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Date : 20081023

Dossier : IMM-1058-08

Référence : 2008 CF 1191

Toronto (Ontario), le 23 octobre 2008

En présence de Monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SHAKESPEARE CHIKUKWA

 JOAN GORORO

 TEMPTATION KIMBERLY (KIMB) CHIKUKWA

 LEONORAH TAISAI YEMURAI CHIKUKWA (mineure)

NIGEL MARUVA CHIKUKWA (mineur)

KUSIVAKWASHE CHIKUKWA (mineur)

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 12 février 2008 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]               Les demandeurs sont des citoyens du Zimbabwe qui demandent l’asile en se fondant sur les opinions politiques de Shakespeare Chikukwa (le demandeur principal), sur leur appui au parti Mouvement pour le changement démocratique (MDC), ainsi que sur leur crainte d’être recrutés de force dans le Service militaire national pour les jeunes (NYS) au Zimbabwe.

 

[3]               Âgé de 43 ans, le demandeur principal a commencé à travailler au Zimbabwe comme professeur suppléant en 1983, pour ensuite occuper le poste de directeur de la vérification de 1988 à 1996, et celui de directeur des finances entre 1996 et 1998, pour finalement devenir directeur financier pour Aurex (Pvt) Ltd. (Aurex) de mars 1999 à août 2001. Aurex était une fabrique d’or exploitée sous forme de co-entreprise par une filiale de la Reserve Bank of Zimbabwe (RBZ) [Banque de réserve du Zimbabwe] et une société privée du Zimbabwe. Alors qu’il travaillait pour Aurex, le demandeur principal a, selon ses dires, découvert la perte de quantités importantes d’or ainsi que d’autres irrégularités comptables et commerciales. Il a fait part de ses constatations au conseil d’administration d’Aurex. Les membres du conseil se sont mutuellement rejeté la responsabilité de la mauvaise gestion de l’entreprise. Le partenaire privé s’est retiré de la co‑entreprise. Toutefois, il devait 20 millions de dollars US à Aurex. Ce partenaire a refusé de payer les arriérés et une poursuite a été intentée aux États-Unis. Le demandeur principal a témoigné lors du procès. Un règlement extrajudiciaire est intervenu en mai 2001, et le partenaire a dû payer deux millions de dollars US pour régler l’affaire.

 

[4]               Sans partenaire aux États-Unis, Aurex a ouvert un bureau de commercialisation à New York, appelé AuriJewel. Le demandeur principal a été muté au bureau de New York d’AuriJewel en août 2001, où il a occupé le poste de directeur financier/chef des services financiers. Il a découvert qu’Aurex avait vendu de l’or directement de la fabrique à l’extérieur du Zimbabwe, pour externaliser des fonds, processus qui était illégal au Zimbabwe, parce qu’il permet de contourner la réglementation gouvernementale sur les taux de change. Le demandeur principal a porté ce fait à l’attention du président d’Aurex et d’AuriJewel, M. L.P. Chihota, de vive voix en 2003 et par écrit en 2004. La RBZ a effectué une vérification d’Aurex et d’AuriJewel au début de 2004, et le problème de l’or manquant en 1999 et les pertes associées à l’ancien partenaire d’Aurex ont été découverts.

 

[5]               Le demandeur principal a rencontré personnellement M. Gono, le gouverneur de la RBZ, en 2004, et il s’est alors vu offrir un poste au sein de la RBZ, poste qu’il a refusé. Par la suite, le demandeur principal s’est vu offrir un poste d’agent de liaison chargé de mobiliser tous les Zimbabwéens aux États-Unis pour qu’ils envoient de l’argent par l’intermédiaire du gouvernement et de la RBZ afin de faciliter la stratégie de redressement du gouvernement du Zimbabwe African National Union - Patriotic Front (le ZANU-PF) [Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique] et afin déliminer l’externalisation des fonds et les opérations sur le marché noir. Le demandeur principal a également refusé ce poste.

 

[6]               Le demandeur principal allègue que ses discussions avec M. Gono impliquaient certains hauts représentants du ZANU-PF et que M. Gono avait parlé au président d’Aurex. Le demandeur principal allègue que le ton de ces conversations et de sa correspondance avec le président d’Aurex et de l’équipe d’Aurex a changé. Par exemple, il a reçu un courriel qui indiquait qu’AuriJewel avait enfreint les contrôles sur les devises étrangères de RBZ, en payant les dépenses du bureau basé aux États-Unis directement à même les revenus du bureau, plutôt que de commencer par rapatrier les devises étrangères à la RBZ au Zimbabwe. Le demandeur principal a changé la politique d’AuriJewel en réponse à ce courriel.

 

[7]               Le demandeur principal explique qu’il a reçu en avril 2005 un avis l’informant que le bureau d’AuriJewel était restructuré pour réduire les coûts. L’avis invitait le demandeur principal à devenir un mandataire, offre qui a été retirée peu de temps par après. Il a été licencié de son poste chez AuriJewel fin juin 2005. Étant donné qu’il avait été mis à pied, le demandeur principal a été débouté de la demande de résidence permanente qu’il avait produite aux États-Unis. Les tentatives effectuées par la suite par le demandeur principal pour trouver du travail aux États-Unis n’ont donné aucun résultat.

