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Date : 20080526

Dossier : IMM‑4900‑07

Référence : 2008 CF 662

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2008

En présence de monsieur le juge suppléant Orville Frenette

 

 

ENTRE :

SAMIR MAMOOD MUHAMED ATIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Samir Mamood Muhamed Atia (le demandeur) demande, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision du 24 octobre 2007 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a statué qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

I. Le contexte

 

[2]               Le demandeur est un Palestinien apatride âgé de 35 ans dont les parents, originaires de la Palestine, ont émigré en Iraq en 1948. Le demandeur est né en Iraq et il y a vécu en qualité de résident jusqu’en 2006. Il est marié et père de quatre enfants, qui résident actuellement en Syrie avec leur mère. Le demandeur est musulman sunnite.

 

II. La situation générale des Palestiniens en Iraq

 

[3]               L’ancien régime de Saddam Hussein accordait refuge aux Palestiniens en Iraq. En particulier, on logeait gratuitement des Palestiniens tels que le demandeur et sa famille dans des complexes d’habitation sûrs. Toutefois les Palestiniens, y compris ceux nés en Iraq, ne pouvaient devenir citoyens de ce pays ni y détenir une propriété.

 

[4]               Après l’invasion de l’Iraq en 2003, la situation des Palestiniens s’est détériorée. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) a ainsi rapporté ce qui suit : [traduction] « Comme dans certains milieux les Iraquiens estiment que l’ancien régime accordait un traitement de faveur aux Palestiniens, ceux‑ci en ont subi de graves répercussions, sous forme notamment d’évictions, de menaces et de harcèlement. » Un rapport de septembre 2006 établi par Human Rights Watch signale également que les Palestiniens avaient du mal à conserver leur statut de résidents en Iraq :

[traduction]

Alors qu’auparavant les réfugiés palestiniens n’avaient aucun mal à obtenir et conserver le statut de résidents en Iraq, le ministère de l’Intérieur iraquien a ordonné que ces réfugiés obtiennent désormais des permis de séjour temporaire, les traitant ainsi comme des étrangers non résidents plutôt que comme des réfugiés reconnus. Les obligations en matière de résidence sont astreignantes. Les réfugiés palestiniens doivent se rendre avec tous les membres de leur famille aux bureaux du ministère de l’Intérieur pour faire renouveler leurs permis; il faut des jours voire des semaines pour que les nouveaux permis, valides pour seulement un ou deux mois, soient finalement renouvelés.

 

 

[5]               D’après le rapport de Human Rights Watch, en outre, les Palestiniens ont été davantage pris pour cibles que les membres d’autres minorités. Des miliciens, particulièrement chiites, ont agressé, menacé et souvent même assassiné des Palestiniens. Des feuillets ont été disséminés dans des quartiers où résidaient des Palestiniens, avertissant ces derniers qu’il leur fallait quitter le pays s’ils voulaient avoir la vie sauve. On a aussi largement rapporté que des représentants du gouvernement avaient porté atteinte aux droits de la personne de Palestiniens, sous forme notamment d’arrestations et de détentions arbitraires, de harcèlement et de descentes à domicile.

 

III. La situation du demandeur

 

[6]               Le demandeur vivait avec sa famille dans un complexe d’habitation pour Palestiniens à Bagdad. Il travaillait comme mécanicien dans ce complexe et ses enfants y fréquentaient l’école. Le demandeur soutient que son permis de séjour a expiré et que le gouvernement a refusé de le renouveler. Comme toutefois il n’avait pas à quitter le complexe pour Palestiniens, le demandeur soutient avoir alors pu rester en Iraq. Malheureusement, bien que le titre de voyage étayant la prétention d’obtention du statut de résident du demandeur ait été présenté à l’audience devant la SPR, deux timbres apposés sur ce document n’étaient pas alors traduits (presque tout le reste du document était rédigé à la fois en arabe et en anglais). Le premier timbre, daté du 22 juin 2005, énonçait l’obligation suivante faite au demandeur : [traduction] « Veuillez vous présenter dans les 30 jours. » Le deuxième timbre précisait pour sa part que : [traduction] « [l]e présent document est valide pendant un an, soit jusqu’au 22 juin 2006. »

 

[7]               Le demandeur a prétendu avoir été témoin de l’assassinat de son oncle par des militants à la fin d’avril 2006. Il n’avait toutefois pas de copie du certificat de décès. Le demandeur a prétendu que des radicaux tant sunnites que chiites persécutaient les Palestiniens et proféraient des menaces de mort à leur endroit.

