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Date : 20080613

Dossier : T‑1117‑06

Référence : 2008 CF 733

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2008

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

LA COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE

demanderesse

 

et

 

Bob Brown, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (représentant TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA)

 

défendeurs

 

et

 

LE CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES

 

intervenant

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I           Introduction

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision en date du 6 juin 2006 du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), qui a jugé que la Commission de la capitale nationale (la demanderesse ou la CCN) et Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics) exerçaient contre M. Bob Brown (le défendeur ou M. Brown) une discrimination fondée sur la déficience dans la fourniture de services, contrairement aux articles 5 et 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), L.R.C. 1985, ch. H‑6. Selon le Tribunal, la CCN n’a pas offert un accès universel à l’escalier de la rue York (l’escalier), situé entre la promenade Sussex et l’avenue Mackenzie, à Ottawa, installant plutôt un ascenseur au site de l’édifice Daly, situé à quelque 130 mètres de l’escalier.

 

[2]               Conformément aux directives du Tribunal, Travaux publics a été ajouté comme tierce partie intimée le 9 décembre 2003. Puisque Travaux publics est mandataire de la Couronne et propriétaire de l’édifice Connaught, qui se trouve immédiatement au sud, entre l’escalier et l’ascenseur de l’édifice Daly, le Tribunal a jugé qu’il existe un lien suffisant entre la CCN et Travaux publics, deux entités de la Couronne, pour que soit imposée à Travaux publics l’obligation de prendre des mesures d’accommodement en faveur de M. Brown, à l’escalier ou à proximité de l’escalier.

 

[3]               Cette décision rendue à l’encontre de Travaux publics est l’objet d’une autre demande de contrôle judiciaire, Procureur général du Canada (représentant Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) c. Bob Brown, la Commission canadienne des droits de la personne et la Commission de la capitale nationale et le Conseil des Canadiens avec déficiences, n° du greffe T‑1132‑06. Les deux affaires ont été instruites ensemble au cours d’une période de trois jours, à Ottawa. Les motifs qui suivent ne se rapportent qu’au présent dossier. Les motifs du jugement rendu dans l’autre dossier, T‑1132‑06, précité, sont communiqués simultanément.

 

[4]               Pour des raisons de commodité, la table des matières suivante expose les sujets qui seront examinés :

Table des matières

    Paragraphe

I           Introduction                                                                                                      1

A.  L’adjonction d’un intervenant                                                                      5

II          Le contexte factuel                                                                                            6

            A.  Le quartier en général et l’escalier de la rue York                                         6

B.  Les épures de la CCN visant à rendre l’escalier accessible                           12

C.  Autre mesure possible d’accommodement : l’ascenseur de l’édifice Daly      23

D.  Bob Brown dépose une plainte relative aux droits de la personne                 28

E.  La procédure introduite devant la Commission canadienne des droits

de la personne (la Commission)                                                                  35

i)     Le rapport d’enquête                                                                     35

ii)    L’enquête complémentaire : le premier rapport Rapson, daté

du 14 juin 2001                                                                             41

iii)   Le rapport d’enquête supplémentaire                                              47

F.         Les mesures prises par la CCN après le dépôt de la plainte                   48

G.        Le deuxième rapport Rapson, daté du 15 mai 2003                               58

III.       La décision contestée                                                                                        60

IV        Les points en litige                                                                                            64

V         Les dispositions applicables                                                                              66

VI.       La norme de contrôle                                                                                        68

A.        L’arrêt Dunsmuir : Principes généraux                                                  69

B.         L’application de l’arrêt Dunsmuir à la présente affaire                           77

i)     La norme de contrôle applicable à la question de savoir si   78

l’escalier de la rue York peut être considéré comme un « service » ou une « installation »

 

ii)    La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il 81

y a inversion du fardeau de la preuve

 

iii)       La norme de contrôle applicable à la question de savoir si   82

l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comprend l’obligation de consulter

 

iv)      La norme de contrôle applicable à la question de savoir si   90

le Tribunal a eu raison de préférer une perspective locale à une perspective globale

 

v)        La norme de contrôle applicable à la question de savoir si   92

le Tribunal a eu raison de rejeter la solution de l’ascenseur de l’édifice Daly, sans faire la mise en balance qui s’imposait

 

VII.      L’analyse                                                                                                          94

 

A.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que                    94

l’escalier de la rue York constitue un service ou une installation au sens de l’article 5 de la Loi?

 

B.         Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que                    98

l’établissement d’un commencement de preuve de discrimination n’a pas pour effet d’inverser le fardeau de la preuve en obligeant la partie intimée à prouver qu’une mesure d’accommodement a été prise, sans aller jusqu’à la contrainte excessive?

 

C.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en disant            105

que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comporte une obligation de consulter?

 

D.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en limitant          121

son analyse au pied de l’escalier au lieu d’adopter une perspective globale?

 

E.         Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’il 131

a rejeté la solution de l’ascenseur de l’édifice Daly, sans faire la mise en balance qui s’imposait?

 

VIII      Les dépens                                                                                                       145

 

IX        Le dispositif                                                                                                      146

 

A.        L’adjonction d’un intervenant

[5]               Par ordonnance de la Cour, rendue le 17 janvier 2007, le Conseil des Canadiens avec déficiences (le CCD) a obtenu le statut d’intervenant, assorti de tous les droits de participation, dans le dossier T‑1117‑06 comme dans le dossier T‑1132‑06.

 

II         Le contexte factuel

A.        Le quartier en général et l’escalier de la rue York

[6]               La CCN est une société d’État fédérale dont le mandat est défini par la Loi sur la capitale nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑4 (la LCN). Sa mission et ses pouvoirs sont énoncés à l’article 10, dont l’alinéa (1)a) prévoit ce qui suit :

Mission de la Commission

 

10. (1) La Commission a pour mission :

 

a) d’établir des plans d’aménagement, de conservation et d’embellissement de la région de la capitale nationale et de concourir à la réalisation de ces trois buts, afin de doter le siège du gouvernement du Canada d’un cachet et d’un caractère dignes de son importance nationale;

[. . .]

Objects and purposes of Commission

10. (1) The objects and purposes of the Commission are to

(a) prepare plans for and assist in the development, conservation and improvement of the National Capital Region in order that the nature and character of the seat of the Government of Canada may be in accordance with its national significance; and

[. . .]

 

[7]               Se fondant sur ce mandat, la CCN a entrepris au début des années 1990 de réaménager le quartier bordé par la rue Murray au nord, les rues Wellington et Rideau au sud, l’avenue Mackenzie à l’ouest et la promenade Sussex à l’est. L’objet de ce réaménagement urbain à long terme était de revitaliser ce quartier abandonné de la capitale du pays et d’accroître l’accessibilité entre la haute‑ville – vers le Château Laurier, la colline du Parlement et le parc Major – et la basse‑ville – vers le marché By. La carte de l’annexe « 1 » donne un aperçu du quartier et fait ressortir les quatre points d’accès entre la haute‑ville et la basse‑ville.

 

[8]               Dans le cadre de ce plan global, et allant du sud au nord de ce quartier, la CCN a consenti, au début de 2000, un bail de longue durée du site de l’édifice Daly, au rond‑point des rues Wellington et Rideau, de l’avenue Mackenzie et de la promenade Sussex, à un promoteur privé, la Claridge Building Corporation. L’édifice Connaught, le bien‑fonds contigu, situé au nord du site de l’édifice Daly, est géré par Travaux publics, qui en est le propriétaire. La CCN n’a aucun pouvoir ni droit de regard sur l’édifice Connaught.

 

[9]               Les terrains situés entre la rue York et la rue Murray appartiennent au gouvernement américain, car c’est là que se trouve la nouvelle ambassade des États‑Unis. Cependant, le terrain situé entre l’édifice Connaught et l’ambassade des États‑Unis, laquelle se trouve à l’intersection de la rue York et de la promenade Sussex, est géré par la CCN, qui en est la propriétaire. Il a servi à la construction de l’escalier de la rue York, pour établir un point additionnel d’accès entre la haute‑ville et la basse‑ville.

 

[10]           Conçu en 1994 par les architectes qui avaient dessiné l’ambassade des États‑Unis, l’escalier a été construit entre septembre 1998 et juin 1999. Il comprend 45 marches qui longent le talus abrupt, sur 34 mètres, avec une pente de sept mètres, entre la promenade Sussex et l’avenue Mackenzie. Il débute par trois marches à la base, sur la promenade Sussex, suivies d’un palier de trois à cinq pieds, puis de six ensembles de sept marches, séparés par des paliers de 8 à 10 pieds.

 

[11]           Construit comme adjonction à la nouvelle ambassade des États‑Unis, l’escalier est devenu une voie publique, surtout durant les festivals du printemps et de l’été, servant notamment de passage entre les deux rues, dans la capitale du pays.

 

B.        Les épures de la CCN visant à rendre l’escalier accessible

[12]           Dès les premières étapes de la conception, en 1994‑1995, les architectes de la CCN et des architectes de l’extérieur ont examiné les moyens de rendre l’escalier de la rue York universellement accessible, en accord avec la politique du Conseil du Trésor visant à rendre les immeubles fédéraux accessibles en 1995. Outre les principes qui allaient être énoncés dans la Politique de la CCN sur l’accès universel, version du 20 septembre 1996, la CCN a rédigé en 1995 un document de travail intitulé Accessibilité des parcs et espaces ouverts : Guide d’aménagement, qui expose les principes de conception des espaces extérieurs. Ces mesures s’inspiraient des sept principes reconnus de conception universelle, qui sont reproduits à l’annexe « 2 » des présents motifs.

 

[13]           Cependant, la topographie particulière des lieux allait faire échouer l’idée de la CCN de rendre l’escalier universellement accessible. À titre d’exemple, le 22 novembre 1994, les représentants de la CCN avaient rencontré leurs homologues du Comité technique interministériel fédéral sur l’accessibilité (CTIFA), établi pour surveiller la mise en œuvre de la politique du Conseil du Trésor sur l’accessibilité des biens‑fonds fédéraux. Le CTIFA comprend notamment des architectes de Travaux publics et de la CCN. Les participants à cette réunion étaient trois représentants du CTIFA : Claude Charbonneau, Travaux publics; John Verity, Travaux publics, et Eric Hébert, CTIFA/CCN, et quatre représentants de la CCN : John Abel, Richard Fujarczuk, Alex Kilgour et Daniel Miron.

 

[14]           Durant cette réunion du 22 novembre 1994, les participants avaient passé en revue plusieurs aspects touchant l’accès universel de l’escalier de la rue York, notamment le contexte de la planification, le contexte physique des lieux et le programme prévu pour l’escalier au stade de la conception. Parmi les méthodes envisagées pour rendre l’escalier universellement accessible, il y avait une rampe avec pente de 8 p. 100, une plate‑forme mécanique (genre funiculaire) et un ascenseur.

 

[15]           La rampe a été exclue parce que la pente des rampes ne pouvait pas dépasser 5 p. 100 et qu’il n’était pas possible de ramener la pente de la rampe au‑dessous de 8 p. 100 en raison des contraintes physiques des lieux – la largeur et la pente du terrain. Les options mécaniques, à savoir funiculaire et ascenseur, ont également été l’objet de discussions à la réunion. Le personnel de la CCN a dit que, à la suite d’évaluations antérieures, ces options mécaniques avaient été exclues en raison des coûts de construction initiaux plus élevés et des frais d’entretien et d’exploitation continus, outre les répercussions financières des travaux de rénovation et d’entretien à long terme.

 

[16]           Les participants à la réunion ont alors examiné plusieurs solutions possibles, autres que la rampe et les options mécaniques. La première solution en vue d’un accès universel consistait à obtenir la collaboration de l’ambassade des États‑Unis pour offrir un accès sans obstacle sur le périmètre du terrain de l’ambassade en améliorant les trottoirs de la promenade Sussex et de l’avenue Mackenzie adjacents à l’ambassade des États‑Unis, à l’édifice Connaught et au site Daly. Deuxièmement, le personnel de la CCN a décidé d’insister pour qu’un accès sans obstacle soit intégré au réaménagement du site Daly, reliant la promenade Sussex et l’avenue Mackenzie au niveau de la rue George. Finalement, les participants à la réunion ont tous reconnu la nécessité pour la CCN de consulter les groupes de défense des personnes handicapées, afin de connaître leurs points de vue sur le meilleur moyen possible d’offrir un accès universel dans le secteur.

 

[17]           C’est la raison pour laquelle la CCN a sollicité l’opinion du groupe local, Ressources communautaires pour personnes handicapées, ainsi que de l’Association canadienne des paraplégiques (Bureau national de l’ACP), pour savoir comment serait reçu l’escalier de la rue York, avec ou sans rampe, une fois construit.

[traduction]

[...]

On a pensé que ces groupes de défense seront en mesure de comprendre et de reconnaître que la construction d’un ascenseur à cet endroit n’est pas pour la CCN une solution envisageable, sur le plan opérationnel ou économique. En effet, l’endroit n’est pas assez passant pour justifier un ascenseur.

[...]

 

 

 

[18]           Le 13 décembre 1994, la CCN a tenu une réunion avec trois représentants du groupe Ressources communautaires pour personnes handicapées, à savoir J. Black, R. Hubley et Judy Lux, coordinatrice du Programme pour un environnement sans obstacles, Ressources communautaires pour personnes handicapées. Les participants représentant la CCN étaient J. Abel, A. Kilgour, D. Miron et E. Hébert, qui représentait aussi le CTIFA.