 

[8]               Le demandeur principal allègue qu’il possède de l’information de nature délicate qui implique de très importants représentants du ZANU-PF et il craint d’être ciblé et arrêté par les autorités du Zimbabwe pour l’empêcher de parler. Il craint également d’être utilisé comme bouc émissaire pour justifier les problèmes financiers d’Aurex. Il allègue également qu’il craint que les fonctionnaires du Zimbabwe apprennent que sa femme et sa fille aînée sont membres du MDC. Le demandeur principal craint que sa famille ne soit ciblée en raison de ses activités, à leur retour au Zimbabwe, et que ses enfants ne soient enrôlés de force dans le National Youth Service.

 

[9]               Le demandeur principal et les membres de sa famille sont arrivés à Windsor, en Ontario, le 28 septembre 2006 et ils ont demandé l’asile à la frontière.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[10]           La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention, étant donné que leur crainte de persécution au Zimbabwe n’était pas fondée. La SPR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de personnes à protéger, parce que leur renvoi au Zimbabwe ne les exposerait pas personnellement à une menace à leur vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, et qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que leur renvoi au Zimbabwe les exposerait personnellement au risque d’être soumis à la torture.

 

La crédibilité du soutien au MDC

 

[11]           La SPR a estimé que le récit donné par les demandeurs au sujet du rôle qu’ils avaient joué au sein du MDC n’était pas crédible. La SPR a estimé que le demandeur principal n’avait pas prouvé qu’il était un membre de longue date du MDC. La SPR n’a par ailleurs pas trouvé crédible le témoignage de Temptation suivant lequel elle avait joint les rangs du MDC avant son arrivée au Canada. La seule carte de membre du MDC que Joan, l’épouse du demandeur principal, a pu produire datait de 2006. La SPR a expliqué que les demandeurs aurait pu produire des lettres du MDC pour corroborer leur appartenance à ce parti. Ils étaient représentés par un avocat, et la SPR a estimé qu’il aurait été raisonnable qu’ils fournissent des preuves qui corroborent tous les aspects de leur demande d’asile, dont leur appartenance au MDC.

 

[12]           De plus, les demandeurs avaient enfreint l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles de la SPR) et l’article 106 de la Loi, qui obligent les demandeurs d’asile à prendre des mesures raisonnables pour fournir à la SPR la documentation nécessaire à l’appui de leur demande d’asile. La SPR n’a pas cru que les demandeurs étaient des partisans de longue date de l’opposition au Zimbabwe.

 

[13]           La SPR a également conclu que le demandeur principal n’avait pu fournir d’éléments de preuve crédibles ou fiables à l’appui de son allégation de soutien public de longue date au MDC à son travail. Suivant le Zimbabwe Country Reports on Human Rights Practices-2006 du Département d’État des États-Unis [Rapport sur les droits de la personne par pays – Zimbabwe, 2006] : [traduction] « L’État a sanctionné l’usage de la force excessive et de la torture, et les forces de sécurité ont torturé des membres de l’opposition, des chefs syndicaux, et des activistes de la société civile ». Le demandeur principal a toutefois affirmé qu’il n’avait éprouvé aucune difficulté causée par ses opinions politiques, et qu’il avait plutôt été promu et muté aux États‑Unis, et qu’il s’était vu offrir deux postes par le chef de RBZ, un membre de haut rang du ZANU-PF.

 

[14]           Suivant la preuve, tout permettait de penser que la contribution des demandeurs au MDC s’était limitée à l’achat d’une carte de membre. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve crédibles ou fiables qui corroboraient leurs raisons de craindre la persécution, ou leur crainte de traitements ou peines cruels et inusités, ou qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’ils seraient soumis à la torture, s’ils retournaient au Zimbabwe.

 

La crédibilité du licenciement en raison de la connaissance de renseignements de nature délicate

 

[15]           La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pu fournir d’éléments de preuve crédibles ou fiables à l’appui de ses allégations selon lesquelles il avait été mis à pied en raison de ses dénonciations ou du fait qu’il possédait de l’information de nature délicate. Le demandeur principal a expliqué que deux autres membres du personnel avaient été licenciés au même moment que lui. La SPR a conclu que le fait que deux autres membres du personnel avaient été mis à pied indiquait que le bureau était en cours de restructuration et que le demandeur principal n’était pas ciblé individuellement. De plus, le demandeur principal n’avait pu corroborer ses allégations voulant que sa relation avec le président d’AuriJewel s’était détériorée du fait de son interaction avec Gideon Gow et qu’il avait pour cette raison perdu son emploi.

 

[16]           La SPR a également conclu que l’offre initiale présentée au demandeur principal de demeurer aux États-Unis après la restructuration minait la crédibilité de son allégation selon laquelle il était rapatrié de force au Zimbabwe pour être réduit au silence par les agents du ZANU-PF.

 

[17]           La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles ou fiables à l’appui de son allégation selon laquelle il avait été remercié de ses services en raison de ses activités de lutte contre la corruption en 1999 et en 2003. La SPR a donc conclu que le demandeur principal n’avait pas raison de craindre la persécution au Zimbabwe en raison de ses activités commerciales.

