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Date : 20080514

Dossier : IMM‑4674‑07

Référence : 2008 CF 610

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 mai 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

JAVED MEMON

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a estimé que M. Memon était membre d’une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera au terrorisme et elle a donc conclu qu’il était interdit de territoire. Selon moi, c’était là une conclusion raisonnable à laquelle pouvait parfaitement arriver la SAI, au vu du dossier qu’elle avait devant elle.


I. Le contexte

[2]               M. Memon est pakistanais. Il est arrivé au Canada en 1998, où il a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée en mai 1999. En novembre 1999, il a épousé une citoyenne canadienne, puis a déposé à titre de conjoint une demande de résidence permanente.

 

[3]               Après le dépôt de sa demande de résidence permanente, un rapport fut préparé à son sujet en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Le rapport précisait que M. Memon était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi car il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des activités terroristes.

 

[4]               La norme de preuve imposée pour conclure à une interdiction de territoire en application de l’article 34 est explicitement énoncée à l’article 33 de la Loi. Les articles 33 et 34 sont ainsi formulés :

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

 

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

                        [Non souligné dans l’original.]

 

[5]               Le rapport a été présenté à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SI) pour enquête. Le 30 novembre 2005, la SI a conclu que le rapport établi en vertu de l’article 44 n’était pas fondé. Le ministre a fait appel de la décision à la SAI.

 

[6]               Devant la SAI, les parties ont convenu que l’appel se déroulerait d’après le dossier soumis à la SI et d’après la transcription d’audience de la SI, sans que la SAI entende de témoignages. Les parties ont aussi convenu de ce qui suit :

L’intimé [M. Memon] considère qu’il a été partisan de la faction Altaf du MQM (MQM‑A) de 1992 à 1994. Il ne s’est pas livré à des activités avec le MQM‑A pendant cette période.

 

De 1994 à 1998, l’intimé [M. Memon] a été membre du MQM‑A. Il s’est livré à diverses activités à l’appui du MQM‑A. Il a fait des dons au MQM‑A. Il a aussi recueilli des dons auprès d’autres partisans du MQM‑A et les a remis à son bureau local du MQM‑A. Il a produit et affiché des tracts pour les réunions du MQM‑A. Il a participé à des manifestations du MQM‑A devant le club de la presse, la maison du gouverneur, la maison du ministre en chef et des postes de police. Il a aidé un candidat du MQM‑A aux élections de 1997 en distribuant des feuillets et en sollicitant le soutien de personnes.

 

[Renvois omis.]

 

 

[7]               Outre les documents déjà dans le dossier soumis à la SI, le ministre a présenté à la SAI plusieurs autres documents décrivant la situation dans le pays en cause, notamment des rapports d’Amnistie Internationale, du département de la Justice des États‑Unis et de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[8]               Le 16 octobre 2007, la SAI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’une organisation dont M. Memon était membre, le MQM‑A, commettait des actes de terrorisme, et notamment se servait de salles de torture, lançait des attaques à la roquette contre les postes de police et les stations de télévision et enlevait, puis assassinait, des journalistes, des rédacteurs et des éditeurs. La SAI a ordonné l’expulsion de M. Memon.

 

II. Le MQM

[9]               M. Memon reconnaît avoir été membre de la faction Altaf du Mouvement Mohajir Quami. Les pièces qui ont été soumises à la SAI et qui sont soumises à la Cour en ce qui concerne les organisations intéressant la décision rendue par la SAI peuvent être résumées comme il suit.

 

[10]           En 1984, Altaf Hussein fondait le Mouvement Mohajir Quami (le MQM). Entre 1990 et 1992, une faction du MQM, dirigée par Afaq Ahmed et Aamir Khan, s’est détachée du MQM. Cette faction était appelée MQM Haqiqi, littéralement le MQM « véritable », que j’appellerai dans les présents motifs le « MQM‑H ». La partie principale du MQM, après que la faction MQM‑H eut fait scission, a continué d’être dirigée par Altaf Hussein et devint connue sous le nom de MQM Altaf, ou MQM‑A, bien qu’elle fût encore appelée MQM par beaucoup de gens, y compris par le mouvement lui‑même. Ce fait est capital pour l’argument initial du demandeur, qui affirme que la SAI a eu tort de se fonder sur des documents faisant état d’abus commis par le MQM comme s’ils l’avaient été par le MQM‑A. Le demandeur reconnaît être membre de cette organisation. En 1997, le Mouvement Mohajir Quami a changé son nom pour s’appeler Mouvement Muttahida Quami, qui est également appelé le MQM, ou le MQM‑A, dans les documents.

