenus par le gouvernement canadien lui soient divulgués afin de l’aider à se défendre contre la demande d’extradition. Le procureur général du Canada s’oppose à la divulgation de ces renseignements parce que celle‑ci porterait préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales du Canada.

[2]               La présente demande est présentée au titre de l’alinéa 38.04(2)c) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985. ch. C‑5 (la Loi ou la LPC). Le procureur général a été avisé conformément à l’article 38.02 de la Loi par un participant à la procédure d’extradition que la divulgation de certains renseignements pourrait porter préjudice aux intérêts protégés. Le procureur général a examiné les renseignements et a autorisé la divulgation de certains d’entre eux en vertu de l’article 38.03 de la Loi. La présente instance repose donc sur le fait que la Loi interdit la divulgation des renseignements non divulgués, à moins qu’elle ne soit autorisée par la Cour.

 

[3]               Le demandeur sollicite une ordonnance, en vertu des paragraphes 38.06(1) ou 38.06(2) de la Loi, autorisant la divulgation des renseignements et une ordonnance lui accordant les dépens. De son côté, le défendeur demande une ordonnance confirmant les décisions du procureur général ou, subsidiairement, prévoyant que les renseignements non divulgués soient divulgués seulement sous forme de résumé et à certaines conditions.

 

[4]               Ayant examiné la preuve et les observations des parties avec l’aide d’un amicus curiae, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire d’autoriser la divulgation des renseignements pertinents au regard de la procédure d’extradition sous forme de résumé et à certaines conditions visant à minimiser le risque de préjudice aux intérêts protégés. Le résumé sera communiqué seulement aux avocats des parties et son utilisation sera limitée à la procédure d’extradition.

 

[5]               La Cour a ordonné au procureur général de payer les frais liés à la participation de l’amicus curiae à la présente demande. Aucune autre ordonnance ne sera rendue relativement aux dépens.

 

L’HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

 

[6]               M. Khadr, un citoyen canadien, a été arrêté au Pakistan à la mi‑octobre 2004 et a été détenu par les autorités pakistanaises jusqu’à sa libération et son rapatriement au Canada le 2 décembre 2005. Il a été arrêté à Toronto le 17 décembre 2005 en vertu d’un mandat provisoire lancé par un juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario en application de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18. À la suite d’une enquête sur le cautionnement tenue devant ce tribunal le 23 décembre 2005, M. Khadr a été placé en détention. Il n’a pas été libéré depuis.

 

[7]               La procédure d’extradition a débuté officiellement par la présentation d’une demande d’extradition datée du 9 février 2006 par le bureau du procureur des États‑Unis situé à Boston, au Massachusetts, où les accusations contre M. Khadr ont été déposées, et par un arrêté introductif d’instance daté du 15 mars 2006 et signé au nom du procureur général du Canada.

 

[8]               On allègue essentiellement dans le dossier de la cause (DC) et les DC supplémentaires déposés par l’État requérant que M. Khadr s’est procuré des munitions et des explosifs devant être utilisés par des militants d’Al-Qaïda contre les forces américaines et les forces de la coalition en Afghanistan. Selon le procureur général, ces crimes correspondent à des infractions de terrorisme ainsi qu’à des infractions relatives aux armes et aux explosifs prévues par le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑6.

 

[9]               Comme l’indiquent le DC et les DC supplémentaires, les allégations visant M. Khadr sont fondées principalement sur des déclarations incriminantes qu’il a faites après mise en garde à des agents du Federal Bureau of Investigation (le FBI) en juillet 2005, alors qu’il était détenu au Pakistan, et en décembre 2005, alors qu’il se trouvait dans une chambre d’hôtel de Toronto peu de temps après son rapatriement. Les États‑Unis cherchent également à s’appuyer sur une déclaration faite par le demandeur après mise en garde à des agents de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) après son retour au Canada. Des agents de la GRC avaient aussi interrogé M. Khadr au Pakistan en avril 2005, mais les États‑Unis ne s’appuient pas sur ces déclarations. Les notes prises par les agents pendant les entrevues d’avril 2005 ont cependant été déposées lors de l’enquête sur le cautionnement concernant le demandeur et font partie du dossier de la présente demande.

 

[10]           En août 2006, le demandeur a déposé une requête en divulgation et de mesures de redressement connexes à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Il demandait notamment que celle‑ci tienne un voir‑dire sur l’admissibilité de la preuve recueillie contre lui et qu’elle enjoigne au procureur général du Canada de produire tous les documents ayant un lien avec le voir‑dire. Le demandeur prétendait que les déclarations qu’il avait faites et qui pourraient être utilisées dans le cadre de la procédure d’extradition devaient être écartées parce qu’elles avaient été obtenues par la torture, par des traitements cruels et inhumains et par la détention illégale au Pakistan. Il soutenait subsidiairement que les circonstances de sa détention rendaient cette preuve non digne de foi, de sorte qu’elle ne pouvait pas étayer son extradition du Canada.

 

[11]           Les avocats du procureur général du Canada, représentant l’État requérant, ont reconnu que, compte tenu de la preuve par affidavit de M. Khadr, l’affirmation de celui‑ci selon laquelle ses allégations pourraient être étayées par la preuve en la possession du procureur général si la demande de production était accueillie avait une « apparence de vraisemblance » : États‑Unis d’Amérique c. Kwok, 2001 CSC 18, [2001] A.C.S. no 19, aux paragraphes 100 et 106; R. c. Larosa, 163 O.A.C. 108, [2002] O.J. No. 3219 (C.A.O.), au paragraphe 78. Ils se sont donc volontairement engagés à divulguer un grand nombre de documents détenus par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS), la GRC et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI).

 

[12]           En février, mars et avril 2007, les avocats de la Couronne ont avisé à quatre reprises le procureur général, en conformité avec le paragraphe 38.01(1) de la LPC, que certains des documents qu’ils se proposaient de divulguer renfermaient des renseignements sensibles ou susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la sécurité nationale du Canada s’ils étaient divulgués. Conformément à la Loi, le procureur général a examiné les documents et a décidé si la divulgation des renseignements serait autorisée ou non. Finalement, certains des documents qui ont été divulgués au demandeur ont été expurgés en grande partie. Après que le FBI, la source des documents, a donné son consentement à la divulgation, certains des renseignements qui avaient été supprimés ont été divulgués, de même que d’autres renseignements.

 

[13]           Dans une décision rendue le 24 juillet 2007, le juge d’extradition, le juge Christopher M. Speyer, a statué qu’aucune ordonnance de divulgation n’était nécessaire relativement aux documents en la possession des ministères ou organismes du gouvernement canadien puisque ces documents avaient déjà été divulgués. Il a qualifié cette production de « volumineuse » et a mentionné que l’avocat du procureur général avait accepté de fournir tous les autres documents dont il entendrait éventuellement parler. Le juge Speyer a refusé de rendre une ordonnance de production à l’encontre de l’État requérant. Il a toutefois reconnu que les allégations de mauvais traitements du demandeur pendant sa détention au Pakistan étaient suffisantes pour qu’il existe une réelle possibilité que le redressement demandé – l’exclusion des déclarations incriminantes – puisse être accordé : United States of America c. Khadr, [2007] O.J. No. 3140 (C.S.J.).

 

[14]           Le juge Speyer a mentionné qu’il n’avait pas le pouvoir de déterminer si les circonstances de la procédure d’extradition exigeaient la production de copies non expurgées des documents divulgués par les autorités canadiennes car ce pouvoir appartenait à la Cour fédérale suivant l’article 38 de la LPC. Le 26 juillet 2007, il a ajourné la procédure d’extradition afin qu’une demande puisse être présentée en application de l’article 38. Cette demande a été déposée à la Cour le 21 août 2007 et a été gérée par le juge en chef jusqu’à ce qu’un dossier complet soit produit par les parties.

 

[15]           Le 20 septembre 2007, le demandeur a déposé une preuve par affidavit, accompagnée de nombreuses pièces, notamment le contenu de la requête en divulgation présentée à la Cour supérieure de l’Ontario. La plupart des documents en cause en l’espèce ont été déposés à la Cour par le procureur général en novembre 2007, en version expurgée et non expurgée, avec une preuve par affidavit, consistant en quelque 266 documents totalisant environ 1 300 pages.

 

[16]           Les avocats du demandeur ont déposé une requête en vue d’obtenir la nomination d’un amicus curiae le 15 novembre 2007. L’affaire m’a été confiée à ce moment‑là. Il y a eu des retards au début parce que les avocats devaient s’occuper d’autres affaires. Des observations écrites ont été déposées et les plaidoiries concernant la requête ont été entendues le 20 décembre 2007. Dans une décision rendue le 15 janvier 2008, j’ai accueilli la requête et j’ai nommé M. Leonard Shore, c.r., d’Ottawa à titre d’amicus afin d’aider la Cour en représentant le demandeur lors des audiences ex parte exigées par la Loi : Abdullah Khadr c. Le procureur général du Canada, 2008 CF 46, [2008] A.C.F. no 47. 

 

[17]           Après que les avocats participant à la procédure d’extradition lui ont signifié un cinquième avis, le procureur général a déposé des affidavits ex parte supplémentaires ainsi que 36 nouveaux documents le 29 janvier 2008. Une version expurgée de ces documents a également été signifiée au demandeur.

