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Date : 20080521

Dossier : IMM-3841-07

Référence : 2008 CF 627

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

SONIA ROSARIO ARTICA VILA

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi), visant la décision rendue par un agent des visas (l’agent) de l’ambassade du Canada à Lima, au Pérou, en date du 21 avril 2007, selon laquelle Sonia Rosario Artica Vila (la demanderesse) ne remplissait pas les exigences préalables à l’obtention d’un permis de travail.

[2]               La demanderesse voudrait que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de l’agent soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour réexamen.

 

Contexte

 

[3]               En juillet 2007, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation de travail en qualité d’aide familiale. Elle s’est présentée à l’entrevue à laquelle elle avait été convoquée à l’ambassade du Canada à Lima, au Pérou, le 8 août 2007. Les parties ne s’entendent pas sur ce qui s’est passé à l’entrevue. Selon la demanderesse, l’agent parlait vite, il ne lui a pas donné suffisamment de temps pour répondre aux questions et il a mis fin rapidement à l’entrevue. À la fin de celle‑ci, l’agent a annoncé à la demanderesse que sa demande était rejetée. La demanderesse a aussi reçu une lettre datée du 21 août 2007 à cet effet. C’est la décision de l’agent qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Décision de l’agent

 

[4]               L’agent a rejeté la demande au motif que la demanderesse ne satisfaisait aux exigences linguistiques prévues à l’alinéa 112d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002‑227 (le Règlement). Les notes versées par l’agent dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) éclairent cette conclusion :

[traduction] Langues : La demanderesse ne parle pas anglais. Elle a appris comment dire son nom, ainsi que certains mots comme lait, nourriture, bébé. Elle ne peut toutefois pas suivre une conversation ou comprendre des questions simples.

Questions en litige

 

[5]               La demanderesse a soulevé la question suivante :

            L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant qu’elle ne pouvait pas parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée?

 

[6]               Je reformulerais la question de la manière suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne mentionnant pas expressément les documents contenus dans le dossier qui indiquaient que la demanderesse avait suivi un cours d’anglais?

            3.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en n’évaluant pas la capacité de la demanderesse de lire l’anglais et d’écrire dans cette langue?

            4.         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne veillant pas à ce que l’évaluation se déroule dans des conditions appropriées, comme il devait le faire?

 

Prétentions de la demanderesse

 

[7]               La demanderesse soutenait que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Ram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 855; Jhattu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1058). Elle soutenait également que l’agent avait manqué à l’équité procédurale en ne veillant pas à ce que l’évaluation se déroule dans des conditions appropriées (Giacca c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 200 F.T.R. 107). Elle faisait valoir que les notes du STIDI n’indiquaient pas que l’agent avait parlé lentement et lui avait laissé suffisamment de temps pour répondre aux questions, par exemple. Elle a rappelé que la Cour a reconnu que l’évaluation des connaissances linguistiques est toujours stressante pour l’individu en cause, en particulier lorsque son statut en matière d’immigration ou ses perspectives d’emploi dépendent du résultat de l’évaluation (Giacca, précitée). Elle soutenait en outre que l’agent avait manqué à l’équité procédurale en n’évaluant pas sa capacité de lire l’anglais et d’écrire dans cette langue. Finalement, elle affirmait que l’agent avait manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas compte de la preuve relative au cours d’anglais qu’elle avait suivi dans un établissement spécialisé en enseignement de l’anglais appelé CICEX. Selon elle, l’agent avait l’obligation d’examiner correctement la preuve et de confirmer sa véracité, ce qu’il n’avait pas fait (Mascarenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 737).

 

Prétentions du défendeur

 

[8]               Le défendeur soutenait que la décision de l’agent était discrétionnaire et qu’en conséquence il fallait faire montre d’une grande retenue. Selon lui, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable (Mercado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1527; Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452; Hua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1647). Le défendeur faisait valoir que l’alinéa 112d) exige que la demanderesse parle, lise et écoute l’anglais et que l’agent n’était donc pas tenu d’évaluer sa capacité de lire l’anglais et d’écrire dans cette langue une fois qu’il avait déterminé que sa capacité de la parler était insuffisante.

 

Analyse et décision

 

[9]               Question no 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            La demanderesse soutenait que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique parce que la présente affaire soulève une question mixte de droit et de fait. Pour sa part, le défendeur prétendait que c’est plutôt la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique parce que la question en litige est une question de fait seulement. Je suis en désaccord avec les deux. À mon avis, ce n’est pas la conclusion générale de l’agent de rejeter sa demande que la demanderesse conteste, mais la conclusion selon laquelle elle ne remplissait pas les exigences linguistiques prévues par le Règlement. La contestation de cette conclusion est fondée sur trois questions d’équité procédurale. Or, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à ce genre de questions (Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 3 R.C.F. 501).