 

[19]           Le procès‑verbal de cette réunion révèle notamment que l’intervention des groupes de défense des personnes handicapées était essentielle pour l’aménagement futur du secteur. Les participants sont arrivés à la conclusion suivante :

[traduction]

3.   Conclusion

Le groupe a conclu que la rampe devrait être éliminée de l’aménagement de l’escalier York, au bénéfice d’une amélioration des itinéraires le long du boulevard de la Confédération, notamment un élargissement des trottoirs, une amélioration de l’éclairage et l’installation de haltes de repos et de fontaines d’eau potable. La collaboration de l’ambassade des États‑Unis devrait être obtenue pour que soient apportées toutes les améliorations possibles à l’intersection Sussex‑Mackenzie‑Murray, facilitant ainsi l’accès universel autour de l’extrémité nord du terrain de l’ambassade. Dans les plans futurs de réaménagement du site Daly, un accès sans obstacle devrait être intégré à l’extrémité nord du site afin de faciliter la circulation vers et depuis la rue George.

 

 

[20]           Fort de la proposition des groupes de défense des personnes handicapées, M. John Abel, directeur, Section de l’aménagement et de l’utilisation du sol, à la CCN, avait envoyé le 20 décembre 1994 à M. Ned Arcement, ministre‑conseiller aux Affaires administratives, à l’ambassade des États‑Unis, une lettre dans laquelle il présentait les points se rapportant à l’escalier de la rue York et aux codes du bâtiment. La lettre renfermait les conclusions des deux réunions, celle tenue avec le CTIFA et l’autre avec les groupes de défense des personnes handicapées. Elle annonçait aussi la décision de la CCN de procéder à l’aménagement sans la rampe ou sans un ascenseur. Elle donnait le feu vert à la construction de l’escalier par l’architecte qui avait construit l’ambassade des États‑Unis.

 

[21]           Outre les réunions de consultation et la correspondance susmentionnée entre l’architecte de la CCN et l’ambassade des États‑Unis, M. Eric Hébert, un représentant de la CCN et du CTIFA qui avait participé aux réunions de consultation du 22 novembre et du 13 décembre 1994, avait écrit à M. Alex Kilgour, l’architecte de la CCN pour le projet. Dans sa lettre, rédigée en français et portant la date du 9 janvier 1995, M. Hébert reconnaissait qu’il serait difficile d’intégrer, à l’emplacement, des mesures propres à rendre l’escalier accessible. La CCN allait donc devoir envisager des solutions de rechange à l’escalier dans le secteur avoisinant, notamment un élargissement des trottoirs et un accès universel au site Daly prévu. Ces itinéraires de substitution permettraient à tous les intéressés de prendre part aux événements organisés au parc Major, un lieu très fréquenté.

 

[22]           Se fondant sur les conclusions des deux ensembles de consultations, d’abord avec le CTIFA, puis avec les représentants des groupes de défense des personnes handicapées, et gardant à l’esprit les inquiétudes de M. Hébert, les considérations de l’ambassade des États‑Unis et l’idée d’un accès commun avec l’édifice Connaught, la CCN a entrepris la construction de l’escalier, sans rampe ou sans élévateur adjacent, en s’engageant à apporter toutes les améliorations recommandées, notamment panneaux de signalisation adéquats, élargissement des trottoirs, pose de bancs, sans oublier un ascenseur au site Daly.

 

C.        Autre mesure possible d’accommodement : l’ascenseur de l’édifice Daly

 

[23]           La CCN a entrepris, après insertion d’une clause en ce sens dans l’accord définitif d’aménagement conclu avec la Claridge Building Corporation, le promoteur privé de l’emplacement de l’édifice Daly, l’installation d’un ascenseur autonome, universellement accessible, dont le grand public pourrait se servir 24 heures par jour. L’article 3 de l’accord d’aménagement du secteur Sussex/Mackenzie, daté d’avril 2002, prévoit ce qui suit :

[traduction]

3.1       Plans définitifs

5.         Sans que soit restreinte la généralité de ce qui précède, le promoteur promet que les plans définitifs comprendront : a) un ascenseur au coin nord‑est de l’emplacement, qui sera construit en même temps que l’escalier de la rue George afin d’assurer un accès sans obstacle depuis la promenade Sussex jusqu’à l’avenue Mackenzie, à l’extrémité nord des terrains; [...]

 

[24]           Dans une lettre en date du 16 mai 2003 adressée à M. Bill Malhotra, ingénieur, président de Claridge Homes Corporation, M. John Abel, de la CCN, s’est opposé à l’installation de l’ascenseur prévu pour le site Daly, un ascenseur d’utilisation et d’application restreintes (ascenseur LULA). Ce type d’ascenseur ne répondait pas aux normes minimales de l’industrie régissant l’installation d’un ascenseur pourvu d’une aire interne suffisante et de commandes faciles d’utilisation afin de répondre aux besoins des personnes ayant une déficience physique. M. Abel écrivait sans ambages :

[traduction]

L’appareil proposé n’est donc pas acceptable pour la CCN. Il faut un ascenseur qui réponde aux normes communiquées à vos consultants, portant à la fois sur les dimensions et sur l’accès sans obstacle, et qui soit suffisamment robuste pour résister aux contraintes d’une installation extérieure et à la forte fréquentation probable durant la Fête du Canada et les nombreuses autres manifestations qui ont lieu dans la capitale.

 

 

 

[25]           Le 9 juin 2003, M. Abel écrivait aussi à M. Thomas Schweitzer dans le sillage de la réunion conjointe du 29 avril 2003, à propos des plans détaillés élaborés pour l’aménagement de la promenade Sussex et de la portion sud de l’avenue Mackenzie. M. Abel, évoquant ses inquiétudes à propos de l’ascenseur LULA, écrit ce qui suit :

[traduction]

Nous avons récemment reçu de Claridge la confirmation que la solution retenue est un ascenseur qui présente la superficie minimale de 1725 mm X 1370 mm, auparavant définie par la CCN, plutôt qu’un ascenseur de type LULA.

 

[26]           Cette correspondance entre M. Abel et M. Schweitzer comprenait un ensemble des dessins d’étude datés du 1er août 2003, à propos desquels M. Abel exprimait d’autres inquiétudes dans une lettre datée du 30 septembre 2003. Plus précisément, M. Abel y faisait observer que la vue claire et directe de l’ascenseur, au niveau de la promenade Sussex, était partiellement obstruée depuis le bureau prévu du concierge, et il refusait par conséquent l’approbation finale de l’aménagement jusqu’à ce que cet aspect soit rectifié.

 

[27]           À la lumière de la correspondance ci‑dessus, les défauts ont été rectifiés et un ascenseur robuste, pourvu d’un accès sans obstacle, a été installé au site Daly, durant la construction de l’édifice Daly, et cet ascenseur est devenu pleinement opérationnel durant l’été de 2005. Cependant, c’était six ans après la construction de l’escalier et après le dépôt, par M. Bob Brown, d’une plainte relative aux droits de la personne.

 

D.        Bob Brown dépose une plainte relative aux droits de la personne

[28]           M. Brown est quadriplégique depuis 1972 et il se déplace en fauteuil roulant. Il est un résident de longue date du marché By. En 1998, année de la construction de l’escalier, il était le président du Comité consultatif de la ville d’Ottawa sur l’accessibilité (le Comité).

 

[29]           Ce Comité, après examen des plans élaborés pour l’escalier, a trouvé qu’il y avait lieu de s’inquiéter parce que l’escalier n’était pas accessible aux personnes à mobilité réduite. Il s’écoula peu de temps avant que ne s’engage une polémique sur la place publique, M. Brown se décidant à écrire au rédacteur en chef du Ottawa Citizen, à la suite de communications entre M. Jim Watson, à l’époque maire de la ville d’Ottawa, et M. Marcel Beaudry, alors président de la CCN.

 

[30]           La CCN a pris des mesures immédiates pour réagir à la controverse, à la fois dans les médias et auprès des groupes de défense des personnes handicapées. Le 17 mars 1999, elle a tenu une réunion avec le Comité sur l’accessibilité constitué par le groupe Ressources communautaires pour personnes handicapées (RCPH), un organisme à but non lucratif chargé d’évaluer les édifices de la région d’Ottawa‑Carleton pour améliorer l’accessibilité des personnes avec déficiences.

 

[31]           Après un survol de ses plans initiaux visant à aménager une rampe ou un appareil élévateur à l’emplacement de l’escalier, et après les consultations qu’elle avait engagées avec ses architectes internes et des architectes de l’extérieur, ainsi qu’avec les groupes de défense des personnes handicapées, la CCN a expliqué que, si l’escalier était construit sans un accès universel, c’était parce que la configuration des lieux empêchait, à l’emplacement de l’escalier, l’installation de dispositifs sécuritaires d’accès universel.

 

[32]           La CCN faisait aussi part de son intention de procéder à d’autres aménagements raisonnables, en élargissant les trottoirs et en installant une meilleure signalisation bien visible. Mais, aspect plus important, la CCN promettait aussi, d’une manière explicite, que le site Daly, qui faisait partie du réaménagement à long terme de tout le secteur, serait pourvu d’un ascenseur autonome universellement accessible.

 

[33]           Pour M. Brown, cela ne suffisait tout simplement pas car ses doutes à propos de l’escalier lui‑même n’étaient pas dissipés. Par ailleurs, l’ascenseur du site Daly ne serait pas contigu à l’escalier, mais serait situé à une distance de quelque 130 mètres, entraînant ainsi une distinction illicite et des difficultés pour les personnes handicapées, et cela en contravention des principes de conception universelle, notamment les principes 1 et 6 :

PRINCIPE N° UN : Utilisation égalitaire : la conception est utile et commercialisable auprès de personnes ayant différentes capacités.

[. . .]

PRINCIPE N° SIX : Effort physique minimal : la conception permet une utilisation efficace et confortable, générant une fatigue minimale.

[Voir l’annexe « 2 » des présents motifs.]

 

[34]           Le 31 août 1999, M. Brown a donc déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte relative aux droits de la personne, dans laquelle il affirmait que la CCN exerçait contre lui une discrimination fondée sur la déficience en lui refusant, à l’emplacement de l’escalier, l’accès à des services et installations destinés au public. La plainte de M. Brown renfermait notamment ce qui suit :

[traduction]

Je me déplace en fauteuil roulant.

 

Le secteur de la promenade Sussex et de l’avenue Mackenzie n’est pas accessible aux usagers de fauteuil roulant.

[...]

Le secteur précis qui me cause des inquiétudes est l’escalier de la rue York.

[...]

J’ai appris que l’aménagement du site Daly comprend un ascenseur qui se trouve du côté nord du bien‑fonds. Cette solution projetée ne convient pas. L’accessibilité ne serait pas égale à celle dont bénéficieraient les personnes valides. Les heures d’accès seraient limitées et le trajet à parcourir pour accéder à ce secteur serait nettement plus long que celui des personnes valides.

 

La plainte de M. Brown concerne donc le secteur tout entier, et ensuite l’escalier de la rue York.

 

E.         La procédure introduite devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission)

i)          Le rapport d’enquête

[35]           La Commission a enquêté sur la plainte du 31 août 1999 de M. Brown. Dans sa lettre de défense du 10 novembre 1999 adressée à la Commission, le président de la CCN décrivait les mesures prises pour rendre universellement accessible cet emplacement à la topographie assez compliquée. M. Beaudry écrivait que des croquis préliminaires avaient été dessinés pour l’intégration d’une rampe à l’escalier lui‑même, d’après les lignes directrices et normes établies. Malheureusement, à la suite de consultations menées en 1994 auprès de divers groupes de défense des personnes handicapées, dont le CTIFA et le groupe Ressources communautaires pour personnes handicapées, l’intégration d’une rampe avait été jugée non réalisable.

 

[36]           M. Beaudry écrivait aussi que l’idée d’installer un ascenseur avait été examinée, puis rejetée, lorsqu’il a été constaté que le seul endroit où un tel ascenseur pouvait être installé forcerait les usagers à déboucher directement sur la rampe de service pour véhicules de l’édifice Connaught. On avait considéré que cette solution présentait un dangereux conflit entre fauteuils roulants et véhicules, en particulier les camions de livraison. La CCN allait donc intégrer, dans l’aménagement du site Daly, un accès sans obstacle. « Deux points d’accès – un ascenseur externe situé à l’extrémité nord du site Daly, et un autre à l’intérieur de l’édifice, offriront un accès facile entre l’avenue Mackenzie et la promenade Sussex, à environ 130 mètres au sud de l’escalier York ».

 

[37]           L’enquêteur a tiré plusieurs conclusions sur l’accessibilité de l’escalier de la rue York, comme il est indiqué dans les paragraphes suivants du rapport d’enquête :

[traduction]

13.       [Gerald] Lajeunesse, [l’architecte‑paysagiste en chef de la CCN], a exprimé l’avis que l’installation d’un ascenseur n’était pas réalisable car le seul endroit où un tel ascenseur pouvait être installé forcerait les usagers à déboucher directement sur la rampe de service pour véhicules de l’édifice Connaught.

[...]

14.       Le plaignant dit qu’une rampe ne constituerait pas nécessairement le meilleur accès pour les personnes en fauteuil roulant, mais il croit qu’un ascenseur situé directement à cet endroit est plus indiqué. Il dit que les solutions proposées en matière d’accessibilité pour le site Daly, qui, affirme‑t‑il, se trouve à 130 mètres au sud de l’escalier, n’offrent pas une égalité d’accès. Le plaignant ne croit pas que les deux organisations consultées par la CCN soient autorisées à représenter les intérêts des personnes handicapées telles que lui‑même.

