Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20080624

Dossier : IMM-5045-07

Référence : 2008 CF 774

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAX M. TEITELBAUM

 

ENTRE :

BLERINA ARIZAJ

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 9 novembre 2007 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que la demanderesse, Mme Blerina Arizaj, n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse, une citoyenne albanaise, affirme craindre son ancien petit ami, Elton, ainsi que les personnes qui lui sont associées. Elle allègue que Elton a été violent avec elle et qu’il l’a obligée à avoir des relations sexuelles avec lui. Elle affirme qu’au cours de leurs fréquentations, qui ont commencé en juillet 2000, Elton est devenu autoritaire. Il a insisté pour qu’elle quitte son emploi et, en mai 2002, il s’est rendu sur son lieu de travail et il s’est montré très grossier. Elle n’a rien signalé de tout cela à la police, mais elle a quitté l’Albanie en septembre 2002 pour se rendre au Kosovo avec sa sœur. Elle est rentrée en Albanie en septembre 2004.

 

[3]               La demanderesse affirme qu’en octobre 2005, une personne conduisant une voiture grise a commencé à la suivre chaque jour et à lui adresser à l’occasion la parole. Elle explique que le 10 décembre 2005, des amis d’Elton, à savoir un dénommé Rolandi et un autre homme, l’ont forcée à monter à bord d’une voiture. Ils l’ont emmenée dans une maison située en dehors de Tirana où ils l’ont violée. Plus tard, ils l’ont ramenée à Tirana et l’ont menacée de l’envoyer en Italie où elle serait forcée de se prostituer si elle allait trouver la police. La demanderesse affirme qu’elle a parlé de l’incident à ses parents et que sa mère a signalé l’incident à la police. Elle ajoute que, le 18 février 2006, elle a reçu une carte postale qui lui disait de ne pas oublier son voyage en Italie.

 

[4]               La demanderesse a quitté l’Albanie en avril 2006. Elle a pris l’avion pour l’Allemagne, d’où elle s’est rendue en France par train. Elle a ensuite pris l’avion de la France pour Toronto, où elle a demandé l’asile à son arrivée à l’aéroport international Pearson le 11 avril 2006.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[5]               La Commission a estimé que la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée en Albanie pour un des motifs de la Convention et qu’elle n’avait pas qualité de personne à protéger car son renvoi dans ce pays ne l’exposerait pas personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités, et il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que son renvoi en Albanie l’exposerait au risque d’être soumise à la torture. Les questions déterminantes étaient celle de la crédibilité et celle de l’absence de crainte subjective.

 

[6]               La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en raison des omissions, incohérences et invraisemblances relevées au sujet de l’agent de persécution, des rapports entre Elton et les deux présumés auteurs du viol, de la raison pour laquelle la demanderesse n’avait pas signalé le présumé viol à la police, de l’identité de la personne qui l’avait suivie dans une voiture et du moment où elle avait découvert l’identité de cette personne, de la personne qui l’avait aidée à se procurer son faux passeport et le prix payé pour celui-ci, du fait que le présumé viol n’avait pas déclenché de vendetta et de la question de l’enveloppe que la demanderesse aurait reçue de Tirana, de la part de ses parents, et qui aurait contenu certains documents.

 

[7]               La Commission a expliqué que, si elle n’avait rencontré qu’une ou deux incohérences, elle aurait envisagé d’accorder le bénéfice du doute à la demanderesse. Cependant, en raison du nombre d’omissions, d’incohérences et d’invraisemblances constatées, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[8]               La Commission a également estimé que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective de persécution. La Commission a fait observer qu’il n’y avait pas de preuve corroborante démontrant qu’Elton était lié aux deux auteurs présumés de l’agression dont la demanderesse avait été victime en décembre 2005 et que rien ne prouvait qu’Elton leur avait ordonné de la violer. La Commission a conclu que Elton ne s’intéressait plus à la demanderesse depuis leur rupture, en juillet 2002.

