Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20080609

Dossier : IMM-3832-07

Référence : 2008 CF 717

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2008

En présence de Monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

SOHAIL SYED RIZVI,

ANNE SOHAIL RIZVI,

MIKAELEH SOHAIL RIZVI

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et contexte

[1]               La famille Rizvi, dont les membres sont citoyens du Pakistan, conteste dans la présente demande de contrôle judiciaire la décision du 7 août 2007 prononcée par un agent d’évaluation des risques avant renvoi (l’ERAR) (le tribunal) rejetant leur demande d’être considérés comme sujets à un risque de persécution, au Pakistan, par des extrémistes islamiques du fait qu’ils sont chrétiens. Le père Sohail Syed Rizvi, âgé de 68 ans, est né de parents de religions différentes : son père était musulman et sa mère était chrétienne; il a été baptisé comme chrétien. En vertu de la loi islamique, en tant que fils d’un musulman, il est considéré comme un musulman. La mère Anne Sohail Rizvi, âgée de 66 ans, est catholique et leur fille Mikaeleh, âgée de 37 ans, a été élevée comme chrétienne.

 

[2]               M. et Mme Rizvi sont nés en 1940 et en 1941 en Inde et sont vraisemblablement devenus des citoyens du Pakistan après la création de cet État en 1947, lors de la partition de l’Inde britannique. Leur fille est née à Karachi en 1971.

 

[3]               La famille Rizvi est venue au Canada en 2002 directement de Dubaï où elle résidait depuis 1978 lorsque M. Rizvi y avait trouvé du travail. En 2000, il a atteint l’âge de 60 ans qui est l’âge de la retraite pour les expatriés et, par conséquent, il a indiqué qu’il ne pouvait plus y résider parce qu’il ne répondait pas aux exigences en matière de résidence.

 

[4]               La famille a présenté une demande d’asile qui a été rejetée le 14 septembre 2004, et l’autorisation d’en appeler a été refusée par un juge de la Cour. En rejetant leur demande d’asile, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le père et la fille n’étaient pas de foi chrétienne essentiellement parce qu’ils s’étaient identifiés comme membres de l’Islam dans leur passeport pakistanais. À son travail, M. Rizvi s’était également identifié comme musulman et ses éléments de preuves indiquent qu’il n’a jamais assisté à la messe ni ne s’est confessé à Dubaï et sa fréquentation religieuse au Canada était rare. En ce qui a trait à la fille, la SPR a mentionné son lien minimal avec deux congrégations catholiques romaines dans ce pays et ses éléments de preuve indiquent qu’elle ne pratique pas cette foi ici. La SPR a reconnu que les éléments de preuve documentaire mentionnaient des incidents de violence contre des chrétiens et des églises chrétiennes, mais a conclu que ces incidents étaient isolés et non répandus. Elle a conclu qu’il y avait moins qu’une simple possibilité « que cette famille, si elle retournait au Pakistan, subisse des préjudices graves du fait que la mère est chrétienne et que le père et la fille sont musulmans ». À la fin du mois de mai 2006, ils ont été informés qu’ils étaient admissibles à présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi. Ils se sont prévalus de cette procédure.

 

La décision du tribunal

[5]               Le tribunal a tout d’abord examiné les conclusions de la SPR et a conclu que dans leur demandes d’ERAR, les demandeurs alléguaient le même risque s’ils retournaient au Pakistan : la persécution en raison de leur foi chrétienne. Le tribunal a alors statué comme suit : [traduction] « Comme ce risque a été évalué par la SPR, seuls de nouveaux éléments de preuve de ce risque seront examinés dans le cadre de la présente demande. »

 

[6]               Le tribunal a alors examiné deux documents qu’il jugeait être de nouveaux éléments de preuve :

 

·        une lettre du pasteur d’une église de Toronto [traduction] « qui déclare que la famille s’adonne au culte à l’église plusieurs fois par semaine »;

 

·        les passeports pakistanais modifiés, obtenus du consulat du Pakistan à Toronto, pour le père et la fille [traduction] « dans lesquels ils s’identifient maintenant comme chrétiens ». En fait, sa fille a obtenu un nouveau passeport. Le consulat a renvoyé l’ancien passeport de M. Rizvi avec la mention Islam rayée et remplacée par chrétien. La mention des deux religions est clairement lisible dans son passeport.