 

[10]           Question no 2

            L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne mentionnant pas expressément les documents contenus dans le dossier qui indiquaient que la demanderesse avait suivi un cours d’anglais?

            La demanderesse soutenait que l’agent avait commis une erreur en ne tenant pas compte des documents démontrant qu’elle avait suivi un cours d’anglais dans un établissement spécialisé en enseignement de l’anglais appelé CICEX. Elle faisait valoir que les notes du STIDI n’indiquaient pas que l’agent avait tenu compte de cette preuve et que, de ce fait, il avait manqué à l’équité procédurale. Dans Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, la Cour a dit ce qui suit, au paragraphe 17, au sujet de l’obligation du décideur d’examiner la preuve et d’y faire référence dans sa décision :

[…] Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[11]           À mon avis, comme il a considéré que la capacité de parler anglais de la demanderesse était insuffisante, l’agent avait l’obligation d’examiner ces documents et d’y faire expressément référence. Si l’agent ne le fait pas, la demanderesse se demandera si cette preuve a été examinée et quelle incidence elle a eu sur l’analyse de l’agent. Je suis convaincu que l’agent a manqué à l’équité procédurale à cet égard. Je suis d’avis d’accueillir la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

[12]           La demanderesse a produit un affidavit concernant les conditions qu’elle invoque. De son côté, l’agent a déposé un affidavit qui ne fait aucune mention des affirmations de la demanderesse concernant le déroulement de l’entrevue. Les notes du STIDI sont également muettes sur ce point.

 

[13]           Comme je n’ai aucune raison de ne pas croire la demanderesse, je dois conclure que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne veillant pas à ce que l’évaluation se déroule dans des conditions appropriées alors qu’il avait l’obligation de le faire.

 

[14]           Il n’est pas nécessaire que j’examine l’autre question soulevée par la demanderesse.

 

[15]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

 

[16]           Aucune partie n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à des fins de certification.

 

JUGEMENT

 

[17]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour réexamen.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.
ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente annexe.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2002‑227, ch. 27

 

112. Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

 

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

 

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

 

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

 

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

 

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

 

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

 

 

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

 

112. A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

 

 

(a) applied for a work permit as a live-in caregiver before entering Canada;

 

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

 

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

 

 

(i) successful completion of six months of full-time training in a classroom setting, or

 

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

 

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

 

(e) have an employment contract with their future employer.

 

Guide de l’immigration OP 14 : Traitement des demandes aux termes du programme des aides familiaux résidants

 

5.6 Connaissance de la langue

 

L’aide familial résidant doit parler l’anglais ou le français pour pouvoir évoluer de façon autonome dans une situation non supervisée et protéger les personnes qui lui sont confiées. Il doit être en mesure de :

 

• faire face aux situations d’urgence, par exemple appeler un médecin, l’ambulance, la police ou les pompiers;

 

• répondre au téléphone et aller voir qui est à la porte;

 

• lire l’étiquette d’un médicament; et

 

• communiquer avec d’autres personnes hors du foyer, notamment à l’école, au magasin ou dans d’autres établissements.

 

De plus, un aide familial résidant qui parle, comprend et lit bien la langue comprendra ses droits et ses obligations et ne dépendra pas de son employeur pour l’interprétation de la législation du travail et des normes d’emploi provinciales. En outre, il sera mieux armé pour demander de l’aide à l’extérieur en cas de difficulté personnelle ou de violence dans sa situation d’emploi.

 

5.6 Language Ability

 

Live-in caregivers must have a level of fluency in English or French that enables them to function independently in an unsupervised setting and to protect the persons in their care. They must be able to:

 

• respond to emergency situations by contacting a doctor, ambulance, police or fire department;

 

 

• answer the telephone and the door;

 

 

• read the labels on medication; and

 

• may be required to communicate with others outside the home, such as schools, stores, or other institutions.

 

A proficiency in speaking, understanding and reading will also ensure that caregivers understand their rights and obligations and are not dependent on their employers to interpret provincial labour legislation and employment standards. They will also be better equipped to seek outside assistance in the event of personal difficulties or if they find themselves in an abusive employment situation.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-3841-07

 

INTITULÉ :                                                       SONIA ROSARIO ARTICA VILA

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 13 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 21 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mariana Brankovic

 

                  POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Niren et associés

Toronto (Ontario)

 

                  POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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