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Date : 20081104

Dossier : IMM-790-08

Référence : 2008 CF 1213

Montréal (Québec), le 4 novembre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

LAMINE YANSANE

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi) la révision judiciaire de la décision (décision CH) d’un agent d’examen des risques avant renvoi (agent ERAR) datée du 26 novembre 2007, et ayant pour effet de lui refuser sa demande de résidence permanente basée sur des considérations humanitaires (demande CH) selon l’article 25 de la Loi.

 

II.        Les faits

 

[2]               Le demandeur est un jeune musulman d’ethnie Soussou, âgé de 36 ans, marié et père de trois enfants. Sa femme, ses trois enfants, ses parents, et sa fratrie vivent toujours en Guinée.

 

[3]               Il allègue que ses parents sont des personnes très pieuses et attachées aux traditions. Outre sa profession d’enseignant à l’école coranique de Bagota, le père du demandeur est également Imam au sein de la mosquée de Kasapo.

 

[4]               En février 1994, le demandeur fréquente en cachette Mariama Kalabane, une jeune fille de religion catholique de son quartier. Projetant de marier celle-ci, il décide de la présenter à sa famille qui réagit très mal à la nouvelle, et particulièrement le père du demandeur qui s’oppose catégoriquement au mariage de son fils avec une femme de religion catholique. Mais suite à l’intervention d’un oncle, le père du demandeur se résigne à ce mariage sur la promesse de son fils qu’après son mariage il verra à convertir sa femme à l’Islam. C’est donc avec le consentement du père du demandeur que le 2 octobre 1994, le jeune couple se marie.

 

[5]               Le demandeur soutient toutefois qu’une grande tension subsiste entre lui, son père, et le reste de sa famille, en raison du fait que sa femme après leur mariage persiste dans le catholicisme. Le demandeur prétend que sa femme et lui font régulièrement l’objet de persécution morale et parfois même physique, à tel point que son père ira même jusqu’à le presser de quitter sa femme pour épouser une cousine, ce à quoi il s’oppose. En octobre 2004 la situation du demandeur devient insupportable, à tel point qu’il décide de déménager dans une autre ville avec sa femme et ses enfants.

 

[6]               Le demandeur se familiarise peu à peu avec le catholicisme pour finir par conclure que cette religion est moins contraignante que l’Islam. Il décide donc de quitter l’Islam et d’embrasser la religion catholique, malgré sa crainte pour la réaction de sa famille et plus particulièrement celle de son père capable de tout selon lui pour lui faire payer une telle humiliation.

 

[7]               Le 15 septembre 2005, le père et l’oncle se présentent à la maison du demandeur alors que celui-ci se trouve avec sa femme et ses enfants, pour vérifier la rumeur voulant que le demandeur fréquente régulièrement depuis quelque temps l’église catholique. Le demandeur confirme la rumeur, tente de faire comprendre à son père ses motifs et lui annonce qu’il compte sérieusement se convertir au christianisme. La nouvelle provoque un violent excès de colère du père à tel point que celui-ci injurie et maudit son fils et quitte sous la promesse de lui faire payer de sa vie une telle humiliation et trahison à l’Islam. Il rappelle de plus à son fils un principe islamique à l’effet que la mort constitue le sort réservé aux traîtres.

 

[8]               Inquiet du danger qu’il croit le guetter désormais, le demandeur se cache chez le grand-frère de sa femme, où celle-ci vient l’informer qu’au cours de la nuit, son père s’est présenté à leur domicile avec cinq membres de la mosquée de Kasapo pour venir le chercher.

 

[9]               Après avoir mis sa famille à l’abri chez une grand-mère de sa femme, le demandeur quitte la Guinée le 15 octobre 2005, muni de faux documents fournis par le beau-frère et arrive au Canada le lendemain pour solliciter l’asile.

 

[10]           Le 16 août 2006, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejette la demande d’asile en concluant que :

le demandeur « ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté en vertu de l’un des motifs de la Convention. Il n’a pas non plus réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’advenant son retour en Guinée, il serait personnellement exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. »

 

[11]           Le demandeur conteste la décision de la SPR mais, le 16 janvier 2007, la Cour lui refuse l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire contre celle-ci.