 

[9]               La Commission a également estimé que le comportement de la demanderesse n’était pas sans rappeler celui de quelqu’un qui compare les pays avant de choisir celui où il demandera l’asile. La Commission a fait observer que la demanderesse avait décidé de partir pour le Kosovo, où elle avait vécu et travaillé pendant près de deux ans, parce qu’elle affirmait avoir peur d’Elton, mais qu’elle n’avait entrepris aucune démarche pour demander l’asile au Kosovo. De plus, la demanderesse avait fait escale deux jours en France et deux jours en Allemagne avant d’arriver au Canada mais n’avait pas demandé l’asile dans l’un ou l’autre de ces pays. De plus, comme elle était titulaire d’un visa de Schengen, elle aurait pu se rendre dans tout pays membre de l’espace Schengen, qui sont tous des démocraties qui respectent généralement les droits de la personne.

[10]           La Commission s’est ensuite penchée sur les deux rapports médicaux soumis par la demanderesse. S’agissant du premier rapport, qui avait été rédigé en Albanie le 12 décembre 2005, la Commission a fait remarquer que, même s’il indiquait que la demanderesse présentait des ecchymoses au cou et à la cuisse et qu’elle recevrait des soins cliniques pendant deux semaines, il ne mentionnait rien quant à la cause des ecchymoses ou du moment où elles auraient été faites. La Commission a accordé peu de valeur à ce rapport parce qu’il ne mentionnait aucune des allégations de la demanderesse et parce qu’il est très facile de se procurer de faux documents en Albanie.

 

[11]           En ce qui concerne le second rapport médical, signé par un psychologue le 24 juin 2006, la Commission a fait observer que, même s’il concluait que la demanderesse souffrait d’un [traduction] « […] épisode dépressif de gravité moyenne » et qu’elle devait [traduction] « être soignée par un professionnel de la santé mentale », la demanderesse n’était même pas allée à une seule réunion de la thérapie de groupe gratuite à laquelle le psychologue l’avait inscrite et que celui-ci lui avait recommandé de suivre. La Commission a également accordé peu de valeur à ce document en expliquant qu’il n’établissait pas de façon convaincante que l’état dépressif de la demanderesse découlait des allégations sur lesquelles elle fondait sa demande d’asile.

 

[12]           Vu l’ensemble de la preuve, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Il s’agit de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Je vais d’abord aborder une question préliminaire, en l’occurrence celle de l’affidavit souscrit le 5 janvier 2008 par la demanderesse. Il est de jurisprudence constante qu’une demande de contrôle judiciaire implique que l’on examine le dossier dont disposait le tribunal qui a rendu la première décision. Comme la Commission ne disposait pas des renseignements que l’on trouve dans ce document, l’affidavit ne fait pas régulièrement partie du dossier de la présente demande de contrôle judiciaire, de sorte que notre Cour n’en tiendra pas compte.

 

[14]           La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande est la suivante :

1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse en ignorant certains des éléments de preuve qui lui avaient été soumis?

 

CADRE LÉGISLATIF

[15]           Voici les dispositions de la Loi qui sont pertinentes en ce qui concerne la présente demande de contrôle judiciaire :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           Récemment, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a laissé tomber le critère de la décision manifestement déraisonnable pour ne conserver que deux normes de contrôle : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. La Cour suprême a également expliqué qu’il n’était pas nécessaire de se livrer dans chaque cas à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. En fait, si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de retenue judiciaire correspondant à la question qui lui est soumise, le tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire adoptera cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que le tribunal entreprendra l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle (Dunsmuir, au paragraphe 62).

 

[17]           Avant l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir, il était de jurisprudence constante que les conclusions de fait de la Commission et les conclusions tirées par elle au sujet de la crédibilité étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable (norme qui est désormais écartée) (Nyirasuku c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 803, au paragraphe 28, citant les décisions Chowdhury c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 287 F.T.R. 1, 2006 CF 139, au paragraphe 12; Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1469 (C.A.F.), au paragraphe 10; Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 4).

 

[18]           L’analyse de la crédibilité à laquelle procède la Commission constitue un aspect central de son rôle d’arbitre des faits. Les conclusions qu’elle tire en la matière ont droit à un degré élevé de retenue de la part du tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire. Ainsi, la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées en l’espèce par la Commission au sujet de la crédibilité est celle de la décision raisonnable et la décision de la Commission doit être confirmée à moins de ne pas appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

ANALYSE

[19]           La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du témoignage de sa sœur. À l’appui de cet argument, la demanderesse explique que la Commission n’a pas mentionné le témoignage de sa sœur qui, suivant la demanderesse, corroborait les détails que cette dernière avait fournis dans son témoignage et dans sa preuve écrite. La demanderesse soutient que le témoignage de sa sœur était essentiel pour confirmer la crédibilité de la demanderesse et confirmait la plupart des éléments clés de la demande d’asile de la demanderesse, y compris la violence dont elle avait été victime de la part d’Elton, le piteux état psychologique de la demanderesse et sa conviction que son état s’expliquait par le viol dont elle avait été victime, et la conviction de la demanderesse et de sa sœur que la demanderesse ne pourrait être traitée que dans une clinique privée, ce qu’elles n’avaient pas les moyens de se payer. Il était donc déraisonnable de la part de la Commission de ne pas considérer la sœur de la demanderesse comme crédible.

