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Date : 20021002

 

Dossier : IMM‑4593‑01

 

Référence neutre : 2002 CFPI 1029

 

 

ENTRE :

 

                                                       BILLAL AHMAD YASSIN

 

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

 

 

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE KELEN

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, visant la décision par laquelle une agente d’immigration, Mary C. Bennett, a rejeté, en date du 21 septembre 2001, la demande d’établissement de M. Yassin au motif que celui‑ci n’était pas admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration (la Loi) parce qu’il avait été complice de crimes contre l’humanité à l’époque où il était policier en Afghanistan.

[2]               Il faut décider si l’agente d’immigration a manqué à l’obligation d’équité procédurale :

(i)                  en n’accordant pas une entrevue au demandeur;

(ii)                en ne donnant pas de motifs suffisants.

Il faut décider également si l’agente d’immigration a commis une erreur de droit :

(i)                  en n’appliquant pas le moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur invoqué par le demandeur;

 


(ii)                en considérant que la conclusion de la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur était exclu de la protection de la Convention par l’alinéa 1Fa) établissait qu’il n’était pas admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi.

 

 

 

LES FAITS

 

[3]               Le demandeur, un citoyen de l’Afghanistan, a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention dès son arrivée au Canada. La SSR a refusé de lui reconnaître ce statut le 16 mai 1996 parce qu’elle ne disposait d’aucune preuve crédible ou digne de foi sur laquelle elle aurait pu s’appuyer pour conclure à l’existence d’une crainte fondée de persécution. La SSR a aussi exclu le demandeur en vertu de l’alinéa 1Fa) parce que celui‑ci avait fait partie du Sarandoy, le service de police qui existait en Afghanistan sous l’ancien régime communiste, et avait été complice de la torture de détenus par la police secrète connue sous le nom de Khad. La SSR a écrit, à la page 20 de sa décision :

[traduction] Le tribunal estime que l’ensemble de ces éléments de preuve montre qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le revendicateur a été complice de la torture de détenus; que, contrairement à ses allégations incohérentes et invraisemblables, il a participé personnellement et sciemment à cette torture; et qu’il a partagé un but commun avec le Khad. En conséquence, le tribunal conclut que le gouvernement a démontré, comme il devait le faire, que le revendicateur est visé à l’alinéa 1Fa).

 

La Cour a refusé d’autoriser l’appel de cette décision.

 

[4]               À l’époque du rejet de la revendication du demandeur, un revendicateur débouté était réputé, suivant le Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172, et ses modifications, avoir présenté une demande d’établissement à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) à la date du rejet. Le Règlement a été modifié le 1er mai 1997. Dorénavant, les revendicateurs déboutés en vertu de l’alinéa 1Fa) sont exclus de la CDNRSRC.

 

[5]               Bien que le demandeur ait déposé des observations concernant les risques au soutien de sa demande de CDNRSRC le 15 novembre 1996, celle‑ci n’a été examinée que le 30 mai 1997. Elle a été automatiquement rejetée en raison de la modification apportée au Règlement. Cette décision a été portée en appel auprès de la Cour. Mme le juge Tremblay‑Lamer a accueilli l’appel et a ordonné que le demandeur soit réputé avoir présenté une demande à titre de membre de la CDNRSRC (Yassin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 909 (1re inst.) (QL)).

 


[6]               Le demandeur a ensuite présenté une demande d’établissement, et son cas a été renvoyé à la section régionale des crimes de guerre du défendeur pour que celle‑ci décide s’il était non admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi. Il a été informé de son droit de présenter des observations au sujet de sa non‑admissibilité dans une lettre du 15 septembre 2000. Son conseil a exposé des observations en son nom dans une lettre datée du 15 novembre 2000. Or, la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, est entrée en vigueur dans l’intervalle, plus précisément le 23 octobre 2000, et l’alinéa 19(1)j) a été remplacé par un nouvel alinéa faisant référence à cette loi plutôt qu’au Code criminel. La Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre définissait de manière plus détaillée les « crimes contre l’humanité » et prévoyait certains moyens de défense. De plus, le critère à deux volets qui était prévu par l’ancien alinéa 19(1)j) était remplacé par un critère unique, de sorte qu’il n’était plus nécessaire de démontrer que, si l’infraction alléguée avait été commise au Canada, elle aurait constitué une infraction en droit canadien en son état à l’époque de la perpétration.