 

[18]           Pendant ce processus, les avocats du procureur général ont trouvé d’autres renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables qui auraient été divulgués par inadvertance au demandeur. Ces renseignements figuraient à l’origine dans 120 des documents environ. Ce nombre a été réduit avec le consentement de la source des documents et par suite de décisions du procureur général d’autoriser la divulgation. Finalement, le procureur général a demandé une ordonnance interdisant la divulgation éventuelle de 47 renseignements contenus dans 41 documents, dont plusieurs faisaient partie du groupe original. À des fins de commodité, les pages de ces documents contenant les renseignements divulgués par inadvertance ont été placés dans un relieur, lequel a été déposé à l’audience tenue le 11 février 2008. Des versions expurgées de ces pages ont également été remises aux avocats du demandeur. Ces derniers sont toujours en possession des versions originales non expurgées de ces renseignements qui ont été remises par la Couronne au cours du processus de divulgation, sauf pour ce qui est du renseignement dont il est question dans le paragraphe qui suit et que les avocats ont détruit quand ils ont appris qu’il était potentiellement préjudiciable et qu’il avait été divulgué par inadvertance.

 

[19]           Le document renfermant le renseignement en question avait déjà été communiqué à un journaliste du Globe and Mail lorsque les avocats ont été mis au courant de son caractère sensible. Le renseignement en question figure dans une partie d’une phrase contenue dans une note d’information adressée au commissaire de la GRC en octobre 2004. Après avoir été contacté par l’avocat du procureur général, le journal a suspendu la publication du renseignement jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en l’espèce.

 

[20]           Des audiences publiques et à huis clos ont eu lieu les 21 et 22 février 2008. Les audiences à huis clos avaient deux objets. Il s’agissait, en premier lieu, d’entendre les observations des deux parties et de l’avocat du Globe and Mail concernant le renseignement qui, selon le procureur général, avait été communiqué par inadvertance au cours du processus de divulgation et que le procureur général cherche à protéger en l’espèce.

 

[21]           L’avocat du procureur général a été autorisé à aviser le Globe and Mail de la tenue des audiences à huis clos. Un avocat représentant le journal s’est présenté à l’audience du 21 février, a déposé un dossier pour s’opposer à la demande du procureur général et a présenté des observations concernant le renseignement contenu dans la note d’information d’octobre 2004. Il n’a pas participé aux autres audiences.

 

[22]           Les audiences à huis clos visaient aussi à permettre au demandeur d’aider la Cour à déterminer le type de renseignements qui seraient utiles à sa défense dans la procédure d’extradition. La tenue d’une audience ex parte à cette fin est prévue à l’article 38.11 de la LPC. L’avocat du demandeur a cependant décidé de laisser l’avocat du défendeur être présent pendant qu’il présentait ses observations sur cette question, étant entendu que les stratégies de défense ou les renseignements confidentiels révélés ne seraient pas divulgués aux avocats représentant l’État requérant dans la procédure d’extradition. Il s’agissait d’une procédure exceptionnelle, qui n’est pas prévue expressément par la LPC, mais qui a grandement aidé la Cour pendant les audiences ex parte qui ont suivi, car la Cour a alors pu discuter franchement des questions de pertinence avec l’avocat du procureur général et l’amicus sans craindre de divulguer des renseignements confidentiels fournis par les avocats du demandeur.

 

[23]           La Cour a ajourné l’instance à la fin des audiences à huis clos le 22 février et a recommencé à entendre les prétentions des parties sur le fond de la demande de divulgation en audience publique.

 

[24]           Une série d’audiences ex parte à huis clos ont eu lieu dans une salle sécurisée de la Cour. Au cours de ces audiences, les témoins de chacun des ministères et organismes détenant les renseignements en cause ont été interrogés par l’avocat du procureur général et contre‑interrogés par l’amicus curiae. M. Shore avait auparavant obtenu la permission de consulter toute la preuve par affidavit déposée ex parte par le procureur général et il a assisté à toutes les audiences tenues à huis clos. Les renseignements qui avaient été supprimés ont alors été examinés, et des éléments de preuve et des observations concernant leur pertinence au regard de la demande d’extradition sous‑jacente ont été déposés; la question de savoir si, comme le procureur général le soutenait, la divulgation des renseignements porterait préjudice aux intérêts nationaux protégés a aussi été examinée.

 

[25]           À la suite de ces audiences, l’avocat du procureur général et l’amicus curiae ont, à la demande de la Cour, examiné les renseignements supprimés et ceux qui auraient été divulgués par inadvertance et préparé une liste des renseignements qui, selon eux ou selon chacun d’eux, satisfaisaient au critère préliminaire de pertinence. La Cour a ensuite entendu à huis clos d’autres observations du procureur général et de l’amicus curiae concernant des questions découlant de ces renseignements.

 

LE CADRE JURIDIQUE

 

[26]           Le critère qui s’applique à une demande visée à l’article 36.04 de la Loi a été élaboré par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Ribic, 2003 CFPI 10, [2003] A.C.F. no 1965, conf. par 2003 CAF 246, [2003] A.C.F. no 1964 (Ribic); voir aussi Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CF 490, [2007] A.C.F. no 622 (Khawaja I), inf. en partie, mais non en ce qui a trait au critère, par Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CAF 342, [2007] A.C.F. no 1473; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766, [2007] A.C.F. no 1081 (Arar).

 

[27]           Une demande visée à l’article 38.04 n’est pas un contrôle judiciaire de la décision du procureur général de ne pas autoriser la divulgation. Le juge désigné doit plutôt décider si l’interdiction de divulgation des renseignements que l’on cherche à protéger, qui est prévue au paragraphe 38.02(1), devrait être confirmée ou non. À cette fin, il doit procéder à un examen en trois étapes des renseignements.

 

[28]           Premièrement, il doit décider si les renseignements en cause sont pertinents aux fins de la procédure sous‑jacente. Ce critère, qui est décrit par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 17 de Ribic, n’est pas très exigeant. En matière pénale, il correspond au critère de divulgation établi dans Stinchcombe : R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, [1991] A.C.S. no 83. Si les renseignements pourraient ne pas être raisonnablement utiles à la défense, ils ne sont pas pertinents et il n’est pas nécessaire d’aller plus loin.

 

[29]           Le processus d’extradition n’est pas un procès criminel : voir Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, [1991] A.C.S. no 63. Comme il est indiqué dans Kindler, au paragraphe 160, « [i]l est différent du processus criminel par son objet et sa procédure et, ce qui est le plus important, par les facteurs qui le rendent équitable. Contrairement à la procédure criminelle, la procédure en matière d’extradition est fondée sur des concepts de réciprocité, de courtoisie et de respect des différences dans d’autres ressorts ». Cependant, le critère applicable en matière d’incarcération en vue de l’extradition est le même que celui qui sert à déterminer s’il y a lieu de renvoyer une personne à son procès ou de dessaisir le jury d’une affaire : voir États‑Unis d’Amérique c. Ferras, 2006 CSC 33, [2006] A.C.S. no 33, au paragraphe 9. Le juge d’extradition doit déterminer si la preuve admissible est suffisante pour rendre un verdict de culpabilité : Ferras, au paragraphe 46.

 

[30]           En matière pénale et dans les procédures d’extradition pouvant mener à la tenue d’un procès criminel dans une autre administration, le droit à la liberté et à la sécurité d’une personne est en jeu. En conséquence, j’estime qu’il convient que le critère de pertinence applicable à la divulgation de renseignements dans le contexte d’une demande d’extradition soit le même que celui qui s’applique au regard d’un procès criminel, c’est‑à‑dire le critère élaboré dans Stinchcombe.

 

[31]           Si le juge visé à l’article 38 estime que les renseignements sont pertinents, il doit déterminer si la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, comme le prévoit l’article 38.06 de la LPC. Il doit alors accorder beaucoup d’importance aux prétentions du procureur général concernant le préjudice qui pourrait être causé par la divulgation, vu l’expertise et les renseignements spéciaux auxquels ce dernier avait accès.

 

[32]           Il ne suffit pas cependant de dire que la divulgation causera un préjudice. La partie qui veut que la divulgation soit interdite – habituellement le procureur général – doit établir, selon la norme du caractère raisonnable, les faits sur lesquels elle fonde ses allégations de préjudice probable.

 

[33]           Pour illustrer l’application de la norme du caractère raisonnable dans le contexte de la sécurité nationale, les tribunaux canadiens ont repris les remarques formulées dans Home Secretary c. Rehman, [2001] H.L.J. No. 47, [2001] 3 WLR 877 (HL (E)). Lord Hoffman a écrit, à la page 895 de Rehman, que la Cour peut rejeter l’avis du pouvoir exécutif lorsque c’est un avis [traduction« auquel aucun ministre raisonnable conseillant la Couronne n’aurait pu raisonnablement arriver, eu égard aux circonstances ». Ces propos ont été cités par la Cour suprême du Canada lorsqu’elle a décrit un critère législatif similaire dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 33, et par la Cour d’appel fédérale dans Ribic, au paragraphe 19. 

 

[34]           Il ressort clairement de la jurisprudence que le juge a le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la divulgation si le procureur général ne réussit pas à faire la preuve du préjudice. Comme le juge en chef John Richard de la Cour d’appel fédérale l’a dit dans le cadre d’une contestation de la constitutionnalité du régime législatif, « [u]ne autorisation de divulgation sera donnée si le juge est persuadé qu’aucun préjudice ne résulterait d’une divulgation publique des renseignements » : Canada (Procureur général) c. Khawaja, 2007 CAF 388, [2007] A.C.F. no 1635 (Khawaja II), au paragraphe 42. 

 

[35]           Si le procureur général peut faire la preuve des motifs raisonnables qui l’amènent à croire que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, le juge doit passer à la dernière étape de l’examen et déterminer si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation. Le critère qui s’applique alors n’est ni le critère de pertinence stricte peu exigeant établi dans Stinchcombe, ni l’exception rigoureuse concernant la « démonstration de l’innocence de l’accusé » qui s’applique au privilège relatif aux indicateurs de police.