 

[20]           Je ne suis pas convaincu que la Commission a ignoré le témoignage de la sœur de la demanderesse pour en arriver à sa décision. Il est de jurisprudence constante que la Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait et que la Commission n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)). Les facteurs déterminants qui ont joué dans la décision de la Commission étaient la crédibilité et l’absence de crainte subjective. Le témoignage de la sœur de la demanderesse ne se rapportait pas aux lacunes du témoignage de la demanderesse et n’abordait pas cet aspect. Elle n’a pas témoigné au sujet des nombreux éléments sur lesquels la Commission s’est fondée pour estimer que la demanderesse n’était pas crédible, notamment, les liens existants entre Elton et Rolandi, les détails entourant le signalement du viol à la police, la façon dont le passeport avait été obtenu, l’absence de vendetta et les détails entourant la réception par la demanderesse d’une enveloppe provenant de Tirana. Bien que la sœur de la demanderesse ait effectivement affirmé que celle-ci lui avait dit qu’elle devait payer pour la thérapie, cette affirmation est elle-même contredite par le témoignage de la demanderesse, qui a expliqué que, parce qu’elle était prestataire d’aide sociale, elle avait été invitée à participer à des séances de groupe mais qu’elle avait décidé de ne pas s’y présenter parce qu’elle ne s’y sentait pas à l’aise.

 

[21]           Je constate par ailleurs que la sœur de la demanderesse vit au Canada depuis 2004 et qu’elle ne se trouvait donc pas à Tirana lorsque se sont produits les événements de 2005 et de 2006 qui ont incité la demanderesse à quitter l’Albanie. Dans le témoignage qu’elle a donné sur ces faits, la sœur de la demanderesse s’est donc contentée de reprendre le détail des faits que la demanderesse lui avait racontés et auxquels la Commission n’a pas ajouté foi.

 

[22]           La demanderesse affirme par ailleurs que, bien qu’elle mentionne le rapport du psychologue Devins dans sa décision, la Commission a mal évalué l’impact des difficultés psychologiques de la demanderesse sur sa capacité de témoigner. La demanderesse invoque le jugement Rudaragi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 911, pour illustrer le principe que la Commission doit vérifier si l’état psychologique de la demanderesse peut aider à expliquer les omissions constatées dans son exposé circonstancié ou les contradictions relevées entre sa déclaration au point d’entrée et son formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[23]           La demanderesse affirme aussi que la Commission n’a pas tenu compte du rapport médical qu’un gynécologue albanais avait signé deux jours après le présumé viol de la demanderesse. Ce rapport avait, selon la demanderesse, une grande force probante étant donné qu’il contenait des éléments de preuve démontrant que la demanderesse présentait des ecchymoses au cou et à la cuisse et qu’elle avait reçu des soins cliniques pendant deux semaines. La demanderesse affirme que la Commission a commis deux erreurs en ce qui concerne ce rapport. Premièrement, la Commission devait exposer de façon plus détaillée son raisonnement sur les raisons pour lesquelles elle soupçonnait que les documents qui lui avaient été soumis étaient des faux. La demanderesse cite le jugement Iqbal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1219, dans lequel le juge Campbell, de la Cour fédérale, explique que la facilité avec laquelle on peut se procurer de faux documents ne signifie pas pour autant que les documents soumis à la Commission sont effectivement des faux.

