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Date : 20081008

Dossier : IMM-935-08

Référence : 2008 CF 1135

 

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

FRANK ATTA FOSU (alias FRANK FOSU ATTA)

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Affirmer qu’il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) pour le demandeur d’asile homosexuel si celui‑ci mène une vie « discrète », c’est affirmer qu’il n’y a pas de possibilité de refuge intérieur.

 

L’HISTORIQUE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par une commissaire de la Section de la protection des réfugiés, datée du 7 février 2008, par laquelle celle‑ci  a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[3]               Le demandeur est un citoyen ghanéen qui prétend craindre d’être persécuté par la police et par la famille de son ancien partenaire de même sexe, Kofi Adu, et ce, en raison de son homosexualité. Il affirme que ses problèmes ont commencé après que Kofi, en mars 2005, l’a présenté à sa famille comme étant son partenaire. Peu après, leur chien fut empoisonné et le magasin de Kofi fut saccagé. Il prétend qu’ils faisaient en général l’objet de mauvais traitements lorsqu’ils circulaient dans Berekum, la ville où ils vivaient.

 

[4]               En novembre 2005, alors que le demandeur passait la nuit dans une autre ville où il travaillait dans le domaine de la construction, Kofi a été violemment battu et il est mort plus tard à l’hôpital. Le demandeur a vu Kofi avant sa mort et celui‑ci l’a informé que les agresseurs recherchaient une autre personne. Le demandeur a présumé qu’il s’agissait de lui. La famille de M. Adu a fait des menaces au demandeur lors des funérailles.

 

[5]               Le demandeur est ensuite allé voir le chef de la ville avec certains amis homosexuels. Le chef leur a dit de ne pas révéler leur homosexualité et qu’il ne voulait pas discuter de ce sujet. Le demandeur est ensuite allé habiter chez un ami à Kumasi. Quatre semaines plus tard, à la fin de décembre 2005, il est allé habiter chez un autre ami à Koforidua. À la fin de janvier 2006, il a été attaqué par deux hommes à Koforidua. Ceux‑ci prétendaient qu’il était un agresseur d’enfants. Il a été emmené au poste de police et il a été détenu toute une nuit. Il a été libéré le lendemain après que son ami eut payé un pot‑de‑vin. Il a ensuite décidé de quitter le Ghana et il s’est enfui, en passant par Amsterdam, à la fin d’avril 2006.

 

[6]               Après que le demandeur se fut enfui du Ghana, au début de mai 2006, son frère jumeau a été attaqué et battu par des hommes qui voulaient savoir où il se trouvait. Les agresseurs ont menacé son frère de mort s’il ne leur disait pas où il se trouvait.

 

[7]               La Commission a conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur et  qu’elle n’avait donc pas à déterminer si oui ou non le demandeur était homosexuel. Elle a souligné que le demandeur et son partenaire avaient signalé à la police la mort de leur chien ainsi que le saccage du magasin, démontrant ainsi qu’ils ne craignaient pas les autorités et qu’ils s’attendaient à recevoir de l’aide. Elle a conclu que le demandeur avait fait l’objet de discrimination, mais que cela ne l’avait pas empêché de vivre ouvertement avec son partenaire du même sexe. La commissaire a conclu que le demandeur pouvait vivre « de manière discrète » son homosexualité dans la ville d’Accra.

 

[8]               De plus, la commissaire n’était pas convaincue que la famille de M. Adu était assez grande et possédait les ressources suffisantes pour rechercher le demandeur partout au pays, notamment à Accra. Elle n’était pas convaincue qu’il existait un lien entre l’agression dont le demandeur prétendait avoir été victime à Koforidua et son orientation sexuelle ou la relation qu’il entretenait avec M. Adu.

 

[9]               Quant au caractère raisonnable de la possibilité de refuge intérieur, la commissaire a conclu que, d’après l’âge et les antécédents professionnels du demandeur, celui‑ci n’aurait pas plus de difficulté qu’un autre Ghanéen à trouver un emploi à Accra. Elle a également conclu que rien ne prouvait que sa famille ne l’aiderait pas là‑bas. Enfin, elle a conclu que la discrimination qui existe au Ghana à l’égard des homosexuels n’équivaut pas à de la persécution. Elle a conclu que les lois qui interdisent certains types de comportement sexuel ne constituent pas, en soi, de la persécution et que, même si le demandeur pouvait être exposé à des sanctions s’il retournait au Ghana, celles‑ci ne seraient pas imposées au mépris des normes internationales acceptables.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]           Le demandeur a soulevé les deux questions suivantes :

a)      La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI?

b)      La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne tirant aucune conclusion quant à la prétendue orientation sexuelle du demandeur?