 

[36]           La Cour fédérale a souvent souligné que les facteurs qui doivent être pris en compte pour déterminer si l’intérêt public est mieux servi par la divulgation ou par la non‑divulgation varieront d’une affaire à l’autre, notamment le juge François Lemieux dans Canada (Procureur général) c. Kempo, 2004 CF 1678, [2004] A.C.F. no 2196, une affaire civile. Le juge visé à l’article 38 doit soupeser les facteurs qui, selon lui, sont nécessaires pour établir l’équilibre délicat entre les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation et celles justifiant la non‑divulgation.

 

[37]           Certains de ces facteurs ont été décrits par le juge Marshall Rothstein, à l’époque où il siégeait à la Cour fédérale, dans Khan c. Canada, [1996] 2 C.F. 316 (1re inst.), [1996] A.C.F. no 190, au paragraphe 26. Ces facteurs, qui sont énumérés ci‑dessous, ont été cités avec approbation par la Cour d’appel dans Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 470, [2002] A.C.F. no 1658 :

a)  La nature de l’intérêt public que l’on tente de protéger par le secret;

b)  La question de savoir si « un fait crucial pour la défense sera probablement ainsi établi »;

c)  La gravité de l’accusation ou des questions concernées;

d)  L’admissibilité des documents et leur utilité;

e)  La question de savoir si les requérants ont établi qu’il n’existe pas d’autres moyens raisonnables d’obtenir les renseignements;

f)  La question de savoir si les demandes de divulgation de renseignements visent la communication de certains documents ou constituent des interrogatoires à l’aveuglette; (renvois omis)

 

[38]           Dans un contexte différent – celui d’une demande découlant d’une enquête publique – mon collègue le juge Simon Noël a dressé la liste de facteurs suivante dans Arar, précitée, au paragraphe 98 :

a)   l’étendue du préjudice;

b)   la pertinence des renseignements expurgés pour la procédure dans laquelle ils seraient utilisés, ou les objectifs de l’organisme qui recherche la divulgation des renseignements;

c)      le point de savoir si les renseignements expurgés sont déjà connus du public et, dans l’affirmative, la manière dont les renseignements sont tombés dans le domaine public;

d)   l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires;

e)   l’importance des renseignements expurgés dans le contexte de la procédure d’origine;

f)    le point de savoir s’il y a des intérêts supérieurs en jeu, par exemple les droits de la personne, le droit de présenter une défense pleine et entière dans le contexte criminel, etc.;

g) le point de savoir si les renseignements expurgés se rapportent aux recommandations d’une commission et, dans l’affirmative, si les renseignements sont importants pour une bonne compréhension desdites recommandations.

 

[39]           Ce dernier facteur ne s’applique manifestement pas en l’espèce, mais j’ai tenu compte des autres facteurs établis par le juge Noël dans Arar et de ceux décrits par le juge Rothstein, avec les modifications nécessaires, pour déterminer comment mettre en équilibre les intérêts opposés dans la présente demande.

 

Les renseignements divulgués par inadvertance

 

[40]           En common law, on peut considérer qu’il y a renonciation à un privilège protégeant des renseignements si la personne qui a la possession de ceux‑ci les divulgue à l’autre partie. La divulgation par inadvertance ne constitue pas nécessairement une renonciation. Il y aura renonciation s’il est démontré que le titulaire du privilège connaissait l’existence de celui‑ci et a manifesté son intention d’y renoncer. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si, eu égard aux circonstances, la divulgation équivaut à une renonciation : Stephens c. Canada (Premier ministre), [1998] 4 C.F. 89, [1998] A.C.F. no 794.

 

[41]           Dans Khawaja I, je me suis demandé, aux paragraphes 104 à 111, quel effet, le cas échéant, la divulgation par inadvertance de certains des renseignements soumis à la Cour devrait avoir dans une affaire relative à l’article 38. Je suis arrivé à la conclusion que la divulgation de renseignements que le procureur général cherche à protéger, qui ne constitue pas une renonciation éclairée et intentionnelle, ne suffit pas à justifier la divulgation. Étant donné que, en ce qui concerne le critère relatif à l’article 38, chaque cas est un cas d’espèce et que les intérêts en jeu sont importants, il convient de procéder au même examen en trois étapes que dans le cas de la divulgation en général.

 

[42]           Le juge Noël a approuvé cette approche au paragraphe 57 de Arar, ajoutant toutefois que les circonstances de la « divulgation par inadvertance » sont capitales lorsqu’on se demande si les renseignements peuvent être protégés par la Cour.

 

Les autres considérations liées à l’« intérêt public »

 

[43]           Les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation à l’article 38.06 dépassent les raisons d’intérêt public protégeant le droit de la personne concernée à un procès équitable. Elles sont suffisamment larges pour englober d’autres intérêts comme ceux décrits par le juge Noël dans Arar, précitée : les droits de la personne, le principe de la publicité des débats judiciaires, la liberté de la presse et le droit du public à l’information.

 

[44]           La liberté de la presse est en cause dans la présente instance à cause de la divulgation par inadvertance de l’un des renseignements à un journal. La liberté d’expression, y compris la liberté de la presse, et le droit du public à l’information sont des valeurs fondamentales protégées par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.). L’étendue de la protection accordée à la liberté de la presse doit être interprétée « de façon généreuse et libérale en tenant compte de l’historique de la garantie et en mettant l’accent sur son objet » : Société Radio‑Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421, [1991] A.C.S. no 87, au paragraphe 61.

 

[45]           Le principe de la publicité des débats judiciaires est inextricablement lié à ces valeurs (voir Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, [2004] A.C.S. no 41, et Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] A.C.S. no 41). La liberté de la presse et le principe de la publicité des débats judiciaires ne sont cependant pas absolus. Ils doivent parfois céder le pas à d’autres intérêts importants qui doivent être protégés, par exemple le privilège de l’indicateur de police (voir Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, [2007] A.C.S. no 43) ou le droit d’une personne à un procès équitable (voir Charkaoui (Re), 2008 CF 61).

 

[46]           Le procureur général joue un rôle important en protégeant l’intérêt de l’État au regard de la sécurité nationale, de la défense nationale et des relations internationales et, comme il a été indiqué précédemment, la Cour devrait accorder une grande importance à ses prétentions concernant le préjudice que la divulgation des renseignements causerait. Toutefois, même lorsque le préjudice est démontré, la Cour a toujours, en vertu de la Loi, le pouvoir discrétionnaire de décider que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation. L’effet de la décision sur la limitation d’une valeur fondamentale comme la liberté de la presse est un facteur important qui doit être pris en compte à cet égard.

 

[47]           Il ne fait maintenant aucun doute que toute décision judiciaire qui restreint la liberté d’expression et la liberté de la presse relativement à des procédures judiciaires, notamment celles qui sont imposées par la loi, est assujettie au critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, [1994] A.C.S. no 104, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, [2001] 3 R.C.S. 442; voir aussi Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] 2 R.C.S. 188, au paragraphe 7. L’application de cette règle dans le contexte de l’article 38 de la LPC a été confirmée par le juge en chef Allen Lutfy dans Ottawa Citizen Group Inc. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1552, [2006] A.C.F. no 1969.

 

[48]           Selon le critère Dagenais/Mentuck, l’accès du public aux procédures judiciaires ne sera interdit que si le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice. Ce critère est censé être utilisé avec souplesse et en fonction du contexte. Appliquant ce critère dans le présent contexte, je conclus que la Cour doit être convaincue que le risque de préjudice découlant de la divulgation éventuelle du renseignement que le journal a en sa possession « doit être réel et important et [...] il doit s’agir d’un risque dont l’existence est bien appuyée par la preuve » : Toronto Star, précité, au paragraphe 27.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[49]           La Cour doit statuer sur les questions suivantes en l’espèce :

a)   L’interdiction de divulgation des renseignements supprimés doit‑elle être confirmée en vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC?

b)   L’interdiction de divulgation éventuelle de certains renseignements qui ont été divulgués par inadvertance doit‑elle être confirmée?

c)   Si l’interdiction de divulgation n’est pas confirmée, de quelle manière et à quelles conditions les renseignements devraient‑ils être divulgués pour limiter le préjudice porté à la sécurité nationale et aux relations internationales?

 

L’EXAMEN EN TROIS ÉTAPES DES RENSEIGNEMENTS EN CAUSE

           

Le critère préliminaire de pertinence

 

[50]           Les renseignements en cause en l’espèce figurent dans des documents qui sont, pour la plupart, des messages, des rapports et des notes d’information écrits ou préparés par des fonctionnaires canadiens travaillant à Islamabad, au Pakistan, et dans des bureaux du SCRS, de la GRC et du MAECI au Canada, et des lettres envoyées par des fonctionnaires étrangers. Une grande partie des renseignements supprimés ont été fournis par des organismes étrangers avec des restrictions explicites ou implicites concernant leur utilisation et leur diffusion par leurs homologues canadiens. Les mêmes renseignements sont souvent répétés étant donné que le contenu des messages reçus par un organisme ou un ministère canadien a été transmis aux autres et repris dans d’autres messages et d’autres rapports.