 

[24]           La demanderesse ajoute que la Commission a manqué aux principes d’équité procédurale en tirant une conclusion défavorable sur l’authenticité de ce rapport médical sans accorder à la demanderesse la possibilité de dissiper les doutes de la Commission au sujet de son authenticité. À l’appui de cet argument, la demanderesse cite la décision récente rendue par le juge Shore dans l’affaire Keqaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 388, dans laquelle il a été jugé que la Commission avait manqué à son obligation d’équité procédurale en ne faisant pas part de ses réserves au demandeur, le privant ainsi de la possibilité d’y répondre et de les clarifier. La Cour a estimé que, par suite de ce manquement, la Commission avait tiré une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

[25]           À mon avis, la Commission a bel et bien examiné les deux rapports médicaux et elle a invoqué des raisons légitimes pour expliquer sa décision de leur accorder peu de poids. Pour ce qui est du rapport médical provenant de l’Albanie, la Commission a fait observer qu’il ne mentionnait rien quant à la cause des ecchymoses ou du moment où elles auraient été faites. La Commission a invoqué trois raisons pour justifier le fait qu’elle accordait peu de poids au rapport en question, à savoir qu’elle avait déjà conclu au manque de crédibilité de la demanderesse, qu’il est très facile de se procurer de faux documents en Albanie et que le rapport n’était pas suffisamment détaillé, notamment parce qu’il ne précisait pas la cause des ecchymoses ou le moment où elles auraient été faites. Il ressort à l’évidence de sa décision que la Commission n’a pas écarté le rapport médical provenant de l’Albanie pour la seule raison qu’il est facile de se procurer de faux documents en Albanie. À mon avis, compte tenu des nombreuses réserves exprimées par la Commission au sujet de la crédibilité de la demanderesse et du manque de détails du rapport médical de l’Albanie, il était loisible à la Commission d’accorder peu de poids à ce rapport.

 

[26]           En ce qui concerne le rapport psychologique soumis par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile, j’estime également que la Commission a tenu suffisamment compte de ce document et qu’elle n’a pas commis d’erreur en décidant de lui accorder peu de poids. La Commission a fait observer que le psychologue avait rédigé son rapport après une seule consultation et que, malgré le fait qu’on avait diagnostiqué chez elle un [traduction] « […] épisode dépressif de gravité moyenne » et qu’elle devait [traduction] « être soignée par un professionnel de la santé mentale », la demanderesse n’était même pas allée à une seule réunion de la thérapie gratuite en date de l’audience, soit plus d’un an après la rédaction du rapport. De plus, suivant la Commission, il n’y avait « rien de convaincant dans les constatations du psychologue qui montre qu’elle ait été victime de violence et dans quelles circonstances ». La Commission a par conséquent conclu que le rapport du psychologue n’établissait pas de façon convaincante que l’état dépressif de la demanderesse découlait des faits qu’elle alléguait dans sa demande d’asile. Outre ces motifs, la Commission, citant les décisions de notre Cour dans les affaires Rokni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 182 (C.F. 1re inst.) (QL), et Danailov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019, a fait observer à juste titre qu’un rapport psychiatrique « ne saurait constituer une panacée pour pallier toutes les faiblesses dans le témoignage du requérant » et que lorsqu’un tel rapport est soumis en preuve et que le témoignage du demandeur d’asile suscite des doutes, « un témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais ». J’estime que la Commission avait des raisons suffisantes pour accorder peu de poids au rapport du psychologue.

 

[27]           Pour ce qui est de l’allégation de la demanderesse suivant laquelle la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’impact de son état psychologique sur son témoignage, je conclus également que la Commission n’a pas commis d’erreur sur ce point. Je relève que le rapport du psychologue soumis par la demanderesse précise que cette dernière serait probablement nerveuse et intimidée à l’audience. Il ne serait donc pas tout à fait inusité de constater qu’en raison de sa nervosité ou du fait qu’elle se sente intimidée, la demanderesse se contredise ou omette certains détails dans son témoignage. Un examen du dossier et de la décision révèle toutefois que le nombre d’omissions, d’incohérences et d’invraisemblances était tellement élevé qu’il y avait lieu de sérieusement s’interroger sur la crédibilité de la demanderesse. La Commission a explicitement fait observer ce qui suit : « Si je n’avais rencontré qu’une ou deux incohérences, j’aurais probablement envisagé de lui accorder le bénéfice du doute. Cependant, les omissions, les incohérences et les invraisemblances sont trop nombreuses. Par conséquent, prenant en considération l’ensemble de la preuve, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile n’est pas crédible. »

 