 

III. Les fondements du contrôle

[11]           Le demandeur fonde sa demande sur trois aspects de la décision de la SAI :

  1. la SAI n’a pas fait la distinction entre les actes commis par la faction MQM‑H et ceux commis par la faction MQM‑A;
  2. la SAI a commis une erreur en concluant que la preuve documentaire était suffisamment crédible et digne de foi pour établir des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A se livrait au terrorisme;
  3. la SAI a commis une erreur en concluant à l’existence de motifs raisonnables de penser que le MQM‑A se livrait au terrorisme contre des civils ou autres personnes ne prenant pas une part active aux hostilités dans une situation de conflit armé.

[12]           Les points soulevés dans cette demande sont des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait. La norme de contrôle applicable à la décision de la SAI est la norme de la décision raisonnable : arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9. Dans l’application de cette norme, je me reporte aux propos suivants tenus par la Cour suprême du Canada au paragraphe 47 de cet arrêt :

[...] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[13]           Dans l’examen de la décision de la SAI, il est utile aussi de garder à l’esprit la norme de preuve à appliquer lorsque est prononcée une interdiction de territoire en vertu de l’article 33 de la Loi. La norme de preuve énoncée dans l’article 33 a été expliquée par la Cour suprême du Canada, au paragraphe 114 de l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100 :

[...] La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Compte tenu de ces dispositions légales et de l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence, et puisque l’appartenance du demandeur au MQM‑A n’a pas été contestée, la SAI devait, pour savoir si M. Memon était ou non interdit de territoire, se demander si, d’après des renseignements convaincants et dignes de foi, il y avait lieu de croire objectivement que le MQM‑A se livre ou s’est livré au terrorisme.

 

IV. Analyse

La SAI a‑t‑elle commis une erreur en ne faisant pas la distinction entre les actes du MQM‑H et ceux du MQM‑A?

[15]           Selon M. Memon, la SAI a commis une erreur en se fondant sur la preuve qui décrivait les violences commises par le MQM comme si elles étaient indubitablement des violences commises par le MQM‑A, alors que, affirmait M. Memon, telles violences pouvaient être (et étaient selon lui) le fait du MQM‑H.

 

[16]           Il a fait valoir que la SAI a accordé un poids considérable à une erreur de transcription de la preuve : la déclaration de M. Memon est consignée ainsi dans la transcription d’audience de la SI : [traduction] « lorsque c’est le nom du Mouvement Mohajir Quami qui apparaît... il s’agit automatiquement du groupe d’Altaf Hussein ». M. Memon a produit un enregistrement de l’audience et une attestation de l’interprète montrant que la transcription de cette partie de l’audience de la SI était erronée et que M. Memon avait dit en réalité : [traduction] « lorsque c’est le nom du Mouvement Muttahida Quami qui apparaît... il s’agit automatiquement du groupe d’Altaf Hussein ».

 

[17]           Il y a eu erreur dans la transcription écrite du témoignage de M. Memon, mais je suis d’avis que cette erreur entraîne peu de conséquences. La SAI a entendu une preuve considérable qui attestait explicitement que le MQM‑A avait participé à des violences et la SAI s’est également fondée sur cette preuve pour arriver à sa conclusion. Certaines des violences en question seront évoquées plus loin.

 

[18]           Comme l’a fait observer le défendeur, la SAI a relevé que M. Memon lui‑même avait dit que le MQM‑H était un groupe dissident du MQM originel et que le mouvement principal, dirigé par Altaf Hussein, avait continué d’exister en tant que MQM originel sous le nom de MQM‑A. La SAI a aussi relevé que M. Memon évoque, presque sans différence, son rôle au sein du MQM et au sein du MQM‑A. Fait important à mon avis, il a produit une lettre de l’organisation, datée du 28 octobre 1998, qui fait état de son appartenance au Mouvement Muttahida Quami (MQM), et le dossier contient une autre lettre du Secrétariat international du Mouvement Muttahida Quami (MQM) qui renferme les propos suivants : [traduction] « Vous vous interrogez sur certains termes employés pour désigner les membres du MQM, le Mouvement Muttahida Quami – auparavant appelé Mouvement Mohajir Quami ». Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure que les agissements attribués au MQM étaient les agissements du MQM‑A.

