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Date : 20080801

Dossier : IMM-547-08

Référence : 2008 CF 914

Ottawa (Ontario), le 1er août 2008

En présence de monsieur le juge suppléant Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

ABDUL-HAKIM ABD AZIZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni qualité de « personne à protéger ».

 

I. Faits

[2]               La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible quant à son identité en tant que membre de la tribu des Bajunis de Chula, une petite île de la Somalie. Le demandeur a allégué qu’il avait fui la Somalie pour se rendre au Kenya avec un oncle après que son père ait été tué en octobre 2003 et que sa mère soit décédée peu après. En août 2005, le demandeur a quitté le Kenya et s’est rendu au Canada à l’aide d’un faux passeport canadien obtenu par un oncle.

 

[3]               Le demandeur n’a fourni aucune preuve documentaire de la Somalie, et le commissaire de la SPR a accordé peu de poids aux documents qu’il avait obtenus au Canada, pour des motifs qui seront analysés plus en détail. Le commissaire a ensuite souligné des divergences entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire, et il a jugé, à la lumière de l’ensemble de la preuve, ne pas être convaincu que le demandeur était un citoyen de la Somalie ou qu’il avait habité à Chula pendant sa jeunesse. Le commissaire n’a pas été en mesure de conclure que le demandeur était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, puisqu’il n’avait pas établi son identité.

 

II. Questions en litige

[4]               Trois questions sont soulevées dans la présente demande :

a.       La SPR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

b.      La SPR a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve?

c.       La SPR a-t-elle mal interprété la preuve?

 

[5]               La décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, sous réserve de ce qui est prévu au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.C. 2002, ch. 8. On ne peut remédier à un manquement à l’équité procédurale et une décision qu’on juge issue d’une procédure inéquitable doit être annulée. Toute décision prise par un tribunal sans tenir compte des documents dont il dispose doit être jugée déraisonnable et devrait être annulée.

 

III. Analyse

La SPR a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

[6]               Le commissaire de la SPR a accordé peu de poids à la preuve documentaire du demandeur, y compris un affidavit d’un ami d’enfance de la Somalie qui vit maintenant à Calgary et une lettre d’une agence somalienne de Toronto, présentée en vue de corroborer son identité. Le commissaire a jugé que l’affidavit de Abdul Nassor n’avait pas été assermenté correctement, puisque la signature du commissaire aux affidavits était illisible et qu’aucune estampille ou autre marque d’identification du commissaire n’y figurait. Le commissaire de la SPR a accordé peu de poids à la lettre de l’agence somalienne parce qu’elle ne contenait aucun renseignement précis sur les qualifications qui avaient permis à l’auteur de déterminer l’origine ethnique de M. Aziz, sur la façon dont la décision avait été prise ou sur la langue utilisée à l’entrevue.

 

[7]               Le demandeur allègue que le commissaire de la SPR a manqué à son obligation d’agir équitablement en mettant en doute la crédibilité de l’affidavit de M. Nassor et en concluant dans ses motifs que l’affidavit n’avait pas été assermenté correctement, alors qu’il ne l’a pas informé que la validité de l’assermentation était en cause. Le demandeur souligne que dans la décision Vinski et al. c. Lack et al. (1987), 61 O.R. (2d) 379, sur laquelle le commissaire s’est fondé pour conclure que l’affidavit n’était pas valide en raison de l’absence d’une estampille et d’une signature en caractères d’imprimerie, le protonotaire Sandler a donné l’occasion à l’avocat de déposer un affidavit comportant une signature lisible. En l’espèce, le commissaire de la SPR n’a jamais informé le demandeur de l’irrégularité et ne lui a pas donné l’occasion de la corriger.

 

[8]               De même, le demandeur allègue que le commissaire ne l’a pas avisé des réserves qu’il avait relativement à la lettre de Midaynta, l’agence somalienne de Toronto. Si le commissaire avait fait part de ses réserves au demandeur, l’agent de protection des réfugiés, le commissaire ou le conseil du demandeur aurait pu poser des questions au demandeur au sujet de ces réserves et il aurait pu y répondre sous serment.

 

[9]               Le défendeur répond que, compte tenu du témoignage non crédible du demandeur quant à Chula et à la distinction entre les groupes ethniques des Bajunis et des Somalis, la SPR possédait la compétence et l’expertise pour accorder le poids qu’elle a accordé aux documents. Le commissaire n’était nullement obligé de souligner les éléments de preuve qu’il jugeait peu convaincants, et le demandeur et son conseil étaient tout aussi capables de trouver les lacunes et d’en traiter. Le défendeur souligne aussi qu’informer le demandeur des réserves n’aurait servi à rien, étant donné que celui-ci avait précédemment présenté une preuve par affidavit au sujet de l’entrevue, preuve dont le commissaire est présumé avoir tenu compte.

 

[10]           Malheureusement, en ce qui concerne l’affidavit de M. Nassor, il appert que le commissaire a mis l’accent sur la forme plutôt que sur le fond. La Cour souligne qu’une brève analyse des signatures tend à indiquer que le commissaire qui a assermenté M. Nassor était probablement le conseil du demandeur. Même si on devrait encourager les conseils à déposer des demandes complètes conformément à la procédure du tribunal, la Cour juge qu’il était inéquitable de la part du commissaire de ne pas avoir fait part au demandeur de ses réserves concernant l’irrégularité avant de prendre sa décision, et ce, pour lui permettre de déposer un affidavit correctement assermenté.

