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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080626

Dossier : T-27-07

Référence : 2008 CF 811

Ottawa ( Ontario), le 26 juin 2008

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

PIERRE-PAUL POULIN

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               M. Poulin demande le contrôle judiciaire de la décision du commissaire du Service correctionnel du Canada (le SCC) rejetant son grief déposé relativement au refus du sous‑commissaire de lui permettre d’acquérir un scanner pour son ordinateur personnel. Le demandeur, qui a une déficience visuelle, allègue que la décision a été prise sans égard aux exigences de l’équité procédurale, qu’elle outrepassait les pouvoirs du commissaire en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, (la Loi) et qu’elle porte atteinte à ses droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

 

CONTEXTE

[2]               M. Pierre-Paul Poulin est un détenu de 60 ans à l’Établissement de Mission, un pénitencier fédéral. M. Poulin souffre d’une forte myopie et d’une amblyopie grave, particulièrement à l’œil droit. Bien qu’il ne soit pas aveugle au sens de la loi, il a une déficience visuelle grave. Depuis 2001, il est un « client » de l’Institut national canadien pour les aveugles (l’INCA).

 

[3]               En février 2006, M. Poulin a fait l’objet d’une évaluation (apparemment à la demande du SCC) effectuée par un spécialiste des technologies d’adaptation de l’INCA, M. Stephen Heaney, afin d’évaluer des mesures d’adaptation faisant appel à des gros caractères pour aider M. Poulin à accéder à son ordinateur équipé de Windows 98. M. Poulin éprouvait de la tension et de la fatigue visuelles lorsqu’il utilisait son ordinateur et il trouvait que la qualité du texte rendu par le logiciel de grossissement BigShot était trop granuleuse (il avait apparemment obtenu ce logiciel ainsi que d’autres pièces d’équipement tels qu’un écran plus grand à la suite d’une évaluation effectuée par l’INCA en 2002[1]). Dans son rapport d’évaluation, M. Heaney a présenté trois possibilités, qui peuvent se résumer comme suit :

[traduction] (1) Le progiciel MAGic Magnification permettrait à M. Poulin de se faire lire des documents informatiques et des écrans, ce qui reposerait ses yeux, puisque « l’utilisation simultanée de la vue et de l’ouïe permet de réduire la tension visuelle ». En se munissant également d’un scanner standard assorti d’un logiciel d’adaptation, p. ex. Text Cloner Pro, il pourrait aussi convertir des documents imprimés en texte informatique s’il le souhaitait, et se les faire lire. En réponse aux préoccupations relatives à la sécurité soulevées par l’agent de libération conditionnelle présent lors de l’évaluation, qui s’inquiétait de ce que le scanner puisse être utilisé pour numériser des images telles que des insignes d’identité, M. Heaney a indiqué que le pilote du scanner pourrait être configuré avec le logiciel adaptatif de lecture seulement, sans les applications typiques de numérisation. En ce qui concerne les coûts, cette solution était évaluée à entre 595 $ et 640 $ pour le logiciel MAGic, 130 $ pour le scanner et 130 $ pour le logiciel Text Cloner, pour un total d’environ 855 $ à 900 $.

 

(2) Un appareil de lecture dédié permettrait aussi à M. Poulin de se faire lire des documents imprimés. Le coût de ces appareils commence à environ 2 500 $. Il n’y avait aucune indication quant à savoir si des modèles usagés pourraient être achetés.

 

(3) L’accès à des documents imprimés serait également possible en recourant à un appareil de télévision en circuit fermé (TVCF) combiné à un agrandisseur vidéo. Neufs, le coût de ces appareils commence à environ 1700 $, mais M. Heaney a noté que des modèles usagés étaient également disponibles.

 

[4]               M. Heaney a conclu son évaluation en notant que [traduction] « [l]e choix de technologies d’adaptation dépendra de l’état de la vue de M. Poulin. Pour l’avenir prévisible, la solution ordinateur – MAGic Magnification offrira de la souplesse en procurant une solution qui demeurera valable même en cas de perte de vue à l’avenir. Un appareil TVCF pour l’agrandissement de documents est aussi préférable pour les mêmes raisons. La solution scanner–logiciel est la meilleure si l’appareil TVCF ne permet plus un accès convenable aux documents ou en cas de lecture d’un grand nombre de documents. »

 

[5]               À la suite de l’évaluation, M. Poulin a rédigé une proposition de sept pages visant l’amélioration de l’accès aux ordinateurs pour les détenus ayant des déficiences physiques et visuelles[2], qu’il a soumise au commissaire adjoint – Opérations et programmes correctionnels en mai 2006. M. Poulin mentionnait que sa proposition devait être lue conjointement avec la proposition de 2005 du Comité consultatif sur l’accès des détenus aux ordinateurs (groupe de travail au sein duquel étaient représentés le SCC, des détenus, des universitaires et des groupes de défense des droits des prisonniers). Il n’y a aucune mention au dossier de l’état de ces propositions et des suites qui ont pu leur être données, le cas échéant.

 

[6]   La question sera examinée plus en détail plus loin, mais il convient de noter à ce stade-ci que le SCC a pour politique, énoncée à la Directive 90 du commissaire (DC-90)[3], d’interdire strictement aux détenus de posséder des scanners. Malgré cette interdiction générale, la directive énonce que sont permis « le matériel, les logiciels et les périphériques requis pour permettre aux personnes atteintes d’un handicap visuel ou physique d’utiliser leur ordinateur, sous réserve de l’approbation du sous-commissaire régional ». Dans le même ordre d’idées, le commissaire adjoint – Opérations et programmes correctionnels, Irving Kulik, reconnaissait, dans une lettre datée du 28 juillet 2003, que M. Poulin avait besoin d’un ordinateur à cause de sa déficience, et il l’informait que, malgré le moratoire du SCC sur les mises à jour des ordinateurs des détenus (en vigueur depuis octobre 2002), M. Poulin pourrait demander toute mise à jour dont il pourrait avoir besoin en raison de ses problèmes de vue, et que chaque demande serait évaluée sur le fond au cas par cas.

 

[7]               Le 18 mai 2006, citant cette lettre du commissaire adjoint Kulik, M. Poulin a écrit au sous‑commissaire – Région du Pacifique, M. Demers, pour lui demander d’approuver l’achat d’un scanner à capacité de numérisation restreinte (texte seulement), propre à répondre aux préoccupations soulevées par l’agent de libération conditionnelle au moment de l’évaluation de M. Poulin par l’INCA. Dans ce document, M. Poulin évoquait le scanner comme « la seule solution », et il ne mentionnait pas l’option de l’appareil TVCF. M. Poulin indiquait aussi qu’[traduction] « afin d’atténuer les menaces envers le SCC, le personnel, les détenus et le public et/ou toute préoccupation liée à la sécurité », il consentirait au protocole de fouille recommandé par le Comité consultatif sur l’accès des détenus aux ordinateurs du SCC dans son rapport de 2005; ce protocole envisage différents « degrés » de fouilles, allant de l’inspection visuelle jusqu’à l’expertise judiciaire. Cette lettre semble aussi indiquer que M. Poulin avait déjà demandé un scanner et que cette demande avait été refusée, bien que la Cour ne dispose d’aucun renseignement à cet égard et ne sache pas quels renseignements relatifs aux risques pour la sécurité ont pu être communiqués à M. Poulin à l’époque, le cas échéant.