 

 

 

[38]           L’enquêteur faisait aussi observer que les usagers en fauteuil roulant pouvaient accéder au secteur par un trottoir libre d’obstacles, et le plaignant a admis qu’une rampe n’était pas envisageable. En outre, la construction de l’escalier n’était pas une nécessité, mais constituait un moyen de mettre en valeur le centre‑ville. Finalement, d’autres solutions pratiques sont étudiées à mesure que l’emplacement se développe.

 

[39]           Eu égard à ces conclusions, l’enquêteur a recommandé, dans un rapport daté du 13 juin 2000, que [traduction] « la Commission rejette la plainte parce que, au vu de la preuve, l’allégation de discrimination n’est pas fondée ». La preuve montrait que l’escalier n’était pas essentiel et que l’on pouvait accéder au secteur par d’autres itinéraires. Par ailleurs, la CCN avait considéré des modes d’accessibilité au cours de son processus de consultation, et les parties avaient reconnu qu’un accès direct à cet endroit particulier n’était pas recommandé. Finalement, la preuve montrait que le site était alors en cours d’aménagement et que la CCN était résolue à rendre ce secteur plus accessible.

 

[40]           Par lettre datée du 25 juin 2000, M. Brown a prié la Commission de réexaminer les conclusions du rapport d’enquête. La Commission a renvoyé l’affaire pour complément d’enquête, avec la directive suivante :

                                                               i.      obtenir un avis d’expert sur le moyen de rendre l’emplacement accessible aux usagers en fauteuil roulant;

 

                                                             ii.      obtenir de l’expert et de la CCN des renseignements suffisants pour permettre à la Commission de dire si la CCN a rempli son obligation légale de répondre aux besoins des usagers en fauteuil roulant sans aller jusqu’à la contrainte excessive.

 

ii)        L’enquête complémentaire : le premier rapport Rapson, daté du 14 juin 2001

[41]           La Commission a obtenu un avis d’expert des Progressive Accessibility Re‑Form Associates (PARA), représentés par M. David Rapson, directeur de projet à l’Institut d’aménagement universel, une organisation semi‑autonome à but non lucratif rattachée à la Faculté d’architecture de l’Université du Manitoba. M. Rapson a communiqué deux rapports, dont le second sera examiné plus loin dans les présents motifs.

 

[42]           Le premier rapport Rapson, en date du 14 juin 2001, était de portée restreinte en ce sens que M. Rapson n’avait pas visité personnellement les lieux, étant donné qu’un tel déplacement n’était pas financé par la Commission. Ce rapport reposait sur des photographies et sur une analyse détaillée des plans du quartier ainsi que de l’édifice Connaught. M. Rapson se fondait aussi sur des rapports de seconde main résultant de visites faites sur les lieux par des tiers, dont un concepteur d’Ottawa et une personne‑ressource, ainsi que deux membres de l’équipe d’examen de M. Rapson.

 

[43]           Se fondant sur ces sources et la documentation, M. Rapson a tiré plusieurs conclusions, intitulées « Sommaire du problème ». D’abord, il reconnaissait que l’intégration d’une rampe à l’escalier serait impossible en raison de la largeur et de la pente des lieux. Deuxièmement, un appareil élévateur extérieur ne conviendrait pas non plus à cause de la circulation piétonnière, des conditions météorologiques ainsi que des coûts d’entretien et autres. Troisièmement, les autres itinéraires d’accès entourant les lieux, sur les trottoirs longeant la promenade Sussex, la rue Wellington, l’avenue Mackenzie et la rue Murray, semblaient excessivement longs pour une personne en fauteuil roulant, et l’éventuel ascenseur au bas de la rue n’était pas « suffisamment proche » de l’emplacement pour servir équitablement les personnes ayant un handicap.

 

[44]           Quatrièmement, la CCN avait effectivement engagé des consultations pour examiner des modes d’accès. Cependant, M. Brown ne croyait pas que les deux organisations consultées par la CCN étaient autorisées à représenter les intérêts des personnes handicapées telles que lui‑même. M. Rapson a conclu que, si tel était le cas, il appartenait alors à la CCN d’élargir le processus de consultation pour y inclure une représentation plus large de personnes et d’organisations afin d’obtenir avis et commentaires sur l’endroit considéré. Selon M. Rapson, c’était là un problème qui n’avait pas été pris pleinement en compte dans le processus de consultation engagé par la CCN.

 

[45]           Cinquièmement, M. Rapson concluait que la CCN n’avait pas observé trois des principes applicables de conception universelle, à savoir le Principe n° 1 – utilisation égalitaire; le Principe n° 2 – flexibilité d’utilisation, et le Principe n° 6 – effort physique minimal. En raison de ces conclusions, M. Rapson répondait ainsi aux deux questions de la Commission :

[traduction]

[...] la première question posée semble appeler une réponse évidente. Engager des consultations/négocier avec le propriétaire/gestionnaire de l’édifice Connaught pour améliorer les entrées/sorties existantes ainsi que l’ascenseur intérieur (pour qu’ils répondent aux normes actuelles d’accessibilité). [...]

Il semble que, lorsqu’elle a voulu suivre les principes de conception universelle, la CCN ne savait pas trop ce qu’englobe la notion de conception universelle. D’après les renseignements reçus, nous croyons que la CCN n’a pas rempli son obligation légale de répondre aux besoins des usagers en fauteuil roulant, sans aller jusqu’à la contrainte excessive.

 

[46]           L’enquêteur a aussi obtenu des renseignements additionnels de la CCN et, avec les conclusions du premier rapport de M. Rapson, il a rédigé un rapport supplémentaire daté du 29 juin 2001.

 

iii)       Le rapport d’enquête supplémentaire

[47]           Les conclusions du rapport d’enquête supplémentaire sont fondées sur les constatations du premier rapport Rapson, résumées ci‑dessus. Étant donné ces constatations, le rapport d’enquête supplémentaire renfermait les recommandations suivantes :

[traduction]

11.       S’agissant de la première question posée par la Commission, PARA [Progressive Accessibility Re‑Form Associates] dit que la CCN devrait engager des consultations et négocier avec les personnes compétentes de l’édifice Connaught en vue d’améliorer les entrées/sorties existantes ainsi que l’ascenseur intérieur.

 

12.       S’agissant de la deuxième question, PARA est d’avis que la CCN n’a pas rempli son obligation légale de répondre aux besoins des usagers en fauteuil roulant, sans aller jusqu’à la contrainte excessive.

 

La plainte a été ultérieurement renvoyée au Tribunal.

 

F.         Les mesures prises par la CCN après le dépôt de la plainte

[48]           Après le dépôt de la plainte de M. Brown en août 1999, la CCN a entrepris un examen complet de l’endroit, ainsi que de tous les moyens possibles de rendre l’escalier accessible sur les lieux mêmes. À cette fin, le 23 avril 2002, la CCN a engagé le cabinet Robertson Architects and Associates (le consultant) pour qu’il procède à un nouvel examen des lieux et fasse des propositions sur la meilleure façon de rendre l’escalier accessible.

 

[49]           Le 17 juin 2002, Mme Danica Robertson, du cabinet Robertson Architects and Associates, a envoyé un courrier électronique à Mme Sherry Berg, de la CCN, accompagné d’un sommaire de cinq pages rédigé pour la CCN, intitulé « Étude de l’accès universel de l’escalier York », en date du 16 juin 2002. Son collègue Robert Martin a envoyé le même courriel, ce jour‑là, à M. Ray Charette, de Travaux publics. Les deux messages priaient leurs destinataires de réagir à la proposition du Sommaire du projet, exprimée dans les termes suivants :

[traduction]

Le meilleur moyen d’assurer l’accessibilité universelle du site consisterait à installer un appareil élévateur auquel on pourrait accéder depuis l’entrée‑livraisons voisine de l’édifice Connaught. On pourrait y entrer et en sortir par les portes existantes, ou près des portes existantes, à l’extrémité sud‑ouest de l’immeuble. Cet ascenseur relierait le niveau de la rue Sussex à l’escalier, sur le palier qui est déjà accessible au moyen d’une rampe.

 

 

[50]           Mme Berg a répondu le même jour à Mme Robertson :

[traduction]

Danica,

[...]

Je crois que ce que vous proposez est une solution intéressante qui mérite d’être explorée (surtout si l’emplacement ne présente pas de contraintes qui feraient obstacle à sa mise à exécution) et nous devrions l’examiner avec les intéressés. La solution du site Daly serait une solution que nous pourrions examiner davantage.

 

[51]           Par courriel daté du 27 juin 2002, M. Charette a répondu comme suit à la proposition de M. Martin d’installer un ascenseur à la paroi sud‑ouest de l’escalier, près de la rampe de l’édifice Connaught :

[traduction]

Monsieur Martin,

J’ai rencontré sur les lieux les représentants du groupe des occupants, ainsi que le représentant de la sécurité de l’édifice, afin d’évaluer cette solution, et plusieurs problèmes ont été évoqués.

·        Augmentation des risques pour la sécurité à l’édifice Connaught, en raison d’un possible accès non autorisé, par les sorties du garage et du tunnel.

·        Le rayon de braquage des véhicules de livraison sortant du tunnel arrive à trois pieds de la paroi sud‑ouest (escalier York).

·        Les gros véhicules qui doivent accéder à la plate‑forme de chargement du tunnel ne pourront y accéder depuis la voie sud et par conséquent reculer dans la voie nord.

Ces camions gros‑porteurs mettraient le public en danger.

·        Il y a, à la sortie du tunnel, une circulation importante qui constituerait pour le public un risque appréciable.

·        La pente du terrain (voie de sortie) vers Sussex ne répond sans doute pas aux normes d’accessibilité.

 

En bref, cette solution mettrait le public fortement en danger et pourrait menacer la sécurité de l’édifice. Malheureusement, l’installation d’un appareil élévateur à cet endroit ne semble pas une solution acceptable.

 

 

[52]           En raison de ces réactions au Sommaire du projet, les consultants ont réduit le nombre de solutions et rendu public un projet de rapport daté du 19 juillet 2002, intitulé [traduction] « Projet de rapport sur l’escalier de la rue York – Étude de l’accès universel ». Ce projet de rapport a été envoyé à la CCN et aux représentants des principaux groupes concernés, par lettre datée du 18 juillet 2002. Les destinataires étaient invités à une réunion le 23 juillet 2002 pour examiner le contenu du rapport, notamment les cinq options suivantes :

1)      le maintien des itinéraires existants, à l’extrémité nord ou à l’extrémité sud du pâté de maisons;

 

2)      la construction d’une plate‑forme élévatrice, à l’escalier;

 

3)      la construction d’un appareil élévateur auquel on pourrait accéder depuis la rampe de service pour véhicules de l’édifice Connaught;

 

3)a   le déplacement de la paroi sud de l’escalier et la construction d’un appareil élévateur directement contigu à l’escalier;

 

4)      la construction d’un appareil élévateur à l’édifice Daly.

 

[53]           Le consultant a exprimé une préférence pour la solution 3)a et dressé un budget détaillé faisant état d’une estimation préliminaire de 425 616 $, pour le déplacement de la paroi sud de l’escalier et l’installation d’un ascenseur.

 

[54]           Agissant sur les conseils de l’un des conciliateurs de la Commission, la CCN n’a pas invité M. Brown à assister à cette réunion du 23 juillet 2002. Cependant, des membres d’organisations de défense des personnes handicapées étaient présents, dont : le collègue de M. Brown, M. Giles Warren (GW), Comité consultatif de la ville d’Ottawa sur l’accessibilité; Mme Elizabeth Norris (EN), Association canadienne des paraplégiques (ACP), bureau national; Mme Danielle Vincent (DV), Ressources communautaires pour personnes handicapées, et Mme Katie Paialunga (KP), Centre de vie autonome. Les autres participants à cette réunion étaient : Steve Fulcher (SF), ambassade des États‑Unis; Robert Martin (RM), Robertson Architects and Associates; et Danica Robertson (DR), Robertson Architects and Associates. Finalement, il y avait à la réunion cinq représentants de la CCN :

§         Gerry Lajeunesse (GL);

§         Eric Hébert (EH);

§         John Abel (JA);

§         Richard Furarczuk (RF) et

§         Shauna Trudeau (ST).

 

[55]           Le procès‑verbal de la réunion révèle que les participants ont voté à l’unanimité en faveur de l’option 4, la construction d’un ascenseur à l’édifice Daly, qui était considéré comme un endroit plus sûr que l’installation d’un ascenseur à l’escalier.

 

[56]           Plusieurs participants faisaient part de leurs impressions aux consultants, dans le procès‑verbal de la réunion du 23 juillet 2002. Leurs commentaires ont été intégrés dans le rapport final des consultants à la CCN, intitulé [traduction] « Étude de l’accès universel – Escalier de la rue York ». Certains de ces commentaires insérés dans le procès‑verbal de la réunion sont reproduits ci‑après :

[traduction]

a.       Alf Gunter, Société de la sclérose en plaques, qui avait été invité, mais qui n’a pu se présenter à la réunion, écrivait ce qui suit, dans un courriel daté du 25 juillet 2002 :

[...]