 

[19]           M. Memon n’a d’ailleurs signalé aucun élément du dossier donnant à penser que la SAI a laissé de côté une preuve autorisant la conclusion selon laquelle le MQM, comme on l’appelle couramment, est une organisation distincte du MQM‑A. La SAI évoque en fait explicitement cette absence d’une preuve contraire lorsqu’elle arrive à sa conclusion :

[...] Je tire une inférence négative du fait qu’aucun élément de preuve n’a été produit pour montrer que le MQM‑A est une organisation différente du MQM dans le but d’infirmer la position mise en avant par l’intimé [M. Memon] lui‑même sur cette question.

 

[20]           En outre, même si l’on devait admettre qu’il y a des cas où il est sans doute difficile de savoir si les actes reprochés étaient ceux du MQM, du MQM‑A ou du MQM‑H, le rapport d’Amnistie Internationale de 1996 dit clairement que, à Karachi, où M. Memon était membre du MQM‑A, toutes les factions étaient responsables également des actes terroristes commis :

[traduction]

 

À Karachi, les deux factions du MQM, [...] sont en concurrence les uns avec les autres et plusieurs de ces groupes s’opposent au gouvernement. Les limites confuses du conflit ont permis à chaque groupe et aussi au gouvernement de tenir les autres responsables des violations. Toutefois, Amnistie Internationale estime que les preuves dont on dispose donnent fortement à penser que tous les groupes d’opposition armés exerçant leurs activités à Karachi sont responsables de torture, d’enlèvements et de meurtres.

 

 

 

La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la preuve documentaire était suffisamment crédible et digne de foi pour établir des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A se livrait au terrorisme?

 

 

[21]           Selon M. Memon, la SAI a accordé un poids injustifié aux rapports d’Amnistie Internationale qui, affirme‑t‑il, ne faisaient qu’éveiller des soupçons de terrorisme, mais ne répondaient pas au critère des motifs raisonnables exposé dans l’arrêt Mugesera. Je suis d’avis que l’argument de M. Memon n’a aucun fondement.

 

[22]           Dans sa décision, la SAI examine attentivement cette question, pour conclure ainsi :

En ce qui a trait à la suffisance des sources, je suis d’avis que les sources documentaires en l’espèce sont semblables à celles des affaires Omer et Jalil, mais plus complètes. Dans l’affaire qui nous intéresse, il y a un bon nombre de commentaires et de sources mais j’estime, comme dans Jalil, que les rapports d’Amnistie internationale sont les plus faciles à trouver crédibles et fiables. J’ai été convaincue par les déclarations d’Amnistie internationale [paragraphes 38‑40 ci‑dessus], à savoir qu’elle trouve son information au moyen de missions d’enquête qui font une évaluation sur place, qui vérifient et confirment l’information au moyen de sources et de contacts multiples et qui font aussi un examen de l’impartialité politique. Toutefois, je ne me fonde pas uniquement sur les documents d’Amnistie internationale, mais aussi sur des rapports et des commentaires de diverses autres sources qui sont systématiques et qui apportent une corroboration.

 

 

[23]           Je suis d’avis que la SAI pouvait raisonnablement tirer cette conclusion. La SAI a énuméré de nombreuses sources à l’origine de son information et, après avoir examiné une bonne part d’entre elles, je suis arrivé à la conclusion qu’elles confirment largement l’opinion exprimée par Amnistie Internationale.

 

[24]           Par ailleurs, la SAI s’est demandé, d’une manière approfondie et détaillée, si les sources en questions étaient suffisantes. Elle cite le ratio decidendi de plusieurs décisions de la Cour qui concernent la crédibilité de documents quasi identiques (voir, par exemple, Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, et Omer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 478). Dans sa décision, la SAI cite Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1053, aux paragraphes 14 et 15[1] :

À cet égard, je suis d’avis qu’une lecture complète du rapport (DD, page 37) ne corrobore pas cette prétention. Le rapport indique bien qu’Amnistie Internationale n’a pas été en mesure d’effectuer une vérification indépendante des rapports sur les actes de torture, mais il mentionne également que les renseignements proviennent de différentes sources, dont des membres des autres partis politiques, les médias, l’armée et des [traduction] « observateurs ». Je ne vois pas en quoi le commissaire a commis une erreur en donnant de la valeur au rapport parce que « la présentation d’informations et d’incidents semblables dans des publications différentes est un gage de la fiabilité des documents » (DD, page 19, paragraphe 31).

 

Par conséquent, je souscris sans la moindre hésitation à la prétention de l’avocat du défendeur selon laquelle les éléments de preuve contenus à l’onglet 5 ne constituent peut‑être pas une preuve selon la prépondérance des probabilités, mais il ne s’agit pas simplement de vagues soupçons. J’estime donc que ces éléments de preuve satisfont à la norme des « motifs raisonnables de croire » dont il est question à l’alinéa 34(1)f). [...]