[28]           S’il n’y avait eu que quelques incohérences mineures, j’aurais peut-être été enclin à convenir, avec la demanderesse, que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de son état psychologique, ce qui aurait pu expliquer certaines incohérences ou omissions mineures. Toutefois, compte tenu de l’ampleur des omissions, incohérences et invraisemblances constatées par la Commission, je suis convaincu que la Commission n’a pas commis d’erreur à cet égard. Je relève en outre qu’il y avait une contradiction importante entre la déclaration faite par la demanderesse au point d’entrée et les déclarations contenues dans son FRP, déclarations qui ne pouvaient être influencées par l’atmosphère intimidante d’une audience de la Commission. Dans sa déclaration au point d’entrée, la demanderesse a affirmé que la personne qu’elle craignait était Rolandi. Pourtant, dans son FRP, elle a identifié Elton comme étant l’agent de persécution. Ainsi, compte tenu de cette contradiction et des nombreuses autres incohérences, omissions et invraisemblances relevées dans la demande d’asile de la demanderesse, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de l’impact que l’état psychologique de la demanderesse pourrait avoir sur son témoignage.

 

[29]           La demanderesse conteste aussi les incohérences que la Commission a relevées au sujet des renseignements contenus dans les déclarations qu’elle a faites au point d’entrée et dans son FRP. Elle cite la décision récente rendue par le juge Shore dans l’affaire Yener c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 372, dans laquelle la Cour a expliqué qu’on ne doit pas s’attendre à trouver beaucoup de détails dans les notes prises au point d’entrée, car celles-ci visent seulement à faciliter l’examen des questions d’admissibilité. La demanderesse fait en outre valoir qu’elle a fourni à l’audience des explications raisonnables pour justifier le manque de détails de l’exposé circonstancié donné au point d’entrée. Elle a plus particulièrement expliqué que, dans la déclaration qu’elle a faite au point d’entrée, elle s’est attardée uniquement à l’incident final qui avait précipité sa fuite de l’Albanie et elle a expliqué qu’elle se sentait mal à cause des mauvais traitements qu’elle avait subis. À l’audience, elle a ajouté qu’il n’y avait pas de véritables contradictions entre les deux récits circonstanciés, et elle a laissé entendre que le récit circonstancié contenu dans son FRP était tout simplement plus détaillé.

 

[30]           Dans sa décision, la Commission a examiné et comparé à fond les renseignements fournis par la demanderesse dans la déclaration qu’elle avait faite au point d’entrée avec ceux contenus dans son FRP. La Commission a signalé que, dans sa déclaration de deux pages et demie, la demanderesse parlait en détail de sa peur et précisait quand elle avait commencé. Elle y écrit : [traduction] « Tout a commencé il y a sept mois quand quelqu’un de la même ville que moi, c’est-à-dire Tirana […] n’arrêtait pas de me suivre en voiture […] de temps en temps, il baissait sa vitre et marmonnait […] » Elle a affirmé qu’il s’agissait de Rolandi et que cet homme l’avait suivie à bord d’une voiture grise pendant deux mois et demi environ. Elle a également raconté en détail les faits entourant le présumé viol et les menaces de Rolandi qui l’avait prévenue que, si elle allait trouver la police et qu’il se faisait prendre [traduction] « […] toute sa bande, avec les autres membres qui étaient à l’étranger, allaient se venger sur moi et sur mon frère ». Pourtant, dans son FRP, la demanderesse identifie Elton comme étant l’agent de persécution. À l’audience, la Commission a interrogé la demanderesse au sujet de l’omission du nom d’Elton dans la déclaration qu’elle avait faite au point d’entrée. La demanderesse a expliqué qu’elle parlait du principal incident et qu’elle s’était donc concentrée uniquement sur cet incident. Elle a également déclaré avoir mentionné Rolandi parce qu’elle n’arrivait pas à se souvenir d’autres noms.

 

[31]           La Commission a estimé que cette explication n’était pas raisonnable, en faisant observer que la déclaration fournissait des détails sur l’incident présumé ainsi que sur d’autres questions, à savoir depuis quand sa sœur vivait au Canada, mentionnait que la demanderesse aimerait rester au Canada en qualité de citoyenne canadienne et donnait des détails sur ses études et son emploi en Albanie. La Commission a également conclu que les omissions et les incohérences relevées au sujet de la date à laquelle ces incidents se seraient produits étaient importantes et elle a rejeté l’argument de l’avocat de la demanderesse suivant lequel le long voyage et le stress étaient des facteurs additionnels qui avaient contribué à cette omission. La Commission a rappelé que la demanderesse avait eu « deux escales tranquilles en Europe lors de son voyage vers le Canada » et a fait remarquer qu’on « n’oublie pas de mentionner le nom de l’agent de persécution présumé avec qui l’on a eu une relation de deux ans ».

