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Date : 20080814

Dossier : T-1688-06

Référence : 2008 CF 940

 

Ottawa (Ontario), le 14 août 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

JOHNSTON CANYON CO. LTD.

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, vise une décision prise par Parcs Canada, dans une lettre datée du 17 août 2006, imposant à la demanderesse certaines modalités relativement à un nouveau bail octroyé à l’égard de terres domaniales. La demanderesse sollicite une série de redressements, notamment un jugement déclaratoire portant qu’elle a le droit de se faire octroyer un bail de 42 ans selon la formule de calcul de loyer de son choix. Pour les motifs ci-dessous, la demande est rejetée.

 

Contexte :

 

[2]               La demanderesse, Johnston Canyon Co. Ltd., exploite des chalets saisonniers (du 1er avril au 31 octobre) dans le Parc national du Canada Banff, situés à 25 km à l’ouest de la ville de Banff et près du point de départ du populaire sentier Johnston Canyon. Les chalets, composés en grande partie de bungalows rustiques, sont utilisés sur des terres domaniales louées depuis 1927. Les bungalows font partie selon Parcs Canada de la catégorie des logements commerciaux périphériques (les LCP).

 

[3]               En 1963, la demanderesse et la Couronne avaient signé un bail de 42 ans, expirant le 31 décembre 2004, qui prévoyait un droit de reconduction pour un terme supplémentaire de 21 ans conformément [traduction] « au loyer fixé par le ministre ». 

 

[4]               En 1988, la ministre de Patrimoine canadien, responsable de Parcs Canada, a imposé un moratoire sur l’aménagement de LCP dans les parcs nationaux et a constitué un comité chargé d’examiner la question. Le rapport du comité sur les LCP a été rendu public en avril 2000, et il a été suivi d’un rapport fait par un autre comité sur la préservation de l’intégrité écologique dans les parcs. Ces rapports ont servi de fondement à l’élaboration de la politique sur les LCP de Parcs Canada.

 

[5]               Par lettre datée du 30 mai 2001, le directeur général de Parcs Canada a avisé la demanderesse que l’agence n’acceptait pas certaines des recommandations du comité sur les LCP visant le centre de villégiature de Johnston Canyon en raison de préoccupations écologiques, et que le réaménagement et l’agrandissement des installations seraient assujettis à de nouvelles lignes directrices, lesquelles étaient énoncées dans la lettre.

 

[6]               Les deux parties ont entrepris des négociations en vue de conclure un plan de réaménagement mutuellement acceptable et un nouveau bail en 2001. La prolongation de la saison d’exploitation aux mois d’hiver, le réaménagement, l’agrandissement et le déplacement partiel du site, ainsi que les modalités de loyer applicables à la demanderesse pour un nouveau bail, faisaient partie des questions en litige. Les responsables de Parcs Canada ont informé la demanderesse que l’agence était prête à entendre ses propositions de réaménagement dans la mesure où elles étaient [traduction] « respectueuses de l’environnement ». L’agrandissement serait autorisé si un avantage d’ordre écologique pouvait être démontré.

 

[7]               Le 21 mai 2004, Parcs Canada a adopté une politique d’orientation révisée sur l’établissement des loyers commerciaux, qui devait s’appliquer à tous les baux commerciaux et aux permis d’occupation à l’égard de terres. Pour les baux de remplacement négociés subséquemment, un pourcentage convenu des recettes brutes serait le seul élément utilisé pour calculer le loyer. À l’issue de [traduction] « négociations sur le fond » entre Parcs Canada et un preneur relativement à l’annulation et au remplacement d’un bail, au plus tard le 20 mai 2004, le preneur serait autorisé à choisir l’une des options de loyer prévues au paragraphe 6(1) du Règlement sur les baux et les permis d’occupation dans les parcs nationaux du Canada, DORS/92-25 (le Règlement). La ministre a depuis pris des mesures pour modifier le Règlement de manière à ce qu’il cadre avec la politique révisée, mais ces changements n’existaient pas au moment de l’adoption de la politique et n’ont pas été appliqués au présent dossier.