 

[51]           À mon avis, une grande partie des renseignements supprimés ne sont pas pertinents au regard de la procédure sous‑jacente. Il en est ainsi notamment des analyses générales et des nombreuses mentions d’autres enquêtes en cours et de données administratives internes comme les noms et les numéros de téléphone d’agents et d’employés civils, les numéros de dossier, les systèmes de communication et les banques de données. Cela ne veut pas dire que des renseignements de ce genre ne sont jamais pertinents, mais je suis convaincu, après avoir examiné les documents en cause en l’espèce, que ces renseignements ne satisfont pas au critère préliminaire établi dans Stinchcombe. L’avocat du demandeur n’a pas prétendu que ces renseignements seraient utiles à la défense. Dans un document particulier, une note d’information portant sur différents sujets par exemple, il pourrait y avoir seulement une petite partie du texte qui est pertinente au regard de la thèse de M. Khadr.

 

[52]           J’ai écarté les renseignements supprimés qui, à mon avis, ne satisfont pas au critère préliminaire de pertinence des deux étapes suivantes de l’examen et du résumé qui a été préparé.

 

[53]           Le demandeur fait valoir que la pertinence des renseignements supprimés devrait être déterminée en tenant compte des questions soulevées dans la requête en divulgation et examinées par le juge Speyer dans sa décision du 20 juillet 2007. Comme je l’ai indiqué précédemment, le juge Speyer a statué que les documents déposés par le demandeur au soutien de cette requête avaient « une apparence de vraisemblance » et soulevait en conséquence la question de savoir si le demandeur avait été traité de manière si abusive que l’admission de ses déclarations en preuve serait inéquitable selon l’article 7 de la Charte : voir Ferras, précité, au paragraphe 60.

 

[54]           Je souligne que le juge d’extradition n’est pas lié par les conclusions que la Cour pourrait tirer relativement à la pertinence. L’admissibilité de la preuve présentée par la personne dont l’extradition est demandée est régie par l’alinéa 32(1)c) de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18. Cette disposition permet l’admission d’éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles en vertu du droit canadien s’ils sont pertinents pour l’application du critère relatif à l’incarcération et si la Cour les juge dignes de foi. Cette exception s’applique à la preuve recueillie à l’étranger et inclurait la preuve par ouï‑dire. Pour ce qui est de la preuve recueillie au Canada, elle est régie par les règles de preuve canadiennes : U.S.A. c. Anekwu, [2008] B.C.J. No. 536 (C.A.C.‑B.). Cette distinction peut avoir une incidence sur l’admissibilité des renseignements contenus dans les documents protégés car ceux‑ci renferment des déclarations faites par des tiers au Canada et à l’étranger.

 

[55]           Les allégations de violence physique et psychologique et de détention arbitraire du demandeur seront examinées par le juge d’extradition dans la mesure où elles ont trait aux questions d’admissibilité et d’équité. Le demandeur fait valoir que les renseignements supprimés qui se trouvent dans les affidavits présentés à la Cour seront pertinents à cet égard. Il cherche en particulier à corroborer ses allégations selon lesquelles des représentants des États‑Unis sont les initiateurs de sa capture et de sa détention au Pakistan et les complices des mauvais traitements qu’il aurait subis pendant sa détention dans ce pays.

 

[56]           Le juge Speyer a fait les remarques suivantes au paragraphe 51 de ses motifs :

[traduction] Toutes les allégations de conduite répréhensible de la part des autorités américaines sont niées par l’État requérant. La relation entre les autorités américaines et les autorités pakistanaises au regard de la détention et du traitement de M. Khadr n’est qu’hypothétique. À mon avis, il s’agit d’une recherche à l’aveuglette visant à déterminer quelle entente, le cas échéant, liait les autorités du Pakistan et des États‑Unis en ce qui concerne l’arrestation de M. Khadr. [...] 

 

[57]           Le demandeur soutient que la divulgation des renseignements supprimés démontrera que la relation entre les autorités américaines et les autorités pakistanaises n’est pas seulement hypothétique.

 

[58]           Le défendeur reconnaît que le critère d’apparence de vraisemblance avait été rempli en ce qui concerne la requête en divulgation, mais uniquement grâce au propre témoignage du demandeur et non au contenu des documents qui ont été volontairement divulgués, notamment les renseignements supprimés. Il n’admet pas que les renseignements supprimés sont pertinents.

 

[59]           Selon le défendeur, la pertinence devrait, dans le contexte de la procédure d’extradition, être déterminée en fonction du contenu et de la portée du DC et des DC supplémentaires de l’État requérant. En l’espèce, le dossier est constitué des déclarations faites par M. Khadr au FBI au Pakistan environ huit mois après son arrestation et des déclarations qu’il a faites à la GRC et au FBI à Toronto à la suite de sa libération et de son rapatriement. Ainsi, les renseignements supprimés ne seraient pertinents, selon le défendeur, que s’ils permettent de mieux comprendre de quelle manière ces déclarations ont été obtenues.

 

[60]           Je suis d’accord avec le défendeur quand il dit que, dans le cadre d’un examen des renseignements dont la divulgation est demandée en vertu de l’article 38 aux fins d’une demande d’extradition sous‑jacente, l’examen de la question de la pertinence par le juge désigné devrait normalement se limiter au DC déposé par l’État requérant.

 

[61]           Le demandeur affirme cependant que les dernières déclarations qu’il a faites découlaient de la violence dont il avait été victime pendant les premiers jours suivant sa capture et étaient viciées par celle‑ci. Il prétend qu’il a été arrêté et détenu sur l’ordre de l’État requérant, qu’une prime a été payée pour sa capture, qu’il a été maltraité pendant sa détention et forcé de faire des déclarations incriminantes et que des représentants de l’État requérant ont participé aux mauvais traitements pendant son premier interrogatoire.

 

[62]           L’État requérant a reconnu dans la preuve par affidavit présentée au juge d’extradition et faisant partie du dossier du demandeur déposé devant la Cour que des représentants des États‑Unis ont commencé à interroger M. Khadr environ quatre jours après son arrestation et que ces [traduction] « interrogatoires serrés » se sont poursuivis pendant 17 jours alors qu’il était détenu par les autorités pakistanaises. Un membre du FBI faisait partie de l’équipe qui a procédé à ces interrogatoires.

 

[63]           Des déclarations incriminantes peuvent être jugées inadmissibles si elles sont viciées par des confessions obtenues précédemment par la contrainte et que l’une des caractéristiques ayant vicié les confessions antérieures existait toujours ou que les premières déclarations étaient un facteur important qui a incité à faire les secondes déclarations : R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504, [1993] A.C.S. no 132. Le demandeur affirme que, lorsque les agents de la GRC et du FBI l’ont interrogé par la suite, ils avaient entre les mains les renseignements obtenus au cours des rencontres précédentes et qu’ils s’en sont servi pour attaquer sa crédibilité.

 

[64]           Si je comprends bien, l’État requérant fait valoir que l’équipe du FBI qui a interrogé M. Khadr au Pakistan, puis à Toronto, n’était pas au courant des renseignements qu’il avait donnés lors des interrogatoires serrés effectués précédemment et ces déclarations ne sont pas viciées par des mauvais traitements, des encouragements ou des mesures de contrainte ayant pu survenir à la suite de sa capture. L’État requérant a nié avoir participé à de telles actions, si celles‑ci sont effectivement survenues. Cependant, il ressort de la preuve du demandeur et de la chaîne complète des événements qui se seraient produits qu’il existe toujours une réelle possibilité que les déclarations faites après mise en garde au Pakistan et au Canada puissent être écartées de la procédure d’extradition. J’estime, par conséquent, que les renseignements supprimés dans les documents dont la Cour dispose relativement à toute la période de détention du demandeur au Pakistan pourraient raisonnablement être utiles à la défense et sont pertinents en l’espèce.

 

[65]           Lors des audiences des 21 et 22 février 2008, l’avocat du demandeur a présenté des observations concernant le type de renseignements qui aideraient la défense à contester la thèse de l’État requérant, si ces renseignements étaient contenus dans les documents en cause. En outre, il a énoncé, au paragraphe 65 du dossier de demande du demandeur, une série de questions particulières menant à des réponses ou à des renseignements pertinents qui aideraient le demandeur à se défendre. Ces questions ont été utiles à la Cour lors de l’examen des documents et de la preuve ex parte du procureur général.

 

[66]           L’avocat du procureur général et l’amicus curiae ont aussi apporté leur aide en produisant un tableau des renseignements supprimés qui, selon eux ou selon l’un d’eux, pouvaient satisfaire au critère préliminaire de pertinence, ainsi qu’un résumé des renseignements. Loin de convenir que le résumé devrait être divulgué, M. MacKinnon, qui représente le procureur général, s’est opposé vigoureusement à cette divulgation, en ce qui concerne en particulier certains renseignements précis. L’amicus curiae, M. Shore, a plaidé tout aussi vigoureusement en faveur de la divulgation de renseignements additionnels. M. Shore étant un avocat de la défense expérimenté, la Cour a accordé une grande importance à son opinion sur ce qui serait pertinent et utile pour la défense.

 

[67]           Je suis reconnaissant à tous les avocats de l’aide qu’ils ont apportée à la Cour dans la présente affaire. J’ai toutefois, comme la loi l’exige, pris ma propre décision sur ce qui est pertinent aux fins de la procédure sous‑jacente en m’appuyant sur l’ensemble de la preuve et en tenant compte de tous les renseignements en cause contenus dans chacun des documents, dans sa version expurgée ou non.

 

Le préjudice allégué par le défendeur

 

[68]           Comme je l’ai mentionné précédemment, il incombe au procureur général de faire la preuve du préjudice. En l’espèce, il n’allègue pas un préjudice à la défense nationale. Les affidavits publics qui ont été signifiés au demandeur et déposés par le procureur général en l’espèce décrivent différents risques de préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales du Canada. Les prétentions à cet égard sont fondées sur les affidavits déposés ex parte lors d’audiences à huis clos par le défendeur et les témoignages entendus ex parte qui font référence aux renseignements supprimés dans chaque document.