À titre d’observation générale, je voudrais féliciter la CCN de prendre au sérieux les exigences de la Commission des droits de la personne. Si tous les niveaux des secteurs public et privé faisaient de même, le Canada serait un lieu rêvé pour les personnes handicapées, au lieu d’être à la traîne de la plupart des pays développés, dont les États‑Unis, où la Americans With Disabilities Act renferme des normes nationales depuis plus d’une décennie.

[...]

 

b.      Stephen Fulcher, ambassade des États‑Unis, écrivait ce qui suit, dans un courriel daté du 23 juillet 2002 :

Robert et Danica : Merci d’avoir su réunir une équipe aussi diverse. En tant que représentant de l’ambassade des États‑Unis et voisin de l’escalier de la rue York, je souscris aux conclusions du rapport et de la réunion pour qui le site Daly constitue la meilleure solution pour une accessibilité universelle. Veuillez me tenir informé de tout changement.

 

c.       Ray Charette, Travaux publics, écrivait ce qui suit, dans un courriel daté du 24 juillet 2002 :

Merci de me tenir informé. Faites‑moi savoir si vous avez besoin d’aide dans l’avenir.

 

d.      Elizabeth Norris, coordonnatrice des Services régionaux, ACP, Région de l’Est de l’Ontario, a écrit une lettre de deux pages datée du 26 juillet 2002, dont les passages pertinents sont les suivants :

 

Mme Robertson et M. Martin,

Merci de m’avoir donné l’occasion de participer à l’Étude sur l’accessibilité de l’escalier de la rue York.

[...]

Tant le contenu de cette étude que le processus par lequel elle a été communiquée au bureau de l’Ontario de l’ACP attestent une analyse approfondie des obstacles en question. L’inclusion d’une information générale telle que les sept principes de conception universelle, ainsi que de la correspondance faisant état des risques inhérents de telle ou telle option pour la sécurité, a jeté les bases d’un échange constructif et fructueux, le 23 juillet, entre les organisations représentant les personnes handicapées, la CCN et ses consultants.

 

Manifestement, plusieurs facteurs, dont certains sont propres à Ottawa, ont influé sur la viabilité des solutions examinées. Par exemple, une plate‑forme élévatrice verticale n’est pas envisageable dans ce rude climat. Et l’intensification des impératifs de sécurité au cours des douze derniers mois a éliminé toute possibilité d’améliorer l’accès en redirigeant les personnes à mobilité réduite vers les édifices adjacents, tels que l’ambassade des États‑Unis ou l’édifice Connaught.

 

Compte tenu du rapport ainsi que de l’expertise des divers intervenants présents le 23 juillet, la décision d’installer un appareil élévateur autonome et polyvalent desservant le secteur du marché semble être une réponse raisonnable et équitable à l’obstacle que constitue l’escalier de la rue York. Conformément au premier principe de conception universelle, cette solution semble « éviter la ségrégation ou la stigmatisation des usagers » – l’élévateur sera situé dans une unité condominiale/complexe commercial de catégorie supérieure, alors que l’utilisation de la rampe existante de service de l’édifice Connaught exposerait non seulement les usagers à des risques de blessures, mais serait probablement vu par les passants comme une solution plus indigne que la solution sur place, laquelle semble donc poser moins de risque pour la sécurité des personnes handicapées utilisant l’ascenseur.

[...]

 

 

 

[57]           La CCN a reconnu que l’accès à l’escalier restait impossible pour des gens comme M. Brown, qui sont confinés à des fauteuils roulants. Malgré cela, elle maintient que, même si elle admettait que l’édifice Daly n’était pas une solution parfaite, c’était la meilleure solution acceptée, à l’intérieur de son pouvoir et de son autorité, pour assurer un accès universel entre la promenade Sussex et l’avenue Mackenzie, son objectif ultime.

 

G.        Le deuxième rapport Rapson, daté du 15 mai 2003

[58]           Demandé par la Commission, le deuxième rapport de M. Rapson, daté du 15 mai 2003, constitue une réponse au rapport final du cabinet Robertson Architects and Associates, de juillet 2002, sur l’escalier de la rue York. Outre qu’il considérait les cinq options proposées dans le rapport final Robertson, M. Rapson ajoutait comme option l’édifice Connaught, une position reconnue et adoptée par le Tribunal aux paragraphes 49 à 57 de sa décision.

 

[59]           Se fondant sur le témoignage produit par M. Rapson devant le Tribunal concernant ses conclusions dans les deux rapports, y compris sur son idée selon laquelle l’édifice Connaught était la meilleure solution possible pour assurer un accès universel à proximité de l’escalier, le Tribunal a interrompu la procédure et ordonné à la Commission en décembre 2003 d’ajouter Travaux publics comme intimé, avant de rendre sa décision le 6 juin 2006. C’est cette décision qui est visée par les deux demandes de contrôle judiciaire.

 

III.       La décision contestée

[60]           Le Tribunal a jugé que la CCN et Travaux publics avaient exercé une discrimination contre le défendeur Bob Brown en n’assurant pas l’accès des personnes handicapées à l’escalier. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, le Tribunal a conclu ainsi :

1)   La CCN offre un service, selon la définition donnée par la Loi, à la fois en concevant et en entretenant l’escalier de la rue York.

 

2)   L’établissement d’un commencement de preuve de discrimination n’a pas pour effet d’inverser le fardeau de la preuve en obligeant la partie intimée à présenter une défense. Le Tribunal concluait ainsi :

 

182     Selon l’analyse conventionnelle en droit de la personne, le plaignant doit établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve doit démontrer que le plaignant a besoin d’une mesure d’accommodement. Une fois cela établi, c’est à l’intimé qu’il incombe d’établir que la prise de cette mesure lui imposerait une contrainte excessive au sens du paragraphe 15(2).

 

183     [...] Selon moi, le fardeau fondamental de la preuve ‑ parfois appelé le fardeau de persuasion ‑ dans une cause de discrimination, continue d’incomber à la personne qui prétend, tout au long de l’audience, avoir fait l’objet de discrimination. La partie qui poursuit doit prouver le bien‑fondé de sa cause. Le fardeau de la preuve lui incombe toujours.

 

3)   L’escalier n’est pas accessible aux personnes handicapées. Les mesures d’accommodement devraient être prises à l’escalier lui‑même.

 

4)   L’ascenseur du site Daly n’est pas une mesure acceptable, parce que l’itinéraire de 130 mètres requiert davantage qu’un effort physique minimal et ne se révèle pas équitable puisqu’il suppose une ségrégation entre les personnes invalides et les personnes qui ne le sont pas; il y a donc transgression de deux des sept Principes de conception universelle. Le Tribunal s’est exprimé ainsi :

 

33     Selon M. Rapson, les marches de la rue York ne respectent pas les principes de la conception universelle. Selon lui, les marches ne sont pas accessibles. L’ascenseur du site Daly ne corrige pas la situation. D’une manière générale, j’ai accepté l’opinion de M. Rapson sur ces questions. J’ai estimé que son témoignage avait été réfléchi et mesuré. Il a compris qu’il fallait faire des compromis raisonnables.

 

5)   La construction de l’ascenseur au site Daly ne remplit pas l’obligation de la Couronne de répondre aux besoins de M. Brown et autres personnes qui sont dans l’impossibilité de gravir les marches.

 

6)      L’obligation de prendre des mesures d’accommodement comprend une obligation de consulter. Le Tribunal s’est exprimé ainsi :

 

212     L’obligation d’accommodement comprend l’obligation de consulter. La CCDP a prétendu que la CCN [Traduction] « doit démontrer qu’elle a suivi le processus adéquat ». Il s’agit probablement de la principale question en litige en l’espèce.

 

220     Je déduis de l’arrêt Grismer que la première obligation d’accommodement est l’obligation de tenir un processus de consultation adéquat. L’intimé doit faire enquête sur l’affaire et doit obtenir les points de vue des personnes qui ont besoin d’accommodement. J’irais même jusqu’à dire qu’il y a un élément de justice naturelle dans ce processus. Il doit y avoir un échange ouvert d’opinions et les personnes qui ont besoin d’accommodement devraient se voir offrir la possibilité de répondre aux préoccupations qui pourraient empêcher l’intimé de fournir l’accommodement qu’elles recherchent.

 

7)      Les consultations engagées par la CCN en 1994 et 1999 étaient sélectives et insuffisantes, de telle sorte qu’elles ne répondaient pas au contenu de l’obligation de prendre des mesures d’accommodement. Le Tribunal s’est exprimé ainsi :

 

218     La situation dont je suis saisi en l’espèce concerne le public en général plutôt qu’une seule personne. Il existe néanmoins des points communs avec l’arrêt Grismer. M. Brown et la CCDP affirment qu’il n’y a pas eu de véritable enquête sur la situation. Je ne souscris pas à cette affirmation. Je souscris néanmoins à l’affirmation que la CCN n’a pas tenu une série de consultations adéquates. On n’a pas vraiment permis aux personnes qui avaient besoin de l’accommodement d’exprimer leurs opinions.

 

8)      La non‑accessibilité actuelle de l’escalier découle de la décision initiale de la CCN de concevoir l’escalier sans prévoir de mesures d’accommodement acceptables.

 

 

 

[61]           S’agissant de la responsabilité, le Tribunal écrivait ce qui suit, au paragraphe 9 de sa décision :

9     La décision qui suit porte essentiellement sur la question de la responsabilité. J’ai convenu que je ne traiterais des différentes mesures d’accommodement qui ont été proposées en rapport avec les marches de la rue York que si cela devenait nécessaire.

 

 

 

[62]           En dépit de cet engagement de séparer la question de la responsabilité et la question du redressement, le Tribunal a effectivement considéré la question du redressement. Cependant, il a reconnu qu’il serait prématuré pour lui de s’exprimer sur le genre de mesures d’accommodement qui seraient indiquées et il a pris soin de dire que la CCN et Travaux publics ne sont astreints qu’à l’application de mesures d’accommodement raisonnables. Le Tribunal a donc ordonné aux parties de reprendre leurs négociations et de présenter un calendrier de consultations. Lorsque ces négociations seraient achevées, la CCN présenterait au Tribunal une lettre officielle décrivant la manière dont elle entendait rectifier la situation. Les autres parties auraient 30 jours pour retourner devant le Tribunal si elles jugeaient la rectification indéfendable.

 

[63]           Par ordonnance de la Cour en date du 7 novembre 2006, le juge Pierre Blais (alors juge de la Cour) a suspendu la décision du Tribunal jusqu’à l’issue des deux demandes de contrôle judiciaire.

 

IV        Les points en litige

[64]           La présente demande de contrôle judiciaire a pour objet de déterminer si l’ascenseur du site Daly constitue une solution acceptable propre à rendre accessible l’escalier de la rue York. La demanderesse, la CCN, conteste ici plusieurs des conclusions de fait et de droit du Tribunal, que la Cour résume ainsi :

a.       Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que l’escalier de la rue York constitue un service ou une installation au sens de l’article 5 de la Loi?

 

b.      Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en disant  que l’établissement d’un commencement de preuve de discrimination n’a pas pour effet d’inverser le fardeau de la preuve en obligeant la partie intimée à prouver qu’une mesure d’accommodement a été prise, sans aller jusqu’à la contrainte excessive?

 

c.       Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en disant que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comporte une obligation de consulter?

 

d.      Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en limitant son analyse au pied de l’escalier au lieu d’adopter une perspective globale?

 

e.       Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en rejetant la solution de l’ascenseur de l’édifice Daly, sans faire la mise en balance qui s’imposait?

 

[65]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie. La Cour estime que le Tribunal a eu raison en droit de dire que l’escalier de la rue York constitue une installation qui offre un service, selon la définition de l’article 5 de la Loi, mais la Cour est d’avis que le Tribunal a commis quatre erreurs de droit qui justifient son intervention : d’abord, le Tribunal n’a pas inversé le fardeau de la preuve d’une manière qui aurait obligé l’intimée (la CCN) à prouver qu’elle avait pris des mesures d’accommodement, sans aller jusqu’à la contrainte excessive; deuxièmement, le Tribunal a dit que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comprend une obligation légale de consulter; troisièmement, le Tribunal a limité son analyse au pied de l’escalier au lieu d’adopter une perspective globale comprenant tout le quartier; finalement, le Tribunal a rejeté la solution de l’ascenseur du site Daly comme mesure d’accommodement raisonnable, sans mettre en balance les divers facteurs.

 

V         Les dispositions applicables

[66]           L’article 5 de la Loi prévoit ce qui suit :

Refus de biens, de services, d’installations ou d’hébergement

 5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

 

a) d’en priver un individu;

 

 

 

 

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

 

Denial of good, service, facility or accommodation

 

 5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

 

 

 

 

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

 

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

 

[67]           L’alinéa 15(1)g) énonce les conditions dans lesquelles l’intimé peut opposer une défense véritable à un commencement de preuve de discrimination dans la fourniture de services. Cet alinéa prévoit ce qui suit :

Exceptions

 15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

[. . .]

g) le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire.

 

Exceptions

 15. (1) It is not a discriminatory practice if

[. . .]

(g) in the circumstances described in section 5 or 6, an individual is denied any goods, services, facilities or accommodation or access thereto or occupancy of any commercial premises or residential accommodation or is a victim of any adverse differentiation and there is bona fide justification for that denial or differentiation.

 

VI.       La norme de contrôle

[68]           Après le dépôt de conclusions écrites, mais avant l’audition de la présente affaire du 7 au 9 avril 2008, la Cour suprême du Canada a rendu deux arrêts : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, et Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., 2007 CSC 15. Les parties ont été invitées à présenter des conclusions écrites supplémentaires portant sur l’application de ces arrêts aux demandes de contrôle judiciaire soumises à la Cour.