 

            Le fondement de la crainte de persécution au Zimbabwe

 

[18]           La SPR a conclu que le demandeur principal ne pouvait établir au moyen d’éléments de preuve crédibles ou fiables qu’il était justifié de craindre d’être persécuté par des fonctionnaires de l’État zimbabwéen, parce qu’il connaissait et qu’il avait divulgué de la corruption et des irrégularités, connaissances acquises dans le cadre de son travail pour Aurex et AuriJewel. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les fonctionnaires zimbabwéens ne voulaient pas rapatrier le demandeur principal au Zimbabwe de manière à pouvoir le contrôler ou le réduire au silence. Le demandeur principal n’avait pu fournir d’éléments de preuve crédibles ou fiables établissant que l’information qu’il possédait causerait des torts aux agents de ZANU-PF en 2007. La SPR a estimé que l’information que le demandeur principal avait dévoilée en 1999 était du domaine public, étant donné qu’elle faisait partie d’une poursuite devant les tribunaux américains.

 

[19]           Pour ce qui est de l’allégation du demandeur principal selon laquelle il possédait de l’information qui risquait de causer du tort à certains hauts fonctionnaires, la SPR a conclu que les dirigeants d’Aurex et d’AuriJewel savaient depuis plusieurs années ce que savait le demandeur au sujet de la corruption dans l’industrie. Le demandeur principal n’avait pourtant pas été puni pour avoir divulgué la corruption en 1999 et en 2003 et il avait plutôt obtenu une promotion pour son travail, sous forme de mutation aux États-Unis à un poste mieux rémunéré, sans parler des deux offres de RBZ.

 

[20]           La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas d’antécédents de divulgation au grand public d’information confidentielle ou de nature délicate sur le plan politique et qu’il ne risquait donc pas d’irriter les dirigeants du ZANU-PF, qui n’avaient aucune raison non plus d’être préoccupés par l’information que le demandeur principal possédait au sujet d’Aurex et d’AuriJewel.

 

[21]           Le demandeur principal n’avait fourni aucun élément de preuve concernant des menaces proférées par Aurex, RBZ ou de hauts fonctionnaires à son endroit, en raison de ses activités. D’autre part, il n’avait soumis aucun élément de preuve établissant qu’il avait été impliqué dans l’un des prétendus actes répréhensibles ou actes de corruption. Il ne serait par conséquent pas exposé à des persécutions s’il retournait au Zimbabwe.

 

            Le fondement de la crainte de persécution de la famille du demandeur d’asile

 

[22]           La SPR a conclu que le demandeur principal n’avait pas soumis d’éléments de preuve crédibles ou fiables qui corroboraient sa crainte que sa famille soit persécutée en raison de ses activités commerciales antérieures si elle retournait au Zimbabwe. Le demandeur principal n’a par ailleurs soumis aucun élément de preuve convaincant établissant que les membres de la famille de personnes qui rendent publiques des affaires de corruption ou de fraude, ou des personnes faussement accusées de crimes, étaient persécutés ou subissaient des préjudices sous une forme ou une autre. La SPR a également conclu que la crainte du demandeur principal que ses enfants soient recrutés de force dans le NYS n’était pas confirmée par la preuve documentaire.

 

[23]           Dans la Réponse à la demande d’information ZWE101401.EF, du 22 juin 2006, à la page 8.1.1, on cite un article du quotidien Zimbabwe Independent du 12 mai 2006, qui donne à penser que tous les camps d’entraînement du NYS à l’échelle du Zimbabwe avaient été fermés, en raison de pénurie d’aliments et de ressources et que, depuis la dernière admission de jeunes en 2005, aucune recrue n’avait été admise au NYS.

 

Résumé

 

 

[24]           La SPR a conclu que :

 

·        Le demandeur [principal], sa femme et sa fille aînée n’ont pas prouvé qu’ils étaient membres du MDC durant leur séjour au Zimbabwe;

·        Le demandeur [principal] n’a pas prouvé qu’il avait déclaré publiquement son appui au MDC, lorsqu’il travaillait au Zimbabwe;

·        Le demandeur [principal], sa femme et sa fille aînée n’ont pas de crainte fondée de persécution au Zimbabwe, du fait du rôle très mineur qu’ils ont joué au sein du MDC;

·        Le demandeur [principal] n’a pu fournir d’éléments de preuve crédibles ou fiables à l’appui de son allégation selon laquelle il avait été mis à pied en raison de ses dénonciations pour qu’il retourne au Zimbabwe afin d’être réduit au silence;

·        Le demandeur [principal] n’a pas fourni d’éléments de preuve qui corroborent la crainte subjective qu’ont les enfants d’être persécutés, en étant recrutés de force au sein du NYS;

·        Le demandeur [principal] n’a pas établi qu’il risquerait sérieusement d’être persécuté s’il retournait au Zimbabwe;

·        Le demandeur [principal] ne serait pas exposé personnellement à une menace à sa vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités, ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture, s’il retournait au Zimbabwe;

·        La femme et les enfants du demandeur [principal] n’ont pas établi qu’ils risqueraient sérieusement d’être persécutés s’ils retournaient au Zimbabwe;

·        La femme et les enfants du demandeur principal ne seraient pas exposés personnellement à une menace à leur vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture, s’ils retournaient au Zimbabwe;

·        Les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger, et leur demande d’asile est par conséquent rejetée.