 

[8]               Au cours des négociations, les parties ont communiqué régulièrement par écrit, par téléphone et dans des réunions en personne entre les responsables de Parcs Canada et les directeurs de la demanderesse. La demanderesse a soumis des propositions en avril et en septembre 2004 qui ont été rejetées principalement au motif qu’elles n’étaient pas suffisamment respectueuses de l’environnement. Dans une lettre datée du 21 octobre 2004 adressée à la demanderesse, un responsable de Parcs Canada l’a avisée que les changements proposés aux terres de location arpentées et à la nature des opérations exigeraient l’établissement d’un nouveau bail. Aucun accord n’a été conclu sur ces questions avant l’expiration du bail initial le 31 décembre 2004.

 

[9]               Les responsables de Parcs Canada ont interprété la lettre de la demanderesse, datée du 26 février 2005, comme si cette dernière retirait la proposition de réaménagement de Johnston Canyon et mettait un terme à la demande visant l’octroi d’un nouveau bail de 42 ans. Des lettres rédigées par Parcs Canada en mars et mai 2005 confirmaient qu’un nouveau bail n’était plus envisagé et que la reconduction de 21 ans demeurait sur la table pour laquelle la demanderesse pouvait choisir l’une des options de loyer prévues par le Règlement. Il y a eu un certain désaccord au sujet de la valeur estimative des installations, mais la demanderesse a finalement signé un accord de reconduction en juin 2005, essentiellement aux mêmes conditions que celles du bail de 1963, fixant la date d’expiration au 31 décembre 2025.

 

[10]           Le 25 octobre 2006, la demanderesse a soumis une proposition de réaménagement révisée conforme aux lignes directrices énoncées par Parcs Canada, laquelle était fondée sur un bail d’une durée de 42 ans et prévoyait un loyer devant être fixé selon les options de loyer prévues par le Règlement. D’autres rencontres et échanges de correspondance ont eu lieu entre les parties. Dans des lettres datées du 3 février 2006 et du 17 août 2006, Parcs Canada a réaffirmé sa position selon laquelle la seule formule de fixation de loyer applicable à un nouveau bail devait être calculée en fonction du pourcentage des recettes brutes.

 

[11]           La décision contenue dans la lettre du 17 août 2006 constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse. Si la demande est accueillie, la demanderesse veut :

a)      faire déclarer qu’elle est autorisée à choisir l’une des options de loyer prévues par le Règlement à l’octroi d’un bail;

b)      faire déclarer que Parcs Canada n’a pas compétence pour imposer une option de loyer donnée;

c)      faire déclarer que Parcs Canada est tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon juste et équitable entre les preneurs qui se trouvent dans la même situation;

d)      faire déclarer que Parcs Canada n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon juste, équitable et uniforme;

e)      faire déclarer qu’elle pouvait légitimement s’attendre à ce qu’on lui octroie un bail de 42 ans selon l’option de loyer de son choix;

f)        obtenir une ordonnance de certiorari annulant la décision contestée;

g)      faire déclarer qu’elle a le droit de se faire octroyer un bail de 42 ans conformément aux exigences prescrites et à son attente légitime;

h)       que lui soient adjugés les dépens.

 

Le Règlement

 

[12]           Les dispositions réglementaires régissant la location de terres dans les parcs nationaux applicables en l’espèce pendant les périodes pertinentes sont les suivantes :

3. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et des articles 4 et 19, le ministre peut octroyer des baux d’une durée d’au plus 42 ans, selon les modalités qu’il juge indiquées, à l’égard des terres domaniales [...]

 

3. (1) Subject to subsection (2) and sections 4 and 19, the Minister may, for any term not exceeding 42 years and on such terms and conditions as the Minister thinks fit, grant leases of public lands [...]

6. (1) À l’octroi du bail, le preneur doit choisir, parmi les taux prévus aux articles 7, 8, 11, 13 et 14, le loyer qui est exigible d’après l’emplacement, l’usage et les conditions d’occupation des terres domaniales louées, ainsi que les fins auxquelles le bail est octroyé; ce loyer est indiqué dans le bail.

 

6. (1) At the time a lease is granted, the lessee shall choose a rental rate set out in section 7, 8, 11, 13 or 14 that is applicable to the location, use and conditions of occupancy of the leased public lands and the purpose for which the lease is granted, and that rental rate shall be a term of the lease.