 

[8]               La demande du 18 mai a été refusée parce que [traduction] « [les scanners] soulèvent d’importantes préoccupations en matière de sécurité ». Dans sa brève lettre datée du 8 juin 2006, le sous-commissaire Demers proposait que M. Poulin envisage plutôt l’option de l’appareil TVCF avec agrandisseur vidéo pour lire du texte imprimé, [traduction] « puisque cette option soulève beaucoup moins de préoccupations en matière de sécurité ».

 

[9]               M. Poulin a répondu à ce refus par une lettre en date du 19 juin 2006 dans laquelle il a demandé des précisions quant aux préoccupations en matière de sécurité que mentionnait le sous‑commissaire, réitéré son consentement à un protocole de fouille comprenant une expertise judiciaire et affirmé que sa demande devrait être évaluée en tenant compte de plusieurs directives du commissaire (dont la DC-90) et de diverses dispositions de la Loi.

 

[10]           M. Poulin écrivait aussi que [traduction] « toutes [s]es demandes visant à pallier [s]a déficience [...] devraient être évaluées sur le fond en tenant compte de toutes les lois et autorités pertinentes » et expliquait pourquoi il préférait un scanner plutôt qu’un appareil TVCF, notant qu’un appareil TVCF ne conviendrait pas parce que sa cellule débordait déjà d’accessoires plus gros, et se demandait qui paierait l’appareil. Il faisait remarquer qu’[traduction] « un appareil de lecture dédié coûtait au moins 2500 $ ». Cela dit, ailleurs dans la même lettre, M. Poulin notait qu’il avait entendu parler d’un autre détenu à qui l’on avait fourni un logiciel et des aides visuelles, aux frais du SCC. Enfin, le demandeur proposait son transfèrement dans un établissement à sécurité minimale, où il aurait peut-être plus facilement accès à un scanner.

 

[11]           Dans sa réponse datée du 7 juillet 2006, le sous-commissaire a confirmé son refus initial, donnant encore une fois le même motif : [traduction] « votre possession d’un scanner soulèverait certaines préoccupations liées à la sécurité. Le Service des technologies de l’information a été consulté [...] Il a été décidé qu’il n’y a aucune façon d’atténuer les inquiétudes en matière de sécurité que suscite cet article dans un établissement ». En réponse aux préoccupations de M. Poulin concernant l’espace dans sa cellule, le sous‑commissaire mentionnait que le pénitencier avait des cellules plus grandes pour « handicapés » qu’on pourrait peut-être lui fournir. Quant au coût de l’appareil TVCF avec agrandisseur vidéo, le sous-commissaire a répondu que même si ces appareils coûtaient un minimum de 1700 $, ils pouvaient souvent être obtenus en consignation, faisant remarquer que dans l’ensemble le prix était comparable au prix d’un nouvel ordinateur, tandis qu’à la différence d’un ordinateur, l’appareil TVCF avec agrandisseur vidéo ne deviendrait pas obsolète. Au sujet d’un transfèrement possible, M. Demers a indiqué que la cote de sécurité moyenne de M. Poulin avait été confirmée en mars 2006 et que, de toute façon, il était improbable qu’un scanner soit gérable dans un établissement à sécurité minimale.

 

[12]           Enfin, le sous-commissaire a déclaré que la demande de M. Poulin avait été examinée individuellement sur le fond et a indiqué que [traduction] « [l]es droits et libertés garantis par la Charte sont assujettis à des limites raisonnables, et cette restriction est parfaitement raisonnable eu égard aux circonstances existant dans les établissements ».

 

[13]           Le 7 septembre 2006, M. Poulin a déposé un grief au troisième palier demandant l’annulation du refus du sous-commissaire Demers. M. Poulin a réitéré pour l’essentiel ses observations antérieures et précisé que son grief devrait être examiné eu égard au paragraphe 15(1) de la Charte, de diverses dispositions de la Loi ainsi que de l’énoncé de politique DC-90. Il a écrit : [traduction« les efforts du SCC pour prendre des mesures d’adaptation à mon égard, en particulier pour que je puisse utiliser leur scanner selon mes besoins, l’achat d’un appareil TVCF et/ou mon déménagement dans une cellule plus grande, ne sont pas des mesures envisageables [...] [c]es mesures ne pallieraient pas ma déficience aussi complètement que le ferait le scanner [...] [l]’appareil TVCF n’a pas la même capacité que le scanner et il ne peut donc pas vous lire le document [...] [ce] serait seulement une solution à court terme et cela causerait de la tension et de la fatigue additionnelles et accentuerait la détérioration de ma vue ». [Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Ainsi, il semblerait que le SCC ait offert à M. Poulin l’accès à un scanner appartenant à l’établissement à un certain moment antérieur au grief. Il convient également de noter que, bien que M. Poulin ait rejeté l’appareil TVCF comme solution à court terme[4], la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que sa vue a été examinée pour vérifier une détérioration éventuelle depuis l’époque de l’évaluation de l’INCA. En fait, le plus récent rapport d’optométriste au dossier date de plusieurs années. De même, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant que M. Poulin lit une grande quantité de documents imprimés (voir la note 1), ou qu’il a récemment éprouvé plus de difficulté à lire des documents imprimés (voir l’évaluation de 2002 de l’INCA). Et, comme je l’ai mentionné, l’évaluation de 2006 de l’INCA avait initialement pour but de résoudre des problèmes découlant de longues séances d’utilisation de l’ordinateur. (M. Poulin a d’ailleurs acheté le logiciel recommandé (MAgic Magnification), permettant que son ordinateur lui fasse la lecture des documents affichés à l’écran.)

 

[15]           Dans son grief, le demandeur alléguait aussi qu’on ne lui avait pas fourni suffisamment de précisions sur les préoccupations du SCC en matière de sécurité relativement au scanner, et qu’en conséquence, il était difficile pour lui ou pour le spécialiste de l’INCA de comprendre ces inquiétudes.

 

[16]           Le grief de M. Poulin a été officiellement rejeté le 4 janvier 2007. La lettre de refus du commissaire indique que la DC-90 interdit strictement les scanners et explique les préoccupations que ceux-ci soulèvent en matière de sécurité :

[traduction] Premièrement, les scanners présentent un risque appréciable parce qu’ils peuvent être employés pour manipuler et reproduire de la documentation. Pour les mêmes raisons que vous installeriez un logiciel excluant la numérisation d’images comme vous l’avez proposé, il y aurait aussi lieu d’exclure le texte. De plus, les scanners peuvent être utilisés pour numériser et chiffrer de la documentation afin de déjouer les fouilles visant à vérifier la présence de logiciels non autorisés.