 

LES QUESTIONS À TRANCHER

[25]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans la présente demande :

1.      La SPR a-t-elle commis une erreur en imposant aux demandeurs une charge de présentation de la preuve trop lourde, soit en les obligeant à présenter des éléments de preuve corroborant tous les aspects de leur demande d’asile?

 

2.      La SPR a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur une erreur de fait qui tirait à conséquence?

 

3.      La SPR a-t-elle commis une erreur en fondant sa décision sur des conjectures?

 

4.      La SPR a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si les demandeurs seraient exposés au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils retournaient aux Zimbabwe en provenance des États-Unis ou du Canada dans son analyse des demandes d’asile des demandeurs aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

 

[26]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente affaire :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Obligation

 

100(4) La preuve de la recevabilité incombe au demandeur, qui doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées et fournir à la section, si le cas lui est déféré, les renseignements et documents prévus par les règles de la Commission.

 

 

 

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Duty of claimant

 

100(4) The burden of proving that a claim is eligible to be referred to the Refugee Protection Division rests on the claimant, who must answer truthfully all questions put to them. If the claim is referred, the claimant must produce all documents and information as required by the rules of the Board.

 

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

[27]           Les dispositions suivantes des Règles de la SPR sont également applicables :

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien qu’en principe la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable soient des normes différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). La Cour suprême du Canada a par conséquent conclu qu’il y avait lieu de fondre les deux normes en une seule « raisonnabilité ».

 

[29]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également expliqué qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse quant à la norme de contrôle applicable. Si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de retenue correspondant à une catégorie de questions en particulier, le tribunal chargé de procéder au contrôle judiciaire peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que le tribunal entreprend l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle applicable.

 

[30]           Les demandeurs affirment que le commissaire a commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants. Dans le jugement A.M. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 579, la Cour a expliqué que les demandeurs ne sont pas légalement tenus de produire des preuves corroborantes, mais qu’il n'était pas déraisonnable pour la Commission de considérer que l'absence de telles preuves constituait l'un des facteurs d'évaluation de la crédibilité. La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions tirées au sujet de la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447). Les demandeurs affirment par ailleurs que le commissaire s’est livré à des conjectures et qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaires permettant de savoir si les demandeurs étaient exposés au risque de peines ou traitements cruels et inusités.

 

[31]           Dans le jugement Malveda, la Cour a affirmé, au paragraphe 18, que dans le cas des conclusions tirées par la Commission au sujet de la vraisemblance et de la crédibilité, la norme de contrôle appropriée était la décision manifestement déraisonnable (Soosaipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1040, paragraphe 9; Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1701, [2005] A.C.F. no 2127 (QL), paragraphe 5; Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. no 129 (QL), paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. no 98 (QL), paragraphe 19; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 N.R. 315, pages 316 et 317).

 

[32]           Les demandeurs affirment par ailleurs que le commissaire a commis une erreur de fait. Dans le jugement Malveda, la Cour explique, au paragraphe 19, que la question de savoir si la Commission a omis ou non de tenir compte d’éléments de preuve pertinents comporte un examen des faits et que la norme qui s’applique à cette question est la décision manifestement déraisonnable (Dannett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1363, au paragraphe 33).

 

[33]           Ainsi, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de notre Cour, je conclus que la norme de contrôle qui s’applique aux questions soulevées par les demandeurs est la raisonnabilité et qu’il convient, en l’espèce, de faire preuve d’un degré élevé de retenue envers cette décision. Le tribunal qui procède au contrôle judiciaire d’une décision en appliquant la raisonnabilité comme norme doit axer son analyse sur la question de savoir si la décision possède les attributs de la raisonnabilité, laquelle « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

 

LES ARGUMENTS DES PARTIES

Les demandeurs

La charge de la présentation de la preuve

 

[34]           Les demandeurs font valoir que le témoignage produit sous serment par un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu’il n’existe une raison valide de mettre en doute sa véracité (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), au paragraphe 5). Ils affirment qu’ils n’avaient aucune obligation légale de corroborer le témoignage qu’ils avaient donné sous serment et que la SPR a commis une erreur en déclarant qu’elle ne les croyait pas simplement parce qu’il n’y avait pas de preuves documentaires ou d’autres éléments de preuve corroborants (Ovakimoglu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] A.C.F. no 937 (C.A.), et Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.)).

 

[35]           Les demandeurs affirment que, bien que des éléments de preuve corroborants puissent être utiles, les demandeurs d’asile ne sont pas tenus d’en présenter. Ils soutiennent que la SPR a analysé chacun des éléments de leur demande d’asile en appliquant une charge de la preuve trop lourde et qu’elle a écarté des éléments de preuve qui étaient crédibles et dignes de foi pour la simple raison qu’ils n’étaient pas corroborés.

 

[36]           Les demandeurs citent l’extrait suivant des motifs écrits de la SPR pour illustrer leur assertion que la SPR leur a imposé une charge de présentation de la preuve trop lourde en exigeant qu’ils produisent des éléments de preuve qui corroborent tous les aspects de leur demande d’asile :

Tout d’abord, le demandeur d’asile était représenté par un conseil et le tribunal a conclu qu’il était raisonnable que celui-ci sache qu’il était tenu de fournir des preuves qui corroborent tous les aspects de sa demande d’asile [...]