 

[7]               Après avoir apprécié les nouveaux éléments de preuve documentaire, le tribunal a statué comme suit :

 

[traduction] J’ai tenu compte du fait que les demandeurs ont changé leur passeport et ont commencé à régulièrement fréquenter l’église à Toronto uniquement après la décision de la SPR, qui visait précisément ces deux questions. Compte tenu du moment de ces événements et de leur rapport avec les conclusions de la SPR, j’accorde à la lettre et au passeport peu de poids pour établir que les demandeurs sont exposés à un risque au Pakistan en raison de leur foi chrétienne.

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Le tribunal a ensuite déclaré qu’il avait examiné les articles d’Internet présentés par les demandeurs et a dit qu’il [traduction] « reconnaît que le gouvernement et la police ont été critiqués pour ne pas avoir pris de mesures contre les attaques envers les chrétiens et leurs biens » ajoutant qu’il avait également examiné le rapport de 2006 du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde qui mentionne les efforts du gouvernement visant à améliorer le traitement des minorités religieuses au Pakistan, citant le passage suivant :

 

[traduction] Au cours de la période visée par le rapport, le gouvernement a continué à lancer des appels publics concernant la tolérance religieuse, a collaboré avec des leaders religieux modérés pour organiser des programmes concernant l’harmonie sectaire et la compréhension interconfessionnelle, a maintenu son interdiction visant les activités des organisations sectaires et terroristes et a activement tenté de les réduire, a mis en œuvre un régime d’inscription à l’intention des écoles religieuses islamiques connues sous le nom de madrassah, et a entrepris la réforme du programme d’instruction publique visant à mettre fin à l’enseignement de l’intolérance religieuse.

 

[9]               Le tribunal s’est également reporté à ce rapport du Département d’État des États-Unis selon lequel les chrétiens affirmaient compter quatre millions de membres dans ce pays, 70 % des catholiques parlant l’anglais s’adonnaient au culte et le diocèse catholique de Karachi estimait que 120 000 chrétiens vivaient dans cette ville.

 

[10]           Le tribunal a également indiqué qu’il avait tenu compte du risque déclaré par M. Rizvi selon lequel il serait tué en raison du changement de religion dans son passeport et a mentionné que [traduction] « selon le rapport [de 2006 du Département d’État des États-Unis] sur la liberté religieuse dans le monde, il n’y a aucune loi relative à l’apostasie au Pakistan ». [Non souligné dans l’original.]

 

[11]           Le tribunal conclut son examen des observations distinctes des demandeurs et de sa recherche indépendante en disant qu’il [traduction] « n’a pas été établi que les demandeurs seraient exposés à un risque personnel et prospectif de persécution, de torture, de menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités au Pakistan ». Cela dit, le tribunal a déclaré qu’il avait examiné la situation du pays pour déterminer s’ils étaient des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger, cette fois en se reportant au rapport du Département d’État des États-Unis sur la situation des droits de la personne au Pakistan en 2006 (Country Report on Human Rights Practices) concluant que [traduction] « le bilan du gouvernement en matière de droits de la personne demeure médiocre »,  mais tirant la conclusion suivante :

 

[traduction] Bien que je reconnaisse l’existence de problèmes tels que des restrictions à la liberté de religion et la violence contre les femmes, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que les demandeurs seraient personnellement à risque d’être exposés à de tels problèmes ou à d’autres problèmes en matière de droits de la personne au Pakistan. Par conséquent, je conclus que les demandeurs ne feraient face à rien d’autre qu’une simple possibilité de persécution et je conclus également qu’il n’est pas vraisemblable que les demandeurs encourent un risque de torture, de menace à leur vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient retourner au Pakistan.

[Non souligné dans l’original.]

 

Les questions soulevées par les demandeurs

[12]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

 

1.         Le tribunal a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte du risque auquel seraient exposés les demandeurs s’ils étaient renvoyés au Pakistan et il a omis de tenir compte de façon appropriée des éléments de preuve dont il était saisi.

 

2.         Le tribunal a commis une erreur de droit et a violé les principes de justice naturelle en omettant de tenir une audience conformément aux dispositions de l’alinéa 113b) de la Loi.

 

3.         Le tribunal a tiré une conclusion de fait et de droit erronée lorsqu’il a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à une menace à leur vie s’ils étaient renvoyés au Pakistan.