 

Deuxièmement, il y a un risque important que le scanner ou le logiciel de numérisation soient utilisés par un autre que vous à des fins malveillantes. Il n’est pas possible de poster un agent dans votre cellule pour surveiller votre ordinateur afin de prévenir les utilisations malveillantes. Il y a des dangers potentiels importants même si de nombreuses précautions sont prises, et les précautions requises sont impossibles à mettre en œuvre en pratique.

 

Troisièmement, si le scanner demeurait en la possession d’un membre du personnel, différentes questions de responsabilité pourraient être soulevées si le scanner devait être endommagé.

 

 

[17]           La lettre énonce ensuite que toute exception à l’application de l’énoncé de politique DC‑90 que M. Poulin aurait le droit de réclamer au titre de sa déficience serait elle-même assujettie à des restrictions en accord avec le principe exprimé dans la Loi selon lequel « la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel ». La lettre conclut en suggérant que M. Poulin envisage [traduction] « les autres solutions qui vous ont été proposées dans une lettre antérieure », et elle mentionne que le Service de santé fournira des appareils d’aide visuelle additionnels s’il évalue que ceux-ci sont nécessaires [traduction] « à la réalisation des activités de la vie quotidienne »[5]. La lettre énonce aussi que M. Poulin a [traduction] « droit à des exceptions considérées comme présentant un risque plus faible ».

 

[18]           C’est cette décision que vise la présente demande.

 

QUESTIONS

[19]           Il est devenu clair à l’audience, après que la Cour eut demandé des précisions à ce sujet, que l’allégation d’iniquité procédurale du demandeur concernait uniquement le défaut du sous‑commissaire Demers de fournir des renseignements qui auraient permis au demandeur d’exercer ses droits. À cet égard, les deux parties ont convenu dans des observations postérieures à l’audience que l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c. Flynn, 2007 CAF 356 (paragraphes  28 et 47) était contraignante et qu’aucune information fournie par le SCC à un stade ultérieur ne remédierait à un manquement initial.

 

[20]           Le demandeur conteste aussi la décision pour d’autres motifs en soutenant que le commissaire a outrepassé sa compétence en vertu de la Loi et que le refus d’accorder l’exemption demandée viole ses droits prévus au paragraphe 15(1) de la Charte. 

 

CADRE LÉGISLATIF

[21]           Les dispositions législatives suivantes sont pertinentes en l’espèce :

 

Loi constitutionnelle de 1982

Partie I
Charte canadienne des droits et libertés

 

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

(...)

 

15.(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Constitution Act, 1982,

Part 1, Canadian Charter of Rights and Freedoms

 

 

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

(...)

 

 

 

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20

 

Corrections and Conditional Release Act, S.C. 1992, c. 20

 

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

 

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;

(...)

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;

e) le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;

(...)

g) ses décisions doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs;

h) ses directives d’orientation générale, programmes et méthodes respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones et à d’autres groupes particuliers;

i) il est attendu que les délinquants observent les règlements pénitentiaires et les conditions d’octroi des permissions de sortir, des placements à l’extérieur et des libérations conditionnelles ou d’office et qu’ils participent aux programmes favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale;

(...)

 

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

 (2) Sous réserve du paragraphe (3), cette personne ou cet organisme doit, dès que sa décision est rendue, faire connaître au délinquant qui y a droit au titre de la présente partie ou des règlements les renseignements pris en compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci.

 

 

 (3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

 

(...)

 

 

 

 

70. Le Service prend toutes mesures utiles pour que le milieu de vie et de travail des détenus et les conditions de travail des agents soient sains, sécuritaires et exempts de pratiques portant atteinte à la dignité humaine.

(...)

 

 

 

76. Le Service doit offrir une gamme de programmes visant à répondre aux besoins des délinquants et à contribuer à leur réinsertion sociale.

(...)

 

87. Les décisions concernant un délinquant, notamment en ce qui touche son placement, son transfèrement, son isolement préventif ou toute question disciplinaire, ainsi que les mesures préparatoires à sa mise en liberté et sa surveillance durant celle-ci, doivent tenir compte de son état de santé et des soins qu’il requiert.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

 

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;

(...)

 (d) that the Service use the least restrictive measures consistent with the protection of the public, staff members and offenders;

(e) that offenders retain the rights and privileges of all members of society, except those rights and privileges that are necessarily removed or restricted as a consequence of the sentence;

(...)

 (g) that correctional decisions be made in a forthright and fair manner, with access by the offender to an effective grievance procedure;

(h) that correctional policies, programs and practices respect gender, ethnic, cultural and linguistic differences and be responsive to the special needs of women and aboriginal peoples, as well as to the needs of other groups of offenders with special requirements;

(i) that offenders are expected to obey penitentiary rules and conditions governing temporary absence, work release, parole and statutory release, and to actively participate in programs designed to promote their rehabilitation and reintegration; and

(...)

 

 

27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

(2) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to be given reasons for a decision taken by the Service about the offender, the person or body that takes the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, forthwith after the decision is taken, all the information that was considered in the taking of the decision or a summary of that information.

(3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

(a) the safety of any person,

(b) the security of a penitentiary, or

(c) the conduct of any lawful investigation,

the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

(...)

 

70. The Service shall take all reasonable steps to ensure that penitentiaries, the penitentiary environment, the living and working conditions of inmates and the working conditions of staff members are safe, healthful and free of practices that undermine a person’s sense of personal dignity.

(...)

 

76. The Service shall provide a range of programs designed to address the needs of offenders and contribute to their successful reintegration into the community.

(...)

 

87. The Service shall take into consideration an offender’s state of health and health care needs

(a) in all decisions affecting the offender, including decisions relating to placement, transfer, administrative segregation and disciplinary matters; and

(b) in the preparation of the offender for release and the supervision of the offender.

 

 

 

 

ANALYSE

[22]           À titre préliminaire, il convient de noter que les deux parties à la présente instance ont produit des éléments de preuve par affidavit dont le commissaire ne disposait pas (même s’il a eu à répondre aux arguments relatifs au manquement à l’équité procédurale et au paragraphe 15(1)), en particulier des éléments de preuve concernant les problèmes de sécurité que posaient les scanners dans les établissements et la possibilité d’atténuer ces problèmes par différents moyens technologiques. M. Poulin a retenu les services d’un expert à cet égard. Il a aussi inclus un affidavit de M. Heaney, le spécialiste des technologies d’adaptation de l’INCA qui l’avait évalué en 2006. Dans une instance en contrôle judiciaire, de tels éléments de preuve sont généralement inadmissibles parce qu’un contrôle n’est pas censé être un nouveau procès : Bekker c. Canada, 2004 CAF 186, paragraphe 11. Dans des observations préalables à l’audience, le demandeur a noté qu’en incluant de nouveaux éléments de preuve, le défendeur tentait illégalement de compléter les motifs du commissaire. Les parties ont finalement convenu à l’audience qu’à l’exception de l’affidavit de M. Poulin du 20 mars 2007, aucun élément de preuve nouveau ne devrait être ajouté au dossier et que la Cour devrait s’en tenir aux éléments que le décideur avait effectivement eus à sa disposition.