 

[11]           Le défendeur demande à la Cour de conclure que, dans le cas où l’omission par la SPR de faire part de ses réserves quant à la validité de l’assermentation constituerait une erreur, l’omission n’était pas déterminante. Le demandeur répond que la décision sur la validité de l’affidavit est au cœur même du litige et de la question de l’identité, et que l’argument selon lequel la conclusion de la SPR serait demeurée la même repose sur des conjectures. Ce manquement à la justice naturelle nécessite la tenue d’une nouvelle audience, peu importe si la décision finale serait demeurée la même.

 

[12]           Les observations du demandeur sur ce point sont justes. Il est bien établi en droit qu’un manquement à l’équité procédurale doit entraîner l’annulation de la décision découlant de cette procédure inéquitable, et qu’il doit y avoir une nouvelle audition de l’affaire. L’affidavit était important en vue d’appuyer la position du demandeur quant à son identité. L’affidavit n’aurait pas dû être rejeté sans que le conseil du demandeur se voie donner l’occasion de déposer un affidavit comportant une signature lisible. En l’espèce, le format était moins important que le contenu de l’affidavit, et les lacunes soulignées auraient dû être portées à l’attention du conseil du demandeur pour qu’il puisse y remédier.

 

[13]           Pour ce qui est de la lettre de l’agence somalienne, le demandeur n’aurait pas été en mesure dans son témoignage de répondre aux réserves formulées par le commissaire. Il convient aux conseils de noter que, dans la présente affaire et dans le domaine du droit de l’immigration en général, la preuve censée établir l’identité du demandeur devrait fournir suffisamment de renseignements au sujet de l’auteur et des critères qui ont servi à établir l’identité pour permettre aux décideurs et aux cours de révision d’évaluer le caractère raisonnable de la preuve et de lui accorder le poids approprié.

 

[14]           Le demandeur allègue également que le commissaire a commis une erreur en ne tenant pas compte de la diligence dont il a fait preuve pour qu’un témoin soit présent à l’audience, et en interprétant la preuve de façon erronée. Le commissaire a conclu que le demandeur n’avait pas fait preuve de diligence pour que le témoin M. Nassor soit présent à l’audience. Selon le demandeur, pour tirer cette conclusion, le commissaire n’a pas tenu compte de la preuve établissant que M. Nassor s’était présenté à une audience qui a été ajournée, qu’il était parti de chez lui à Calgary pour se rendre à Toronto à une deuxième audience qui a été ajournée et qu’il avait annulé des vols de Calgary à Toronto à au moins une, sinon deux occasions subséquentes, parce que les audiences avaient été ajournées. Le demandeur a continué à faire preuve de diligence en prenant les dispositions pour que son témoin soit présent, même après cinq ajournements distincts de son audience dans l’espace de dix-sept mois.

 

[15]           Le défendeur allègue que la preuve relative aux tentatives antérieures de M. Nassor d’être présent aux audiences de M. Aziz n’est pas pertinente quant à la décision contestée. Le commissaire n’a tiré sa conclusion défavorable ni de la non-présence physique de M. Nassor à Toronto ni du témoignage par d’autres moyens, tels que par téléconférence, mais il l’a plutôt tirée du manque de diligence dont a fait preuve le demandeur en omettant d’assurer un suivi à la suite de l’appel téléphonique qu’il dit avoir fait à un ami, lui laissant un message pour M. Nassor, cinq mois avant l’audience. Le commissaire était clairement au courant de l’historique de la procédure, y compris de la présence antérieure de M. Nassor aux audiences et de son déménagement à Calgary. Il relevait de la compétence du commissaire de conclure que l’explication du demandeur était insuffisante ou insatisfaisante compte tenu de son inaction.

 

[16]           Même s’il est peut-être vrai que, pris hors contexte, un seul appel téléphonique à un témoin éventuel cinq mois avant l’audience semble grandement indiquer un manque de diligence raisonnable, compte tenu de l’historique de la procédure, la Cour ne souscrit pas à la conclusion défavorable du commissaire. Le commissaire n’a pas tenu compte du fait que, malgré cinq ajournements dans l’espace de dix-sept mois, dont aucun n’était attribuable au demandeur, ce dernier a continué de prendre des dispositions pour que son témoin soit physiquement présent à l’audience. La Cour ne voit pas comment il est raisonnable de tirer une conclusion défavorable à l’égard du demandeur en raison de son incapacité à maintenir un tel empressement à comparaître indéfiniment. Dans les présentes circonstances, cette conclusion est déraisonnable. En soi, une simple erreur de ce genre sur une question mineure ne mènerait pas à l’annulation de la décision; cependant, cette erreur conjuguée au manquement à l’équité procédurale relatif à la validité de l’affidavit de M. Nassor rend plus impératif l’annulation de la décision. Compte tenu de cette conclusion, la Cour estime qu’il est inutile d’examiner les deux autres questions.

 

[17]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR accueille la demande et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-547-08

 

INTITULÉ :                                       ABDUL-HAKIM ABD AZIZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 JUILLET 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 1ER AOÛT 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mangesh Duggal

 

POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mangesh Duggal

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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