 

[25]           Il était raisonnable pour la SAI d’appliquer ce raisonnement. Je rejette donc l’argument de M. Memon sur ce point.

 

La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’existence de motifs raisonnables de penser que le MQM‑A se livrait au terrorisme contre des civils ou autres personnes ne prenant pas une part active aux hostilités dans une situation de conflit armé?

 

 

[26]           Le terrorisme n’est pas défini dans la Loi. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada donnait la définition du terrorisme qu’il convient d’appliquer. Cette définition, qui apparaît au paragraphe 98 de l’arrêt Suresh, a été appliquée ici par la SAI :

À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi [l’ancienne Loi sur l’immigration] inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[27]           M. Memon fait valoir que la SAI a eu tort de conclure que les actes attribués au MQM‑A étaient du « terrorisme » selon la définition donnée dans l’arrêt Suresh, parce que les cibles des actes en question n’étaient pas des « civils » ou « autres personnes ne participant pas directement aux hostilités ».

 

[28]           Je suis d’avis que la conclusion de la SAI sur ce point était elle aussi raisonnable. M. Memon semble prétendre que l’on ne peut être un civil que si l’on est totalement neutre dans un conflit, sans aucune allégeance politique. Selon la preuve citée par la SAI, les cibles des attaques étaient des opposants politiques, des dissidents, des proches d’opposants politiques, des chaînes de télévision, des journalistes, des membres de la profession journalistique et d’autres personnes dont l’appartenance politique est inconnue. À titre d’exemple, un rapport d’Amnistie Internationale cité par la SAI contient ce qui suit :

[traduction]

 

En juin 1992, l’armée a fait part de sa découverte de 23 cellules de torture à Karachi, où le MQM aurait torturé et parfois tué des dissidents et des adversaires politiques du MQM; les porte‑parole militaires ont indiqué que ces cellules avaient été trouvées dans les bureaux, les écoles et les hôpitaux du MQM.

 

Les journaux du Pakistan, dont les rédacteurs en chef n’ont cessé de répéter au cours des ans devant Amnistie Internationale qu’ils se faisaient intimider, harceler et physiquement attaquer par des membres du MQM, ont reproduit des photographies des présumées chambres de torture montrant des murs éclaboussés de sang, des gadgets électriques censément utilisés pour la torture et des cordes et des chaînes suspendues au plafond. Certaines des cellules de torture [...] auraient été des cellules de viol, où les dissidentes étaient soumises à un viol collectif de la part des militants du MQM. Les journaux ont aussi interrogé en profondeur des personnes qui se décrivent comme des victimes de la torture du MQM, y compris le viol, et des membres de la famille de personnes qui seraient mortes sous la détention du MQM. Les The News et Dawn du 25 juin 1992 citent plusieurs femmes dont les fils ou les maris auraient été torturés à mort dans des cellules de torture du MQM à Landhi, Karachi [...]

 

 

[29]           Même si je devais admettre l’affirmation de M. Memon selon laquelle le Pakistan pouvait être qualifié à l’époque en question de pays en état de conflit armé, ce serait imposer à la SAI une tâche impossible si l’on exigeait d’elle que, avant qu’elle puisse dire qu’un groupe s’est rendu coupable d’activités terroristes, elle prouve sans l’ombre d’un doute que la cible était une partie totalement neutre. Puisque la preuve citée par la SAI fait état d’une grande diversité de gens parmi les victimes des violences du MQM, notamment de membres de la profession journalistique et de proches d’opposants politiques, je crois qu’il était raisonnable pour la SAI de dire que les agissements du MQM‑A constituaient du terrorisme selon la définition donnée dans l’arrêt Suresh.

 

[30]           Je rejette donc l’argument de M. Memon selon lequel il était déraisonnable pour la SAI de dire, au vu de la preuve soumise, que le MQM‑A se livrait à des violences contre des personnes ne participant pas aux hostilités.

 

V. Point accessoire

[31]           Les parties ont reconnu que, dans la présente demande, le défendeur avait été erronément désigné sous le nom de ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et elles ont sollicité une ordonnance, par consentement, modifiant la désignation du défendeur pour qu’elle soit « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». Cette requête sera accueillie.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La désignation du défendeur dans cette demande sera modifiée pour devenir « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

2.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

3.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑4674‑07

 

INTITULÉ :                                                               JAVED MEMON

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 13 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 14 MAI 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adrian H. Huzel                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Banafsheh Sokhansanj                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.‑B.)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)



[1] La SAI cite incorrectement cette décision sous l’appellation Kuan, 2005 CF.

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