 

[13]           La première question soulevée met l’accent sur ce qui est, selon les demandeurs, l’omission du tribunal d’avoir tenu compte de la capacité réelle du Pakistan de protéger les chrétiens et le fait qu’il ait simplement souligné les bonnes intentions du gouvernement et qu’il ait de plus ajouté à son erreur en indiquant que les chrétiens seraient protégés en raison de leur nombre. Selon les demandeurs, le tribunal a ignoré la preuve volumineuse sur la violence religieuse qui est répandue au Pakistan. Les demandeurs s’appuient sur Mitchell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2006) 51 Imm. L.R. (3d) 159 et Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1491.

 

[14]           La deuxième question a trait à la décision du tribunal d’accorder peu de poids à deux nouveaux éléments de preuve : la lettre du pasteur et leurs passeports modifiés en raison du moment des événements et de leurs rapports avec les conclusions de la SPR. Les demandeurs soutiennent que même si le tribunal définit sa conclusion en termes de poids à accorder, il a en fait tiré une conclusion quant à la crédibilité. Selon eux, ces nouveaux éléments de preuve auraient pu mener à une décision favorable et ils sont au cœur de celle-ci. Lorsque le tribunal conclut que ces documents ne sont pas crédibles, les exigences de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) sont satisfaites en ce que le Règlement et [par surcroît] l’équité procédurale en common law exigeaient tous deux la tenue d’une audience; ils renvoient à Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27; Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1045; Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103 et Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714.

 

[15]           En ce qui a trait à la dernière question, les demandeurs soutiennent que le tribunal a commis une erreur de fait et de droit en concluant que les demandeurs ne sont pas exposés à un risque et ils s’appuient sur la décision prononcée par mon collègue le juge Mandamin le 3 octobre 2007 dans Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1017 qui a suspendu le renvoi des demandeurs en attendant la décision à l’égard de la présente demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs déclarent que le tribunal s’est appuyé sur le fait qu’il n’y avait aucune loi relative à l’apostasie au Pakistan selon le rapport de 2006 du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde. Toutefois, un an plus tard le rapport de 2007 du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde indique à la page 213 que [traduction] « la personne qui se convertit à une autre religion devient un apostat et est passible de la peine de mort ». [Non souligné dans l’original.]

 

Analyse

a) La norme de contrôle

[16]           Dans son récent arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a réformé le droit concernant la norme de contrôle des décisions rendues par des décideurs administratifs. Il n’y a plus trois normes de contrôle, mais uniquement deux en raison de la fusion de la norme de la décision manifestement déraisonnable avec la norme de la décision raisonnable qui doit également accueillir certaines questions de droit dans certaines circonstances auparavant examinées selon la norme de la décision correcte, qui demeure en place.

 

[17]           Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada devait se prononcer à l’égard d’un décideur de nomination provinciale et, par conséquent, elle n’a pas examiné l’incidence de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales qui prévoit que la Cour peut annuler une décision d’un décideur administratif fédéral si la décision est fondée sur « une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». La jurisprudence établit clairement que cette disposition législative est analogue à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable et qu’elle est confinée à des conclusions de fait.

 

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précitée, la Cour suprême du Canada a également statué, au paragraphe 57, qu’il n’était pas nécessaire pour un tribunal d’entreprendre une analyse distincte de la norme de contrôle à appliquer dans une affaire lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicables aux questions pertinentes.

 

[19]           Compte tenu de ce qui précède, la première question soulevée par les demandeurs se rapporte au caractère adéquat de la protection de l’État. Dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, la Cour d’appel fédérale a conclu que cette question était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[20]           La deuxième question soulevée par les demandeurs vise l’interprétation appropriée de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27).

 

[21]           La dernière question soulevée par les demandeurs est une question de fait susceptible de contrôle selon l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, dont la violation rendrait clairement cette décision déraisonnable.

 

b) Analyse et conclusions

[22]           Je rejette la prétention de l’avocate des demandeurs voulant que le tribunal n’ait pas traité de la question de la protection de l’État au Pakistan. Dans la présente affaire, la prise en compte de la protection de l’État par le tribunal était très brève, mais le dossier est devant la Cour « pour fin de contrôle des conclusions de la Commission » et sur ce point, je renvoie à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Boulis c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1974] R.C.S. 875, à la page 885.