11. (1) Le loyer afférent au bail octroyé à l’égard de terres domaniales situées dans la ville de Jasper ou un centre d’accueil aux fins de commerce, de tourisme ou de lieux de divertissement ou de récréation, au bail octroyé à l’égard de terres domaniales situées dans le périmètre urbain de Banff pour utilisation à l’une de ces fins, ou au bail octroyé à l’égard de terres domaniales situées à l’extérieur du périmètre urbain de Banff, de la ville de Jasper, des centres d’accueil et des centres de villégiature, aux fins de tourisme, de stations-service, de logement ou de lieux de divertissement ou de récréation pour les visiteurs des parcs, est l’un des suivants :

 

a) 6,0 pour cent l’an de la valeur estimative, sous réserve du paragraphe 12(1);

 

b) 4,0 pour cent l’an de la valeur estimative, sous réserve du paragraphe 12(2);

 

c)sous réserve du paragraphe 12(3):

 

(i) 4 pour cent l’an de la valeur estimative,

 

(ii) en ce qui concerne les baux dont le loyer a été fixé en 2000 conformément aux paragraphes 6(2) ou (3), 4 pour cent l’an de la valeur estimative ou le loyer de 1999, selon le plus élevé des deux montants.

 

d) lorsque les terres domaniales louées ont été utilisées à des fins commerciales durant les cinq années précédentes et que les livres comptables y afférents sont à la disposition du preneur, ou lorsque les terres domaniales louées ont été utilisées à des fins commerciales pendant moins de cinq ans et que les recettes brutes peuvent être raisonnablement estimées, le plus élevé des pourcentages suivants :

 

(i) le pourcentage annuel, convenu par le ministre et le preneur, des recettes brutes annuelles tirées du commerce exploité par le preneur et tout sous-preneur ou concessionnaire sur les terres domaniales louées ou à partir de celles-ci,

 

(ii) le pourcentage annuel, convenu par le ministre et le preneur, de l’un des montants suivants :

 

(A) la moyenne des recettes brutes annuelles des cinq années précédentes tirées du commerce exploité par le preneur et par tout sous-preneur ou concessionnaire sur les terres domaniales louées ou à partir de celles-ci,

 

(B) si le preneur n’a pas à sa disposition les livres comptables y afférents, les recettes brutes estimatives de la première année du bail.

 

 

e) [Abrogé, DORS/2002-237, art. 12]

11. (1) The rental rate for a lease of public lands in the Town of Jasper or a visitor centre that is granted for the purpose of trade, tourism or places of recreation or entertainment, for a lease of public lands in the Town of Banff that are to be used for that purpose and for a lease of public lands outside the Town of Banff or the Town of Jasper, visitor centres and resort subdivisions that is granted for the purposes of tourism, service stations or places for the accommodation, recreation or entertainment of visitors to the parks shall be

 

 

 

 

(a) subject to subsection 12(1), 6.0 per cent per annum of the appraised value;

 

(b) subject to subsection 12(2), 4.0 per cent per annum of the appraised value;

 

(c) subject to subsection 12(3)

 

(i) 4.0% per annum of the appraised value, or

 

(ii) in respect of those leases for which the rental rate was set in 2000 in accordance with subsection 6(2) or (3), the greater of 4% per annum of the appraised value and the 1999 rental rate;

or

(d) when the leased public lands have been used for commercial purposes during the previous five years and the financial records relating to that use are available to the lessee, or the leased public lands have been used for commercial purposes for less than five years and the gross revenue can be reasonably estimated, the greater of

 

 

(i) a per cent per annum that is agreed to by the Minister and the lessee of the annual gross revenue from business conducted on or from the leased public lands by the lessee and any sublessee, sublicensee or concessionaire, and

 

(ii) a percent per annum that is agreed to by the Minister and the lessee

 

 

(A) of the average annual gross revenue from business conducted on or from those leased public lands by the lessee and any sublessee, sublicensee or concessionaire during the previous five year period, or

 

(B) if financial records of gross revenue for that period are not available to the lessee, of estimated annual gross revenue for the first year of the term of the lease.