 

[69]           De manière générale, le procureur général fait valoir que la divulgation des renseignements qu’il cherche à protéger portera préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales du Canada en violant la confidentialité des renseignements échangés avec des tiers, en révélant des méthodes, des techniques ou des enquêtes en cours, en révélant des renseignements concernant des employés qui travaillent dans le domaine du renseignement de sécurité et en identifiant des sources humaines.

 

[70]           Des préoccupations particulières sont décrites dans le dossier public du défendeur au regard de chacun des ministères et organismes qui ont fourni les renseignements en cause. Dans le cas du SCRS, on fait valoir que la divulgation de ses renseignements porterait préjudice à la sécurité nationale du Canada parce qu’elle révélerait ou tendrait à révéler :

a) l’intérêt du SCRS envers des individus, des groupes ou des enjeux, notamment l’existence ou l’absence de dossiers ou d’enquêtes antérieurs ou actuels, l’intensité des enquêtes, ou le degré ou l’absence de réussite de ces enquêtes;

b) des techniques d’enquête et des méthodes de fonctionnement utilisées par le SCRS;

c)  les rapports que le SCRS entretient avec des organismes étrangers de sécurité et de renseignement et divulguerait des renseignements confidentiels fournis par ces sources;

d) l’identité d’employés du SCRS ou les méthodes administratives de celui‑ci;

e)  des sources humaines d’information du SCRS ou la teneur de renseignements fournis par des sources humaines;

f)  des renseignements concernant le système de télécommunication utilisé par le SCRS.

 

[71]           En ce qui concerne le MAECI, on fait valoir que la confidentialité est fondamentale à la collecte de renseignements et à l’échange de renseignements entre les États. La pratique et l’usage internationaux exigent que les communications diplomatiques soient menées de manière confidentielle, à moins d’accord contraire exprès. La divulgation des noms de sources confidentielles et des renseignements fournis par des fonctionnaires étrangers qui s’attendaient à ce qu’ils demeurent confidentiels aurait de graves répercussions sur la capacité du Canada d’atteindre ses objectifs en matière de politique étrangère et sur sa réputation auprès des autres gouvernements, dont ses principaux alliés. Le défaut de protéger ces renseignements dans des cas relevant des affaires consulaires pourrait nuire à la capacité du Canada de fournir une aide consulaire aux personnes détenues. Les efforts faits en matière de promotion des droits de la personne, de la démocratie et de la bonne gouvernance seraient compromis si les évaluations sincères de la situation existant dans des États étrangers effectuées par des fonctionnaires canadiens étaient divulguées. Les personnes‑ressources avec lesquelles les fonctionnaires canadiens ont des discussions franches dans ces États seraient en danger si leur identité était révélée.

 

[72]           C’est à la GRC qu’il incombe de mener les enquêtes relatives aux infractions de terrorisme au sens de la partie II.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, et d’exercer les fonctions d’un agent de la paix en vertu de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, L.R.C. 1985, ch. S‑7, relativement aux « activités constituant des menaces envers la sécurité du Canada » au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C‑23. Le procureur général soutient que la divulgation de renseignements contenus dans les documents obtenus de la GRC serait préjudiciable à la sécurité nationale au regard des questions délicates suivantes :

a) les enquêtes, les sujets et les personnes dignes d’intérêt;

b) les méthodes et techniques d’enquête;

c) les renseignements fournis par des organismes étrangers;

d) l’identité d’employés civils.

 

Le principe de l’« effet de mosaïque »

 

[73]           Comme il arrive souvent dans les affaires touchant la sécurité nationale, le procureur général se fonde en partie sur une métaphore de l’« effet de mosaïque » pour faire la preuve du préjudice. Il affirme que, dans les mains d’un observateur bien informé, des renseignements apparemment sans rapport entre eux, qui en eux‑mêmes ne sont peut‑être pas particulièrement sensibles, peuvent servir à peindre un tableau plus précis lorsque cet observateur les compare aux renseignements qu’il connaît déjà ou qu’il peut obtenir d’une autre source. On demande à la Cour de conclure que le dommage à la sécurité nationale ne peut être évalué en considérant chaque renseignement isolément. Les renseignements doivent être considérés en tenant compte des autres renseignements qui peuvent être divulgués. Plus la diffusion de l’information est limitée, moins il est probable qu’un observateur bien informé puisse rassembler les pièces et déterminer les cibles, les sources et les méthodes de fonctionnement des organismes d’enquête.

 

[74]           Ce principe a été mentionné à maintes reprises par les tribunaux américains et canadiens dans des affaires touchant la sécurité nationale et l’accès aux renseignements détenus par les organismes de renseignement. Il est logique que la notion présente un certain attrait, mais elle ne semble pas avoir de limites. Poussé à l’extrême, le principe justifierait la non‑divulgation de tous les renseignements, même ceux qui sont anodins. Voir David E. Pozen, « The Mosaic Theory, National Security, and the Freedom of Information Act », [2005] Yale Law Journal 629, et « CIA v. Sims: Mosaic Theory and Government Attitude » (2006), 58 Admin. L. Review 845.

 

[75]           Dans Khawaja I, j’ai exprimé l’avis, au paragraphe 136, que l’effet de mosaïque ne constituera pas en général, par lui‑même, une raison suffisante d’empêcher la divulgation de ce qui semblerait par ailleurs constituer un renseignement anodin et qu’une preuve additionnelle sera nécessaire pour convaincre la Cour que les renseignements seraient préjudiciables s’ils étaient divulgués.

 

[76]           Dans Khawaja II, le juge J.D. Denis Pelletier a parlé de la difficulté de décider si des renseignements, en apparence anodins, présentent de l’intérêt pour un observateur hostile. Il a conclu, aux paragraphes 124 à 126, que c’est cette incertitude à propos des renseignements apparemment anodins qui distingue la procédure de l’article 38 des autres procédures où la Cour doit décider de la divulgation de renseignements qui, au moment où les arguments sont exposés, ne sont connus que de l’une des parties. La procédure ex parte permet au procureur général de s’adresser franchement à la Cour au sujet du préjudice qui serait causé par la divulgation.

 

[77]           Je conviens avec le juge Pelletier que les audiences ex parte offrent au procureur général la possibilité de faire les rapprochements et de présenter un portrait complet de la situation. Le procureur général doit cependant produire des éléments de preuve au soutien de ses allégations de préjudice. Les témoins du secteur du renseignement peuvent considérer le principe de l’effet de mosaïque comme un article de foi – ou comme une réponse complète à la divulgation de renseignements qu’ils jugent sensibles ou potentiellement préjudiciables. Comme le juge Noël l’a dit au paragraphe 84 de Arar, « [l]e simple fait d’alléguer un effet de mosaïque ne suffit pas. Il doit y avoir un fondement ou une réalité à l’appui d’une telle allégation, compte tenu des éléments du dossier considéré. »

 

La thèse du demandeur sur le préjudice

 

[78]           Le demandeur n’admet pas que les renseignements en cause en l’espèce satisfont au deuxième volet du critère relatif à l’article 38.06. Son avocat a indiqué que le demandeur ne peut faire les remarques qu’il voudrait sur cet aspect du critère parce que les procédures se sont déroulées ex parte. Le demandeur soutient cependant que, en principe, on ne devrait pas considérer que la divulgation de renseignements concernant des enquêtes antérieures, de renseignements qui ne sont pas divulgués pour ne pas embarrasser un gouvernement étranger qui a eu une conduite répréhensible, de renseignements fournis par le Canada à un gouvernement étranger, de renseignements disculpatoires transmis par un gouvernement étranger et de renseignements protégés uniquement parce qu’ils sont en la possession du SCRS porte préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales du Canada.

 

[79]           En l’espèce, je n’ai pas estimé nécessaire de déterminer si le procureur général cherchait à protéger des renseignements disculpatoires fournis par un gouvernement étranger puisque cette question ne se pose pas à la lumière du dossier dont je dispose. De plus, le procureur général n’a pas prétendu que les renseignements transmis à un gouvernement étranger par le Canada ou les renseignements en la possession du SCRS ne devaient pas être divulgués uniquement pour ces motifs. Dans chaque cas, le procureur général a demandé la confirmation de sa décision une fois effectué l’examen à trois étapes décrit précédemment. Il ne souscrit cependant pas à l’affirmation selon laquelle les renseignements concernant des enquêtes antérieures ne devraient jamais être protégés et j’estime nécessaire de faire quelques remarques sur la question de l’embarras.

 

Les enquêtes antérieures

 

[80]           La question des enquêtes antérieures se pose en l’espèce en raison des déclarations contenues dans le dossier du défendeur selon lesquelles les renseignements concernant des enquêtes menées dans le passé en matière de sécurité nationale ne doivent pas être divulgués au public. Le demandeur soutient que les renseignements en question ont trait principalement à l’enquête menée sur ses activités par la GRC et le SCRS. Des détails considérables de cette enquête figurent dans les parties non expurgées des documents déposés en l’espèce, dans la preuve par affidavit déposée au soutien de la demande de mandat d’arrêt provisoire ainsi que dans le DC et dans les DC supplémentaires.

 

[81]           Le demandeur affirme que les tribunaux ont reconnu la légitimité de l’interdiction de divulgation dans l’intérêt public dans le cas des enquêtes en cours mais non dans le cas des enquêtes antérieures. Il prétend que la non‑divulgation de renseignements additionnels pour cette raison ne répond à aucun intérêt gouvernemental légitime, citant R. c. Chan, 2002 ABQB 287, [2002] A.J. No. 363, aux paragraphes 122 à 127. 