 

[23]           Les demandeurs ont le fardeau de réfuter la présomption selon laquelle le Pakistan n’est pas en mesure d’assurer aux chrétiens une protection de l’État adéquate. La norme n’est pas une protection de l’État parfaite. La protection de l’État est parfois inefficace (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Olah, 2002 CFPI 595 et, plus particulièrement le récent arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Carrillo, 2008 CAF 94, dans lequel le juge Létourneau a clairement déclaré que « le fait de ne pas assurer localement une exécution efficace des lois ne constitue pas un défaut de protection de l'État » c’est‑à-dire une protection de l’État inadéquate).

 

[24]           Je suis d’accord avec l’avocate des demandeurs lorsqu’elle soutient que la protection de l’État n’est pas adéquate si un gouvernement ne prend aucune mesure pour l’assurer, sauf pour exprimer ses bonnes intentions de la fournir. Je ne suis toutefois pas d’accord avec elle lorsqu’elle décrit un passage cité par le tribunal comme étant simplement une expression de vœux pieux de la part du gouvernement du Pakistan. Ce passage tiré du rapport du Département d’État des États-Unis indique les mesures concrètes prises par le gouvernement du Pakistan pour réduire les activités des organisations sectaires.

 

[25]           Le tribunal a indiqué dans sa décision qu’il avait tenu compte des articles d’Internet présentés par les demandeurs. J’ai également examiné le dossier certifié du tribunal (le DCT) à cet égard. Je suis d’accord avec le tribunal pour dire que ces articles d’Internet ne montrent pas que le gouvernement du Pakistan est incapable d’assurer la protection de l’État. Ces articles mentionnent des actes de violence sporadiques et imprévus contre les minorités religieuses, dont les chrétiens.

 

[26]           Je ne puis accepter la deuxième prétention de l’avocate des demandeurs selon laquelle la décision du tribunal sur le poids à accorder aux deux documents constituant de nouveaux éléments de preuve est une décision déguisée quant à la crédibilité. À mon avis, le tribunal n’a pas rejeté les nouveaux éléments de preuve parce qu’ils n’étaient pas crédibles. Il a accepté les nouveaux éléments de preuve comme étant authentiques et fiables. Ce qu’il a toutefois fait est d’apprécier ces éléments de preuve quant au poids qui devait leur être accordé, c’est-à-dire quelle était leur valeur probante, ce qui était sa tâche.

 

[27]           La troisième question suscite plus de difficultés, mais les faits sont clairs :

 

1.         Il ne fait pas de doute que le tribunal s’est appuyé sur le rapport de 2006 du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde pour exposer dans ses motifs qu’[traduction] « il n’y a aucune loi relative à l’apostasie au Pakistan ». L’extrait du rapport de 2006 du Département d’État des États-Unis se trouve à la page 21 du dossier certifié du tribunal. La phrase complète est rédigée comme suit : [traduction] « Il n’y a aucune loi relative à l’apostasie au Pakistan. Toutefois, les pressions sociales contre la conversion de l’Islam à une autre religion étaient si fortes que toute conversion aurait presque assurément lieu en secret. »

 

2.         Lors de la suspension de la présente demande par mon collègue le juge Mandamin le 3 octobre 2007, ce dernier avait devant lui le rapport de 2007 du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde. Ce rapport a été publié le 14 septembre 2007 et, par conséquent, le tribunal, dont la décision est datée du 7 août 2007, n’y avait pas accès ni n’en a été saisi. Il contenait la déclaration suivante que l’on retrouve à la page 231 du volume 1 du dossier des demandeurs, la phrase complète étant rédigée comme suit : [traduction] « De plus, la personne qui se convertit à une autre religion devient un apostat et est passible de la peine de mort. » Le juge Mandamin s’est arrêté à cette déclaration pour conclure qu’en l’espèce, l’agent d’ERAR avait réalisé une évaluation des risques inadéquate parce qu’il ne s’était pas penché de manière appropriée sur le risque auquel le père et la fille demandeurs seraient exposés du fait qu’ils soient perçus comme se convertissant ou se convertissant à nouveau de la foi musulmane à la foi chrétienne. Il a conclu que le risque pour le père et la fille demandeurs serait substantiellement différent s’ils étaient perçus comme des apostats qu’il ne le serait s’ils étaient perçus comme s’ils avaient toujours été chrétiens.