 

[23]           En ce qui concerne la norme de contrôle appropriée, comme nous l’avons vu, le demandeur conteste la décision en cause en alléguant notamment un manquement à l’équité procédurale et le non-respect de la Charte. Ainsi, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse en droit administratif pour déterminer la norme de contrôle; dans Sketchley c. Canada, [2005] A.C.F. n2056, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’une violation de l’équité procédurale est susceptible de contrôle, et ce, indépendamment de l’analyse pragmatique et fonctionnelle (comme on la désignait alors), et dans Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, 2006 CSC 6, aux paragraphes 15 à 17, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont dit la même chose au sujet d’une incompatibilité alléguée entre une décision administrative et la Charte.

 

[24]           Par ailleurs, la légalité de la décision est évidemment une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

L’équité procédurale

[25]           Bien que, comme je l’ai mentionné plus haut, il ait été convenu que le caractère suffisant de la communication doit s’apprécier dans le contexte de la décision du sous‑commissaire Demers du 7 juillet 2006, M. Poulin soutient que même si le sous-commissaire lui avait fourni les précisions contenues dans la décision du commissaire statuant sur son grief, ces précisions n’auraient toujours pas été suffisantes pour remplir l’obligation d’équité procédurale en l’espèce.

 

[26]           Il est bien établi que les exigences d’équité procédurale sont variables dans le contexte carcéral et qu’elles dépendront de facteurs tels que la nature de la décision en cause et la gravité et la durée des conséquences de cette décision : Flynn, paragraphe 15; Gallant c. Canada (Sous‑commissaire, Service correctionnel du Canada), [1989] A.C.F. no 329, paragraphe 28. Ces principes d’équité rejoignent ceux, bien connus, que la Cour suprême du Canada a exposés dans Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes  21 à 28.

 

[27]           Dans Gallant, la Cour d’appel a établi une distinction fondamentale, qui est encore utile, entre les décisions disciplinaires et les décisions administratives dans le contexte pénitentiaire :

Dans le cas d’une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d’une infraction, les règles d’équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l’infraction. Il n’en est pas de même dans le cas d’une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l’établissement et fondée sur la croyance que le détenu ne devrait pas rester où il est, compte tenu des questions que soulève son comportement. Dans un tel cas, il n’y a pas de raison d’exiger que le détenu dispose d’autant de détails relatifs aux actes répréhensibles dont on le soupçonne. En effet, dans le premier cas, ce qu’il faut vérifier est la commission même de l’infraction et la personne visée devrait avoir la possibilité d’établir son innocence; dans le second cas, c’est uniquement le caractère raisonnable et sérieux des motifs sur lesquels la décision est fondée, et la participation de la personne visée doit être rendue pleinement significative pour cela, mais rien de plus.

 

 

[28]           La décision en cause en l’espèce relève clairement de la catégorie administrative, avec la particularité additionnelle qu’ici, M. Poulin a lui-même pris l’initiative de demander un scanner et l’exemption que cela supposait nécessairement, par sa lettre du 18 mai 2006. C’est seulement après que la demande eut été refusée une première fois par M. Demers (lettre du 8 juin 2006) que M. Poulin a demandé qu’on lui communique des précisions. En outre, la lettre de 2003 du commissaire adjoint Kulik qui énonce que les mises à jour de l’ordinateur de M. Poulin requises en raison de son trouble de la vue seraient approuvées ou refusées au cas par cas suppose une évaluation administrative, et non un processus contradictoire.

 

[29]           Pour ce qui est de l’importance de la décision à l’égard de M. Poulin, la Cour est prête à admettre qu’en théorie, la décision a une incidence sur l’autonomie de M. Poulin et peut avoir des conséquences plus importantes qu’aurait, par exemple, la suspension des visites conjugales dont il était question dans l’arrêt Flynn.

 

[30]           Cela dit, l’ensemble des circonstances entourant la demande de M. Poulin (notamment l’existence de solutions présentant un risque plus faible) tendrait à appeler des exigences relativement minimales en matière de communication (communication suffisante pour assurer une participation significative au processus, mais rien de plus) si ce n’était de l’applicabilité possible de l’article 27 de la Loi, qui impose au SCC une « lourde obligation de communication », comme l’a décrite la Cour suprême du Canada dans May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, au paragraphe 95, bien que dans un contexte factuel très différent. Sous réserve de certaines restrictions énumérées au paragraphe 27(3) de la Loi, le paragraphe 27(1) établit expressément le droit des détenus à la communication des renseignements, dans leur intégralité ou sous forme de sommaire, dans les cas où la Loi ou les règlements leur confèrent le droit de présenter des observations au sujet d’une décision qui les touche. Bien que la Cour estime qu’il est loin d’être clair que l’article 27 s’appliquait effectivement lorsque M. Poulin a présenté sa demande au sous-commissaire Demers, les deux parties ont présenté des observations en supposant que cette disposition était applicable.

 

[31]           Pour ce qui est des renseignements dont M. Poulin disposait, l’évaluation de l’INCA de février 2006 indique qu’il avait été mis au courant, au moins depuis son évaluation, des préoccupations du SCC en matière de sécurité quant aux capacités de numérisation d’images. Le défendeur soutient que malgré l’absence d’éléments de preuve indiquant que M. Poulin était au courant à ce moment ou plus tard d’autres préoccupations en matière de sécurité dont fait état la décision du commissaire (à savoir la capacité de manipuler et de reproduire de la documentation (texte) au moyen d’un scanner, la capacité de numériser et de chiffrer des renseignements pour déjouer des fouilles visant à vérifier la présence de logiciels non autorisés ou des préoccupations en matière de responsabilité si l’équipement était placé sous la garde du personnel du SCC), M. Poulin a été capable de proposer des mesures concrètes pour atténuer [traduction] « les menaces envers le SCC, le personnel, les détenus et le public et/ou toute préoccupation liée à la sécurité » dans sa lettre de demande du 18 mai. Un protocole de fouille concret a été proposé (inspection visuelle, inspection interne du système, inspection du contenu des fichiers et expertise judiciaire) dans sa lettre du 19 juin 2006. Ainsi, selon le défendeur, le demandeur a démontré qu’il comprenait les implications pratiques des risques qui existaient au sein de l’établissement. Il a formulé des observations appropriées et a clairement été capable d’exercer son « droit d’opposition », comme l’exigeait l’arrêt Flynn.

 

[32]           En ce qui concerne les connaissances que M. Poulin avait réellement ou qui lui sont imputées au sujet des préoccupations liées aux scanners, rien ne prouve que le demandeur était membre du Comité consultatif sur l’accès des détenus aux ordinateurs. Son nom n’apparaît pas sur la liste des membres figurant à l’annexe B du rapport de 2005 du comité, qui a été incluse au dossier. Rien ne prouve non plus que des détails des préoccupations en matière de sécurité examinés par ce comité (la Division de la technologie du SCC semble avoir été représentée) ont été communiqués au demandeur. La Cour relève en outre que les risques particuliers liés aux scanners comme tels semblent être distincts des risques liés aux ordinateurs et aux logiciels en général. Or, seuls ces derniers sujets étaient abordés dans le rapport.