 

[82]           Dans Chan, une affaire criminelle, la question de l’interdiction de divulgation dans l’intérêt public se posait au regard des obligations de divulgation incombant à la Couronne en vertu de la règle établie dans Stinchcombe. Après avoir passé la jurisprudence en revue, le juge du procès a conclu qu’un privilège conditionnel de common law protégeait les renseignements concernant les enquêtes en cours, les techniques d’enquête et la sécurité des personnes. La décision est muette au sujet des enquêtes antérieures et le demandeur en déduit que celles‑ci sont exclues de la portée du privilège.

 

[83]           Je signale que la Cour suprême du Canada a statué récemment que le privilège relatif au travail fait en matière contentieuse par la Couronne s’éteint lorsque le litige prend fin : voir Blank c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 39, [2006] A.C.S. no 39.

 

[84]           Le procureur général prétend qu’il arrive souvent que les enquêtes menées en matière de sécurité nationale n’entraînent pas le dépôt d’une accusation, une poursuite, un procès et une condamnation ou un acquittement. Les renseignements obtenus sont ajoutés aux renseignements recueillis relativement à des menaces connues ou présumées et peuvent être utiles dans le cadre d’autres enquêtes, connexes ou non. La question que la Cour doit trancher sous le régime de l’article 38.06 n’est pas celle de savoir si les renseignements ont trait à une enquête en cours ou à une enquête terminée, mais plutôt si la divulgation porterait préjudice aux intérêts protégés. L’âge des renseignements et leur valeur actuelle peuvent être pris en compte pour savoir si le préjudice est établi ou, si c’est le cas, s’il existe des raisons d’intérêt public favorisant la divulgation.

 

[85]           Je suis d’accord avec le procureur général sur ce point. J’ajouterais que je suis convaincu, après avoir pris connaissance de la preuve en l’espèce, qu’il ne peut pas y avoir de distinction nette entre les enquêtes antérieures et les enquêtes en cours. En outre, la divulgation du statut d’une enquête peut‑être inactive menée par la GRC ou le SCRS que pourraient révéler les renseignements supprimés pourrait être préjudiciable aux intérêts protégés en matière de sécurité nationale.

 

L’embarras découlant d’une conduite répréhensible

 

[86]           Comme je l’ai indiqué précédemment, le demandeur cherche à obtenir la divulgation de renseignements appuyant ses prétentions selon lesquelles il a fait l’objet de mauvais traitements équivalant à de la torture et il a été détenu arbitrairement contrairement au droit international et au droit interne du Pakistan. Il soutient que la politique sur laquelle repose l’article 38.06 de la LPC ne vise pas à empêcher qu’un gouvernement étranger se trouve dans l’embarras parce qu’il a mal agi.

 

[87]           Mon collègue le juge Simon Noël a abordé cette question dans Arar, précitée. Je souscris à la conclusion qu’il a énoncée au paragraphe 60, selon laquelle les renseignements qui sont susceptibles de critiquer ou d’embarrasser le gouvernement ne sauraient être soustraits à la divulgation. J’ajouterais cependant la restriction suivante : ce principe s’applique seulement lorsqu’il constitue la seule ou la véritable raison pour laquelle la non‑divulgation est demandée.

 

[88]           Cette conclusion ressort clairement, à mon avis, des textes faisant autorité qui ont été cités par le juge Noël, notamment l’énoncé suivant tiré des Principes de Johannesbourg : Sécurité nationale, liberté d’expression et accès à l’information, Doc. N.U. E/CN.4/1996/39 (1996), un outil d’interprétation de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies. Le Principe 2b) est ainsi formulé :

En particulier, une restriction qu’un gouvernement tenterait de justifier par des raisons de sécurité nationale n’est pas légitime si son véritable but et son effet démontrable est de protéger des intérêts ne concernant pas la sécurité nationale, comme par exemple de protéger un gouvernement de l’embarras ou de la découverte de ses fautes [...] [Abrégé et non souligné dans l’original.]

 

[89]           J’estime que cet énoncé traduit le principe auquel le juge Noël faisait référence dans Arar, sauf pour ce qui est des mots « et son effet démontrable ». Malheureusement, en voulant protéger la sécurité et les relations internationales du Canada, on peut peut‑être involontairement, dans certains cas, protéger un gouvernement de l’embarras ou de la découverte de ses fautes. Cependant, s’il ressort de l’examen de la preuve effectué par la Cour qu’il s’agit de la seule ou de la véritable raison pour laquelle le procureur général ne veut pas divulguer les renseignements, ceux‑ci doivent être divulgués.

 

[90]           En l’espèce, je ne pense pas que le procureur général cherche à maintenir l’interdiction prévue par la loi relativement aux renseignements supprimés simplement parce que leur divulgation embarrasserait un gouvernement étranger ou le gouvernement du Canada. La divulgation de certains renseignements pourrait entraîner une telle conséquence, mais ce n’est pas le « véritable but » de l’opposition du procureur général à la divulgation en l’espèce. Chaque demande de non‑divulgation repose légitimement sur d’autres motifs, la règle des tiers par exemple.

 

La règle des tiers

 

[91]           Comme je l’ai mentionné précédemment, le procureur général cherche à maintenir l’interdiction légale de divulgation de certains renseignements au motif que leur divulgation contreviendrait à ce qu’il est convenu d’appeler la « règle des tiers ». Cette règle s’applique aux communications confidentielles entre des gouvernements, leurs ministères et organismes et leurs fonctionnaires. Dans certains cas, les renseignements sont transmis à titre de renseignements classifiés avec une restriction explicite concernant leur utilisation ou leur diffusion éventuelle par l’organisme destinataire. Dans d’autres cas, la confidentialité découle des circonstances dans lesquelles les renseignements sont communiqués. Les organismes étrangers peuvent consentir à la divulgation d’une partie ou de la totalité de leurs renseignements afin qu’ils soient utilisés dans le cadre de procédures judiciaires. Ils peuvent toutefois aussi exiger que leurs renseignements ou leur intérêt dans une affaire donnée ne soient jamais divulgués.

 

[92]           Les tribunaux ont reconnu à maintes reprises que le Canada est un importateur net de renseignements en matière de sécurité. La quantité de renseignements que nous recevons d’organismes étrangers est beaucoup plus grande que la quantité de renseignements que nous fournissons. Bien que le SCRS puisse mener des activités à l’étranger dans le but de recueillir des renseignements concernant des menaces à la sécurité du Canada, il n’est pas un organisme de renseignement étranger de la nature de ceux qui existent chez nos alliés et nos partenaires internationaux les plus proches. Le Canada est tributaire de la circulation constante des renseignements que ces derniers recueillent et communiquent. Aussi, toute violation de la confidentialité menace cette circulation de renseignements et pourrait compromettre la sécurité nationale du Canada. En outre, il existe depuis longtemps une présomption de confidentialité au regard des relations quotidiennes de nos diplomates et fonctionnaires avec leurs homologues étrangers, au Canada comme à l’étranger.

 

[93]           Dans la présente affaire, une grande quantité de renseignements supprimés provenaient de gouvernements étrangers. Des éléments de preuve reçus ex parte ont démontré que des demandes avaient été faites à certains des organismes concernés afin qu’ils consentent à la divulgation de leurs renseignements. Le procureur général fait valoir que ces demandes ne devraient pas être nécessaires pour que la Cour puisse statuer que le manquement au principe est préjudiciable. À mon avis cependant, l’absence de demandes semblables pourrait avoir un effet défavorable, en particulier lorsque, comme c’est souvent le cas, les renseignements semblent anodins à première vue.

 

[94]           Dans le cas de l’un des organismes étrangers, aucune réponse n’avait été reçue à la fin des audiences. Je crois qu’il est peu probable que cet organisme consente à une telle demande compte tenu de sa position traditionnelle. En ce qui concerne l’organisme d’un autre gouvernement, les fonctionnaires canadiens croyaient qu’il était inutile de s’adresser à lui vu les circonstances dans lesquelles les renseignements avaient été transmis. Après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve, j’étais aussi de cet avis.

 

[95]           Je signale que le FBI a répondu à la demande en acceptant que certains renseignements fournis par ses bureaux qui avaient été supprimés soient finalement divulgués. Le procureur général a accepté la divulgation de ces renseignements. Les pages en question ont alors été modifiées, déposées à la Cour et envoyées aux avocats du demandeur. L’étendue de l’examen des documents par la Cour a ainsi été réduite.

 

[96]           En l’espèce, j’ai bénéficié de l’aide de l’amicus, M. Shore. Ce dernier a contribué à l’examen, par la Cour, des motifs sur lesquels le défendeur se fondait pour prétendre que la violation de la règle des tiers serait préjudiciable et de la question de savoir quelles dispositions avaient été prises afin d’obtenir le consentement à la divulgation.

 

[97]           De manière générale, j’approuve l’exercice, par le procureur général, de son pouvoir discrétionnaire de soustraire des renseignements à la divulgation parce que celle‑ci violerait la règle des tiers et porterait ainsi préjudice aux intérêts du Canada. Les personnes qui ont effectué les examens internes sur lesquels le procureur général s’est appuyé pour exercer son pouvoir discrétionnaire sont expérimentées, compétentes et en contact régulier avec leurs homologues étrangers. La preuve du préjudice qui résulterait de la divulgation unilatérale qui a été présentée ex parte par des témoins appelés par le procureur général était crédible et digne de foi. Les témoins ont fait preuve de franchise lorsqu’ils ignoraient pourquoi l’organisme étranger ne voulait pas que les renseignements soient divulgués, mais ils ont décrit fermement ce qui se passerait si ces points de vue étaient écartés.