 

[12]            Le 2 avril 2007, le demandeur présente une demande CH et il ajoute subséquemment à son dossier une demande d’examen des risques avant renvoi. Ces deux demandes sont entendues par le même agent ERAR qui les rejette le même jour, soit le 26 novembre 2007, en conclut comme suit :

Décision CH

« Après avoir considéré les éléments et preuves apportés par le demandeur, en consultation des sources publiques et en application des critères énoncés au guide ministériel IP5, j’arrive à la conclusion que le fait de déposer sa demande de visa à l’étranger ne constitue pas une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive. »

 

Décision ERAR 

« En considérant le dossier du demandeur, dont la demande ERAR, la FRP, la décision et les motifs de décision de la CISR, les observations de la demande CH, en consultation de documents de référence de sources publiques et différentes sur la situation actuelle de la Guinée, je suis d’avis qu’il n’existe pas plus qu’une simple possibilité de persécution dans son pays tel que décrit à l’article 96 de la LIPR.

La demande d’examen des risques avant renvoi ne démontre pas qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il serait soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention sur la Torture ou à une menace à la vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, tel que décrit à l’article 97 de la LIPR, dans l’occurrence de son renvoi en Guinée. »

 

[13]           Le présent recours vise uniquement la décision CH.

 

[14]           Enfin, le 3 mars 2008, la Cour ordonne le rejet de la requête du demandeur visant à surseoir à son renvoi et dans son ordonnance la Cour prend soin de préciser que la nouvelle preuve qu’on lui présente ne saurait être utilisée pour démontrer l’existence d’une question sérieuse à débattre au niveau du présent recours en contrôle judiciaire.

 

III        Question en litige

 

[15]           La seule question en litige en espèce consiste à se demander si compte tenu des circonstances mises en preuve, l’agent d’ERAR commet une erreur susceptible de révision dans sa décision ayant pour effet de rejeter la demande CH.

 

IV        Analyse

 

            Norme de contrôle judiciaire

[16]           Les cours doivent traiter avec déférence les décisions des tribunaux administratifs spécialisés bénéficiant d’une expertise dans les affaires où s’exerce leur juridiction. La déférence à accorder à un tribunal dépend des facteurs suivants : l’existence d’une clause privative; si le décideur possède une expertise spéciale dans un régime administratif distinct et particulier; et la nature de la question en litige (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 55).

 

[17]           La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l'application de la norme de la raisonnabilité (voir Dunsmuir au paragraphe 54). La Cour suprême du Canada a déterminé, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL), aux paragraphes 57-62, que la norme de contrôle appropriée pour les demandes basées sur des considérations humanitaires est celle de la décision raisonnable simpliciter, devenue depuis l’arrêt Dunsmuir précité la norme de la décision raisonnable.

 

[18]           Dans le présent dossier, la Loi ne contient pas de clause privative. Bien qu’on y prévoit la possibilité de recourir au contrôle judiciaire, elle ne peut se faire sans l'autorisation de la Cour fédérale. Quant à l’expertise du décideur, en l'espèce, le décideur est le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ou son représentant. Le Ministre a une certaine expertise par rapport aux tribunaux en matière d'immigration, surtout en ce qui concerne les dispenses d'application des exigences habituelles. Ce facteur milite en faveur de la retenue. Finalement, en ce qui a trait à la nature de la question, la décision d'accorder une dispense fondée sur des raisons d'ordre humanitaire demande principalement l'appréciation de faits relatifs au cas d'une personne, et ne porte pas sur l'application ni sur l'interprétation de règles de droit précises. Le fait que cette décision soit de nature hautement discrétionnaire et factuelle milite en faveur de la retenue (Barzegaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 681).

 

[19]           Pour ces motifs, la Cour appliquera donc au présent cas la norme de la décision raisonnable. De sorte que pour justifier son intervention, il reste à la Cour de se demander si la décision contestée est raisonnable, compte tenu de sa justification et de son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, par. 47).

 

L’agent d’ERAR commet-il une erreur susceptible de révision en rejetant la demande CH de M. Lamine Yansane?

 

[20]           Le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que le Ministre peut accorder la résidence permanente ou une exemption d’une obligation de la Loi si on le satisfait qu’il existe des motifs humanitaires ou d’intérêt public pouvant justifier une telle décision.

 

[21]           L’examen d’une telle demande comprend deux évaluations distinctes. Pour justifier cette dispense, le demandeur doit démontrer que sa situation personnelle est telle qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il était tenu de présenter sa demande de résidence permanente hors du Canada. Le décideur doit donc d’abord déterminer si le demandeur lui a offert une preuve convaincante justifiant l’octroi d’une dispense de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Le décideur doit dans un deuxième temps déterminer l’admissibilité au Canada du demandeur de dispense (Herrada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1003, 157 A.C.W.S. (3d) 412).