 

(e) [Repealed, SOR/2002-237, s. 12]

 

            Questions en litige

 

[13]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2.      La décision datée du 17 août 2006 n’a-t-elle pas été prise conformément à la Loi sur les parcs nationaux, L.C. 2000, ch. 32 (la Loi), et à son Règlement d’application et ne relevait donc pas de la compétence de Parcs Canada?

 

3.      Le refus d’octroyer un bail de 42 ans constitue-il un abus de pouvoir discrétionnaire compte tenu de la discrimination exercée entre les  titulaires de baux de LCP?

 

4.      La décision a-t-elle mis fin prématurément aux discussions sur la négociation d’un nouveau bail et donc porté atteinte aux attentes légitimes de la demanderesse?

 

 

[14]           Le défendeur réplique que la deuxième question n’est pas de savoir si Parcs Canada avait compétence, ce qui est évident qu’il avait, mais plutôt de savoir si la décision de refuser d’octroyer un nouveau bail à la demanderesse, aux modalités de son choix, était raisonnable.

 

Norme de contrôle

 

[15]           À la suite de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9, les décisions des tribunaux et des organismes administratifs doivent être révisées selon l’une des deux normes suivantes : celle de la décision correcte ou celle de la raisonnabilité. Il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle lorsque celle-ci est déjà établie par la jurisprudence.

 

[16]           Il est expressément indiqué dans Dunsmuir que les questions de compétence, quant à savoir si le décideur avait compétence pour rendre une décision, sont assujetties à la norme de la décision correcte. Tant l’abus d’un pouvoir discrétionnaire que l’atteinte à des attentes légitimes constituent des questions d’équité procédurale et entraîneraient l’annulation de la décision s’il était conclu qu’ils se sont produits. La décision de refuser d’octroyer le bail selon les modalités proposées par la demanderesse est de nature discrétionnaire et appelle donc une grande déférence. Elle ne sera annulée que si elle est jugée déraisonnable.

 

Compétence / Caractère raisonnable de la décision

 

[17]           La demanderesse allègue que le défendeur ne peut s’appuyer sur sa politique d’orientation révisée du 21 mai 2004 puisqu’elle est incompatible avec l’article 6 du Règlement. Bien qu’elle convienne que les politiques peuvent servir de fondement à l’interprétation des textes réglementaires, la demanderesse fait valoir que l’article 6 permet clairement au preneur de choisir, à l’octroi du bail, la formule de calcul de loyer, à laquelle le preneur est le seul à pouvoir y renoncer, ce qui n’a jamais été fait dans le présent cas. Le fait que Parcs Canada se soit appuyé sur sa politique pour refuser d’octroyer le nouveau bail selon les modalités de location proposées par la demanderesse constitue un abus du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 3 du Règlement. La demanderesse soutient que les modifications proposées au Règlement (pièce A de l’affidavit supplémentaire de Geordie Nokes) semblent reconnaître que le Règlement doive être modifié pour permettre à Parcs Canada d’exiger que le pourcentage des recettes brutes soit le fondement des négociations.

 

[18]           Johnston Canyon soutient subsidiairement que sa situation est visée par la disposition relative aux [traduction] « négociations sur le fond » des lignes directives, puisqu’elle sollicite fermement depuis le début des négociations un bail d’une durée de 42 ans. Subsidiairement encore,  elle prétend que la politique s’applique seulement lors de l’expiration d’un bail existant ou lors de l’octroi par le ministre d’une reconduction du bail selon les modalités qu’il juge indiquées. Elle allègue que ce n’est pas par choix qu’elle demande un nouveau bail, mais qu’elle est tenue de le faire pour poursuivre son plan de réaménagement.

 

[19]           Le défendeur réplique que la ministre possède un large pouvoir discrétionnaire, selon l’article 3 du Règlement, d’accepter l’annulation d’un bail ou d’octroyer un nouveau bail. Il allègue que Johnston Canyon n’a pas droit à un bail de 42 ans selon la formule de calcul de loyer de son choix. La ministre n’est pas obligée d’accepter l’annulation du bail existant ou d’en octroyer un nouveau. L’importance accordée à la formule de calcul de loyer est mal fondée. Les parties ne sont pas parvenues à s’entendre lors des négociations et la ministre a décidé, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas octroyer un nouveau bail à Johnston Canyon.