 

[98]           J’estime cependant qu’une trop grande quantité de communications courantes entre des organismes étrangers et canadiens sont protégées par le procureur général en vertu de la règle des tiers. Il y a eu en l’espèce des exemples qui n’ont tout simplement pas résisté à un examen attentif. J’estime également que la plupart des renseignements de ce genre ne sont pas pertinents pour la procédure sous‑jacente en l’espèce. Il ne sert à rien de rendre une décision pro forma concernant le préjudice ou d’effectuer un examen équilibré de ces renseignements si cela n’aide en rien le demandeur.

 

[99]           Je conviens que, de manière générale, le procureur général a démontré, comme il devait le faire, que la divulgation des renseignements que j’ai jugés pertinents porterait préjudice à la sécurité nationale et aux relations internationales du Canada. Il faut maintenant déterminer si, en dépit de cette conclusion, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation.

 

La mise en balance des raisons d’intérêt public

 

[100]       En ce qui concerne la troisième étape de l’examen – la mise en balance des raisons d’intérêt public – le procureur général s’appuie sur la preuve relative au préjudice qui a été produite et soutient que les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation des renseignements protégés l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant leur divulgation. Subsidiairement, il soutient, si la Cour décide qu’une partie ou que la totalité des renseignements devrait être divulguée, que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de divulguer les renseignements dans la forme ou aux conditions les plus susceptibles de limiter tout préjudice, conformément au paragraphe 38.06(2).

 

[101]       Le demandeur soutient que tout préjudice porté aux intérêts protégés par l’article 38 peut être éliminé par l’imposition des conditions appropriées. Par conséquent, tous les renseignements devraient être divulgués d’une manière qui empêche leur divulgation à d’autres personnes que celles qui [traduction] « ont besoin de les connaître ». Le demandeur propose les solutions suivantes, selon son ordre de préférence, en commençant par celle qu’il privilégie le plus :

 

a) la divulgation publique et sans conditions des documents et renseignements pertinents;

b) la divulgation publique et sans conditions d’un résumé des documents et renseignements pertinents;

c) la divulgation de tous les renseignements pertinents à ses avocats à la condition que ces renseignements puissent être divulgués seulement au juge d’extradition au cours d’une audience à huis clos et à aucune autre partie, y compris lui‑même;

d) la divulgation de tous les renseignements pertinents à un amicus curiae nommé par la Cour à la condition que ces renseignements puissent être divulgués par l’amicus curiae seulement au juge d’extradition au cours d’une audience à huis clos et à aucune autre partie, y compris lui‑même.

 

[102]       Au cours de sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a indiqué qu’il laissait tomber la quatrième solution. J’avais mentionné qu’il était très peu probable que j’aie la prétention d’exiger que le juge d’extradition permette la comparution d’un amicus curiae nommé par la Cour au cours d’une audience à huis clos. L’avocat a toutefois fait valoir que la Cour a la compétence nécessaire pour ordonner que les renseignements soient divulgués seulement lors d’une audience à huis clos, laissant ainsi au juge d’extradition le soin d’ordonner toute procédure qu’il estime nécessaire.

 

[103]       Il existe des raisons d’intérêt public fortement opposées en l’espèce. Le public a intérêt à faire en sorte que les renseignements qui seraient pertinents aux fins de la procédure d’extradition visant le demandeur soient divulgués à ce dernier pour sa défense. Cet intérêt reflète les valeurs canadiennes et fait partie des principes de justice fondamentale garantis à l’article 7 de la Charte. Le public a aussi profondément intérêt à maintenir la capacité des organismes de renseignement et d’enquête du Canada de réagir aux menaces visant notre sécurité collective et la capacité de nos responsables des affaires étrangères d’entretenir des relations franches et efficaces avec les autres pays.

 

[104]       Il y a un autre facteur qui peut justifier une plus grande retenue à l’égard de la thèse défendue par le procureur général en l’espèce. L’examen des raisons d’intérêt public doit tenir compte du fait que la sécurité des troupes et des civils canadiens en Afghanistan est tributaire notamment de la coopération des autres gouvernements dans la région et des autres membres de la force de sécurité internationale qui y est déployée. Dans ce contexte, la divulgation des renseignements en cause en l’espèce pourrait avoir des répercussions beaucoup plus graves si elle devait entraîner une diminution ou la fin de cette coopération.

 

[105]       Comme je l’ai indiqué précédemment, il faut aussi, pour mettre en balance les raisons d’intérêt public en l’espèce, tenir compte de la liberté de la presse garantie par la Charte, y compris le droit du public de recevoir des renseignements que la presse peut obtenir et choisir de publier.

 

[106]       En l’espèce, le Globe and Mail a obtenu certains renseignements parce que ceux‑ci avaient été divulgués par la Couronne à l’avocat du demandeur et devaient être déposés dans le cadre d’une audience publique. C’est seulement après la signification des documents du demandeur à l’avocat de la Couronne que l’on a déterminé que les renseignements étaient sensibles et pouvaient porter préjudice à un intérêt protégé. Le journal a agi de manière responsable en ne les publiant pas lorsqu’il a été averti de la situation par l’avocat. Sans l’avis signifié ensuite au procureur général en vertu de la Loi cependant, le journal aurait été libre de publier les renseignements et le public aurait été mis au courant de leur teneur et aurait pu envisager leurs répercussions. Le public aurait pu ne jamais connaître les renseignements si ceux‑ci n’avaient pas été divulgués dans le cadre de la présente instance.

 

[107]       Les renseignements en question ont trait au paiement d’une prime de 500 000 $US pour la capture de M. Khadr au Pakistan. Les autorités pakistanaises avaient leurs propres raisons de vouloir arrêter M. Khadr en raison des activités que celui‑ci aurait menées au Pakistan. Les renseignements n’indiquent pas que la prime a effectivement été payée ou, si elle a été payée, par qui. La source de ces renseignements n’est pas révélée dans le document. Il ne fait cependant aucun doute que l’on a dit aux fonctionnaires canadiens qu’une prime avait été payée peu de temps après la capture du demandeur et que ceux‑ci ont transmis ce renseignement, vraisemblablement tenu pour fiable, à leur supérieur – le commissaire de la GRC en l’occurrence.

 

[108]       On peut raisonnablement déduire de la preuve publique déposée en l’espèce que la prime a été offerte et payée par le gouvernement américain. L’avocat du Globe and Mail a produit une preuve démontrant que le paiement de primes par les États‑Unis a été divulgué sans problème dans des contextes comparables et que les autorités américaines considèrent en fait qu’il s’agit d’un moyen très utile de favoriser l’arrestation de présumés terroristes dans la région. Dans les mémoires qu’il a publiés, le chef d’État du Pakistan, le Général Musharraf, écrit que l’acceptation par son pays de primes offertes par les États‑Unis illustre la contribution de celui‑ci à ce qu’il est convenu d’appeler la [traduction] « guerre mondiale au terrorisme ».

 

[109]       Le procureur général soutient que le fait qu’une prime a peut‑être été versée dans la présente affaire n’a jamais été reconnu publiquement, que la divulgation des renseignements porterait préjudice aux intérêts du Canada et que la Cour devrait rendre une ordonnance interdisant la divulgation éventuelle de ces renseignements.

 

[110]       La preuve entendue à huis clos permet de conclure que la prime a été offerte et payée par les États‑Unis. Je reconnais que les renseignements ont été transmis à des fonctionnaires canadiens de manière confidentielle et que le procureur général cherche à empêcher leur divulgation en appliquant de bonne foi la règle des tiers. Cependant, la seule raison qui a été présentée à la Cour pour expliquer pourquoi la publication des renseignements devrait être interdite est que leur source ne veut pas qu’ils soient divulgués. Aucune autre explication n’a été donnée.

 

[111]       L’avocat du demandeur soutient que la divulgation de ce fait est capitale pour sa défense. Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis convaincu que ces renseignements sont pertinents au regard des allégations du demandeur. Je suis incapable de conclure que leur divulgation porterait préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales du Canada. Les fonctionnaires canadiens ont obtenu les renseignements il y a maintenant plus de trois ans, la pratique générale appartient au domaine public, aucune source humaine ne semble être en danger et la situation au Pakistan a changé depuis que ces incidents ont eu lieu.

 

[112]       Si j’avais conclu que l’on avait fait la preuve du préjudice, j’aurais décidé que les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation. Comme il a été indiqué précédemment, les « raisons d’intérêt public » comprennent notamment le droit du demandeur à une audition complète et équitable des questions concernant l’admissibilité des arguments et éléments de preuve présentés contre lui. À mon avis, cela inclut les renseignements selon lesquels une prime a été payée pour sa capture.

 

[113]       Le fait qu’un État étranger a payé une prime pour l’arrestation d’un citoyen canadien à l’étranger et que des fonctionnaires canadiens le savaient dès le début est aussi une question à l’égard de laquelle le public a un intérêt légitime. J’ai examiné la question de savoir s’il serait suffisant d’autoriser la divulgation des renseignements au demandeur uniquement aux fins de sa défense à la demande d’extradition, mais j’ai conclu que le journal devrait être autorisé à publier les renseignements et à informer le public conformément aux valeurs fondamentales de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. L’interdiction de divulgation de ces renseignements ne sera donc pas confirmée.