 

[32]           J’estime que les conclusions tirées par la Commission au sujet de ces omissions et de ces incohérences étaient raisonnables. Il était loisible à la Commission de rejeter les raisons avancées par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle avait affirmé que [traduction] « Tout a commencé il y a sept mois » dans sa déclaration au point d’entrée alors qu’en fait, selon les déclarations qu’elle a faites dans son FRP et à l’audience, les faits sur lesquels la demanderesse se fondait pour demander l’asile remontaient à six ans. Je trouve par ailleurs significatif qu’elle ait omis dans son FRP de nommer Elton, le présumé agent de persécution qui avait été son petit ami pendant deux ans, et je juge insatisfaisante l’explication qu’elle a donnée pour justifier cette omission, en l’occurrence qu’elle n’arrivait pas à se souvenir des autres noms, compte tenu surtout de leurs longues fréquentations et des détails qu’elle a fournis au sujet des autres aspects dans la déclaration qu’elle avait faite au point d’entrée.

 

[33]           La demanderesse conteste aussi la conclusion de la Commission suivant laquelle son frère n’était pas au courant du viol. Elle estime avoir fourni une explication [traduction] « parfaitement plausible » à audience, en l’occurrence que son frère était au loin à ce moment-là et qu’elle lui avait appris plus tard qu’elle était malade, ajoutant [traduction] « il est marié, il a sa propre famille, ses propres problèmes ». J’estime, là encore, que la conclusion tirée par la Commission au sujet de cette invraisemblance n’était pas déraisonnable.

 

[34]           En ce qui concerne la question de l’importance que la Commission a accordée au fait que la demanderesse n’avait pas demandé l’asile au Kosovo, la demanderesse soutient que la Commission a ignoré l’explication qu’elle avait avancée pour justifier sa décision de ne pas demander l’asile au Kosovo, en l’occurrence que c’était l’incident du viol, lequel n’était survenu qu’après son retour du Kosovo, qui avait précipité sa fuite de l’Albanie. Elle ajoute qu’elle ne serait pas en sécurité au Kosovo parce que les gens circulent librement entre l’Albanie et le Kosovo.

 

[35]           Pour ce qui est des conclusions tirées par la Commission sur ce point, je constate que le fait que la Commission a tenu compte du défaut de la demanderesse de demander l’asile au Kosovo n’était qu’un des facteurs qui l’ont amenée à conclure que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective. La Commission a également conclu que la demanderesse n’avait pas établi que Rolandi et ses amis étaient des « instruments d’Elton », que ce dernier leur avait ordonné de la violer ou qu’il y avait un rapport entre eux. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’Elton ne s’intéressait plus à la demanderesse depuis juillet 2002, c’est-à-dire depuis leur rupture. La Commission a signalé que la demanderesse était partie au Kosovo après sa rupture avec Elton, et qu’elle avait décidé de partir parce qu’elle avait peur de ce dernier. La Commission a finalement conclu que, si la demanderesse avait vraiment eu peur, elle aurait cherché à demander l’asile au Kosovo. Parmi les autres facteurs retenus par la Commission pour conclure à l’absence de crainte subjective de persécution, mentionnons le fait que la demanderesse n’avait pas demandé l’asile en  France ou en Allemagne, où elle avait fait escale alors qu’elle se rendait au Canada et le fait qu’elle n’avait pas demandé l’asile dans l’un des pays membres de l’espace Schengen malgré le fait qu’elle avait un visa de Schengen. La Commission a conclu que le comportement de la demanderesse permettait de penser qu’elle comparait les pays avant de choisir celui où elle demanderait l’asile.

 

[36]           Je conclus également que la Commission n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a traité le défaut de la demanderesse de demander l’asile au Kosovo. Bien qu’un demandeur d’asile ne soit pas tenu de demander l’asile à la première occasion, la Commission peut tenir compte de ce facteur lorsqu’elle vérifie s’il a une crainte subjective. Ainsi que le juge en chef Lutfy l’a déclaré dans le jugement Gavryushenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 F.T.R. 161, au paragraphe 11 :

Le fait qu’une personne ne saisit pas la première occasion pour revendiquer le statut de réfugié dans un pays signataire peut être un facteur pertinent dans l’appréciation de sa crédibilité, sans constituer pour autant une renonciation à son droit de le réclamer dans un autre pays.