 

A.        L’arrêt Dunsmuir : Principes généraux

[69]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a modifié la nature des normes de contrôle applicables aux décisions administratives. Il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 45).

 

[70]           La norme de la décision raisonnable est un nouveau concept par lequel la Cour suprême a fusionné deux normes antérieures, à savoir la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable, en une seule norme générale de la décision raisonnable. La Cour suprême a donné les indications suivantes, au paragraphe 47, pour aider les juridictions de contrôle à déceler les éléments d’une décision déraisonnable :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[71]           Empreinte de déférence, la norme de la décision raisonnable suppose que non seulement le tribunal administratif est arrivé à sa décision à la faveur d’un processus justifiable, intelligible et transparent, mais encore que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme de la décision raisonnable s’applique donc aux questions de fait, de pouvoir discrétionnaire et de politique, ainsi qu’aux questions mixtes de droit et de fait, lorsque la question est éminemment factuelle ou lorsque les points de droit ne peuvent être aisément séparés du contexte factuel. Voir le paragraphe 51, ainsi que le paragraphe 53 de l’arrêt Dunsmuir, où la Cour suprême s’exprime ainsi :

53     En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30). Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

 

[72]           S’agissant de la norme de la décision correcte, la Cour suprême l’a maintenue telle quelle. Les questions de compétence, de droit, de validité constitutionnelle et de justice naturelle doivent encore être revues selon cette norme. Dans ces cas, la juridiction de contrôle doit d’abord établir si la décision contestée était correcte et entreprendre sa propre analyse, en substituant à la décision administrative son propre point de vue, c’est‑à‑dire la réponse correcte, dans les cas où la décision administrative est incorrecte, ainsi que l’explique la Cour suprême au paragraphe 50 :

50     S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[Non souligné dans l’original.]

 

[73]           Cette rigoureuse norme de contrôle judiciaire est une obligation constitutionnelle, indispensable au respect de la primauté du droit. Lorsque la norme de la décision correcte s’impose, la juridiction de contrôle a l’obligation particulière de s’assurer que le décideur administratif n’a pas outrepassé les limites de sa compétence :

28     La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.

 

[74]           Ayant établi ces deux normes de contrôle, la Cour suprême exposait ensuite un processus en deux étapes permettant de déterminer la norme applicable. D’abord, la juridiction de contrôle passera en revue la jurisprudence pour savoir si la norme a déjà été fixée d’une manière satisfaisante. Dans l’affirmative, la norme de contrôle ainsi fixée sera adoptée. Deuxièmement, s’il n’y a pas de jurisprudence ou si la jurisprudence ne permet pas de déterminer d’une manière satisfaisante la norme de contrôle, la juridiction de contrôle entreprendra une analyse pour savoir quelle norme appliquer, comme on peut le lire au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir :

62     Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[75]           Si la juridiction de contrôle, passant à la seconde étape du processus, entreprend l’analyse, son analyse doit être contextuelle. Par ailleurs, la nouvelle « analyse de la norme de contrôle » doit porter sur plusieurs facteurs qui ne sont pas sans rappeler les quatre facteurs de l’ancienne « analyse pragmatique et fonctionnelle », comme on peut le lire au paragraphe 64 :

64     L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

[76]           Finalement, au paragraphe 142 de son opinion concourante dans l’arrêt Dunsmuir, précité, le juge Binnie a réaffirmé le principe général du fractionnement, selon lequel, lorsque des aspects multiples de la décision d’un tribunal administratif sont soumis à un contrôle judiciaire, le juge qui procède au contrôle doit examiner chaque point et arriver à une norme de contrôle pour chacun des points soulevés dans la décision contestée.

 

B.        L’application de l’arrêt Dunsmuir à la présente affaire

[77]           Il n’y a pas consensus entre les parties sur la norme de contrôle devant s’appliquer aux points soulevés dans la présente affaire. Sans doute s’accordent‑elles sur la norme de contrôle applicable à certains des points, mais elles ne sont pas en parfaite harmonie pour d’autres. Je procéderai donc à une application systématique des principes généraux énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, précité, à chacun des points soulevés, en recourant à la procédure en deux étapes établie par les juges majoritaires et au principe du fractionnement embrassé par le juge Binnie.

 

i)    La norme de contrôle applicable à la question de savoir si l’escalier de la rue York peut être considéré comme un « service » ou une « installation »

 

[78]           La Cour doit d’abord revenir à la jurisprudence pertinente pour déterminer la norme de contrôle applicable. Il convient de noter d’emblée que la décision du Tribunal ne traite pas de l’accès universel à un édifice, par exemple un grand magasin, un cinéma ou un complexe administratif, mais plutôt à un escalier en béton offrant un passage entre deux rues.

 

[79]           Finalement, la demanderesse, c’est‑à‑dire la CCN, prie la Cour de se fonder sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, pour déterminer la norme de contrôle. Au paragraphe 26, le juge en chef Antonio Lamer, s’exprimant pour les juges majoritaires, faisait siens les motifs concourants du juge Gérard LaForest, qui s’interrogeait sur la norme de contrôle à appliquer aux décisions des tribunaux des droits de la personne constitués en vertu de la Loi. Le juge LaForest écrivait que les cours de justice conservent leur rôle de surveillance dans les questions de droit, sauf si le législateur a exprimé d’une manière explicite sa volonté de limiter le contrôle judiciaire des décisions rendues en vertu de la Loi.

 

[80]           Contrairement à la position adoptée par l’avocat de M. Brown, la Cour arrive à la conclusion que l’arrêt Mossop, précité, répond à ce premier point et qu’il est applicable aussi aux autres points. Ici, le Tribunal devait interpréter l’article 5 de la Loi et dire en particulier si l’escalier de la rue York constitue un « service » ou une « installation ». La question posée est une question d’interprétation des lois. La norme de contrôle est celle de la décision correcte et non celle de la décision raisonnable, contrairement à ce que disent l’avocat de M. Brown et celui de la Commission. La Cour n’interviendra et n’annulera la décision du Tribunal que si elle estime que le Tribunal a commis une erreur de droit dans sa réponse à cette question.


 

ii)  La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y a inversion du fardeau de la preuve

 

[81]           Les parties reconnaissent que, aux endroits où la question est traitée, le Tribunal a commis une erreur de droit quand il a dit que l’établissement d’un commencement de preuve de discrimination n’a pas pour effet d’inverser le fardeau de la preuve et de le faire reposer sur l’intimé. La Cour reconnaît qu’il s’agit là d’une erreur de droit et, pour les motifs exposés dans l’arrêt Mossop, précité, la norme de contrôle applicable aux questions générales de droit, comme celle‑ci, est celle de la décision correcte.

 

 

iii) La norme de contrôle applicable à la question de savoir si l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comprend l’obligation de consulter

 

[82]           La demanderesse, la CCN, est d’avis que, en disant que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement entraîne une obligation de consulter, le Tribunal a commis une erreur de droit, assujettie à la norme de la décision correcte. Le défendeur, le procureur général du Canada, au nom de Travaux publics, partage cet avis.

 

[83]           Pour le procureur général du Canada, la Loi n’impose pas à l’intimé l’obligation de consulter telle ou telle personne ou d’examiner telle ou telle solution. En outre, il dit que, en arrivant à cette conclusion inédite, le Tribunal a mal interprété l’arrêt Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (l’arrêt Grismer), le précédent sur lequel le Tribunal s’est fondé. L’arrêt Grismer n’oblige pas l’intimé « à engager un processus de consultation » (Exposé du Procureur général du Canada, paragraphe 18.)

 

[84]           Les autres défendeurs, M. Brown et la Commission, ainsi que l’intervenant, le CCD, ne partagent pas cet avis et suivent un même raisonnement. L’avocat de la Commission dit que tous les points principaux soulevés par la présente demande de contrôle judiciaire sont des questions mixtes de droit et de fait, à fort contenu factuel. Par conséquent, la décision du Tribunal doit être revue selon la norme de la décision raisonnable.

 

[85]           Se fondant sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, l’avocat de la Commission dit que, [traduction] « bien que la CCN soutienne que les conclusions du Tribunal sont d’un contenu largement juridique », la décision du Tribunal applique simplement les principes reconnus en matière de droits de la personne aux circonstances de la présente affaire. La conclusion du Tribunal sur la responsabilité découle des faits qu’il avait devant lui et n’est pas, comme c’était le cas dans l’affaire Sketchley, « totalement tributaire de sa conclusion sur une question de droit particulière et bien distincte ». (Voir l’exposé des faits et du droit de la Commission canadienne des droits de la personne, paragraphe 67.)

 

[86]           L’avocat du défendeur Brown invoque l’arrêt Dunsmuir, précité, pour dire que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. La décision du Tribunal soulève [traduction] « des questions qui sont entièrement factuelles et individualisées » et, si la Cour peut, subsidiairement, les qualifier de questions mixtes de droit et de fait, la retenue judiciaire s’impose parce que les questions de droit soulevées dans la présente affaire sont intimement imbriquées et ne peuvent être aisément séparées des questions de fait.

 

[87]           Pareillement, l’avocat de l’intervenant fait valoir que la norme de la décision raisonnable s’applique à la question de savoir si l’obligation de prendre des mesures d’accommodement entraîne l’obligation de consulter. Il affirme aussi que la conclusion du Tribunal selon laquelle il y a obligation de consulter [traduction] « appelle une retenue considérable parce que son objet est de rectifier la discrimination systémique que connaissent les personnes handicapées, l’un des groupes les plus défavorisés du pays ». Par ailleurs, [traduction] « cette conclusion du Tribunal selon laquelle il y a obligation de consulter visait à combler le gouffre qui sépare la théorie du gouvernement fédéral et sa pratique en matière de procédures anti‑discriminatoires, et elle est pleinement appuyée par la preuve et par les conclusions de fait du Tribunal » (voir les conclusions supplémentaires de l’intervenant, le Conseil des Canadiens avec déficiences, paragraphe 22).

 

[88]           La Cour n’est pas persuadée par les arguments des défendeurs selon lesquels la norme de la décision raisonnable s’applique à cette question particulière. En arrivant à cette conclusion, la Cour garde à l’esprit les quatre facteurs de l’« analyse de la norme de contrôle », énumérés au paragraphe 63 de l’arrêt Dunsmuir, précité. À cet égard, le quatrième facteur, c’est‑à‑dire la nature de la question, domine l’analyse. En imposant à la CCN une obligation légale de consulter, le Tribunal répond à une pure question de droit, qui présente une importance générale, voire des conséquences de grande portée, pour d’autres personnes dans l’avenir, ce qui comprend non seulement les fournisseurs de services, tels la CCN et Travaux publics (T‑1132‑06), mais aussi les employeurs qui sont régis par les lois sur les droits de la personne et qui doivent eux aussi composer avec ces graves questions. (Outre l’arrêt Dunsmuir, précité, voir notamment l’arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, paragraphe 26, et l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, paragraphes 69, 73 et 78).

 

[89]           De sa propre initiative, le Tribunal ne s’est pas confiné au cadre de la Loi, attribuant à la Cour suprême du Canada une nouvelle interprétation de sa jurisprudence en matière de droits de la personne, développée dans l’arrêt Grismer, précité. La reconnaissance d’une obligation légale de consulter soulève des questions générales de droit qui ont d’importantes conséquences pour les affaires ultérieures en matière de droits de la personne et qui requièrent donc l’application d’une norme rigoureuse, celle de la décision correcte.

 

iv)  La norme de contrôle applicable à la question de savoir si le Tribunal a eu raison de préférer une perspective locale à une perspective globale

 

[90]           Cette question est une question de droit. Le Tribunal devait dire si l’escalier de la rue York entraînait une distinction à l’encontre de M. Brown et, dans l’affirmative, si les mesures prises par la CCN pour rectifier cette absence d’accessibilité de l’escalier constituaient des mesures d’accommodement raisonnables. Le Tribunal devait donc en droit, avant d’arriver à sa conclusion, mettre dans la balance toutes les preuves produites, y compris l’évaluation qu’il avait faite des témoins durant leur contre‑interrogatoire. La Cour arrive donc à la conclusion que la norme de contrôle qu’il faut appliquer ici est celle de la décision correcte.

 

[91]           Pour obtenir gain de cause, les défendeurs devaient convaincre la Cour que le Tribunal a eu raison de ne pas considérer le tableau global comprenant le réaménagement de tout le secteur et de limiter plutôt son analyse à M. Brown lorsqu’il se trouve au pied de l’escalier.

 

v)   La norme de contrôle applicable à la question de savoir si le Tribunal a eu raison de rejeter la solution de l’ascenseur de l’édifice Daly, sans faire la mise en balance qui s’imposait

 

[92]           Dans l’arrêt Via Rail, précité, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada écrivaient que les tribunaux des droits de la personne se devaient de mettre en balance les facteurs en présence pour savoir si l’intimé s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’accommodement raisonnables, sans aller jusqu’à la contrainte excessive. Cette mise en balance est un exercice contextuel fondé presque uniquement sur les faits. Cependant, la décision initiale de mettre ou non les facteurs en balance est une question de droit. La norme de la décision correcte s’applique donc à cette question mixte de droit et de fait.

 

[93]           En bref, les cinq points seront tous examinés selon la norme de la décision correcte. La Cour suivra les indications données par la Cour suprême du Canada au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, précité. Si la Cour juge que le Tribunal a commis une erreur de droit, elle fera sa propre analyse et imposera sa conclusion, c’est‑à‑dire la réponse correcte.