 

3.         Le dossier des demandeurs a été déposé à la Cour le 18 octobre 2007. L’avocate des demandeurs a cité de longs passages de la décision du juge Mandamin concernant la suspension à l’appui de la prétention selon laquelle le tribunal avait tirée une conclusion de fait et de droit erronée.

 

4.         L’avocate du défendeur a alors déposé son exposé des faits et du droit s’opposant à ce que l’autorisation soit accordée et a choisi de ne pas examiner la question soulevée par les demandeurs pour ce qui est de la décision du juge Mandamin. De plus, l’avocate du défendeur n’a pas déposé un exposé supplémentaire après que l’autorisation eut été accordée. La question a été laissée à la plaidoirie devant la Cour.

 

[28]           La difficulté en l’espèce est qu’on ne peut reprocher au tribunal d’avoir tiré la conclusion selon laquelle, au moment de la décision, il n’y avait pas de loi relative à l’apostasie en vigueur au Pakistan. Les documents dont le juge Mandamin était saisi indiquent qu’une loi relative à l’apostasie a été présentée au Parlement du Pakistan en 2006.

 

[29]           Sur ce point, la jurisprudence établit clairement que le dossier devant une cour de révision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ne peut être élargi au-delà du dossier de la preuve dont le tribunal était saisi. Et il doit être le même, sous réserve de deux exceptions qui n’existent pas en l’espèce, à savoir lorsque la cour de révision est saisie de questions de compétence ou de justice naturelle. Le juge Mandamin n’était pas saisi de ce point. Il était saisi d’une procédure de suspension et non d’une procédure de contrôle judiciaire. En ce qui a trait à la proposition selon laquelle de nouveaux éléments de preuve peuvent uniquement être présentés à l’occasion d’un contrôle judiciaire dans des circonstances exceptionnelles, je me reporte à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union (C.A.), [2000] 1 C.F. 135; Bekker c. Canada, 2004 CAF 186; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 69 et Rafieyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 727.

 

[30]           Dans les circonstances, le troisième argument soulevé par l’avocate des demandeurs doit être rejeté.

 

[31]           Toutefois, les demandeurs ne sont pas sans recours. Ils ont le droit de soulever la question de la nouvelle loi relative à l’apostasie (si elle est en vigueur) dans une nouvelle demande d’ERAR au motif qu’il y a eu un changement de la situation dans le pays. Ils ont également le droit de soulever la question de savoir s’ils seraient considérés comme des apostats en vertu de la shari'a et, si oui, quelle incidence un tel fait aurait sur leur risque de retour au Pakistan. Je constate que M. Rizvi a soulevé cette question avec l’agent (voir le dossier certifié du tribunal, à la page 135).

 

[32]           La jurisprudence de la Cour a établi la nature et l’objectif d’une évaluation des risques avant renvoi. Une évaluation des risques avant renvoi n’est pas un appel d’une décision défavorable d’un tribunal de protection des réfugiés. Son objectif consiste à évaluer de nouveaux éléments de preuve montrant que la situation, plus particulièrement celle dans un pays, qui existait au moment de la décision défavorable en matière de protection des réfugiés, a changé. De plus, la notion d’une deuxième demande d’ERAR ou de demande multiple est envisagée par l’article 165 du Règlement et mes collègues ont souscrit à cette notion (voir à titre d’exemple Orozco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1426 citant Kouka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1236).


JUGEMENT

 

La cour statue que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sous réserve du droit des demandeurs de présenter une nouvelle demande d’ERAR soulevant la question de l’apostasie. La présente décision ne soulève aucune question aux fins de certification.

 

                                                                                                             « François Lemieux »

                                                                                                ____________________________

                                                                                                                        Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


Cour fédérale

 

Avocats Inscrits au dossier

 

 

 

Dossier :                                        IMM-3832-07

 

Intitulé :                                       SOHAIL SYED RIZVI ET AL. c.

                                                            le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

Lieu de l’audience :                 Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :               Le 1er mai 2008

 

Motifs du jugement

Et jugement :                              Le juge Lemieux

 

Date des motifs :                      Le 9 juin 2008

 

 

Comparutions :

 

 

Wennie Lee

 

 

Pour les demandeurs

Angela Marinos

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

 

 

Lee & Company / Avocats

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.