 

 

Considérant la décision dans son ensemble, je suis convaincu que le défaut de la demanderesse de demander l’asile au Kosovo n’est qu’un des facteurs qui ont conduit la Commission à conclure que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective de persécution en Albanie. Je suis convaincu que la Commission n’a pas commis d’erreur en tenant compte du défaut de la demanderesse de demander l’asile au Kosovo, en Allemagne, en France ou dans l’un des pays membres de l’espace Schengen, compte tenu surtout des nombreuses autres réserves qui ont amené la Commission à conclure que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[37]           La demanderesse conteste par ailleurs les conclusions d’invraisemblance tirées par la Commission au sujet du défaut de la demanderesse d’asile de signaler à la police le présumé incident du viol. La demanderesse affirme que la Commission a mal interprété son témoignage sur cette question, ce qui a contribué à la conclusion déraisonnable que la Commission a tirée au sujet de sa crédibilité.

 

[38]           Après avoir lu attentivement le dossier et la décision de la Commission, je conclus que cet argument est mal fondé. La Commission a fait observer que la demanderesse d’asile n’avait pas personnellement signalé le présumé viol à la police, mais que ce serait sa mère qui l’aurait fait quelques jours plus tard. La Commission s’est fondée sur le FRP de la demanderesse dans lequel cette dernière expliquait qu’elle n’avait pas signalé le viol à la police parce que [traduction] « ma bonne amie Sonila a été enlevée, détenue, violée et battue pendant trois jours. Celle-ci est allée trouver la police, qui n’a rien fait du tout ». Dans sa déclaration, la demanderesse a par ailleurs expliqué qu’elle n’avait pas signalé l’incident à la police parce que les policiers [traduction] « […] ne font jamais leur travail et qu’ils sont très corrompus ». La Commission a jugé invraisemblable que la demanderesse ne signale pas à la police le viol dont elle affirmait avoir été victime, mais qu’elle signale à la police la carte postale anonyme dans laquelle des menaces implicites lui étaient adressées. La Commission a également souligné qu’il n’y avait aucune preuve concrète établissant que l’un ou l’autre des incidents présumés ait jamais été porté à l’attention de la police.

 

[39]           Il était loisible à la Commission de trouver invraisemblable que la demanderesse ne signale pas le présumé viol parce qu’elle se méfiait de la police, mais qu’elle aille la trouver pour lui indiquer qu’elle avait reçu une carte postale anonyme contenant une menace implicite. Il était illogique que cette méfiance empêche la demanderesse de signaler un présumé grave incident sans l’empêcher de signaler une menace implicite. Il était donc également loisible à la Commission de tirer cette conclusion d’invraisemblance, conclusion qui n’était pas déraisonnable.

 

[40]           La demanderesse affirme par ailleurs que, bien qu’elle ait souscrit pour la forme aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la Commission ne s’est pas montrée sensible aux Directives et n’en a pas tenu dûment compte pour en arriver à sa conclusion. La demanderesse relève que, dans ses observations, l’avocat de la demanderesse a explicitement insisté sur l’importance de tenir compte des Directives et de s’interroger sur la façon dont la Commission devrait traiter le cas d’une personne ayant vécu des expériences semblables à celles de la demanderesse. La demanderesse soutient que, comme la Commission n’a pas suivi ces consignes, toute sa perception de la crédibilité de la demanderesse s’en est trouvée faussée.