 

VII.     L’analyse

A.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que l’escalier de la rue York constitue un service ou une installation au sens de l’article 5 de la Loi?

 

[94]           La CCN met en doute la décision du Tribunal de ne pas étudier la signification des mots « service » et « installation », contenus dans l’article 5 de la Loi. S’il l’avait étudiée, affirme‑t‑elle, il se serait rendu compte que l’escalier n’est pas un service, qui est l’action de faire quelque chose, d’aider quelqu’un, de procurer un bien ou de combler un besoin. La CCN dit que l’escalier est une installation inanimée et intangible. Le Tribunal aurait aussi compris que l’escalier ne pouvait pas être une installation à moins de remplir une fonction particulière, de faciliter une ligne de conduite ou d’accomplir une certaine fin.

 

[95]           C’est là un argument indéfendable, pour deux raisons. D’abord, le Tribunal a reconnu qu’il serait fautif de dire que l’escalier en tant que tel constitue un « service » ou une « installation ». Cependant, l’article 5 de la Loi parle du « fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement », et le Tribunal a donc jugé que l’escalier tombait sous le coup de la Loi parce que la CCN fournissait un service au public vu qu’elle avait construit l’escalier et qu’elle l’entretenait.

 

[96]           Deuxièmement, le libellé de la Loi est assez général pour englober l’escalier. En effet, l’article 5 est formulé d’une manière générale qui englobe les installations telles que l’escalier. En voici le texte :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[97]           Pour ces deux motifs, la Cour juge que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a interprété l’article 5 de la Loi ou lorsqu’il a dit que, parce qu’elle avait construit l’escalier, la CCN était assujettie aux dispositions de la Loi. Les conclusions du Tribunal sur ce premier point sont justes, et cette partie de sa décision ne sera pas modifiée.


 

B.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de droit en disant que l’établissement d’un commencement de preuve de discrimination n’a pas pour effet d’inverser le fardeau de la preuve en obligeant la partie intimée à prouver qu’une mesure d’accommodement a été prise, sans aller jusqu’à la contrainte excessive?

 

[98]           Le Tribunal a conclu que le plaignant doit prouver ses allégations et que « le fardeau de la preuve lui incombe toujours ». Les parties reconnaissent que le Tribunal s’est ici clairement trompé  et qu’il a commis une erreur de droit. Ce n’est pas un énoncé exact du droit, et ces propos ne reflètent pas non plus la jurisprudence de longue date de la Cour suprême du Canada en matière de droits de la personne, jurisprudence qui montre clairement que, après qu’est établi un commencement de preuve de discrimination, c’est à l’intimé qu’il appartient d’opposer une défense ou d’offrir une explication raisonnable.

 

[99]           La juge Beverley McLachlin, maintenant juge en chef de la Cour suprême, s’exprimant pour la Cour suprême dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.) (l’arrêt Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, écrivait, au paragraphe 70 :

Étant donné que Mme Meiorin a établi une preuve prima facie de discrimination, il appartient au gouvernement de démontrer que la norme aérobique est une EPJ. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le gouvernement ne s’est pas acquitté de cette obligation et ne peut donc pas invoquer le moyen de défense prévu par le par. 13(4) du Code.

 

Voir aussi Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, paragraphe 28;

Quesnel c. London Educational Health Centre (1995), 28 C.H.R.R. D/474 (Commission d’enquête de l’Ontario), paragraphe 50.

Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868, paragraphes 20 et 43.

 

 

[100]       L’avocat de M. Brown et celui de la Commission disent que cette erreur de droit profite aux demandeurs, la CCN et Travaux publics, et que la Cour ne devrait donc pas intervenir. L’avocat de la Commission ajoute que cette erreur n’a pas influé négativement sur la conclusion ultime du Tribunal concernant la responsabilité et qu’elle ne devrait donc pas conduire la Cour à infirmer la décision du Tribunal.

 

[101]       Il est impossible à la Cour de suivre ce raisonnement, pour plusieurs raisons. D’abord, la Cour a l’obligation constitutionnelle d’observer le principe de la primauté du droit et d’appliquer la norme de contrôle la plus rigoureuse lorsqu’un tribunal administratif, comme c’est le cas en l’espèce, a commis une erreur de droit. L’arrêt Dunsmuir, précité, nous enseigne que la juridiction de contrôle doit dire d’emblée si la conclusion du Tribunal est juste et, dans la négative, la Cour doit lui substituer sa propre décision, en donnant la réponse correcte.

 

[102]       Deuxièmement, si la Cour laisse subsister la conclusion du Tribunal, cette conclusion imposera un double fardeau aux plaignants, tout en laissant impunis les intimés, qui sont mieux placés pour savoir ce qu’ils ont fait, ce qu’ils pourraient faire ou ce qu’ils auraient dû faire pour rectifier les cas apparents de discrimination. Manifestement, ce serait aller à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Loi, et en particulier à l’encontre des exceptions prévues dans l’article 15.

 

[103]       Troisièmement, cette erreur de droit apporterait une importante révolution dans la jurisprudence en matière de droits de la personne, ainsi que dans la Loi. C’est au législateur fédéral qu’il appartient de modifier un texte de loi, et non aux cours de justice, encore moins aux tribunaux administratifs tels que le Tribunal canadien des droits de la personne. Finalement, mais aspect tout aussi important, en statuant de la sorte, le Tribunal adoptait un raisonnement juridique erroné, qui l’a conduit à considérer erronément les autres points restants.

 

[104]       Pour les motifs susmentionnés, la Cour annule la conclusion du Tribunal selon laquelle, après qu’est établi un commencement de preuve de discrimination, l’intimé n’assume pas à son tour la charge de la preuve. Par conséquent, la Cour rétablit le droit dans son état antérieur, tel qu’il avait été exposé dans l’arrêt Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, [1985] A.C.S. n° 74, et tel qu’il a été confirmé dans l’arrêt Meiorin, précité, l’arrêt Grismer, précité, et plus récemment l’arrêt Via Rail, précité. Le Tribunal a commis une erreur de droit en l’espèce.

 

C.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en disant que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comporte une obligation de consulter?

 

[105]       S’appuyant sur l’arrêt Grismer, précité, le Tribunal écrit que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement implique une obligation de consulter. Il écrit aussi que le point principal qui lui est soumis est celui de savoir si le processus de consultation était légalement acceptable. Selon lui, il ne l’était pas. Le processus adopté par la CCN n’allait pas assez loin pour déboucher sur une solution. Les consultations dans lesquelles la CCN s’était engagée visaient à rallier les participants à son option prédéterminée de l’ascenseur du site Daly.

 

[106]       Le Tribunal a aussi jugé non seulement que la réunion du 23 juillet 2002 avait été infiltrée par le personnel de la CCN, mais également que les participants n’avaient pas eu assez de temps pour examiner le projet de rapport des consultants, et que la réunion elle‑même s’était déroulée à la hâte, alors qu’elle devait durer 2,5 heures. Finalement, le Tribunal a jugé que la solution consistant à reconstruire l’escalier n’avait pas été débattue et que la proposition portant sur l’ascenseur du site Daly reposait sur de fausses hypothèses, dont les suivantes :

 

§         l’ascenseur du site Daly constituerait une mesure d’accommodement raisonnable;

 

§         l’édifice Connaught était hors de question;

 

§         les parties devaient choisir entre un ascenseur au site Daly et un ascenseur à l’escalier, plutôt que la solution de deux ascenseurs, un pour chaque emplacement.

 

 

[107]       Comme le disent l’avocat de la CCN et celui du procureur général du Canada, le Tribunal a commis une erreur en affirmant que, selon l’arrêt Grismer de la Cour suprême du Canada, l’obligation de consulter constituait pour la CCN une obligation formelle. La Cour partage ce point de vue. Dans l’arrêt Grismer, il s’agissait du refus pur et simple de délivrer un permis de conduire à M. Grismer en raison de son état de santé. La Cour suprême du Canada a jugé que le surintendant des véhicules automobiles avait exercé une discrimination contre le plaignant parce qu’il avait manqué à son obligation de répondre à ses besoins en montrant qu’il subirait une contrainte excessive s’il lui accordait une évaluation individuelle.

 

[108]       L’arrêt Grismer ne fait donc pas naître une nouvelle obligation légale de consulter, mais plutôt une obligation de considérer, et d’évaluer raisonnablement, toutes les mesures d’accommodement possibles. Et c’est là que réside l’erreur du Tribunal. En se méprenant sur l’arrêt Grismer, précité, le Tribunal n’a pas considéré, étape par étape, le nouveau cadre d’analyse de l’obligation de prendre des mesures d’accommodement, selon l’article 15 de la Loi, comme cela est expliqué dans l’arrêt Meiorin, précité, et dans l’arrêt Grismer, où la juge McLachlin, maintenant juge en chef, écrivait ce qui suit, au paragraphe 20 :

20     Dès que le demandeur établit que la norme est discriminatoire à première vue, il incombe alors au défendeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que cette norme discriminatoire est une EPJ ou a une justification réelle et raisonnable. Pour établir cette justification, le défendeur doit prouver :

 

(1) qu’il a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées;

 

(2) qu’il a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif;

 

(3) que la norme est raisonnablement nécessaire à la réalisation de son but ou objectif, en ce sens que le défendeur ne peut pas composer avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que cela lui impose une contrainte excessive.

 

 

[109]       Comme le souligne l’avocat de la CCN, la Cour suprême du Canada a aussi jugé dans l’arrêt Grismer qu’il doit exister une définition précise de l’« objectif » en question :

24.       Pour être en mesure de répondre à ces questions, nous devons définir de manière plus précise le but ou l’objectif du Surintendant. La question de savoir si un objectif est «rationnellement lié» aux fonctions exercées ou si une norme est «adoptée de bonne foi» et «raisonnablement nécessaire» ne peut être examinée que par rapport à un objectif déterminé.

 

[110]       Si l’on applique le critère Grismer à la présente affaire, l’objectif poursuivi par la CCN dans la construction de l’escalier était d’offrir un point universel et sécuritaire d’accès entre la haute‑ville et la basse‑ville. Compte tenu des caractéristiques topographiques, des coûts ainsi que des impératifs de sécurité afférents aux diverses options, il était peu judicieux de vouloir établir, à l’escalier même, un accès universel. La CCN est donc arrivée à la conclusion que cela n’était pas réalisable. C’est la réalité telle qu’elle a été présentée.

 

[111]       Au lieu de cela, agissant de bonne foi, la CCN a imposé à la Claridge Building Corporation l’insertion, dans le bail, d’une condition immuable prévoyant l’installation, au site Daly, plutôt qu’à l’escalier, d’un ascenseur surveillé 24 heures par jour. Comme le révèle la correspondance échangée entre M. Abel, de la CCN, et M. Malhotra, du groupe du promoteur immobilier, la CCN n’allait accepter aucune solution, y compris celle de l’ascenseur de type LULA, rejetée par elle, qui ne comporterait pas, pour les usagers en fauteuil roulant, un accès suffisant.

 

[112]       Il y a lieu de croire que la décision de ne pas prévoir, à l’escalier, un accès universel, et celle d’installer l’ascenseur du site Daly étaient rationnellement liées à cet objectif d’un accès universel sécuritaire. Il semble aussi que, eu égard à l’intention initiale d’installer une rampe, puis un ascenseur ou une plate‑forme sur les lieux, toutes ces solutions ont été exclues comme irréalisables après consultation des architectes et des groupes de défense des personnes handicapées, pour des raisons liées aux coûts de construction et d’entretien, au risque de vandalisme ou à la sécurité, et il y a lieu finalement de penser que la CCN a montré sa bonne foi dans la recherche et la poursuite de la deuxième meilleure solution, qui était d’installer un ascenseur au site Daly, bien que c’était à 130 mètres de distance. Par ailleurs, la situation évoquée semble montrer qu’il s’agissait là de considérations rationnelles, qui ne minent pas la bonne foi de la CCN.

 

[113]       Pour leur part, l’avocat du défendeur Brown et celui de la Commission font valoir qu’il y a obligation de consulter et que les conclusions du Tribunal sont appuyées par la preuve et s’accordent avec l’importance des méthodes qui permettent de mettre en place des mesures d’accommodement et que la Cour suprême du Canada a validées.

 

[114]       Dans des conclusions à la fois écrites et orales, l’avocat de l’intervenant a fait valoir que, au cœur de l’obligation de prendre des mesures d’accommodement, il y a la présomption de l’obligation de consulter les personnes ayant des déficiences. Cette présomption découle des politiques nationales du Canada dans le domaine, et de ses obligations internationales en tant que signataire de la Convention des Nations Unies relatives aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006 : Documents officiels de l’Assemblée générale des Nations Unies, 61e séance plénière, 76e session, UN Doc. GA/10554 (2006), qui est entrée en vigueur le 3 mai 2008.

