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Date : 20080904

Dossier : IMM-3299-07

Référence : 2008 CF 985

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2008

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

entre :

KANAPATHY MURUGAMOORTHY

demandeur

et

 

le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

défendeur

 

motifs du jugement et jugemenT

 

[1]               En 2007, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Kanapathy Murugamoorthy était exclu de la protection accordée aux demandeurs d’asile au Canada parce qu’il avait été un complice des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) au Sri Lanka. À la fin des années 80, M. Kanapathy travaillait à temps partiel pour un journal (le Murasoli ou le journal) qui publiait souvent des communiqués de presse décrivant les activités des TLET d’un point de vue qui leur était favorable. La Commission a conclu que parce que les TLET avaient « des fins limitées et brutales » de perpétrer des crimes contre l’humanité, et parce que le travail de M. Kanapathy au sein du journal contribuait à réaliser les buts terroristes des TLET, M. Kanapathy devait être considéré comme un complice des crimes des TLET et être exclu de la protection accordée aux demandeurs d’asile.

 

[2]               La question est de savoir si la conclusion de la Commission sur la complicité prétendue de M. Kanapathy avec les TLET était raisonnable. Je conclus qu’elle ne l’était pas. En conséquence, je devrai accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner une nouvelle audience au cours de laquelle la demande d’asile de M. Kanapathy pourra être entendue sur le fond.

 

I.        Résumé des faits

 

[3]               M. Kanapathy a d’abord travaillé comme agent des ventes et ensuite comme journaliste au journal le Murasoli. Il y travaillait à temps partiel en même temps qu’il étudiait pour devenir infirmier.

[4]               En tant que journaliste, M. Kanapathy assistait souvent à des points de presse au cours desquels les représentants des TLET distribuaient des reportages qu’on s’attendait à ce que le journal publie. Si le journal ne les publiait pas, les TLET réprimandaient les rédacteurs en chef. Parfois, M. Kanapathy rédigeait ses propres articles sur la base des renseignements qu’il recevait pendant les points de presse. Il a admis que le journal ne publiait pas de reportage défavorable aux TLET, ou quelque nouvelle que ce soit sur l’armée du Sri Lanka. Bien que le Murasoli ait été détenu par des intérêts privés, les TLET contrôlaient son contenu.

 

[5]               Dans son témoignage, M. Kanapathy a déclaré qu’à l’origine, il soutenait les TLET parce que ces derniers protégeaient les gens. Plus tard, après avoir quitté le journal et commencé sa carrière d’infirmier, il s’est aperçu que les TLET étaient responsables d’actes terroristes et il a changé d’opinion.

 

 

II.        La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a conclu que, à l’époque où M. Kanapathy travaillait pour le Murasoli, les TLET menaient déjà des actes violents dans le but de parvenir à l’indépendance de leur patrie. Ils torturaient et tuaient beaucoup de civils et ils enrôlaient des enfants soldats dans leur cause. Sur la foi des actions des TLET, la Commission a conclu que les TLET visaient des « fins limitées et brutales » qui étaient la perpétration de crimes contre l’humanité.

 

[7]               La Commission a en outre conclu que le Murasoli, en tant qu’organe de propagande des TLET, aidait les TLET et tentait d’obtenir le soutien du public à l’égard de leurs buts. En tant que journaliste, M. Kanapathy avait dû être au courant des crimes des TLET. Cependant, par son travail au Murasoli, il avait continué à participer à la promotion des objectifs des TLET.

 

[8]               La Commission s’est fondée sur la définition de complicité énoncée dans la décision Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79. Dans cette décision, la Cour a conclu que les personnes qui appartiennent à un groupe qui commet des crimes contre l’humanité sur une base régulière sont considérées comme complices de ces crimes si elles appuient le groupe et ne prennent pas de mesures pour empêcher la perpétration des crimes (si elles peuvent le faire) ni ne se dissocient du groupe à la première occasion (si elles peuvent le faire en toute sécurité). La Commission a conclu que les activités de M. Kanapathy en tant que journaliste au Murasoli l’avaient fait entrer dans le champ d’application de cette définition. En conséquence, la Commission a conclu que M. Kanapathy était complice des crimes contre l’humanité perpétrés par les TLET.