 

[41]           À mon avis, cet argument est mal fondé. Il ressort à l’évidence de sa décision que la Commission a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. De surcroît, à l’audience, la Commission a insisté sur l’importance de l’allégation sur laquelle la demande d’asile de la demanderesse reposait. Elle a en effet expliqué : [traduction] « On a affaire à des allégations sérieuses, à des accusations de viol. »

 

[42]           Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ont été élaborées dans le but de sensibiliser les commissaires aux difficultés particulières auxquelles les femmes sont confrontées lorsqu’il s’agit d’établir le bien-fondé de leur demande d’asile en raison des normes sociales, culturelles et juridiques différentes qui régissent les femmes dans d’autres pays. Les Directives ne sauraient constituer une panacée visant à pallier toutes les lacunes que comporte une demande d’asile. Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a démontré que la Commission n’avait pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe pour en arriver à sa décision. La Commission a reconnu que les Directives s’appliquaient et elle les a effectivement appliquées. Les Directives ne suffisent cependant pas à résoudre les importantes incohérences que comportait la demande, et c’est donc à bon droit que la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

 

[43]           La demanderesse soutient enfin que la Commission a commis une erreur en attaquant sa crédibilité sur des « détails insignifiants », pour savoir combien elle avait payé pour obtenir son faux passeport. La demanderesse affirme qu’en raison de son état psychologique, elle a eu un trou de mémoire et ajoute qu’elle a clairement expliqué comment elle avait obtenu le faux passeport et combien elle avait payé. La demanderesse qualifie d’erronée la conclusion de la Commission suivant laquelle il existait une « énorme différence » en ce qui concerne le prix payé pour le faux passeport, en l’occurrence 1 000 € et 700 €. À son avis, la Commission a exagéré l’écart qu’elle percevait et s’est livrée à une analyse microscopique de la crédibilité de la demanderesse.

 

[44]           Dans sa décision, la Commission a signalé ce qui suit au sujet des explications fournies par la demanderesse sur la façon dont elle avait obtenu son faux passeport et combien elle l’avait payé :

La demandeure d’asile a présenté différentes versions quant à la personne qui lui a trouvé un faux passeport. Elle a témoigné qu’un ami de sa sœur, Arthur Kodra, s’était occupé du passeport. Dans son entrevue avec CIC, elle aurait déclaré que le faux passeport a été fourni par Sajmir, un ami de Kodra. Le document de CIC indique ensuite : [traduction] « Le sujet n’a eu aucun contact avec lui. » À l’audience, la demandeure d’asile a déclaré s’être occupée elle-même du passeport avec l’aide d’un ami. Comme explication, elle a déclaré qu’elle-même et sa sœur travaillaient avec Kodra pour obtenir le faux passeport. Dans les notes d’entrevue de CIC, sa sœur s’est occupée de son passeport en passant par un de ses amis. Au lieu de dire clairement ce qui s’est passé, elle a encore plus embrouillé l’histoire, comme si elle improvisait les réponses.

 

[…]

 

La demandeure d’asile a témoigné le premier jour de son audience que sa sœur Adira avait payé 2 000 € pour le faux passeport. Elle convenait que c’était une somme d’argent très importante, mais sa sœur pouvait se le permettre parce qu’elle a un emploi bien rémunéré. Dans l’annexe 1, et à l’audience, elle parle une fois de 700 € et une autre fois de 1 000 € comme étant le prix payé pour le faux passeport. Pour expliquer cette énorme différence, et il a été souligné que cette différence était très importante – en particulier dans le contexte albanais –, elle a répondu que les 700 € étaient pour le passeport sans modification de la photo. Elle a expliqué la différence entre les 1 000 € et les 2 000 € en déclarant que sa sœur avait payé et qu’elle ne savait donc pas. Un si grand nombre de réponses à la même question posée me donne à penser que les plus petits éléments de l’histoire ne reposent pas sur des faits, mais ont été fabriqués à mesure.

 

[45]           L’examen du dossier, et notamment du témoignage de la demanderesse, révèle que celle-ci a effectivement donné un témoignage contradictoire sur la façon dont elle a obtenu le faux passeport et sur la somme qu’elle a payée pour se le procurer. Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, je ne crois pas que la Commission a entrepris un examen microscopique de la preuve. Compte tenu du témoignage contradictoire de la demanderesse, il était en fait légitime que la Commission mette en doute le témoignage de la demanderesse sur cette question et que, tenant compte des nombreuses autres incohérences, omissions et invraisemblances qu’elle avait relevées, la Commission conclue que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[46]           Vu mes conclusions précitées, je suis convaincu que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse et j’estime que la Commission n’a pas omis d’examiner les éléments de preuve dont elle disposait.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’a été soumise en vue d’être certifiée.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          IMM-5045-07

 

INTITULÉ :                                                         Blerina ARIZAJ c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 11 juin 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                        Le 24 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Norris Ormston

 

POUR LA DEMANDERESSE

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Norris Ormston

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.