 

[115]       Outre cette information, l’avocat de l’intervenant a cité plusieurs précédents de divers tribunaux canadiens des droits de la personne, qui ont recouru à l’imposition de mesures de consultation dans leurs ordonnances réparatrices. Ces précédents sont d’une valeur restreinte pour la présente question de l’obligation de consulter. Aucun d’eux ne dit qu’il existe une obligation de consulter. Par ailleurs, dans la décision Vlug c. Société Radio‑Canada, [2000] D.C.D.P. n° 5, ce cas d’atteinte aux droits de la personne pour cause d’absence de sous‑titrage de certains programmes de la télévision anglaise de Radio‑Canada avait conduit la présidente Mactavish, maintenant juge à la Cour fédérale, à s’exprimer ainsi :

147     [...] Dans le but de veiller à ce que le sous‑titrage soit fait de la façon la plus bénéfique pour la communauté des personnes sourdes et malentendantes, j’inviterais fortement la SRC à consulter les représentants et représentantes de la communauté des personnes sourdes et malentendantes de façon continue relativement à la prestation des services de sous‑titrage.

[Non souligné dans l’original.]

 

[116]       « J’inviterais fortement [...] » On ne saurait dire qu’il s’agit là d’un langage impérieux ancré dans la force du droit. C’est pourquoi la Cour juge que la position du défendeur Brown et de la Commission, de même que de l’intervenant, n’est pas défendable sur ce point.

 

[117]       Le Tribunal a fait de la consultation une obligation légale en disant qu’il existe une obligation de consulter. La Loi ne parle nulle part d’une telle obligation. Il y a, en matière de consultation, une responsabilité envers les personnes immédiatement concernées si la CCN entend s’acquitter de la charge que lui impose l’article 15 de la Loi. Mais il ne s’agit pas d’une obligation légale de le faire. Là encore, en commettant une telle erreur de droit, le Tribunal a limité sa propre analyse. Pour les motifs susmentionnés, la Cour juge que le Tribunal s’est trompé en disant qu’il existe une obligation légale de consulter. Le législateur n’en a rien dit, et les cours de justice n’ont pas à combler ce vide.

 

[118]       Par ailleurs, à plus d’une reprise, la Cour suprême du Canada a jugé opportun de ne pas aller jusqu’à imposer aux employeurs (et sans doute aux fournisseurs de services tels que la CCN) une obligation de consulter pour qu’ils remplissent leur obligation légale de prendre des mesures d’accommodement. Consultations et enquêtes sont louables et dépendront des circonstances particulières de chaque affaire. (Voir Meiorin, précité, paragraphes 66 et 73, et Oak Bay Marina Ltd. c. British Columbia (Human Rights Commission) (2002), 217 D.L.R. (4th) 747, paragraphe 26.)

 

[119]       Les consultations et les enquêtes peuvent être encouragées, mais elles sont loin d’être imposées par le législateur. Le Tribunal a imposé à la CCN une obligation trop onéreuse d’engager des consultations plus larges que celles qu’elle a engagées. En tout état de cause, il n’appartient pas au Tribunal ou à la Cour de modifier les objectifs clairs du législateur. Si le législateur entendait imposer une telle obligation légale de consulter les parties dans le processus des mesures d’accommodement, sans que ces mesures aillent jusqu’à la contrainte excessive, il ne serait certainement pas resté silencieux sur un sujet aussi important.

 

[120]       Finalement, le Tribunal a tiré plusieurs conclusions de fait à propos des consultations que la CCN avait entreprises, tant avant la construction de l’escalier qu’après le dépôt de la plainte de M. Brown, consultations qu’il a jugées insuffisantes. Puisque le Tribunal a commis une erreur de droit en disant que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement comporte une obligation de consulter, il s’ensuit que ces conclusions de fait procèdent d’un fondement juridique déficient.

 

D.        Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en limitant son analyse au pied de l’escalier au lieu de faire une analyse globale?

 

[121]       Le Tribunal a limité son analyse au pied de l’escalier au lieu d’examiner la situation d’une manière globale. Dans sa décision, il ne considère en effet nulle part la question depuis le haut de l’escalier. Par ailleurs, la manière restreinte dont le Tribunal voit la situation, en considérant M. Brown assis au pied de l’escalier, lui a fait perdre la représentation du tableau général, à savoir le réaménagement d’un quartier abandonné.

 

[122]       Eu égard à l’ensemble des faits, à la jurisprudence des droits de la personne se rapportant aux mesures d’accommodement et aux préoccupations du plaignant, la Cour croit que, si le Tribunal avait considéré l’affaire dans sa globalité, comme l’avait fait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Via Rail, précité, le Tribunal aurait fait la mise en balance qui s’imposait et pris en considération l’objectif de la CCN d’offrir, dans le cadre de son plan de réaménagement urbain à long terme, un accès universel entre la haute‑ville et la basse‑ville lorsqu’il était rationnellement possible de le faire.

 

[123]       Par ailleurs, M. Brown écrivait dans son formulaire de plainte qu’il s’agit là d’un quartier dont l’escalier de la rue York ne constitue qu’un aspect. Selon les propres mots de M. Brown,

[traduction]

Le secteur de la promenade Sussex et de l’avenue Mackenzie n’est pas accessible aux usagers en fauteuil roulant. [...]

L’endroit précis auquel je m’intéresse est l’escalier de la rue York.

[...]

 

[124]       La Cour se fonde sur l’arrêt Via Rail de la Cour suprême du Canada, bien qu’il repose sur des faits différents et qu’il soit postérieur à la décision du Tribunal. Les juges majoritaires de la Cour suprême ont exprimé l’avis que, pour conclure que des mesures raisonnables d’accommodement ont été prises sans aller jusqu’à la contrainte excessive, la juridiction de contrôle devait considérer le réseau tout entier et ne pas se limiter à un secteur particulier. La Cour suprême n’a donc pas, dans cet arrêt, ordonné à Via Rail de rendre accessible aux usagers en fauteuil roulant chacun de ses 139 wagons Renaissance, mais plutôt de prendre des mesures d’accommodement raisonnables en modifiant 30 des 139 wagons, de telle sorte qu’un wagon par train soit accessible aux personnes handicapées utilisant leurs propres fauteuils roulants et que toutes les destinations  soient pourvues de telles installations.

 

[125]       Pareillement, l’ascenseur du site Daly et l’escalier de la rue York font partie d’un même quartier, d’une manière qui n’est pas sans rappeler le réseau ferroviaire de Via Rail. Tout comme les 139 wagons Renaissance dont l’accès était demandé par les personnes en fauteuil roulant, le quartier dont il s’agit ici comporte quatre points d’accès entre la haute‑ville et la basse‑ville, dont trois sont universellement accessibles à tous, l’un d’entre eux comportant un ascenseur pour tout le quartier. Un seul de ces quatre points d’accès, à savoir l’escalier, n’est pas accessible, en raison de contraintes matérielles, financières et pratiques. Par les trois points d’accès en question, il est possible d’atteindre tous les lieux environnants, qu’il s’agisse du parc Major, du Musée des beaux‑arts, du Château Laurier ou du marché By.

 

[126]       Rappelons‑le, l’escalier ne constitue que l’un de quatre points d’accès entre la haute‑ville et la basse‑ville pour l’ensemble du quartier, que M. Brown, dans son formulaire de plainte, appelait le [traduction] « secteur » Sussex‑Mackenzie. L’escalier de la rue York constitue un secteur particulier, comme l’est le site Daly. Une distance de 130 mètres sépare les deux endroits. Telle est la réalité. Trois des quatre points d’accès séparant l’avenue Mackenzie et la promenade Sussex offrent un accès universel.

 

[127]       Quelqu’un qui vient de la partie nord du quartier (la rue Saint‑Patrick, la Basilique, le Musée des beaux‑arts, la rue Murray et la rue Clarence) peut accéder à l’avenue Mackenzie depuis la promenade Sussex en contournant l’ambassade des États‑Unis du côté nord, et inversement. Quelqu’un qui vient de la partie sud du quartier (les rues Rideau et Wellington, le Château Laurier et la rue George) peut accéder à l’avenue Mackenzie depuis la promenade Sussex en contournant l’édifice Daly sur la rue Wellington ou en utilisant l’ascenseur du site Daly. Ces points d’accès sont certainement un moyen de garantir pour une bonne part l’intégration et la participation des personnes handicapées.

 

[128]       Évidemment, une personne comme M. Brown qui ne peut pas marcher et qui voudrait utiliser l’escalier de la rue York ne pourra pas le faire. M. Brown ne pourra pas gravir l’escalier depuis la rue York, mais il pourra néanmoins se rendre à l’avenue Mackenzie depuis trois autres endroits du quartier, l’un situé au nord et les deux autres au sud, dont l’ascenseur du site Daly.

 

[129]       Le défendeur Brown plaide en faveur de l’installation d’un deuxième ascenseur à l’escalier. Dans l’arrêt Via Rail, précité, la Cour suprême du Canada a jugé que, au vu des faits, il n’était pas déraisonnable d’adapter 30 wagons sur un total de 139. L’assimilation est possible dans la présente affaire, où le fait de rendre le quartier universellement accessible au moyen d’un ascenseur plutôt que de deux constitue une mesure d’accommodement raisonnable. En outre, dans le cas présent, le trajet qui sépare l’avenue Mackenzie et la promenade Sussex peut être parcouru grâce à l’élargissement des trottoirs depuis les parties nord et sud du quartier, et aussi grâce à l’ascenseur du site Daly. Ainsi que l’écrivait la juge Abella, pour les juges majoritaires, dans l’arrêt Via Rail, précité, au paragraphe 224, le Tribunal doit considérer le contexte tout entier, l’« environnement » dans lequel s’inscrit le prétendu acte discriminatoire :

224     Les formes de déficience ne sont jamais toutes en cause lorsqu’on prétend qu’une forme particulière soulève une question de discrimination. Bien qu’elles fassent indubitablement intervenir des considérations conceptuelles analogues, elles peuvent néanmoins commander des mesures correctives complètement différentes. Une analyse de l’« accommodement raisonnable », de la « contrainte excessive » ou de l’« obstacle abusif » est nécessairement fonction de l’identité du plaignant, de la nature de la plainte, de l’environnement dont on se plaint, des mesures correctives qui peuvent être requises et de celles qui sont raisonnablement possibles. Compte tenu de la nature de la demande et de l’identité des parties qui étaient devant lui, l’Office aurait agi déraisonnablement en sollicitant des observations sur toutes les formes de déficience imaginables. Ironiquement, la Cour d’appel a émis des doutes concernant la portée de la demande déposée par le CCD. [Non souligné dans l’original.]

 

[130]       En résumé, si l’on examine sa décision d’après la norme de la décision correcte, le Tribunal a commis une erreur en limitant son analyse au pied de l’escalier au lieu de considérer la situation globalement. Compte tenu de cette erreur de droit, la Cour interviendra et substituera à la décision du Tribunal la réponse correcte. En droit, le choix de mesures d’accommodement raisonnables requiert une approche globale et ne se limite pas à un aspect particulier. L’analyse doit prendre en compte plusieurs facteurs, par exemple la qualité du plaignant, l’objet de la demande et l’environnement. Dans le cas présent, tous ces facteurs doivent être pris en compte. Le Tribunal a commis une erreur de droit en ne suivant pas cette approche globale.

 

E.         Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’il a rejeté la solution de l’ascenseur de l’édifice Daly sans faire la mise en balance qui s’imposait?

 

[131]       Le but de la législation sur les droits de la personne n’est pas la perfection. Comme nous l’enseigne la jurisprudence en la matière, le cadre légal régissant les droits de la personne se caractérise plutôt par une analyse contextuelle évolutive ancrée dans la sagesse et la souplesse manifestées par toutes les parties, c’est‑à‑dire le décideur, le plaignant et l’intimé. Les paragraphes 123 et 124 de l’arrêt Via Rail sont éclairants sur ce point :

123      Ce qui constitue une contrainte excessive dépend des facteurs pertinents sur le plan des circonstances et des mesures législatives qui régissent chaque cas : Chambly, p. 546; Meiorin, par. 63. Les facteurs qui sous‑tendent l’obligation d’accommodement d’un intimé « ne sont pas consacrés, sauf dans la mesure où ils sont inclus ou écartés expressément par la loi » : Meiorin, par. 63.

 

124      Dans tous les cas, comme le juge Cory l’a souligné à la p. 546 de l’arrêt Chambly, « [i]l y a lieu [d’]appliquer [ces facteurs] d’une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas ».

 

[132]       Pour écarter d’emblée la solution de l’ascenseur du site Daly comme l’a fait le Tribunal, il fallait en droit faire une mise en balance convenable des divers facteurs. Cela était indispensable pour savoir si l’ascenseur offrait une solution pouvant constituer une mesure d’accommodement raisonnable n’allant pas jusqu’à une contrainte excessive.

 

[133]       Le Tribunal a estimé que le site Daly ne constituait pas une mesure d’accommodement raisonnable. L’ascenseur Daly n’était pas situé à l’escalier, ou à proximité de l’escalier, mais plutôt à 130 mètres, de telle sorte que même la moitié de cette distance serait jugée déraisonnable. Aux yeux du Tribunal, non seulement cette distance était excessive, mais elle portait atteinte à la dignité des personnes handicapées et violait deux des principes de conception universelle, celui de l’effort physique minimal et celui de l’utilisation égalitaire. La seule autre solution devait se trouver à proximité de l’escalier, non à l’ambassade des États‑Unis, mais à l’édifice Connaught. C’est la raison pour laquelle le Tribunal a ajouté Travaux publics à la procédure.

 

[134]       Le Tribunal a aussi écarté d’emblée la solution de l’ascenseur du site Daly parce que, selon lui, les consultations engagées en 1994 et 2002 n’étaient pas suffisantes et avaient été influencées par la CCN. D’après lui, le processus de consultation n’avait pas englobé toutes les options (comme  le fait de passer par l’édifice Connaught), parce qu’il avait décidé d’évaluer la situation dans la seule perspective du bas de l’escalier. Le Tribunal a donc ordonné que les consultations reprennent et que les parties évaluent les autres solutions, à savoir l’édifice Connaught et la construction d’un ascenseur le long du mur.