 

[33]           Il n’est pas évident aux yeux de la Cour que M. Poulin possède nécessairement les connaissances requises pour comprendre que des scanners peuvent être utilisés, par exemple, pour numériser et chiffrer de la documentation afin de déjouer les fouilles visant à vérifier la présence de logiciels non autorisés. En outre, l’objection précise formulée par l’agent de libération conditionnelle lors de l’évaluation de l’INCA en février 2006, selon laquelle le SCC se préoccupait des capacités de numérisation d’images, a pu raisonnablement amener M. Poulin à croire que de telles préoccupations ne s’étendaient pas à la numérisation de texte. La Cour ferait donc assurément de la spéculation si elle concluait que M. Poulin était au courant des problèmes résumés dans la décision du commissaire. La Cour ne peut tirer une telle inférence aux fins de son analyse du prétendu manquement à l’équité procédurale. L’argument du défendeur selon lequel le demandeur savait effectivement ou aurait dû savoir ce que le sous-commissaire Demers entendait par « préoccupations en matière de sécurité » n’est pas fondé. Le défendeur avait le fardeau de fournir les éléments de preuve nécessaires à cet égard, et M. Poulin n’a aucunement été contre-interrogé à ce sujet.

 

[34]           Il n’y a aucune information directe au dossier quant aux préoccupations particulières en matière de sécurité que le sous-commissaire Demers lui-même avait à l’esprit, mais puisqu’il mentionne expressément une consultation du Service des technologies de l’information du SCC, soit la même source d’information consultée par le commissaire, la Cour estime qu’il est raisonnable d’inférer que le sous-commissaire avait à l’esprit les mêmes préoccupations que celles qui ont été résumées plus tard dans la décision du commissaire (sauf peut-être pour ce qui est de la question de la responsabilité, qui a été soulevée à la suite de commentaires de M. Poulin dans son grief).

 

[35]           Le défendeur soutient également que les renseignements relatifs aux vulnérabilités particulières liées aux scanners relèvent des exceptions énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi, qui permet le refus de la communication de renseignements lorsque le commissaire a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier.

 

[36]           Le commissaire n’a aucunement invoqué cette disposition relativement aux précisions qu’il a incluses dans sa décision. En conséquence, la Cour estime que le paragraphe 27(3) ne s’appliquait pas, à tout le moins à l’égard de ce sommaire des questions de sécurité soulevées.

 

[37]           Ainsi, rien n’explique pourquoi le sous-commissaire Demers n’aurait pas pu communiquer ce sommaire ou un sommaire similaire à M. Poulin. Comme je l’ai mentionné plus haut, la communication ultérieure du sommaire par le commissaire ne remédie pas au manquement (voir Flynn, précité); la Cour doit donc conclure que le sous-commissaire a effectivement manqué à son obligation de communiquer les renseignements sur lesquels il s’était appuyé ou un sommaire de ces renseignements comme l’exigeait le paragraphe 27(1) de la Loi.

 

[38]           Étant donné la position du demandeur selon laquelle un sommaire semblable à celui qui a été fourni dans la décision du commissaire n’aurait pas été suffisant pour remplir l’obligation d’équité procédurale du défendeur en l’espèce, la Cour tient à signaler qu’elle convient avec le défendeur qu’eu égard à la nature de la décision sollicitée par le demandeur et aux autres circonstances pertinentes, un sommaire des préoccupations en matière de sécurité aurait été suffisant pour remplir l’obligation particulière imposée en l’espèce, que le paragraphe 27(1) de la Loi s’applique ou non. Cela est particulièrement vrai dans un contexte où la décision du sous-commissaire portait davantage sur l’existence d’autres solutions adéquates présentant moins de risques ou n’en présentant aucun que sur la possibilité d’atténuer les risques liés aux scanners. La Cour convient également que la communication de plus de détails techniques (s’ils n’avaient pas déjà été communiqués à la population carcérale) relèverait vraisemblablement de l’exception prévue au paragraphe 27(3). Dans le présent contexte, il n’y a rien à rajouter, si ce n’est que la divulgation de ces détails par le défendeur dans un affidavit produit dans la présente instance n’est pas concluante en soi à cet égard, contrairement à ce qu’a soutenu le demandeur. En effet, le contexte a changé, et l’importance de présenter des éléments de preuve solides à la Cour a bien pu l’emporter sur les autres préoccupations légitimes du défendeur. Enfin, il convient de noter qu’en général, les tribunaux feront preuve d’une certaine retenue à l’égard des décisions du SCC quant à savoir quels renseignements, non encore rendus publics, sont susceptibles de mettre en danger la sécurité de l’établissement.

 

[39]           En conclusion, la Cour est convaincue qu’au regard des paramètres énoncés dans l’arrêt Flynn, précité, le sous-commissaire Demers a manqué à son obligation d’équité procédurale. En règle générale, et sous réserve d’une seule exception bien précise qui ne s’applique pas en l’espèce[6], la Cour interviendra lorsqu’un tel manquement a eu lieu, en annulant la décision. Cependant, le demandeur n’a pas simplement demandé à la Cour de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue : en effet, il a demandé à la Cour d’examiner les autres questions qu’il soulève, en particulier sa contestation fondée sur la Charte, afin de donner des instructions précises à cet égard ou de rendre la décision qui aurait dû être rendue. Compte tenu des circonstances particulières de la présente espèce, la Cour a décidé d’examiner les autres questions que le demandeur a soulevées.

 

Compétence

[40]           Je traiterai maintenant brièvement de la question de la compétence. M. Poulin prétend que la décision portant sur son grief au troisième palier outrepasse la compétence du commissaire en vertu de la Loi parce qu’elle viole des principes énoncés à la Loi en lui refusant l’accès à des programmes et à des occasions de croissance personnelle qui contribueraient à sa réadaptation et à sa réinsertion sociale (articles  3 et 76); en n’utilisant pas les moyens les moins restrictifs possible (alinéa 4d)); en supprimant inutilement ses droits et privilèges (alinéa 4e)); en portant atteinte à sa dignité humaine (article 70); et en omettant de prendre des mesures d’adaptation eu égard à sa déficience et de respecter sa déficience (alinéa 4h) et article 87). Le demandeur soulève cette question de la compétence distinctement de sa contestation fondée sur la Charte, bien que des principes similaires soient évidemment en cause.

 

[41]           La Cour estime que ce motif doit être rejeté. Comme le souligne le défendeur, la décision du commissaire du 4 janvier 2007 a été prise en vertu de l’énoncé de politique DC-90. Le demandeur n’a pas allégué que l’énoncé de politique DC-90 contrevenait en soi à la Loi, et à première vue, la directive relève clairement du pouvoir du commissaire d’établir des règles prévu à l’article 97 et à l’article 98 de la Loi. En outre, la Cour souscrit aux observations du juge Martineau dans Poulin c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1293, au paragraphe 26, selon lesquelles « l’instauration d’une politique cohérente et prévisible concernant la sécurité du personnel et même de la population est primordiale en milieu carcéral » et « [l]a Directive 090 portant sur la possession d’ordinateurs de certains périphériques dans les cellules est donc très importante ».