 

[20]           Le Procureur général fait aussi valoir que la politique d’orientation révisée constitue des lignes directrices qu’il convient d’utiliser à l’octroi d’un nouveau bail, ce qui n’est pas en cause en l’espèce puisque le bail n’a pas été octroyé. De plus, la longue histoire des négociations entre Johnston Canyon et Parcs Canada n’est pas signe de [traduction] « négociations sur le fond » comme le prévoit la politique, mais révèle plutôt que les parties étaient loin de s’entendre sur les parties fondamentales du bail à la date pertinente du mois de mai 2004.

 

[21]           Les prétentions des deux parties sont fondées. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la politique d’orientation révisée ne saurait l’emporter sur le droit que confère l’article 6 du Règlement au preneur de choisir sa formule de calcul de loyer. Un énoncé de politique ou une ligne directrice peut aider à interpréter un texte réglementaire, mais ne peut être utilisé pour contredire son sens ordinaire. Il est clairement établi que l’article 6 confère au preneur le droit de choisir une formule de calcul de loyer parmi les options offertes à l’octroi d’un bail. Par conséquent, la ministre aurait outrepassé la compétence que lui confère le Règlement si elle avait décidé d’octroyer le bail et ensuite d’imposer unilatéralement une formule de calcul de loyer qui ne correspondrait pas à celle ayant été choisie par la demanderesse parmi les quatre options. 

 

[22]           Cependant, cela ne veut pas dire que la demanderesse a droit au redressement sollicité dans la présente instance. La ministre pouvait, en vertu de l’article 3 du Règlement, refuser d’octroyer un nouveau bail de 42 ans selon les modalités demandées par la demanderesse, notamment un plan de réaménagement, que Parcs Canada n’était pas prêt à accepter.

 

[23]           Il peut être utile de séparer le processus en deux étapes. La ministre a le pouvoir discrétionnaire d’octroyer, au titre de l’article 3, un bail d’au plus 42 ans à l’égard des terres domaniales, selon les modalités qu’elle juge indiquées. Ce pouvoir discrétionnaire n’est restreint que par le paragraphe 3(2) et les articles 4 et 19. À l’octroi d’un bail, il revient au preneur, selon l’article 6, de choisir la formule de calcul de loyer. Pour en arriver à cette interprétation des passages pertinents, je souligne le sens ordinaire du texte de l’article 6, ainsi rédigé : « À l’octroi du bail, le preneur doit choisir, parmi les taux, [...] le loyer qui est exigible d’après l’emplacement, l’usage et les conditions d’occupation des terres domaniales louées, ainsi que les fins auxquelles le bail est octroyé; ce loyer est indiqué dans le bail ».

 

[24]           Comme l’a souligné la demanderesse, les modifications proposées au Règlement semblent indiquer que la ministre reconnaît que le Règlement doive être modifié pour permettre à Parcs Canada d’exiger que le pourcentage des recettes brutes soit le fondement des négociations. Malheureusement pour la demanderesse, cela ne favorise pas l’obtention du redressement qu’elle sollicite.

 

[25]           Le choix d’accepter l’annulation d’un bail préexistant ou d’octroyer un nouveau bail demeure à la discrétion de la ministre, et celle-ci a décidé de ne pas le faire en l’espèce. Si l’on revient à l’analogie avec le processus en deux étapes, il serait juste de dire que la première étape a été tranchée négativement et que la seconde, qui est contestée par la demanderesse, n’est jamais entrée en jeu.

 

[26]           Quant au dernier argument de la demanderesse sur la question de la compétence, je conviens avec le défendeur que, malgré la preuve de longues négociations, rien ne prouve qu’un nouveau bail a été négocié sur le fond avant mai 2004. En réalité, le fait que les parties n’aient pas réussi à s’entendre après au moins trois ans de négociation révèle l’absence d’un accord quant au fond sur les modalités d’un nouveau bail. 