 

L’ANALYSE

[11]           Le demandeur prétend qu’une conclusion selon laquelle il existe une PRI est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Ramachanthran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 673, dans laquelle, avant que l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, ne soit rendu, on a conclu que la norme de contrôle était celle de la décision manifestement déraisonnable. Toutefois, il prétend que l’omission de tirer une conclusion quant à sa prétendue homosexualité était un défaut d’exercice de compétence.

 

[12]           Le défendeur prétend que la conclusion de l’existence d’une PRI est de nature factuelle et qu’elle ne devrait pas être annulée s’il était loisible à la SPR de la tirer en se fondant sur la preuve lui ayant été soumise. De plus, le défendeur fait valoir que la conclusion suivant laquelle il existe une PRI suffit à elle seule à trancher une demande d’asile et que la SPR n’avait pas à traiter la question de la prétendue orientation sexuelle du demandeur.

 

[13]           La norme de contrôle applicable à la conclusion d’existence d’une PRI est la décision raisonnable. Compte tenu des conclusions qui suivent, je n’ai pas à traiter de la question de savoir si l’omission de traiter la question de l’orientation sexuelle du demandeur constitue un défaut d’exercice de compétence. Il est très exceptionnel qu’un commissaire ne tire expressément aucune conclusion quant à savoir si le demandeur appartient au groupe social à l’égard duquel il fonde sa demande d’asile. Il se peut que l’omission de tirer une telle conclusion constitue une erreur de droit car il s’agit du principal fondement de la demande. À ce titre, on peut estimer que la norme applicable est la décision correcte. Toutefois, on peut également faire valoir que la décision de refuser de tirer cette conclusion de fait est abusive et arbitraire et ne résisterait pas à une analyse suivant la norme de la décision raisonnable.

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI?

[14]           La conclusion d’existence d’une PRI est tirée en fonction d’un critère à deux volets : y‑a-t‑il un autre endroit dans le pays où le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution; et est‑il déraisonnable, compte tenu de sa situation personnelle, que le demandeur aille vivre à l’endroit qui offre une PRI.

 

[15]           Selon moi, la commissaire a omis d’examiner des éléments de preuve qui étaient suffisamment importants et pertinents quant à la question de la PRI pour rendre déraisonnable la décision qu’elle a rendue quant à cette question. En particulier, l’omission de traiter la preuve soumise par le demandeur selon laquelle il vivait caché avant de quitter le Ghana est une erreur susceptible de contrôle. Il ne serait pas raisonnable, suivant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, d’exiger que le demandeur continue de vivre caché ou qu’il cache sa véritable identité afin d’éviter d’être repéré par les personnes qui voudraient lui faire du mal.

 

[16]           De plus, aucune preuve, sauf celle du demandeur, n’a été soumise au sujet de la famille de M. Adu. À ce titre, la commissaire s’est livrée à des conjectures lorsqu’elle a conclu que la famille de M. Adu n’avait aucune influence à Accra et que cela faisait de cette ville une PRI.

 

[17]           De plus, la commissaire a commis une erreur en donnant à penser que le demandeur serait en sécurité à Accra tant qu’il ferait preuve de « discr[étion] » et elle semble avoir présumé qu’il serait prêt à faire cela, ce que rien ne prouvait, ou qu’il serait capable de garder secrète son orientation sexuelle dans une ville aussi grande. Je ne peux pas accepter que la décision de la commissaire est raisonnable alors que sa conclusion exige que le demandeur nie ou cache la caractéristique innée qui constitue le fondement de son allégation de persécution : voir, par exemple, la décision Sadeghi-Pari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 282, au paragraphe 29. La commissaire croyait manifestement que la discrimination dont le demandeur ferait l’objet n’équivalait pas à de la persécution, mais il semble également qu’elle a évalué le danger à la lumière des conditions qu’elle lui imposait – des conditions qui ne sont ni raisonnables ni acceptables.

 

[18]           Pour ce seul motif, la décision doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier et aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle décision par un autre commissaire;

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

   « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-935-08

 

INTITULÉ :                                       FRANK ATTA FOSU (alias FRANK FOSU ATTA) c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                

                                                                       

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 8 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Babek Ebrahimzadeh

POUR LE DEMANDEUR

 

Marina Stefanovic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babek Ebrahimzadeh

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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