 

[42]           La conformité sous-jacente de l’énoncé de politique DC-90 à la Loi est instructive dans la mesure où la décision contestée en applique les règles. L’annexe A de la DC‑90 mentionne expressément les scanners parmi les articles interdits seulement après avoir précisé que « [l]es exigences énoncées ci-après reposent sur la capacité du SCC d’évaluer raisonnablement divers risques que pose la présence, dans les établissements correctionnels, d’ordinateurs et de jeux électroniques appartenant aux détenus, et sur son pouvoir de réglementer ces risques ». Selon la Cour, ce libellé est compatible avec un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire inhérent dans le contexte de l’application des principes généraux énoncés à l’article 4 de la Loi, et en particulier à l’alinéa 4e) qui enjoint au SCC d’employer les moyens les moins restrictifs possible compatibles avec la protection du public, des agents et des délinquants.

 

[43]           Pour ce qui est des autres dispositions de la Loi que le demandeur invoque au soutien de son argument relatif à la compétence, il est très clair qu’aucun d’entre eux n’est impératif au point de priver le SCC de sa compétence pour statuer sur le grief de M. Poulin comme il l’a fait. Qu’il suffise de signaler que les alinéas 4h) et 87a) obligent le SCC à tenir compte de la déficience de M. Poulin dans toute décision le touchant, mais ne commandent aucun résultat particulier dans les affaires semblables à celle-ci qui mettent en cause des objectifs de politique divergents et des considérations multiples.

 

[44]           En conséquence, la Cour conclut que la décision contestée du 4 janvier 2007 relevait de la compétence que la Loi confère au commissaire. En outre, si le caractère raisonnable de la décision avait été contesté sur le fondement de motifs tirés du droit administratif, la Cour aurait conclu que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

Conformité à la Charte

[45]           Concernant la question de la conformité de la décision du commissaire du 4 janvier 2007 au paragraphe 15(1) de la Charte, à savoir si la garantie du « même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination [...] fondé[e] sur [...] les déficiences [...] physiques » a été respectée, les deux parties conviennent qu’il y a lieu d’appliquer en l’espèce le critère à trois volets énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Law. Selon ce critère, il faut déterminer : premièrement, si la mesure dénoncée a pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement fondée sur une caractéristique personnelle; deuxièmement, si la différence de traitement est fondée sur un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou sur un motif analogue; troisièmement, si la différence de traitement est contraire à l’objet du paragraphe 15(1), à savoir la protection de la dignité humaine essentielle ( Law, précité, paragraphe 88; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, paragraphe 17; Veffer c. Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2007 CAF 247, paragraphe 39).

 

[46]           Il convient également de mentionner que dans Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657, au paragraphe 25, la juge en chef Beverley McLachlin a mis en garde contre une démarche « trop technique » à l’égard des demandes fondées sur le paragraphe 15(1). Les tribunaux doivent se pencher sur « la situation réelle ». Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Law, le juge Frank Iacobucci a pris soin de préciser, au paragraphe 87, qu’il ne voulait pas donner à entendre « que le tribunal qui procéderait à son analyse en utilisant une structure différente commettrait une erreur de droit simplement en agissant ainsi, dans la mesure où il étudierait de façon appropriée et exhaustive l’objet du par. 15(1) et les facteurs contextuels pertinents ». Comme la Cour l’a fait remarquer dans Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brandt, [1997] 1 R.C.S. 241, au paragraphe 67, l’objet principal du paragraphe 15(1) en ce qui a trait à la déficience est la reconnaissance des véritables caractéristiques des personnes handicapées et l’accommodement raisonnable en conséquence.

 

[47]           Il convient de préciser qu’il n’y aucune remise en question de la constitutionnalité de la DC‑90, qui prévoit à la fois une interdiction générale visant les scanners et une exception concernant le matériel, les logiciels et les périphériques requis pour permettre aux personnes atteintes d’un handicap visuel ou physique d’utiliser leur ordinateur. C’est plutôt le refus exprès de la demande formulée par le demandeur en vue de l’acquisition d’un scanner qui pourrait contrevenir à la Charte. À cet égard, la présente espèce s’apparente à l’affaire Multani, où la majorité de la Cour suprême a jugé que l’application d’une règle à portée normative peut violer la Charte lorsque le décideur agit en vertu d’une loi habilitante, même si la règle à portée normative elle-même est conforme aux exigences du droit administratif et du droit constitutionnel. En pareils cas, une atteinte à un droit protégé sera jugée valide au plan constitutionnel seulement si elle satisfait aux exigences de l’article premier de la Charte, c’est-à-dire si a) l’objectif poursuivi est suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit garanti par la Charte et b) les moyens employés présentent un lien rationnel avec l’objectif visé, ils portent une atteinte minimale au droit garanti, et leurs effets négatifs sont proportionnels à l’importance de l’objectif visé (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103).

 

[48]           Il convient également de préciser que l’analyse requise en l’espèce ne fait pas double emploi avec celle élaborée plus haut au sujet de la question de la compétence, malgré certaines similarités dans les principes en cause, comme l’idée voulant que les directives d’orientation générale, les programmes et les méthodes du SCC doivent notamment tenir compte des besoins des délinquants ayant des besoins particuliers (alinéa 4h) de la Loi). Comme il est noté dans l’arrêt Multani, au paragraphe 16, « [i]l n’y a rien d’étonnant à ce que les valeurs qui sous-tendent les droits et libertés garantis par la Charte canadienne fassent partie — parfois même intégrante — des règles de droit qui nous gouvernent ».

 

Différence de traitement

[49]           La première étape de l’analyse relative au paragraphe 15(1) établie dans Law, au paragraphe 88, consiste à déterminer si la loi contestée a) établit une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles ou b) omet de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui‑ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles. Ici, la « loi » contestée est une décision personnalisée, et c’est uniquement dans la mesure où la décision du 4 janvier 2007 omet de tenir compte adéquatement de la déficience visuelle de M. Poulin qu’elle pourrait entraîner une différence de traitement.

 

[50]           La Cour reconnaît que l’interdiction de scanners aux termes de la DC-90 entraîne une différence de traitement importante dans la mesure où l’utilité d’un scanner pour M. Poulin diffère de son utilité pour les membres du « groupe de comparaison approprié », soit les détenus qui n’ont pas de déficience visuelle. Cette utilité particulière ressort clairement de l’évaluation de février 2006 de l’INCA, qui explique qu’un scanner combiné au logiciel Text Cloner Pro permet la conversion de documents écrits en documents audio. La première étape de l’analyse selon Law est donc franchie parce que les membres du groupe de comparaison ne seraient pas normalement obligés de recourir à un scanner et au logiciel approprié pour avoir accès à des documents imprimés.