 

[37]           Les demandeurs concluent qu’il ressort de la simple lecture de ses motifs écrits que la SPR a commis une erreur en imposant une charge de présentation de la preuve qui obligeait les demandeurs à fournir « des preuves qui corroborent tous les aspects de [leur] demande d’asile ». Les demandeurs soutiennent qu’en plus d’être erronée, une charge de présentation de la preuve si lourde ne s’applique pas dans le cas des demandeurs d’asile.

 

L’erreur de fait

 

[38]           Les demandeurs affirment qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité doit trouver un fondement légitime dans la preuve. Ils ajoutent que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments de preuve ou en les interprétant de façon erronée et qu’elle a fondé ses conclusions sur des conjectures. Les demandeurs affirment que la SPR a écarté à tort les craintes exprimées par le demandeur principal quant au fait qu’il était personnellement ciblé et qu’il y avait quelque chose de louche dans son congédiement, en se fondant sur le fait que deux autres personnes avaient été licenciées en même temps que lui. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agissait d’une erreur de fait. Le demandeur principal a expressément déclaré dans son témoignage que les deux personnes en question n’avaient pas été congédiées. Les demandeurs citent l’extrait suivant du dossier, à la page 21 de l’affidavit de Hunimano Coelho :

[traduction]

Le commissaire :                       Est-ce que d’autres personnes ont été mises à pied en même temps que vous, lors de la restructuration?

 

Le demandeur :             Non.

 

Le commissaire :                       Personne?

 

Le demandeur :                         Non.

 

Le commissaire :                       Combien de gens travaillaient au bureau lors de votre mise à pied?

 

Le demandeur :                         Trois.

 

Le commissaire :                       Qui étaient ces personnes?

 

Le demandeur :             Moi et Marilyn Orlando.

 

Le Commissaire :                      Qu’est-ce qu’elle faisait?

 

Le demandeur :                         Elle était contrôleure financière. Et Nancy s’occupait des ventes.

 

Le commissaire :                       Et Nancy et Marilyn sont demeurées en poste?

 

Le demandeur :                         C’est exact, Monsieur.

 

 

 

[39]           Les demandeurs affirment que l’erreur commise à cet égard par la SPR est importante et qu’elle sape les fondements mêmes de toute la décision. Si la SPR avait compris que le demandeur principal était la seule personne qui avait été mise à pied à ce moment-là, elle en serait peut-être arrivée à une conclusion différente sur la question de savoir s’il était personnellement ciblé et si sa crainte de retourner au Zimbabwe était raisonnable.

 

[40]           Les demandeurs se fondent sur le paragraphe suivant des motifs écrits de la SPR pour illustrer le fait que l’erreur de fait a joué un rôle déterminant sur la décision de la SPR :

Le tribunal conclut que le fait que deux autres membres du personnel aient été mis à pied indique que le bureau était en cours de restructuration et que le demandeur principal n’était pas ciblé individuellement ou qu’Aurex a utilisé l’excuse de la restructuration simplement pour se débarrasser de lui.

 

 

Les conjectures

 

[41]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était exposé à aucun risque de persécution au Zimbabwe reposait non seulement sur une importante erreur de fait mais qu’elle avait par ailleurs un caractère conjectural.

 

[42]           La SPR a fait observer que le demandeur principal n’avait pas d’antécédents de divulgation d’information de nature délicate au grand public et qu’il n’avait donc pas démontré que les hauts dirigeants du gouvernement auraient des raisons de le réduire au silence. Les demandeurs affirment que la décision était conjecturale parce qu’il était impossible de se prononcer sur la question de savoir si les autorités percevraient le demandeur principal comme une menace parce qu’il était au courant de la corruption et ce, indépendamment du fait qu’il avait jusque-là été discret. Les demandeurs poursuivent en affirmant que les conclusions de la SPR sont faussées en raison du fait qu’elle n’a pas saisi que le demandeur principal avait été personnellement pris pour cible lorsqu’il a été congédié de chez AuriJewel.

 

Le risque de peines ou traitements cruels et inusités

 

[43]           Les demandeurs affirment que la SPR disposait d’une abondante preuve documentaire sous forme d’articles de journaux qui parlaient des risques éventuels auxquels étaient exposés les demandeurs d’asile déboutés qui retournaient au Zimbabwe. Selon ces articles, ces personnes risquaient d’être remises entre les mains des services de sécurité du Zimbabwe dès leur arrivée et d’être persécutées.

 

[44]           Les demandeurs admettent que, bien qu’ils n’aient pas invoqué ce risque de persécution et de préjudice grave à l’audience, la SPR aurait dû examiner et déterminer le degré de risque auquel ils seraient exposés s’ils retournaient au Zimbabwe. Pour cette raison, les demandeurs affirment que l’analyse à laquelle la SPR s’est livrée en vertu de l’article 97 était viciée.

 

[45]           Les demandeurs citent l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S 689, de la Cour suprême du Canada, à l’appui de sa thèse que le tribunal doit tenir compte de tous les moyens invoqués au soutien de la demande d’asile, même si le demandeur d’asile ne les a pas invoqués à l’audience.