 

[22]           Ici le demandeur allègue un risque de persécution par sa famille : son père l’aurait menacé de mort parce qu’il n’accepte pas son mariage et sa conversion au catholicisme et le reste de sa famille accepte mal sa décision.

 

[23]           Toutefois, la SPR chargée d’entendre la demande d’asile du demandeur et d’analyser les mêmes risques et les mêmes faits conclut dans sa décision que le demandeur n’a pas su établir l’existence d’une « possibilité sérieuse de risque » de persécution. La SPR conclut de plus que le demandeur n’a pas établi la probabilité d’un risque de torture ou de menace à sa vie ou de risque de traitement ou peines cruels et inusités, advenant son retour dans son pays d’origine. Cette décision de la SPR constitue chose jugée, quant aux risques alors invoqués par le demandeur pour appuyer sa demande initiale de refuge au Canada.

 

[24]           De plus, l’agent chargé de l’ERAR conclut « que le fait (pour le demandeur) de déposer sa demande de visa à l’étranger ne constitue pas une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive. »

 

Intégration du demandeur

[25]           Bien que le demandeur réside au Canada depuis le 16 octobre 2005, ses attaches familiales n’en demeurent pas moins en Guinée, là où habitent sa femme et ses trois enfants.

 

[26]           Par ailleurs, après avoir été bénéficiaire de l’aide sociale pendant quelques mois (octobre 2005 au début 2006), il commence à travailler en 2006 et occupe divers emplois : opérateur de pont-roulant depuis juillet 2006, après un suivi de formation, et vendeur à temps partiel au Stade Olympique.

 

[27]           Considérant que le demandeur a travaillé à titre de mécanicien dans son pays, qu’il a pu étudier et travailler en Guinée sans difficultés, que toutes ses attaches familiales sont en Guinée et que ses efforts pour gagner une certaine autonomie financière, bien que louables, ne soient pas source d’une difficulté excessive, l’agent d’ERAR conclut qu’il n’y a pas lieu de lui accorder une dispense pour ces motifs.

 

Crainte du demandeur

[28]           La crainte invoquée par le demandeur dans le cadre de la demande de dispense ne diffère guère de celle alléguée devant la SPR au soutien de sa demande d’asile telle qu’appréciée par cette Cour en janvier 2007.

 

[29]           Essentiellement le demandeur craint surtout son père, un Imam, ainsi que d’autres membres de sa famille en raison de son mariage avec une catholique en 1994 et sa décision, vers la fin de 2005, de se convertir lui-même au catholicisme. Devant l’agent ERAR il ajoute à cette preuve la concrétisation en 2007 de cette conversion par son baptême en sol canadien, ainsi que le déménagement de sa femme, après son départ de Guinée, pour se mettre à l’abri de sa belle-famille avec ses enfants.

 

[30]           À l’exception du baptême du demandeur en 2007 et du déménagement après son départ de sa femme et ses enfants, la SPR a considéré dans sa décision tous ces éléments avant de conclure et expliquer pourquoi elle ne pouvait prêter foi au récit du demandeur.

 

[31]           L’ERAR n’a pas pour but de refaire le même exercice ni de siéger en appel d’une décision de la SPR ayant acquis force de chose jugée depuis le refus de la Cour d’accorder l’autorisation de soumettre celle-ci au contrôle judiciaire (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 483, [2000] A.C.F. no 1365 (QL), au paragraphe 27; Hussain c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 751 (C.F. 1ère inst.) (QL), au paragraphe 12).

 

[32]           L’agent d’ERAR note que le demandeur soulève essentiellement les mêmes risques dans ses demandes CH et ERAR que dans sa demande d’asile devant la SPR. Comme la SPR conclut au manque de crédibilité du demandeur, l’agent d’ERAR conclut que le demandeur ne lui a pas démontré avec preuves suffisantes que sa sécurité et sa vie seraient menacées dans son pays.

 

[33]           Le demandeur réitère néanmoins qu’il sera tué par son père s’il retourne en Guinée. Mais une telle affirmation ne reflète pas la situation qui prévaut de 1994 à 2005 en Guinée, ce qui justifie d’ailleurs la SPR dans sa décision de ne pas la juger crédible.

 

[34]           Sur le fait que la situation du demandeur se serait « aggravée » suite à son baptême, l’agent d’ERAR conclut, dans sa décision, que cette concrétisation officielle d’une conversion amorcée et dévoilée publiquement en Guinée n’ajoute rien de nouveau aux éléments de risque déjà invoqués.