 

 

III.   La conclusion de la Commission était‑elle raisonnable?

 

[9]               Sont exclues de la protection accordée aux demandeurs d’asile, les personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles « ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité » (Alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés). Le droit canadien réaffirme que doivent être exclues les personnes qui ont participé de façon consciente et personnelle à la perpétration de ce genre de crimes; voir la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306, 89 D.L.R. (4th) 173, 135 N.R. 390 (C.A.F.).

 

[10]           Il y a deux voies par lesquelles on peut conclure qu’une personne doit être exclue de la protection accordée aux demandeurs d’asile, sur la base d’une allégation de participation à des crimes contre l’humanité. Premièrement, une personne peut être exclue sur la seule base de la preuve de son appartenance à un groupe dont l’unique raison d’être est la perpétration de crimes contre l’humanité. Deuxièmement, une personne peut être exclue lorsqu’il y a des preuves qui démontrent qu’elle a participé sciemment à un crime, soit comme auteur principal, soit comme complice. En général, un complice est une personne qui aide à la perpétration d’un crime, que ce soit par l’apport d’une participation ou par des encouragements, ou par des conseils ou l’incitation à perpétrer ce crime.

 

[11]           Dans la présente affaire, après avoir conclu que les TLET étaient un groupe qui visait des « fins limitées et brutales », il aurait été loisible à la Commission d’exclure M. Kanapathy sur la base de la preuve de son appartenance aux TLET. Toutefois, une telle preuve n’existait pas.

 

[12]           Il n’y avait pas non plus de preuve que M. Kanapathy était directement impliqué dans un crime quelconque. La seule base possible pour son exclusion était l’idée que M. Kanapathy avait aidé les TLET dans leurs activités criminelles et que, par conséquent, il était complice des crimes de ce groupe.

 

[13]           Je suis d’avis que la Commission ne disposait d’aucune preuve établissant que M. Kanapathy avait contribué à la réalisation de quelque crime que ce soit perpétré par les TLET. Tout au plus, il y avait la preuve que le travail de M. Kanapathy au journal avait pu aider à améliorer l’opinion publique sur les TLET, ce qui en retour avait pu aider le groupe à atteindre ses ultimes objectifs politiques. Toutefois, bien que M. Kanapathy ait reconnu qu’initialement il avait eu une certaine sympathie pour les buts des TLET, on est bien loin de la participation consciente et personnelle à des crimes comme tels. En particulier, il n’y avait pas de preuve que les communiqués de presse des TLET dont M. Kanapathy s’était fait l’écho dans le Murasoli eussent incité quiconque à faire quoi que ce soit.

 

[14]           En conséquence, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable dans le sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

 

IV.     Conclusion

 

[15]           Comme je l’ai énoncé dans une autre décision, « [l]’accusation de crimes contre l'humanité est très grave »; Saftarov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1009 [2004] A.C.F. no 1246 (QL). Pour qu’il y ait exclusion de la protection accordée aux demandeurs d’asile, il doit y avoir soit la preuve de l’appartenance à une organisation qui se consacre particulièrement à la perpétration de crimes contre l’humanité, soit la preuve de la participation consciente et personnelle à ces crimes. Ni l’une ni l’autre ne sont présentes ici.

 

[16]           Par conséquent, je devrai accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. J’ordonnerai qu’un tribunal différemment constitué de la Commission procède à une audition sur le fond de la demande d’asile de M. Kanapathy.

 

[17]           Aucune question de portée générale ne se pose.


 

JUGEMENT



La cour statue que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour une nouvelle audience sur le fond.

2.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O'Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M, M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 


cour fédérale

 

avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOssier :                                              IMM-3299-07

 

intitulé :                                             KANAPATHY MURUGAMOORTHY c. MCI

 

Lieu de l’audience :                       Toronto (Ontario)

 

DATE de l’audience :                     Le 20 mars 2008

 

motifs du jugement

et jugement :                                    Le juge O’Reilly

 

DATE des motifs :                            Le 4 septembre 2008

 

 

comparutions :

 

 

Kumar Sriskanda

 

 

pour le demandeur

 

Deborah Drukarsh

 

pour le défendeur

 

avocats inscrits au dossier :

 

 

Kumar Sriskanda

Scarborough (Ontario)

 

pour le demandeur

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

pour le défendeur

 

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