 

Le défendeur

La charge de présentation de la preuve

 

[46]           Le défendeur soutient que la SPR n’a pas rejeté la demande d’asile des demandeurs parce que ceux-ci n’avaient pas corroboré chacun des aspects de leur demande. Selon le défendeur, la demande d’asile a été rejetée parce que les demandeurs n’avaient pas été en mesure de fournir une explication raisonnable pour justifier pourquoi ils n’avaient pas produit de documents pour corroborer leurs assertions. Le défendeur se fonde sur le paragraphe 100(4) de la Loi, qui oblige le demandeur d’asile à fournir les renseignements et documents prévus par les Règles de la SPR. L’article 7 des Règles de la SPR oblige le demandeur d’asile à transmettre des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. L’article 106 de la Loi oblige la SPR à prendre en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de documents acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour se les procurer.

 

[47]           Le défendeur souligne que la SPR disposait d’éléments de preuve suivant lesquels, au Zimbabwe, le MDC s’assure que ses membres sont des membres en règle. La seule raison pour laquelle les demandeurs n’ont pas produit de lettres attestant qu’ils étaient membres du MDC était qu’ils ne pensaient pas que cela était nécessaire.

 

[48]           Le défendeur conclut en affirmant que la thèse défendue par les demandeurs en ce qui concerne la question de la charge de la présentation de la preuve va à l’encontre du principe selon lequel la décision ou les motifs doivent être examinés et considérés comme un tout (Kanakulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1420; Miranda c. Canada ( Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 437, aux paragraphes 3, 4 et 5, et Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1026, aux paragraphes 31 à 33).

 

L’erreur de fait

 

[49]           Le défendeur estime fondée l’affirmation selon laquelle la SPR a commis une erreur de fait en concluant que d’autres employés d’AuriJewel avaient été mis à pied en même temps que le demandeur principal. Le défendeur affirme toutefois que cette erreur n’a pas joué un rôle déterminant quant au sort de la demande d’asile. Ainsi que la SPR l’a fait remarquer, il y avait plusieurs raisons pour justifier la conclusion selon laquelle le demandeur principal avait été mis à pied : premièrement, le bureau faisait l’objet d’une restructuration, ainsi que le révèle une lettre d’AuriJewel en date du 8 avril 2005 et, deuxièmement, la restructuration visait à réduire les frais de commercialisation.

 

[50]           Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas réussi à formuler une question de droit valable, car l’extrait de la transcription de la page 21 de l’affidavit de Hunimano Coelho (à la page 19 du présent jugement) permettait uniquement de conclure qu’à l’audience, le demandeur principal avait affirmé qu’il était la seule personne qui avait été mise à pied. Cet extrait n’établissait pas ce qu’il avait déclaré plus tard dans son témoignage sur cette même question ou qu’il ne s’était pas rétracté par la suite. De plus, les demandeurs se fondent sur l’affidavit d’un technicien juridique qui ne précise pas si l’on a examiné toute la transcription.

 

[51]           Le défendeur souligne que la lettre du 8 avril 2005 adressée au demandeur principal porte ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Le plan de commercialisation consiste à employer des mandataires pour le marché des États-Unis. Le personnel d’AuriJewel sera donc touché par la stratégie. Le 1er mai 2005, à l’occasion de notre visite d’avril aux États‑Unis, nous donnerons leur préavis à tous les employés d’AuriJewl conformément à nos obligations contractuelles.

 

 

[52]           Le défendeur signale en outre qu’au paragraphe 23 de l’exposé circonstancié joint à son FRP, le demandeur principal qualifie son licenciement de « mise à pied » plutôt que de congédiement injustifié :

[TRADUCTION]

 

[...] En avril 2005, j’ai reçu un avis du directeur de la commercialisation d’Aurex m’informant que le bureau d’AuriJewel était restructuré pour réduire les coûts et m’invitant à devenir un mandataire. Dans une lettre subséquente, on a retiré l’offre qui m’était faite de devenir un mandataire et j’ai été mis à pied [...]

 

 

[53]           Le défendeur souligne en outre que le demandeur principal savait que son emploi ne lui était pas assuré et qu’il avait commencé un an avant sa mise à pied à chercher une solution de rechange. Au paragraphe 19 de l’exposé circonstancié joint à son FRP, le demandeur principal explique ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Avant que M. Gono ne soit nommé gouverneur de la banque de réserve, Aurex et AuriJewel exerçaient leurs activités en tant que compagnies privées indépendantes. Lorsque Gono est entré en fonctions à la fin de 2003, il s’est vu attribué des pouvoirs élargis pour gérer toute société qu’il considérerait stratégique. Toutes les compagnies qui généraient des devises étrangères faisaient partie des sociétés qu’il visait. En raison des pénuries chroniques de devises étrangères, RBZ a été transformée en véhicule par lequel le Zanu PF terrorisait ceux qui étaient considérés comme externalisant des fonds, faisant des opérations sur le marché noir et faisant obstacle à la stratégie de redressement du gouvernement du Zanu PF, ce qui m’a fait craindre pour mon avenir. J’ai donc décidé de trouver une solution de repli en demandant la résidence permanente aux États‑Unis. C’était vers le mois d’avril 2004. J’ai également commencé à chercher un nouvel emploi alors que je travaillais encore pour AuriJewel.