 

Abus du pouvoir discrétionnaire

 

[27]           La demanderesse allègue que Parcs Canada n’agit pas de façon équitable en continuant d’exiger qu’elle accepte le pourcentage des recettes brutes comme le fondement des négociations, étant donné que d’autres LCP dans la même situation ont conclu des baux de 42 ans dont les montants pour la location ont été fixés en application d’autres formules de loyer. La décision de limiter les négociations à une seule formule de calcul de loyer dans le cas de Johnston Canyon a été prise en l’absence d’un pouvoir conféré par la loi ou par une politique d’intérêt public d’exercer de la discrimination. La demanderesse soutient que, compte tenu de la décision arbitraire de la ministre et de ses délégués, elle se trouve dans une position désavantageuse sur le plan concurrentiel.

 

[28]           Le défendeur réplique que les LCP ne constituent pas un groupe homogène, et que la ministre peut conclure des baux avec chaque LCP selon des modalités différentes. Le pouvoir général de prendre des règlements fixant des droits comprend celui de faire des distinctions entre les catégories de payeurs des droits : Parcs Canada c. Sunshine Village Corp., 2004 CAF 166, [2004] 3 R.C.F. 600. Aucun pouvoir expressément autorisé par la loi n’est nécessaire pour établir des distinctions entre les catégories et les types de commerce car, les tribunaux ont effectivement cherché s’il existait une interdiction dans les textes législatifs d’exercer de telles distinctions avant de conclure qu’une telle différence de traitement n’était pas autorisée.

 

[29]           Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans Sunshine Village, le gouverneur en conseil a le pouvoir très général de fixer les droits. En effet, il peut fixer des droits différents pour des parcs nationaux différents, « quand bien même il en résulterait une discrimination au sens du droit administratif » (au paragraphe 19).

 

[30]           Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel a conclu que la discrimination faite par le gouverneur en conseil en vertu de son pouvoir général est autorisée à moins qu’elle soit contraire à l’intérêt public : Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 273, 284 D.L.R. (4th) 708, aux paragraphes 29 et  30. L’intérêt public auquel fait référence Parcs Canada dans cette affaire est l’incidence environnementale des visiteurs dans les parcs nationaux qu’il gère.

 

[31]           Le refus de Parcs Canada d’octroyer un bail de 42 ans reposait principalement sur l’omission de la demanderesse de soumettre un plan d’aménagement suffisamment [traduction« respectueux de l’environnement » jugé acceptable par la ministre. En outre, la preuve n’établit pas clairement que la demanderesse a été victime de discrimination en raison du traitement différent fait par Parcs Canada à l’égard de LCP se trouvant dans la même situation. Un examen des ententes de location conclues avec d’autres LCP, déposées comme pièces, révèle des différences importantes entre ces ententes. De toute façon, il n’est pas nécessaire que je me demande si la discrimination a réellement été exercée puisque la décision de la ministre s’inscrit dans le cadre de ses pouvoirs et n’est pas contraire à l’intérêt public.

 

[32]           Je conclus que la décision de Parcs Canada de limiter le fondement de ses négociations à la seule formule de fixation de loyer calculée en fonction du pourcentage des recettes brutes ne constituait pas un abus de son pouvoir discrétionnaire.

 

Attentes légitimes

 

[33]           Ensuite, la demanderesse soutient que Parcs Canada a manqué à son obligation de répondre à ses attentes légitimes lorsqu’il a mis fin prématurément aux négociations du bail en appliquant les dispositions de la politique d’orientation révisée vers le milieu des négociations. Elle allègue qu’elle a été invitée à soumettre une série de propositions et qu’elle a été amenée à croire qu’il n’y avait pas de date limite pour le dépôt des observations. Elle a obtenu verbalement confirmation en janvier 2001 et février 2004 que le bail de remplacement serait assujetti aux dispositions sur le loyer figurant dans le Règlement.

 

[34]           La demanderesse soutient également qu’elle s’est fondée sur l’assurance que lui avaient donnée les responsables de Parcs Canada, selon laquelle la conclusion d’un bail reconduit ne nuirait pas à sa possibilité d’obtenir un nouveau bail d’une durée de 42 ans selon les options de loyer prévues par le Règlement. Elle prétend qu’elle a été [traduction« désagréablement surprise » par le régime des loyers, nouveau et imprévu. Selon son argument, la décision d’appliquer la politique a porté atteinte à ses attentes légitimes, lesquelles découlaient des observations et des promesses matérielles faites par les responsables de Parcs Canada aux directeurs de Johnston Canyon.