 

[114]       En ce qui concerne tous les renseignements qui auraient été « divulgués par inadvertance », notamment le renseignement en la possession du journal, le demandeur prétend que les circonstances dans lesquelles l’information a été révélée à son avocat démontraient clairement que la Couronne avait l’intention, en toute connaissance de cause, de renoncer à tous les privilèges qui pouvaient être rattachés aux documents. L’avocat de la Couronne a eu besoin de sept mois environ pour examiner les renseignements en la possession du gouvernement qui seraient utiles pour statuer sur la demande d’extradition, après avoir reconnu que le critère d’« apparence de vraisemblance » était rempli. Les renseignements ont ensuite été divulgués. Ce n’est que lors d’un examen subséquent, effectué probablement par un autre fonctionnaire, que des raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation ont été invoquées en vertu de l’article 38. En fait, l’avocat affirme que, jusqu’à ce que les documents soient déposés en l’espèce, le seul document qui avait été divulgué par inadvertance, à sa connaissance, était la note d’information d’octobre 2004 divulguée au Globe and Mail.

 

[115]       Le procureur général prétend que la preuve ne démontre pas que la Couronne a déjà eu l’intention de renoncer au privilège protégeant les renseignements. Au moment où les documents ont été divulgués au demandeur, l’interdiction prévue au paragraphe 38.02(1) n’existait pas encore relativement aux renseignements en cause. Le procureur général fait valoir que la Couronne ne pouvait pas renoncer à un privilège qui n’existait pas encore. Il a, sous le régime de l’article 38.03, confirmé l’interdiction prévue par la loi et confirmé qu’il n’y avait pas eu intention de renoncer au privilège.

 

[116]       Le demandeur soutient que les circonstances en l’espèce sont différentes de celles de Khawaja I car il était évident, dans cette affaire, que des erreurs avaient été commises lorsque les documents avaient été expurgés dans le cadre du processus de divulgation. Ayant instruit les deux affaires, je ne vois aucune différence réelle entre elles, sauf le fait que les documents étaient beaucoup plus nombreux dans Khawaja I. Les deux affaires montrent que l’article 38 pose des difficultés systémiques lorsqu’une grande quantité de documents sont divulgués et que l’intérêt public exige qu’ils soient examinés de manière approfondie. Seul un petit nombre de personnes peuvent faire ce travail. En dépit des efforts faits pour qu’il en soit autrement, des erreurs seront commises et des renseignements retirés d’un document pourraient être divulgués dans un autre. L’avocat du procureur général a présenté à la Cour une table de concordance qui démontre que les renseignements qui auraient été divulgués par inadvertance avaient tous été supprimés dans d’autres documents. Je suis convaincu, par conséquent, qu’il n’y a pas eu renonciation éclairée dans ces circonstances.

 

[117]       Je ne vois aucune raison en l’espèce de m’écarter de la conclusion à laquelle je suis parvenu dans Khawaja I, selon laquelle tout renseignement à l’égard duquel un avis a été signifié, même tardivement, au procureur général devrait faire l’objet de l’examen à trois étapes. Il ressort clairement d’un examen des pages contenant ces renseignements qui n’ont pas été expurgées en l’espèce qu’une grande partie de ceux‑ci sont des renseignements administratifs internes, comme des numéros de téléphone ou de télécopieur ou les noms et les numéros de téléphone d’employés des organismes. Il est question à plusieurs reprises de l’enquête menée relativement à une autre personne. Ces renseignements ne seraient d’aucune utilité au demandeur. Ils ont avec raison été retirés d’autres documents et je suis convaincu que c’est par inadvertance qu’on ne l’a pas fait en l’espèce.

 

[118]       Je ne vois cependant aucune raison pratique d’exiger maintenant des avocats du demandeur qu’ils détruisent ou retournent les copies des documents non expurgés qui ont été divulgués par inadvertance. Ces documents sont en leur possession depuis plus d’un an sans qu’aucun préjudice n’ait, de toute évidence, été causé aux intérêts nationaux protégés. Je pense qu’il est suffisant que les renseignements ne soient pas de nouveau divulgués. Certains renseignements figurant sur la liste des documents divulgués par inadvertance pourraient, selon l’avocat du demandeur, aider son client. Ces détails figurent dans le résumé qui doit être remis aux avocats et qui pourrait être utilisé dans le cadre de la procédure d’extradition. 

 

CONCLUSION

 

[119]       Je suis convaincu que le procureur général a démontré le risque de préjudice à l’égard de la plupart des renseignements en cause en l’espèce. En mettant en équilibre les raisons d’intérêt public, j’arrive à la conclusion que les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la non‑divulgation. J’exercerai le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré au paragraphe 38.06(2) de la Loi d’autoriser la divulgation d’un résumé des renseignements pertinents qui ne pourra être utilisé qu’aux fins des audiences d’extradition. Une autre ordonnance à laquelle le résumé sera annexé sera rendue à huis clos à cet effet à l’intention des avocats des parties.

 

[120]       Les renseignements contenus dans la note d’information datée du 20 octobre 2004 et adressée au commissaire de la GRC sont pertinents au regard de la procédure d’extradition sous‑jacente. Je ne suis pas convaincu que le procureur général a démontré, comme il devait le faire, que la divulgation des renseignements porterait préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales du Canada. Aussi, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’imposer des conditions pour limiter le préjudice qui pourrait être causé aux intérêts protégés. J’exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire d’autoriser la divulgation de ces renseignements sans conditions.

 

[121]       Le demandeur sollicite les dépens de la présente demande. Aucune demande n’a été présentée relativement au paiement des frais du Globe and Mail. Le procureur général a été enjoint de payer les honoraires et débours raisonnables de l’amicus curiae car il n’existe aucune autre source de fonds facilement accessible à cet égard. À l’exception de cette obligation, l’adjudication des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Le procureur général exerce, sous le régime de l’article 38, une fonction publique importante imposée par le législateur. Je suis préoccupé par le temps qu’il a fallu pour examiner tous les documents aux fins de la divulgation, mais je pense que ce délai était attribuable au caractère sensible des renseignements et à l’insuffisance des ressources. Je souligne en outre que les avocats de la Couronne se sont engagés volontairement à ne pas limiter la divulgation au DC de l’État requérant lorsqu’ils ont reconnu que les prétentions du demandeur avaient une « apparence de vraisemblance ». Dans ces circonstances, je ne rendrai pas d’ordonnance relativement aux dépens.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

  1. Conformément à l’alinéa 38.02(2)b) de la Loi, les présents motifs de l’ordonnance et la présente ordonnance publics sont divulgués au procureur général du Canada à la date à laquelle ils sont rendus et seront divulgués aux avocats du demandeur et au public à l’expiration du délai d’appel prévu aux articles 38.09 et 38.1 de la Loi.
  2. L’interdiction de divulgation des renseignements contenus dans le document 1008 de la GRC – une note d’information datée du 20 octobre 2004 et adressée au commissaire de la GRC – n’est pas confirmée et la divulgation de ces renseignements est autorisée sans conditions en vertu du paragraphe 38.06(2) de la Loi.
  3. Un résumé des autres renseignements pertinents pour lesquels un avis a été donné au procureur général en l’espèce est divulgué, sous réserve des conditions qui seront exposées dans une annexe aux motifs de l’ordonnance et à l’ordonnance rendus à huis clos uniquement à l’intention des avocats des parties.
  4. Sous réserve des exceptions ci‑dessus, les renseignements qui ont été « divulgués par inadvertance » selon la liste déposée à la Cour le 11 février 2008 ne doivent pas être divulgués par les avocats du demandeur.
  5. Les avocats du demandeur peuvent conserver les copies non expurgées des documents « divulgués par inadvertance » aux fins de la préparation de l’audience d’extradition; ils ne doivent pas divulguer les renseignements, mais uniquement le résumé annexé à l’ordonnance qui sera rendue à huis clos en l’espèce.
  6. La Cour reste saisie de la présente affaire jusqu’à la fin de la procédure d’extradition et les avocats des parties peuvent demander en tout temps et par écrit des précisions au sujet des présents motifs de l’ordonnance et de la présente ordonnance publics, en avisant l’autre partie.
  7. Les dossiers de la Cour concernant l’audience doivent être gardés dans un lieu interdit au public conformément à l’article 38.12 de la Loi.
  8. L’ordonnance du 15 janvier 2008 continuera de s’appliquer relativement au paiement des honoraires et débours raisonnables de l’amicus curiae; pour le reste, chaque partie se chargera de ses dépens.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        DES-3-07

 

INTITULÉ :                                                       ABDULLAH KHADR

                                                                            c.

                                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               EX PARTE ET À HUIS CLOS :

                                                                            LES 23, 24, 25, 29 ET 30 JANVIER 2008

                                                                            LES 11 ET 12 FÉVRIER 2008

                                                                            LES 7 ET 20 MARS 2008

 

                                                                            À HUIS CLOS :

                                                                            LES 21 ET 22 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 29 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nathan J. Whitling                                                              POUR LE DEMANDEUR

Dennis Edney

 

Robert MacKinnon                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Marie Crowley

 

P. M. Jacobsen                                                                  POUR LE GLOBE AND MAIL

 

L. Shore, c.r.                                                                      POUR L’AMICUS CURIAE

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Parlee McLaws, LLP                                                         POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Peter M. Jacobsen                                                              POUR LE GLOBE AND MAIL

Bersenas Jacobsen Chouest

Thomson & Blackburn

Toronto (Ontario)

 

L. Shore, c.r.                                                                      POUR L’AMICUS CURIAE

Shore Davis Hale

Ottawa (Ontario)

 

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