 

[35]           Eut égard au respect de la liberté de religion en Guinée, la preuve démontre la laïcité de l’État guinéen dont la constitution prévoit la liberté de religion. La décision ERAR précise que le gouvernement ne tolère pas les abus religieux tant au sein du gouvernement que dans le domaine privé. Selon la preuve documentaire la discrimination ou la violence en Guinée ne résulte pas de la religion. Bien que la situation ne soit pas parfaite, la liberté de religion en Guinée prévaut pour les chrétiens même s’ils ne comptent que pour 10% de la population.

 

[36]           Rappelons que la Cour n’a pas jugé opportun d’intervenir et d’autoriser la révision judiciaire de la décision de la SPR. Ainsi, la conclusion de la SPR sur l’absence de crédibilité du demandeur et sur les faits antérieurs à sa décision subsiste. Par conséquent, au moment de conclure que le fait pour le demandeur de déposer sa demande de visa à l’étranger ne constitue pas une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive, l’agent ERAR tout comme la SPR avant lui peut avoir de bons motifs de douter que la sécurité et la vie du demandeur seraient menacées advenant son retour au Guinée.

 

Introduction de nouvelle preuve

[37]           Le demandeur dépose avec son affidavit supplémentaire les preuves supplémentaires produites au soutien de sa demande de sursis de déportation et de sa demande de révision de la décision CH. Indépendamment du fait que cette preuve supplémentaire semble faire état, mais sous un emballage différent, des mêmes risques déjà invoqués devant la SPR et l’agent ERAR, voici que le demandeur les produit après les décisions CH et ERAR et dans le cadre du présent recours en contrôle judiciaire.

 

[38]           La Cour ne saurait permettre à ce stade-ci au demandeur de procéder ainsi, soit d’invoquer des éléments de preuve qui n’étaient pas devant le décideur administratif dont la décision fait l’objet du présent recours, même si cette nouvelle preuve n’ajoute aucun nouvel élément aux risques déjà évalués par la SPR et l’agent ERAR. Le demandeur l’ignore peut-être, mais son procureur ne peut pas l’ignorer : il s’agit là d’un principe fondamental. Et ce d’autant plus que l’affidavit supplémentaire du demandeur, produit et sans doute préparé pour lui par son procureur, ne fait état d’aucune circonstances exceptionnelles ou autorisation préalable pouvant justifier de procéder ainsi (Bekker c. Canada, (2004) 323 NR 195 (CAF), au paragraphe 11; Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158, au paragraphe 7; Asafov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (CF), au paragraphe 2).

 

[39]           Que le procureur du demandeur se prête ainsi à une telle manœuvre devient d’autant plus inacceptable pour un membre du Barreau au fait de l’ordonnance signée par un juge de cette Cour, le 3 mars 2008, lors du rejet de la requête visant à surseoir au renvoi, et spécifiant que la preuve nouvelle soumise ne peut être utilisée pour démontrer la présence d’une question sérieuse.

 

[40]           Pour ces motifs, la Cour maintient l’objection du défendeur à la production de ces pièces à ce stade-ci de la procédure; et puisque ces pièces deviennent inadmissibles dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il n’y a pas lieu de les commenter davantage, sauf pour dire qu’elles constituent tout au plus une redite, sous nouvel emballage, des mêmes risques évalués par la SPR et l’agent ERAR avant de conclure comme ils l’ont fait.

 

[41]           En conséquence, après l’analyse de la preuve au dossier et de la décision CH en litige, et avoir considéré les arguments des parties, la Cour conclut que l’agent ERAR pouvait raisonnablement conclure au rejet à la fois de la demande CH et de la demande ERAR, en tenant compte de l’absence totale de crédibilité du demandeur constatée par la SPR et en se fondant de plus sur sa propre analyse des nouveaux éléments de preuve ajoutés depuis, soit la concrétisation par le baptême en sol canadien de l’adhérence du demandeur au catholicisme ainsi que le déménagement récent de sa femme avec ses enfants pour échapper à sa belle-famille.

 

[42]           La décision CH visée par le présent recours est justifiée et appartient aux issues possibles et acceptables en faits et en droit, de sorte que cette Cour ne saurait la qualifier de déraisonnable. Bien au contraire. Cette conclusion entraîne le rejet de la présente demande de révision judiciaire.

 

V.        Question à certifier

[43]           Le demandeur propose pour certification la question suivante :

Est-ce que les nouvelles preuves obtenues après une décision administrative sur les raisons humanitaires ou sur le risque de retour et qui sont pertinentes et conclusives sur une question centrale sont admissibles lors d’un contrôle judicaire de la décision de l’agent d’immigration en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’on cherche à établir une violation de la Charte?