 

[135]       La Cour reconnaît que l’ascenseur du site Daly contrevenait à deux des principes de conception universelle. L’emplacement de l’ascenseur Daly contrevient au principe n° 1, puisqu’il n’offre pas une utilisation égalitaire. Les gens à mobilité réduite ne sont pas en mesure de gravir les marches et doivent donc avancer sur les trottoirs adaptés, soit au nord en contournant l’ambassade des États‑Unis, soit au sud vers l’ascenseur du site Daly. Les piétons valides n’ont pas à faire de tels détours. L’escalier contrevient aussi au principe n° 6, puisque les détours en question requièrent un effort physique.

 

[136]       Cependant, nonobstant ces deux transgressions des principes de conception universelle, l’ascenseur Daly respecte les cinq autres principes. La Cour croit humblement que tout décideur devrait tenir compte du fait que cinq principes sur sept sont respectés. Ici également, la Cour se rappelle les observations faites par le juge Cory dans l’arrêt Chambly, précité. Les précédents en matière de droits de la personne n’exigent pas ni n’attendent la perfection. C’est pourquoi le bon sens et la souplesse devraient toujours prévaloir.

 

[137]       Par ailleurs, comme on peut le lire dans l’arrêt Via Rail, aux paragraphes 133 et 134, il est nécessaire de garder à l’esprit que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement est limitée par les mots « raisonnable » et « sans imposer de contrainte excessive ». Le point de savoir si une mesure d’accommodement est raisonnable variera d’après le contexte. Encore une fois, souplesse et bon sens s’imposent. Dans le cas présent, le Tribunal ne s’est pas demandé si la solution de l’ascenseur du site Daly était raisonnable. Il l’a écartée automatiquement en raison de la distance de 130 mètres par rapport à l’escalier de la rue York. Le Tribunal s’est fermé aux autres solutions raisonnables parce qu’elles ne se trouvaient pas au pied de l’escalier ou à proximité de l’escalier.

 

[138]       Au paragraphe 225 de l’arrêt Via Rail, précité, la Cour suprême du Canada exhorte les décideurs à mettre en balance les intérêts rivaux :

225      Le critère de la « contrainte excessive » ne se résume pas à l’efficacité. Il va sans dire que, lorsqu’il s’agit de soupeser les intérêts opposés dans un bilan, le coût d’une restructuration ou d’un réaménagement est financièrement calculable, alors que les avantages de l’élimination de la discrimination tendent à ne pas l’être. Quelle valeur pécuniaire peut‑on attribuer à la dignité au regard du coût mesurable d’un environnement accessible? Il semblera toujours manifestement moins coûteux de maintenir le statu quo et de ne pas éliminer un obstacle discriminatoire.

 

 

 

[139]       Le Tribunal a donc écarté la solution de l’ascenseur du site Daly comme mesure d’accommodement raisonnable. Il l’a écartée sans mettre en balance comme il se doit les facteurs en présence. En fait, parce que selon lui l’ascenseur devait se trouver à proximité de l’escalier et que la distance de 130 mètres était excessive, il s’est dispensé d’analyser les divers facteurs, tels que la sécurité, l’accès 24 heures par jour, la protection et les coûts.

 

[140]       La Cour estime que, compte tenu de la preuve que le Tribunal avait devant lui, il avait eu tort d’analyser la question comme il l’a fait ou de conclure comme il l’a fait. La Cour croit que, si le Tribunal avait analysé correctement la question, il aurait été sensible au fait que, dès les premiers stades de la planification de ce réaménagement urbain, la CCN était parfaitement consciente de son obligation de répondre aux besoins de tous les membres du public souhaitant emprunter l’escalier pour se déplacer entre l’avenue Mackenzie et la promenade Sussex, aux points d’accès du parc Major et de la rue York, et elle tenait à remplir cette obligation.

 

[141]       Si le Tribunal avait fait l’analyse tripartite exposée dans l’arrêt Grismer, précité, il aurait aussi été sensible à la preuve qu’il avait devant lui, selon laquelle la CCN s’était efforcée de répondre aux besoins des personnes handicapées voulant emprunter l’escalier, mais n’y avait pas réussi, non en raison d’un mépris délibéré pour les droits des personnes en question, mais en raison d’obstacles attestés, à savoir les frais et les impératifs de sécurité qu’entraînait la topographie même des lieux. À l’évidence, rien ne pourrait être plus concret comme exemple de motif justifiable de ne pas rendre l’escalier plus accessible.

 

[142]       N’ayant pas suivi les principes de l’arrêt Grismer ni montré bon sens et souplesse, le Tribunal a complètement écarté les quatre processus de consultation que la CCN avait entrepris, trois fois avant la construction de l’escalier et une fois après que M. Brown ait déposé sa plainte relative aux droits de la personne. Si le Tribunal avait fait cette analyse, il n’aurait pas ignoré non plus les diverses solutions que la CCN avait examinées, et qui avaient été proposées à la fois par ses architectes et des spécialistes de la conception universelle, mais également par des architectes indépendants et des groupes de défense des personnes handicapées.

 

[143]       D’après la Cour, il ne suffit pas de dire que l’ascenseur situé sur la rue, au site Daly, ne constitue pas une mesure d’accommodement raisonnable du seul fait que le défendeur Brown voudrait une telle mesure à l’emplacement même de l’escalier. Les rapports des professionnels et experts concluent que cela n’était pas réalisable. La CCN en était donc réduite à faire tout ce qu’il lui était raisonnablement possible de faire pour mettre à exécution d’autres mesures raisonnables. Le Tribunal dit simplement qu’elle ne l’a pas fait. La preuve n’autorisait pas cette conclusion.

 

[144]       La Cour estime aussi que la CCN a rempli son obligation de prendre des mesures d’accommodement en considérant pleinement toutes les solutions possibles, d’abord sur les lieux, puis, une fois ces solutions jugées irréalisables, lorsqu’elle a considéré la solution suivante relevant de son pouvoir et de son autorité. La solution suivante consistait à offrir un accommodement non seulement à proximité des lieux, mais également dans le respect du droit, c’est‑à‑dire sur ses propres biens‑fonds. Il aurait été illégal pour la CCN d’empiéter sur le terrain de l’ambassade des États‑Unis, tout comme il serait hors de son pouvoir de prendre des mesures d’accommodement au sud, à l’intérieur de l’édifice Connaught. En tout état de cause, la preuve montre que l’utilisation intérieure de l’édifice Connaught comme solution n’était pas réalisable ni faisable, comme l’avait reconnu M. Rapson durant son témoignage. La Cour arrive à la conclusion que la CCN a fait ce qu’il était dans son pouvoir de faire et qu’elle a pris des mesures raisonnables après avoir consulté les groupes de défense des personnes handicapées et examiné les avis des experts.

 

VIII     Les dépens

[145]       Compte tenu de la nature publique des questions de droit en jeu, et vu les parties concernées, il ne sera pas adjugé de dépens.

 

IX        Le dispositif

[146]       Après examen attentif de la preuve, notamment des transcriptions des audiences tenues devant le Tribunal, la Cour est d’avis que, compte tenu de la topographie des lieux, la CCN s’est acquittée de son obligation de prendre des mesures d’accommodement, en montrant qu’il était impossible de les appliquer sur les lieux. Par ailleurs, la CCN a pris des mesures d’accommodement raisonnables, quoiqu’imparfaites, sur le bien‑fonds le plus proche lui appartenant. Il est bien établi en droit que l’obligation de prendre des mesures d’accommodement n’est pas une obligation absolue ancrée dans un monde idéal de perfection. Comme le montrent les circonstances de la présente affaire, cette obligation requiert de faire preuve de raison, de souplesse et d’une bonne dose de bon sens.

 

[147]       Dans le cas présent, le Tribunal a modifié le processus de détermination des mesures d’accommodement qui est prévu dans les articles 5 et 15 de la Loi. Il a modifié le critère du commencement de preuve de discrimination en dispensant l’intimé de l’obligation de répondre à ce commencement de preuve. Il a vu également dans la législation une obligation de consulter qui n’y est pas explicitement mentionnée. Il a aussi considéré la situation dans une perspective restreinte, alors qu’il aurait dû la voir dans sa globalité. Il n’a pas non plus mis en balance les divers points d’accès. Il a limité son analyse au secteur précis, c’est‑à‑dire le pied de l’escalier, et simplement rejeté la solution de l’ascenseur du site Daly, limitant ainsi les mesures d’accommodement aux environs de l’escalier de la rue York.

 

[148]       Par conséquent, la Cour conclut que, même si le Tribunal a eu raison de dire que l’escalier constitue un service ou une installation, elle ne souscrit pas à ses conclusions de droit sur les quatre autres points soulevés dans la présente affaire et elle leur substitue donc les conclusions suivantes :

                                                               i.      Le fardeau de la preuve est inversé et repose sur l’intimé (la CCN) après qu’est établi un commencement de preuve de discrimination;

 

                                                             ii.      L’obligation de prendre des mesures d’accommodement ne comprend pas l’obligation de consulter;

 

                                                            iii.      la prise de mesures d’accommodement raisonnables requiert une perspective globale prenant en compte plusieurs facteurs, dont le plaignant, la nature de la plainte et l’environnement, comme on peut le lire dans l’arrêt Via Rail, précité;

 

                                                           iv.      la prise de mesures d’accommodement raisonnables oblige le décideur à mettre en balance les divers intérêts, compte tenu des circonstances de l’affaire.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

‑           La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

‑           La décision du Tribunal canadien des droits de la personne datée du 6 juin 2006 est annulée et, compte tenu des erreurs de droit, la décision correcte suivante lui est substituée :

1.      L’escalier de la rue York est une installation qui offre un service au public;

2.      Lorsqu’il y a commencement de preuve de discrimination, le fardeau de la preuve est inversé et l’intimé a la charge d’opposer une défense, à défaut de plaider une contrainte excessive;

 

3.      L’obligation de prendre des mesures d’accommodement ne comprend pas l’obligation de consulter;

 

4.      L’analyse de mesures d’accommodement raisonnables requiert d’examiner la situation globalement;

 

5.      L’évaluation de mesures d’accommodement raisonnables n’est possible qu’après une mise en balance convenable des facteurs. En l’espèce, la Cour estime que, eu égard à toutes les circonstances, l’ascenseur du site Daly constitue une mesure de rechange raisonnable à l’escalier de la rue York.

 

‑           Il n’est pas adjugé de dépens.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.
ANNEXES

 

 

 

 

1.         CARTE – Accessibilité entre la haute‑ville et la basse‑ville

 

2.         Principes de conception universelle

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1117‑06

 

INTITULÉ :                                       LA COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE c.

                                                            BOB BROWN et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et le PROCUREUR

                                                            GÉNÉRAL DU CANADA (représentant

                                                            TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA)

                                                            et

                                                            LE CONSEIL DES CANADIENS AVEC DÉFICIENCES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 7, 8 et 9 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 13 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lynn Harnden

Sébastien Huard

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Baker

Faisal Bhabha

 

POUR LE DÉFENDEUR

Philippe Dufresne

Ikram Warsame

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Alain Préfontaine

Zoe Oxaal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Debra McAllister

POUR L’INTERVENANT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lynn Harnden

Sébastien Huard

Emond Harnden

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Baker

Bakerlaw

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Philippe Dufresne

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

ARCH Disability Law Centre

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANT

 

 

 


ANNEXE « 1 »

 

 

 

CARTE – Accessibilité entre la haute‑ville et la basse‑ville


ANNEXE « 2 »

 

 

Principes de conception universelle

 

La conception universelle est la conception de produits et d’environnements pour utilisation par l’ensemble de la population, dans toute la mesure du possible, sans qu’ils doivent être adaptés ou conçus d’une manière particulière.

 

Les sept principes suivants et leurs lignes directrices ont été reconnus comme règles de conception universelle :

 

PRINCIPE NUMÉRO UN : Utilisation égalitaire : La conception est utile et commercialisable auprès de personnes ayant différentes capacités.

 

PRINCIPE NUMÉRO DEUX : Flexibilité d’utilisation : La conception peut être conciliée à une vaste gamme de préférences et de capacités individuelles.

 

PRINCIPE NUMÉRO TROIS : Utilisation simple et intuitive : L’utilisation de la conception est facile à comprendre, indépendamment de l’expérience, des connaissances, des compétences linguistiques de l’utilisateur ou de son niveau de concentration au moment de l’utilisation.

 

PRINCIPE NUMÉRO QUATRE : Information perceptible : La conception communique efficacement à l’utilisateur l’information nécessaire, quelles que soient les conditions ambiantes ou les capacités sensorielles de la personne.

 

PRINCIPE NUMÉRO CINQ : Tolérance pour l’erreur : La conception réduit au minimum les dangers et les conséquences adverses des accidents ou des actions involontaires.

 

PRINCIPE NUMÉRO SIX : Effort physique minimal : La conception permet une utilisation efficace et confortable, générant une fatigue minimale.

 

PRINCIPE NUMÉRO SEPT : Dimensions et espace libre pour l’approche et l’utilisation : La conception prévoit une taille et un espace adéquats au moment de s’approcher, de saisir, de manipuler et d’utiliser, quelles que soient la taille, la posture ou la mobilité de l’utilisateur.

 

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