 

[8]               Le demandeur prétend également avoir fait l’objet de menaces à diverses reprises, et avoir reçu un feuillet où on menaçait de les tuer lui et les membres de sa famille s’ils n’avait pas quitté les lieux dans les 72 heures. Ce feuillet n’était toutefois pas adressé au demandeur en particulier, mais plutôt à l’ensemble des Palestiniens.

 

[9]               Pour ces raisons, le demandeur s’est procuré frauduleusement un titre de voyage afin de pouvoir se rendre en Syrie avec les membres de sa famille. Ensuite, la belle‑sœur du demandeur, une citoyenne des États‑Unis, est venue sur place puis elle est repartie vers le Canada avec ce dernier, muni du passeport de son frère (également citoyen des États‑Unis). Le demandeur est arrivé le 15 août 2006 et il a présenté une demande d’asile.

 

[10]           La preuve ne fait état que d’une autre tentative faite par le demandeur pour quitter l’Iraq. Un des fils du demandeur a été malade en 2005, souffrant semble‑t‑il de troubles affectifs et psychologiques dus à la violence. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que son frère avait communiqué avec un avocat afin de savoir si son fils pouvait se rendre aux États‑Unis pour y être soigné, [traduction] « mais non en tant que réfugié ou pour obtenir l’asile ». Le frère du demandeur ayant toutefois ensuite estimé que cette démarche ne pourrait aboutir, aucune demande quelconque n’avait été en fait présentée.

 

[11]           Aucun membre de la famille du demandeur, selon le témoignage de ce dernier, ne réside plus en Iraq. Le frère et le père du demandeur se sont rendus aux États‑Unis; le frère y a obtenu la citoyenneté parce qu’il a épousé une citoyenne des États-Unis et le père a été parrainé par ce frère. La mère du demandeur, une Jordanienne vivant en Syrie venait tout juste, au moment de l’audience, d’obtenir la carte verte lui permettant elle aussi de résider aux États‑Unis. Les autres membres de la famille du demandeur vivent toujours en Syrie, dont certains (comme sa femme et ses enfants) illégalement.

 

IV. La décision

 

[12]           La SPR a conclu que la question importante à trancher était celle de la crédibilité, et que le demandeur n’était pas crédible. La SPR a relevé dans sa décision que le demandeur avait fait état expressément de menaces de la part des milices chiites dans l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FPR). Lors de son témoignage à l’audience, toutefois, le demandeur a déclaré qu’il craignait les radicaux tant chiites que sunnites. Le demandeur a déclaré que, bien qu’il soit lui‑même sunnite, les sunnites radicaux d’Iraq souhaitaient se débarrasser de lui non pas en raison de sa religion mais parce qu’il était Palestinien. Le demandeur a ajouté à l’audience ne pas avoir mentionné expressément les sunnites dans son exposé circonstancié parce que peu d’entre eux vivaient près de son lieu de résidence et qu’ils étaient donc rarement pour lui source de problèmes.

 

[13]           La SPR a conclu que le témoignage du demandeur relatif au décès de son oncle n’était pas crédible. Elle a relevé le fait que le demandeur n’avait pu en préciser la date, et qu’aucun élément de preuve corroborant n’avait été fourni.

 

[14]           La SPR a également conclu qu’était invraisemblable le témoignage du demandeur selon lequel il n’avait pas le droit de retourner en Iraq. La SPR a en effet décrit le demandeur comme étant un « Iraquien d’origine palestinienne ».

 

[15]           La SPR a fait remarquer que toute la famille du demandeur s’était enfuie d’Iraq, et a déclaré que « [s]elon les éléments de preuve, le demandeur d’asile a tenté de quitter l’Iraq de diverses façons parce que toute sa famille était maintenant aux États‑Unis. » (Cela est erroné puisque sa femme et ses enfants vivent toujours en Syrie.)

 

[16]           La SPR, finalement, a pris en compte la situation générale en Iraq. Elle a cité à cet égard le passage suivant du Guide du HCNUR : « Les personnes qui sont contraintes de quitter leur pays d’origine à la suite de conflits armés nationaux ou internationaux ne sont pas normalement considérées comme des réfugiés ». En pareil cas, plutôt, « le statut de réfugié dépendra de l’aptitude du demandeur à démontrer qu’il craint "avec raison d’être persécuté" dans le territoire occupé » et qu’il ne peut se réclamer de la protection de l’État ou d’une source équivalente. La SPR a conclu que le demandeur « est préoccupé par la situation en Iraq et qu’il tente de quitter ce pays déchiré par la guerre parce que toute sa famille a émigré aux États‑Unis ».