 

Les conjectures

 

[54]           Selon le défendeur, les arguments que formulent les demandeurs sur cette question reposent sur une lecture isolée de chacune des conclusions de la SPR. Le défendeur affirme que, si on situe l’ensemble des conclusions dans leur contexte, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que le demandeur principal ne serait pas perçu comme une menace par les autorités du Zimbabwe.

 

Le risque de peines ou traitements cruels et inusités

 

[55]           Le défendeur souligne que cette question n’a pas été expressément soulevée devant la SPR. De plus, s’il n’existe pas d’autres éléments de preuve que ceux dont il a été tenu compte pour l’analyse fondée sur l’article 96 qui seraient susceptibles d’établir que le demandeur d’asile est une personne à protéger, il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse prévue à l’article 97 (Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, au paragraphe 22; Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 635; Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1119, et Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1008). Le défendeur conclut que les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existait des éléments de preuve justifiant une analyse distincte fondée sur l’article 97.

 

ANALYSE

 

 

[56]           J’ai examiné à tour de rôle chacun des moyens invoqués par les demandeurs. Il ne m’est pas possible de conclure que la décision est déraisonnable ou qu’elle donne par ailleurs ouverture à un contrôle judiciaire en raison de la question des éléments de preuve corroborants et je ne souscris pas à l’argument selon lequel le commissaire a imposé une charge de présentation de la preuve trop lourde.

 

[57]           Comme le défendeur le souligne, la SPR appliquait simplement le paragraphe 100(4) et l’article 106 de la Loi et l’article 7 des Règles de la SPR. Aucune explication raisonnable n’a été avancée au sujet du défaut des demandeurs d’obtenir les documents pertinents.

 

[58]           Pour ce qui est de la question de la conjecture, je dois abonder dans le sens du défendeur. Lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, on constate que la SPR avait des motifs raisonnables de conclure que les autorités du Zimbabwe ne percevraient pas le demandeur comme une menace.

 

[59]           Il n’y a rien non plus qui justifie de remettre en question l’omission de la SPR de tenir compte du paragraphe 97(1) et du risque auquel les demandeurs seraient exposés en tant que demandeurs d’asile déboutés. Les demandeurs n’ont pas évoqué ce risque devant la SPR et il n’y a aucun élément de preuve, hormis ceux qui ont été examinés dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article 96, pour établir que les demandeurs sont des personnes à protéger au sens de l’article 97.

 

[60]           L’erreur de fait est plus compliquée. Le défendeur admet que le demandeur principal n’a pas affirmé dans son témoignage qu’une contrôleure financière et une collègue de travail chargée des ventes avaient été mises à pied en même temps que lui, mais il soutient que cette erreur n’a pas eu de conséquence déterminante sur le sort de la demande d’asile.

 

[61]           La SPR disposait d’autres éléments de preuve qui la justifiaient de conclure que le demandeur principal avait été mis à pied parce qu’Aurijewel était en voie de restructuration et non parce qu’il était ciblé. La lettre du 8 avril 2005 était adressée à [TRADUCTION] « tous les employés d’Aurijewel » qui seraient touchés par la stratégie consistant à engager des mandataires pour le marché des États-Unis. Il semble que le demandeur principal était au courant que son emploi était compromis parce qu’il a [TRADUCTION] « décidé de trouver une solution de repli en demandant la résidence permanente aux États-Unis » et qu’il a [TRADUCTION] « également commencé à chercher un nouvel emploi alors [qu’il travaillait] encore pour AuriJewel ». Il semble qu’il ait été incité à entreprendre ces démarches à la suite de l’entrée en fonctions de M. Gono en 2003 et du ciblage de toutes les compagnies qui généraient des devises étrangères.

 

[62]           On trouve par ailleurs un contexte plus large que celui du passage tiré par les demandeurs de la transcription dans lequel le demandeur principal explique que personne d’autre que lui n’a été mis à pied dans la foulée de la restructuration. Voici, à titre d’exemple, l’échange que l’on trouve aux pages 57 et 58 de la transcription, où la question de la mise à pied est abordée :

[TRADUCTION]

 

Le commissaire :      Vous avez fourni deux ou trois documents qui parlent de mise à pied et ils vont dans le même sens en expliquant qu’on procédait à une réorganisation et à une restructuration du service et que l’on optait pour les ventes à commission plutôt que pour les ventes sans commission. Qu’est-ce qui vous fait croire ou avez-vous des preuves que vous avez été précisément mis à pied en raison des informations que vous possédiez?

 

Le demandeur :       Je ne comprenais pas pourquoi, Monsieur, ils m’avaient ciblé pour me mettre à pied. La seule raison logique à laquelle je pouvais songer était mon refus d’adhérer à la philosophie de la banque et le fait que j’avais connaissance de renseignements de nature délicate.

 

Le commissaire :      Mais tout ça, c’est des suppositions. Vous n’avez rien d’écrit qui...

 

Le demandeur :       C’est la peur, Monsieur, j’ai peur.

 

Le commissaire :     D’accord. Je dois trancher sur les faits. Je vais donc comparer votre crainte subjective avec les éléments de preuve documentaires que vous m’avez soumis et je vais les soupeser. Avez-vous des renseignements au sujet de la structure actuelle du bureau d’Aurex à New York?

 

Le demandeur :       Non, Monsieur.

 

Le commissaire :     Donc, vous ne savez pas s’ils ont effectivement réduit leurs effectifs?