 

[35]           Le défendeur soutient que la demanderesse tente de redémarrer les négociations de manière unilatérale en raison de l’absence d’une entente sur les points essentiels du bail. Johnston Canyon avait amplement le temps de faire valoir son point de vue lorsqu’elle a appris que des changements avaient été apportés à la politique avant que la décision contestée ne soit prise.

 

[36]           La théorie des attentes légitimes s’applique lorsque la partie touchée par la décision d’un fonctionnaire public n’a pas la possibilité de présenter des observations : L’Association des résidents du Vieux St-Boniface c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, 75 D.L.R. (4th) 385. Dans ces circonstances, les attentes légitimes donnent lieu à des garanties procédurales plutôt que des garanties substantielles. Comme l’a correctement affirmé le défendeur, la possibilité de présenter des observations supplémentaires permettra de rejeter une demande fondée sur une violation de la théorie.

 

[37]           Les directeurs de la société demanderesse semblent s’être fondés sur des déclarations que leur avaient faites des employés de Parcs Canada, notamment le commentaire d’un des employés, indirectement lié aux négociations, selon lequel le Règlement devait être modifié avant que le nouveau régime puisse être imposé. Cependant, cette déclaration n’avait pas pour effet de donner droit à la demanderesse à l’octroi d’un nouveau bail. Comme il a été mentionné, cela requérait une entente sur les propositions de réaménagement et l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la part du ministre. À mon sens, aucune des déclarations au dossier, qui auraient été faites par des fonctionnaires de Parcs Canada, ne constitue autre chose que des offres ou des commentaires présentés dans le cadre de négociations infructueuses.

 

[38]            La demanderesse a eu la possibilité à maintes reprises de répliquer à l’allégation de Parcs Canada selon laquelle le nouveau régime des loyers était le seul qui était offert. La décision qu’elle cite à l’appui de sa thèse comme faisant autorité, Schwartz Hospitality Group Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2001 CFPI 112, 201 F.T.R. 85, portait sur un plan approuvé conditionnellement relativement à un bail modifié. Dans cette affaire, les négociations ne s’étaient tout simplement pas rendues à la même étape.

 

Conclusion :

 

[39]           À l’expiration du bail de 1963, la demanderesse avait un droit de reconduction pour un terme supplémentaire de 21 ans et devait choisir l’une des options de loyer parmi celles prévues à l’article 6 du Règlement. Une reconduction du bail a été conclue en 2005 conformément à cette disposition pour les vingt ans restants. Les parties pouvaient et peuvent toujours conclure une entente relativement à un nouveau bail pour une durée d’au plus 42 ans.

 

[40]           Je conviens avec la demanderesse que, selon le Règlement en vigueur au moment où la décision contestée a été prise, si un nouveau bail de 42 ans lui avait été octroyé à l’expiration du bail de 1963, elle aurait eu droit de choisir l’une des options de loyer exigible, prévues par le Règlement, et que la ministre n’avait pas compétence pour imposer une autre formule de calcul de loyer.

 

[41]           Les directeurs de la société demanderesse cherchaient à faire approuver leurs propositions de réaménagement et à obtenir un nouveau bail au motif qu’ils croyaient raisonnablement qu’à l’octroi du bail, ils pouvaient choisir leur option de loyer parmi celles prévues par le Règlement. J’accepte le témoignage de la demanderesse voulant que cette croyance ait été encouragée par des déclarations des fonctionnaires de Parcs Canada qui indiquaient que le Règlement devait être modifié avant que le nouveau régime établi par la politique d’orientation révisée puisse être imposé. Cela dit, aucune entente n’a été conclue et la demanderesse ne saurait désormais insister sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la ministre d’octroyer un nouveau bail selon les modalités qu’elle juge les plus favorables.

 

[42]           Dans les circonstances, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger les dépens en faveur du défendeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Les parties supporteront leurs propres dépens.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1688-06

 

INTITULÉ :                                       JOHNSTON CANYON CO. LTD.

 

                                                            et

 

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 août 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Judson E. Virtue

 

POUR LA DEMANDERESSE

Bruce F. Hughson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JUDSON E. VIRTUE

MacLeod Dixon LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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