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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080602

Dossier : IMM-6191-06

Référence : 2008 CF 690

Toronto (Ontario) le 2 juin 2008

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

ENTRE :

ROSELINE AWOLOPE et JOSEPH AWAOLOPE,

BLESSINGS AWOLOPE, GRACE AWALOPE

représentés par leur tutrice à l’instance, ROSELINE AWOLOPE

 

demandeurs

 

 et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’égard de la décision, datée du 16 octobre 2001, par laquelle l’agent d’évaluation des risques avant renvoi (l’agent) a décidé que Roseline Awolope (la demanderesse), ses deux filles et son fils ne seraient pas exposés au risque d’être persécutés ou au risque de traitements cruels et inusités s’ils étaient renvoyés au Nigeria, leur pays de citoyenneté.

 

[2]               La demande d’ERAR était fondée sur la crainte exprimée par la demanderesse que ses filles soient exposées au risque d’une mutilation génitale féminine (MGF) pratiquée par la tribu Yoruba dans l’État d’Ondo, au Nigeria, communauté à laquelle ses enfants et elle appartiennent. La demanderesse prétend que même si elle et le père des enfants, aujourd’hui son ex-mari, désirent que leurs filles ne subissent pas une MGF, sa belle-famille souhaite que la tradition soit respectée.

 

[3]               La famille du mari de la demanderesse a menacé d’appliquer la pratique de force parce qu’un oracle avait prédit que la famille serait frappée de malheurs si la coutume tribale n’était pas respectée.

 

[4]               Les renseignements fournis par la demanderesse et remis à l’agent contenaient notamment une lettre du mari, datée du 10 novembre 2005, lui transmettant l’ordonnance de dissolution du mariage rendue par un tribunal le 9 novembre 2005. La lettre avisait la demanderesse que l’oracle avait conseillé à son mari de faire certains rites et de se divorcer d’avec la demanderesse pour mettre fin aux malheurs de sa famille. La famille était d’avis que les difficultés auxquelles elle était confrontée étaient directement liées au refus de la demanderesse de respecter la coutume tribale.

 

[5]               L’agent a accordé peu de poids à la lettre de l’ex-mari de la demanderesse au motif qu’elle n’était pas fondée sur des faits objectifs. L’agent a pris note de la production de l’ordonnance de dissolution du mariage par un tribunal, mais n’a ajouté aucun commentaire. Il a dit que la question déterminante de la demande d’ERAR était la disponibilité de la protection de l’État. Il a noté que plusieurs États, notamment Bayelsa, Edo, Ogun, Cross River, Osun et Rivers, avaient interdit la MGF et a ajouté que l’État d’Edo avait criminalisé la pratique.

 

[6]               Il a également mentionné qu’au Nigeria, divers groupes luttaient contre la MGF. Pour ces motifs, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle ou ses enfants seraient menacés par sa belle-famille. De plus, l’agent a dit que la demanderesse pouvait trouver un nouveau lieu de résidence avec ses enfants pour éviter la famille de son mari et la possibilité que ses filles aient à subir une MGF. L’agent a dit [traduction] « la demanderesse dispose peut‑être d’une PRI à Lagos » (motifs de l’ERAR, à 10).

 

[7]               La question déterminante en l’espèce est de savoir si l’agent a tenu compte de la preuve qui lui avait été soumise en décidant que la demanderesse et ses enfants pouvaient se prévaloir de la protection de l’État. La question de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, au paragraphe 11). La demande a été entendue mais non tranchée avant le jugement de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Avant Dunsmuir, une question mixte de fait et de droit faisait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, par suite de Dunsmuir, il n’y a que deux normes de contrôle : la décision correcte et la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 34). Au paragraphe 51, la Cour suprême du Canada dit que les questions mixtes de fait et de droit font maintenant l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, c’est la norme qui s’applique en l’espèce.

 

[8]               Le caractère raisonnable vise notamment la justification du processus de prise de décision (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Une décision n’est pas raisonnable si elle n’est pas justifiée. Une décision déraisonnable est une décision qui a été prise sans égard à la preuve (Katwaru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 612, au paragraphe 15). 

 

[9]               Selon moi, l’agent a commis une erreur en omettant d’évaluer le sens de l’ordonnance de dissolution du mariage qui tend à confirmer la lettre du mari, lettre à laquelle l’agent a attribué peu de poids.

 

[10]           J’estime également que l’agent a été sélectif en examinant la preuve documentaire. Il mentionne les progrès réalisés contre la MGF dans plusieurs États nigérians, mais il ne mentionne pas l’État d’Ondo d’où vient la demanderesse. Dans le rapport intitulé « Nigeria : Report on Female Genital Mutilation (FGM) or Female Genital Cutting (FGC) » et cité comme source par l’agent, les auteurs disent que, dans l’État d’Ondo, entre 90 et 98 % des femmes ont subi une MGF. Dans le même document, les auteurs disent qu’à leur connaissance, il n’existe aucun groupe de soutien susceptible de protéger une femme ou une fillette qui ne veut pas subir cette pratique.

 

[11]           Enfin, l’agent a conclu que la demanderesse avait peut-être une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Lagos. Cette affirmation est purement spéculative. L’existence d’une PRI convenable doit être appuyée par des motifs et un degré acceptable de certitude (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, au paragraphe 14 (C.A.F.)).

 

[12]           Pour ces motifs, j’estime que la décision de l’agent d’ERAR est déraisonnable.

 

[13]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question sera renvoyée à un nouvel agent d’ERAR pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question d’importance générale n’a été proposée et j’estime qu’une telle question ne se pose pas.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’ERAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

2.                  Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-6191-06

 

 

INTITULÉ :                                        ROSELINE AWOLOPE ET AL.

                                                            c.

MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                Le 8 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mandamin

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 juin 2008             

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osborne Barnwel                                 POUR LES DEMANDEURS

 

 

Leanne Briscoe                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osborne Barnwell

Avocat

Toronto (Ontario)                                 POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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