 

[44]           Le jugement sur une demande de contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci (article 74d) de la Loi).

 

[45]           Cependant, pour que la Cour accepte de certifier une question, il ne suffit pas d’avancer que celle-ci n’a jamais été tranchée; encore faut-il que la question proposée soit aussi « déterminante quant à l’issue de l’appel ... [et qu’on n’utilise pas la certification demandée] comme un moyen d’obtenir de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée. » [Je souligne] (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 4).

 

[46]           Le demandeur soutient que sa « déportation avec des risques substantiels pour lui de subir la torture ou de perdre sa vie violerait les garanties de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) ». Il allègue que cette situation justifie la considération de nouvelles preuves dans le cadre d’un contrôle judiciaire en Cour fédérale.

 

[47]           Rappelons que l’agent ERAR n’a pas conclu à un risque de torture ou risque pour la vie du demandeur en Guinée et que cette Cour a déjà conclu qu’il n’y a pas matière à intervention sur cette conclusion jugée raisonnable. Mais même en admettant qu’il y aurait eu matière à intervention, cette Cour aurait pu intervenir sans recourir à de nouvelles preuves ou référer à l’article 24 de la Charte.

 

[48]           La question à certifier ne peut être déterminante sur l’issue de l’appel puisqu’elle n’a jamais été soumise à l’agent ERAR, pas plus que le demandeur n’a cherché à lui offrir ces éléments de preuve obtenus après les décisions CH et ERAR.

 

[49]           De plus et contrairement aux prétentions du procureur du demandeur la question n’est pas nouvelle et a déjà été décidée, faut-il encore une fois le répéter, tant par cette Cour que par la Cour d’appel (voir Bekker, Samsonov , et Asafov précités)? 

 

[50]           Il semble que oui puisque la Cour n’ignore pas que dans l’affaire Isomi c. M.C.I. (2006) CF 1394, le même procureur, Me Istvanffy, cherchait à déposer de la preuve nouvelle et la certification d’une question similaire dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision ERAR. Or cette Cour, sous la plume du juge Simon Noel lui signifiait que le renvoi à l’article 24 de la Charte ne modifie en rien la compétence de la Cour fédérale et la règle jurisprudentielle qu’on ne saurait admettre de la preuve nouvelle dans le cadre d’un contrôle judiciaire, sans changer le rôle du juge siégeant en semblable matière.

 

[51]           Les devoirs et obligations de Me Istvanffy envers son client ne le dispensent pas pour autant de ses devoirs et obligations envers la Cour. En tant qu’officier de justice, il ne peut donc ignorer comme il le fait ici une règle jurisprudentielle bien établie et qui lui a été d’ailleurs expliquée à plus d’une reprise. En conséquence, rappelons au procureur quelques commandements du Code de déontologie des avocats membres du Barreau de Québec:

1.   L'avocat doit soutenir le respect de la loi. Il ne doit pas prononcer des paroles ou publier des écrits contraires aux lois (article 2.01);

2.   L'avocat doit éviter tout procédé purement dilatoire (article 2.05).

 

Affirmer erronément devant la Cour qu’il n’existe aucune décision sur une des questions en litige, et encourager une partie à produire des documents qui ne font que donner un nouvel emballage aux mêmes éléments de risque déjà considérés par le décideur antérieur ne semblent pas conforme à ces commandements.

 

[52]           Il convient aussi de lui rappeler qu’il existe une autre alternative que celle ici suivie, soit déposer une nouvelle demande de dispense en vertu de l’article 25 de la LIPR, dans la mesure où celle-ci invoque vraiment une preuve nouvelle et non pas seulement les même éléments de risques déjà considérés.

 

[53]           L’utilisation des principes découlant de la Charte faite par le demandeur ne donne pas droit pour autant à la certification de la question proposée, puisque dans le présent cas la demande de contrôle judiciaire ne peut être assimilée à un appel et doit s’apprécier uniquement sur la base de la preuve déjà soumise au premier décideur.

 

[54]           Bref, la question n’est pas déterminante sur l’issue de l’appel - elle ne transcende pas les intérêts des parties, elle n’aborde pas des éléments ayant des conséquences importantes puisque le demandeur ne demeure pas privé de recours, et de plus, le principe sous-entendu n’est pas nouveau puisqu’il a déjà été décidé tant par cette Cour que par la Cour d’appel fédérale. Par conséquent, la Cour refusera de certifier la question.

 

 


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire et REFUSE de certifier la question proposée par le demandeur.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-790-08

 

INTITULÉ :                                       LAMINE YANSANE  c.  MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 4 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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