 

Distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue

[51]           La deuxième étape de l’analyse selon Law consiste à déterminer si la différence de traitement est fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues. En l’espèce, la réponse à cette question ne laisse place à aucun doute. La déficience visuelle est une déficience physique, laquelle est un motif énuméré.

 

Discrimination

[52]           À la troisième et dernière étape, la Cour doit déterminer si la différence de traitement en cause a un effet qui est discriminatoire au sens de la garantie d’égalité. C’est ici que l’analyse devient plus complexe, puisque la jurisprudence a établi qu’une différence de traitement violera le paragraphe 15(1) uniquement si elle porte atteinte à la dignité humaine du demandeur, ce qui n’est pas toujours un concept facile à définir. Une façon d’aborder cette question consiste à se demander si la décision est compatible avec une société dans laquelle tous sont également reconnus en tant qu’êtres humains : Law, paragraphe 99. Il faut procéder à une analyse contextuelle qui intègre à la fois des éléments subjectifs et des éléments objectifs, c’est-à-dire non seulement le point de vue du demandeur, mais aussi celui de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents au regard de la demande (Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, paragraphe 58).

 

[53]           Comme la jurisprudence relative au paragraphe 15(1) l’établit clairement, la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou d’une vulnérabilité est un facteur important au regard du contexte. M. Poulin n’a pas présenté d’éléments de preuve sur ce point, mais il n’était pas tenu de le faire : Law, paragraphe 77. La Cour n’a aucune hésitation à prendre connaissance d’office de la vulnérabilité et des désavantages qui ont été le lot des personnes ayant une déficience visuelle dans le passé. Comme l’a affirmé le juge Gérard Laforest dans Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au paragraphe 56, « [i]l est malheureusement vrai que l’histoire des personnes handicapées au Canada a été largement marquée par l’exclusion et la marginalisation. Trop souvent, elles ont été exclues de la population active, elles se sont vues refuser l’accès aux possibilités d’interaction et d’épanouissement sociales et elles ont été exposées à des stéréotypes injustes en plus d’être reléguées dans des établissements [...] Ce désavantage historique a, dans une large mesure, été créé et perpétué par l’idée que la déficience est une anomalie ou un défaut. En conséquence, les personnes handicapées n’ont généralement pas obtenu [traduction] “l’égalité de respect, de déférence et de considération” que commande le par. 15(1) de la Charte ».

 

[54]             Cependant, ce facteur à lui seul ne permet pas nécessairement de conclure à une atteinte à la dignité humaine; en effet, comme le souligne la Cour suprême dans Law, précité, au paragraphe 67, il n’y a aucun principe ni aucune présomption de preuve qu’une différence de traitement à l’égard des personnes historiquement défavorisées soit discriminatoire. En l’espèce, il y a d’autres facteurs contextuels importants qui doivent être pris en compte, en particulier la correspondance – ou l’absence de correspondance – entre le motif sur lequel la demande est fondée et le besoin, la capacité et la situation réels de M. Poulin.

 

[55]           Sur ce point, bien qu’il ait clairement une déficience visuelle, il n’est pas contesté que M. Poulin n’est pas aveugle au sens de la loi (cette expression elle-même ne signifiant pas une perte totale de la vue). D’après les éléments de preuve dont dispose la Cour, le besoin pour M. Poulin de recourir à des technologies d’adaptation pour avoir accès à des documents imprimés n’a pas véritablement été évalué comme tel ni confirmé par un tiers indépendant. L’évaluation de l’INCA de février 2006 était liée à une tension visuelle résultant de l’emploi de l’ordinateur, et il semblerait que l’accessibilité à des documents imprimés ait seulement été évoquée incidemment, comme un avantage additionnel du logiciel MAGic Magnification. M. Heaney, le spécialiste des technologies d’adaptation qui a effectué l’évaluation, n’est ni un optométriste ni un opticien. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, le plus récent rapport d’optométriste présent au dossier de la Cour date de plus de dix ans. Cela est problématique au plan de la preuve, puisque M. Poulin invoque entre autres fondements factuels pour sa demande que sa vue se détériore. De plus, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que M. Poulin aurait demandé une évaluation des Services de santé du SCC pour déterminer s’il aurait besoin de dispositifs d’aide visuelle additionnels pour exécuter les tâches de la vie quotidienne – ce qui comprendrait sans aucun doute la capacité d’avoir accès à des documents imprimés – et si de tels dispositifs pouvaient lui être fournis aux frais du SCC. Tant qu’une telle évaluation n’aura pas été effectuée, la prétention de M. Poulin selon laquelle le coût d’un appareil TVCF ou de toute autre mesure de rechange jusqu’ici proposée (par ex. un appareil de lecture dédié) est prohibitif, est dénuée de pertinence.

 

[56]           Il y a d’autres éléments contextuels qui affaiblissent encore davantage la cause du demandeur. Premièrement, même si la Cour présume que le besoin d’assistance technologique de M. Poulin pour accéder à des documents imprimés est réel, différentes mesures de rechange à l’acquisition d’un scanner qui permettraient à M. Poulin un tel accès lui ont été proposées, notamment la solution de l’appareil TVCF, l’utilisation d’un scanner de l’établissement et, élément mentionné dans le rapport d’évaluation de l’INCA lui-même, l’acquisition d’un appareil de lecture dédié[7]. Tout cela fait partie de la « situation réelle » qui est présentée à la Cour, et la Cour est d’avis qu’elle doit le noter à ce stade-ci afin de tenir adéquatement et pleinement compte de l’objet du paragraphe 15(1) et des facteurs contextuels pertinents, même si ces mêmes facteurs seront aussi pertinents au regard du caractère raisonnable de la décision et de sa justification dans le contexte de l’article premier de la Charte, le cas échéant.

 

[57]           Deuxièmement, dans Law, au paragraphe 70, on affirme que « la disposition législative qui prend en compte les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur [...] d’une façon qui respecte leur valeur en tant qu’êtres humains et que membres de la société canadienne, sera moins susceptible d’avoir un effet négatif sur la dignité humaine ». En appliquant cette observation mutatis mutandis au cas de M. Poulin, le fait que la décision du 4 janvier 2007 mentionne expressément que [traduction] « [v]otre trouble de la vue est reconnu et l’établissement ainsi que le SCC sont tenus de vous aider en recourant aux mesures les moins contraignantes possible, » et que [traduction] « vous avez droit à certaines exceptions selon la DC-90 » tendent à démentir l’existence d’une discrimination réelle.

 

[58]           À ce stade-ci, il convient de rappeler que M. Poulin a le fardeau de démontrer qu’il y a violation du paragraphe 15(1). À cet égard, il a affirmé dans son grief que les mesures de rechange « ne pallieraient pas ma déficience aussi complètement que le ferait un scanner » et qu’elles « ne sont pas des mesures envisageables », mais les éléments de preuve au soutien de cette prétention sont très ténus. Comme le prétend M. Poulin, le fait qu’un scanner utilisé avec le logiciel approprié peut convertir du texte en un document audio, alors qu’un appareil TVCF ne fait que grossir du texte, peut revêtir une certaine importance. Quoi qu’il en soit, M. Poulin n’a pas expliqué comment la différence de traitement résultant de l’interdiction de posséder un scanner pouvait être qualifiée de discriminatoire au plan de l’égalité réelle, alors qu’il s’est vu offrir l’accès à un scanner appartenant à l’établissement[8].