 

Le demandeur :       Je l’ignore, Monsieur.

 

Le commissaire :     C’est que, sans le savoir, si je savais qu’ils menaçaient dans les lettres de réduire leurs effectifs pour ensuite se débarrasser de vous tout en conservant tous les autres employés et qu’ils n’auraient pas recouru à des mandataires pour la vente, on pourrait faire un lien logique entre leurs tentatives pour se débarrasser de vous et l’absence de changement. Mais nous ne savons pas si des changements ont été effectués au sein de ce bureau, n’est-ce pas?

 

Le demandeur :       La seule chose que je puisse dire...

 

Le commissaire :     Je n’en ai aucune idée. Ce n’est donc qu’une supposition.

 

Le demandeur :       La seule chose que je puisse dire, Monsieur, c’est que j’ai laissé les gens là-bas.

 

Le commissaire :     J’ai laissé les gens là-bas.

 

Le demandeur :       Oui.

 

Le commissaire :     Avez-vous communiqué avec l’un d’entre eux pour vous mettre au courant oralement ou par écrit au sujet de ce qui s’est passé au sein de ce bureau?

 

Le demandeur :       Non.

 

Le commissaire :     Pourquoi n’avez-vous pas cherché à avoir un suivi?

 

Le demandeur :       J’avais quitté la compagnie, Monsieur, j’estimais qu’il n’était pas nécessaire que je communique avec eux.

 

Le commissaire :     Y’a-t-il un site Internet offrant une liste du personnel que vous auriez pu consulter?

 

Le demandeur :       Non, il n’y a pas de site Internet.

 

 

[63]           Ainsi qu’il ressort de l’ensemble de la transcription, la SPR s’est surtout dite préoccupée par le fait que les allégations du demandeur principal selon lesquelles il avait été pris pour cible étaient entièrement conjoncturelles étant donné qu’il y avait amplement d’éléments de preuve tendant à démontrer que la compagnie faisait effectivement l’objet d’une restructuration.

 

[64]           Ce ne sont pas toutes les erreurs de fait qui justifient l’intervention de la Cour. Bien que la SPR ait commis une erreur de fait, il existe d’autres éléments de preuve documentaires qui appuient sa conclusion que le congédiement du demandeur principal ne s’expliquait pas par une tentative de le cibler. La Commission a cité ces éléments de preuve; on les trouve notamment dans la lettre du 8 avril 2005 reçue par le demandeur principal et dans les observations formulées dans l’exposé circonstancié du FRP du demandeur principal. Ces éléments de preuve appuient la conclusion de la Commission.

 

[65]           J’estime que le jugement Chulu c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 116, renferme des directives utiles. Dans cette affaire, la Commission avait commis plusieurs erreurs de fait et le défendeur avait reconnu que la Commission avait effectivement commis une de ces erreurs. La Cour a déclaré ce qui suit :

16     L'intimé reconnaît que la Commission a effectivement commis une de ces erreurs. Toutefois, l'intimé dit que ces erreurs n'étaient pas importantes pour la décision de la Commission et ne changeraient pas sa conclusion que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Je suis d'accord. Le fait que la Commission a mal énoncé quelques petits points ne modifie pas la décision à laquelle elle est en fin de compte parvenue. Je fais mien le raisonnement adopté par le juge Joyal dans l'affaire Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81, où il s'est prononcé en ces termes :

 

Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble certes, on pourrait les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées, dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.

 

J'ai lu les notes sténographiques des dépositions des témoins devant la Commission et j'ai entendu les arguments des deux avocats. Bien qu'il soit possible d'isoler un commentaire dans la décision de la Commission et de conclure que celle-ci s'est trompée, l'erreur doit néanmoins être pertinente à la décision rendue.

17     Après avoir examiné soigneusement la décision de la Commission, je ne suis pas convaincu que les erreurs de fait commises par la Commission soient si insignes que la Cour doit intervenir.

 

 

[66]           Compte tenu de la transcription, de la décision considérée dans son ensemble et des éléments de preuve dont disposait la SPR sur cette question, je ne crois pas que si l’erreur concernant les deux autres employées n’avait pas été commise, la SPR aurait pu en arriver à une autre conclusion que celle suivant laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait été ciblé dans le passé ou qu’il avait été mis à pied parce qu’il avait dénoncé des abus ou qu’il possédait des informations de nature délicate.

 

[67]           De plus, si l’on lit la décision comme un tout, et si l’on tient compte, en particulier, des conclusions de la SPR au sujet du bien-fondé de la crainte de persécution au Zimbabwe en cas de retour des demandeurs dans ce pays, on ne saurait raisonnablement affirmer que cette erreur a pu influencer la décision de la SPR.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande est rejetée.

 

2.         Il n’y a pas de question à certifier.

 

                                                                                                            « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1058-08

 

INTITULÉ :                                       SHAKESPEARE CHIKUKWA

JOAN GORORO

TEMPTATION KIMBERLY (KIMB) CHIKUKWA

LEONORAH TAISAI YEMURAI CHIKUKWA (mineure)

NIGEL MARUVA CHIKUKWA (mineur)

KUSIVAKWASHE CHIKUKWA (mineur)

c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      23 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LES DEMANDEURS

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

AVOCATS

TORONTO (ONTARIO)

 POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

 

 

 

 

                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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