 

V. Analyse

 

[17]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada, la norme de contrôle appropriée est plutôt la raisonnabilité.

 

[18]           À mon avis, la décision de la SPR est entachée d’un certain nombre d’erreurs justifiant son infirmation.

 

[19]           Premièrement, la SPR a conclu que le demandeur s’était contredit en mentionnant dans son témoignage qu’il craignait les radicaux tant sunnites que chiites, alors qu’il n’avait expressément mentionné que les milices chiites dans l’exposé circonstancié de son FRP. Toutefois, il ressort clairement de cet exposé circonstancié que les allusions aux milices chiites ne constituent que des exemples particuliers des craintes nourries par le demandeur. Ce dernier a insisté davantage sur ses craintes à l’endroit des milices chiites simplement parce que le complexe d’habitation pour Palestiniens où il vivait était situé dans un secteur à prédominance chiite.

 

[20]           Deuxièmement, la preuve n’étaye pas la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne connaissait pas la date de l’assassinat de son oncle. Le demandeur a en effet déclaré dans son témoignage que son oncle avait été tué [traduction] « vers la fin d’avril 2006 ». On n’a jamais demandé au demandeur s’il connaissait la date exacte de l’assassinat et encore moins de la préciser. La déclaration de la SPR selon laquelle, « [d]ans son témoignage, le demandeur d’asile a raconté que son oncle avait été assassiné en 2006 » donne une fausse idée du témoignage du demandeur en laissant croire qu’il avait été beaucoup moins précis que cela avait été le cas en réalité.

 

[21]           Troisièmement, d’après le propre témoignage du demandeur ainsi de la preuve documentaire, ce dernier n’était pas un Iraquien mais plutôt un Palestinien apatride ne disposant pas en Iraq de droits de résidence définitifs. La preuve étaye solidement le récit du demandeur lors de son témoignage, selon lequel il n’a pas le droit de retourner en Iraq et qu’il pourrait être détenu s’il devait y retourner.

 

[22]           Quatrièmement, la SPR a commis une erreur manifeste en mentionnant que toute la famille du demandeur était partie et vivait depuis aux États‑Unis et en laissant entendre que l’objectif véritable du demandeur était de les y rejoindre, plutôt que de fuir la persécution. En réalité, seuls le frère, le père et la mère du demandeur ont pu aller vivre aux États‑Unis. En outre, la destination du demandeur a été le Canada, où ne résidait aucun membre de sa famille, et non pas les États‑Unis.

 

[23]           Finalement, la SPR n’a fait nulle mention de la preuve documentaire, dont j’ai relevé certains éléments, démontrant que la persécution à l’endroit des Palestiniens est fort répandue en Iraq. Ces derniers n’ont pas simplement été contraints de quitter leur pays d’origine à la suite d’un conflit armé national ou international. Ils risquent clairement, en outre, d’être persécutés en raison de leur nationalité ou de leur appartenance à un certain groupe social, ou pour ces deux motifs à la fois, de sorte qu’il leur est possible d’obtenir le statut de réfugiés. Le défaut de mentionner cette preuve documentaire constituait une erreur manifeste en l’espèce.

 

VI. Conclusion

 

[24]           Il ressort du témoignage du demandeur qu’il a une crainte subjective d’être persécuté en Iraq et il a fourni certains éléments de preuve pour étayer cette crainte. Aucune contradiction majeure dans son témoignage ne permettait de conclure qu’il n’était pas de crédible. La preuve documentaire, en outre, étayait solidement le témoignage du demandeur. Pour ces motifs, j’en suis venu à la conclusion que la décision de la SPR était entachée d’erreurs et que la présente affaire devait être renvoyée à un nouveau tribunal.


JUGEMENT

VU les documents déposés et les observations des avocats des deux parties que j’ai entendues à Toronto le mardi 13 mai 2008,

 

            ET VU qu’on m’a informé qu’aucune question n’était déposée en vue de sa certification,

 

LA COUR ORDONNE PAR CONSÉQUENT pour les motifs énoncés précédemment que la demande soit accueillie.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4900‑07

 

INTITULÉ :                                       Samir Mamood Muhamed Atia

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 26 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Avocate

80, rue Richmond Ouest, bureau 1607

Toronto (Ontario)  M5H 2A4

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                            

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