 

[59]           Il ne s’agit pas d’un détail factuel mineur, mais d’une question de fait dont dépend l’existence même de la discrimination. Le fait que M. Poulin ait accès à un scanner distingue sa situation de celle des demandeurs dans Eldridge, où il a été jugé que le défaut de la BC Medical Services Commission d’offrir des services d’interprétariat en langue des signes aux personnes sourdes violait le paragraphe 15(1). Dans cette affaire, la Cour suprême a qualifié l’interprétariat d’« indispensable » à une communication efficace dans le contexte de la prestation de soins de santé (paragraphe 72). De même, dans Assoc. des sourds du Canada c. Canada, 2006 FC 971, le juge Richard Mosley décrit les services d’interprétariat comme étant « requis » pour des communications efficaces aux fins de la prestation de services du gouvernement (paragraphe 118). Par contraste, en l’espèce, les éléments de preuve ne démontrent tout simplement pas que la possession personnelle d’un scanner est indispensable ou requise pour que M. Poulin ait accès à des documents imprimés.

 

[60]           Pour ce motif, la Cour n’a d’autre choix que de conclure que, malgré l’argument de M. Poulin, une personne raisonnable dans sa situation ne considérerait pas que la décision contestée est discriminatoire, eu égard à l’objet du paragraphe 15(1) de la Charte. À la lumière du contexte général, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que la décision imposerait un fardeau réel, encore moins un fardeau qui porterait atteinte à la dignité humaine de M. Poulin, en ne reconnaissant pas ses besoins particuliers ou autrement.

 

[61]           Si la Cour avait conclu autrement, le défendeur aurait alors eu le fardeau de démontrer que la violation du paragraphe 15(1) était justifiable en vertu de l’article premier de la Charte. Il ressort clairement de la Loi elle-même que le maintien de la sécurité dans le contexte pénitentiaire puisse constituer un objectif suffisamment important pour justifier de passer outre à un droit garanti par la Charte, l’alinéa 4a) prévoyant que « la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel ». En l’espèce, l’argument du défendeur selon lequel il existe un lien rationnel entre l’interdiction de posséder un scanner et des préoccupations en matière de sécurité dans le contexte institutionnel aurait été accueilli sur le fondement de l’énoncé de politique DC-90 lui-même et plus particulièrement des motifs exposés dans la décision contestée. En outre, la Cour aurait jugé que l’interdiction stricte de posséder un scanner portait une atteinte minimale dans un contexte où l’accès à un scanner appartenant à l’établissement est offert et où il est possible de posséder d’autres objets technologiques aux fonctions similaires. Dans les circonstances de l’espèce et compte tenu du dossier dont dispose la Cour, ces mesures constitueraient des mesures d’adaptation raisonnables.

 

CONCLUSION

[62]           Compte tenu du manquement à l’équité procédurale, la décision doit être annulée. Cela dit, étant donné les conclusions de la Cour au sujet de la conformité à la Charte, il ne servirait pas à grand-chose de renvoyer l’affaire au commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision, particulièrement si l’on considère que la situation de M. Poulin pourrait avoir changé et que rien ne l’empêche de présenter une nouvelle demande au sous-commissaire s’il l’estime nécessaire sur le fondement d’évaluations plus récentes de ses besoins. En outre, la Cour doit tenir compte de la nécessité d’économiser les ressources judiciaires.

 

[63]           Le demandeur aura droit à ses dépens. La Cour a examiné les arguments des parties selon lesquels aucuns dépens ne devraient être adjugés relativement aux éléments de preuve nouveaux, en particulier les affidavits de M. Reinhardt et tout affidavit que le demandeur a déposé en réponse aux premiers. Étant donné que c’est en fait le défendeur qui a produit en premier des éléments de preuve nouveaux concernant les questions en matière de sécurité, la Cour a conclu qu’aucune instruction particulière ne serait donnée à cet égard.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La décision du commissaire en date du 4 janvier 2007 est annulée.

 

  1.  Le tout avec dépens en faveur du demandeur.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-27-07

 

INTITULÉ :                                       PIERRE-PAUL POULIN et LE PROCUREUR

                                                            GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 janvier 2008 (1 jour)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Madame la juge Johanne Gauthier

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 juin 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robin Gage

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Michelle Shea

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robin Gage

Underhill Faulkner Boies-Parker

Vancouver (C.-B.)

 

 

Michelle Shea

Ministère de la Justice

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] Selon ce document, à l’époque, M. Poulin lisait rarement des documents imprimés mais passait [traduction] « jusqu’à six heures par jour devant son ordinateur ».

[2] Il y a peu d’éléments de preuve quant au nombre de détenus ayant une déficience visuelle. Cependant, ce document et la mention d’un autre détenu ayant une déficience visuelle qui a obtenu de l’équipement aux frais du SCC indiquent que la situation du demandeur n’est pas unique.

[3] Le défendeur affirme que la possession d’ordinateurs personnels par les détenus est réglementée par la DC-90 depuis 1987 et que les scanners ont toujours été interdits, bien que la directive ait été modifiée de nombreuses fois depuis, comme l’a noté la Cour dans Poulin c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1293, au paragraphe 2. En 2007, la DC-90 a été remplacée par la DC-566-12.

[4] En soi, cela contredit quelque peu l’évaluation de l’INCA; voir le paragraphe 4 plus haut.

[5] Selon toute vraisemblance, c’est à ce titre que le SCC avait payé des logiciels et autres aides visuelles mentionnés dans la lettre de M. Poulin du 19 juin 2006.

[6] Soit lorsqu’il est parfaitement clair que la demande sous-jacente est de toute façon « sans espoir » : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada─Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, paragraphes  52 à 54. En l’espèce, une nouvelle décision serait fort probablement identique, mais la Cour ne peut pas dire qu’il s’agit d’une certitude absolue.

[7] Il ressort clairement de l’évaluation de l’INCA de février 2006 qu’un appareil de lecture dédié n’est pas la même chose qu’un appareil TVCF agrandisseur.

[8] Il est intéressant de noter qu’en vertu de la politique actuelle, seuls les détenus qui possédaient déjà des ordinateurs avant un moratoire imposé en 2002 sur la possession d’ordinateurs ont le droit de posséder des ordinateurs parmi leurs effets personnels. Bien que le contexte soit différent (mais tout de même pertinent au regard de l’accès des détenus à des programmes et à des compétences), il appert de la Proposition de décembre 2005 que les détenus qui ne possèdent pas des ordinateurs approuvés (y compris ceux qui n’ont pas les moyens d’en acheter) doivent utiliser des ordinateurs appartenant à l’établissement dans des aires communes.

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