 

[7]               Le 21 septembre 2001, l’agente d’immigration a décidé que le demandeur n’était pas admissible au Canada et elle a rejeté sa demande d’établissement. Pour en arriver à cette décision, elle a examiné la demande du demandeur sous le régime de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et de la nouvelle version de l’alinéa 19(1)j). 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[8]               L’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration prévoyait ce qui suit avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre :



 

Personnes non admissibles

 

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

 

[...]

 

j)  celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles ont commis, à l’étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l’époque de la perpétration;

 

Inadmissible Classes

Inadmissible persons

 

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

 

[...]

 

(j)  persons who there are reasonable grounds to believe have committed an act or omission outside Canada that constituted a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsection 7(3.76) of the Criminal Code and that, if it had been committed in Canada, would have constituted an offence against the laws of Canada in force at the time of the act or omission.

 

 

 

 


 

[9]               L’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration se lit comme suit depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre :

 


 

Personnes non admissibles

 

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

 

[...]

 

j) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles ont commis une infraction visée à l’un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

 

 

Inadmissible Classes

Inadmissible persons

 

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

 

[...]

 

(j)  persons who there are reasonable grounds to believe have committed an offence referred to in any of sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

 

 

 

 


[10]           La Loi sur l’immigration a maintenant été remplacée par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et l’alinéa 19(1)j) a été incorporé à l’article 35 de la nouvelle loi.

 

[11]           L’article 14 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre est également pertinent en l’espèce :

 



Moyen de défense ‑‑ ordre d’un

supérieur

 

14. (1) Ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur l’un des articles 4 à 7 le fait que l’accusé ait reçu d’un gouvernement ou d’un supérieur ‑‑ militaire ou civil ‑‑ l’ordre de commettre l’acte ou l’omission qui lui est reproché, à moins que :

 

Defence of superior orders

 

 

14. (1) In proceedings for an offence under any of sections 4 to 7, it is not a defence that the accused was ordered by a government or a superior ‑ whether military or civilian ‑ to perform the act or omission that forms the subject‑matter of the offence, unless

 

 

 

a)  l’accusé n’ait eu l’obligation légale d’obéir aux ordres du gouvernement ou du supérieur en question;

 

(a)  the accused was under a legal obligation to obey orders of the government or superior;

 

 

 

b)  l’accusé n’ait pas su que l’ordre était illégal;

 

(b)  the accused did not know that the order was unlawful; and

 

 

 

c)  l’ordre n’ait pas été manifestement illégal.

 

(c)  the order was not manifestly unlawful.

 

 

 

Interprétation de « manifestement

illégal »

 

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)c), l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal.

 

Interpretation ‑ manifestly unlawful

 

 

(2) For the purpose of paragraph (1)(c), orders to commit genocide or crimes against humanity are manifestly unlawful.

 

 

 

Limite : croyance de l’accusé

 

(3) Ne constitue pas un moyen de défense fondé sur le paragraphe (1) le fait que l’accusé croyait que l’ordre était légal en raison de renseignements qui portaient sur une population civile ou un groupe identifiable de personnes et qui incitaient ou étaient susceptibles d’inciter à la perpétration ‑‑ ou tentaient de la justifier ‑‑ d’omissions ou actes inhumains contre cette population ou ce groupe.

 

 

Limitation ‑ belief of accused

 

(3) An accused cannot base their defence under subsection (1) on a belief that an order was lawful if the belief was based on information about a civilian population or an identifiable group of persons that encouraged, was likely to encourage or attempted to justify the commission of inhumane acts or omissions against the population or group.

 

 

 


 

NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[12]           C’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui s’applique à la décision de l’agente en l’espèce. La Cour n’annulera pas une décision discrétionnaire d’un agent d’immigration, et n’y substituera pas sa propre décision, à moins que la décision de l’agent ne soit déraisonnable ou clairement erronée (Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 751).

 

[13]           La norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte.

 

MODIFICATION DE L’ALINÉA 19(1)j)

 

[14]           À l’audience, l’avocat du demandeur n’a pas contesté l’application du nouvel alinéa 19(1)j) par l’agente d’immigration. Le demandeur a cependant fait valoir que l’agente d’immigration a commis une erreur en ne lui disant pas que la nouvelle disposition était applicable.

 


[15]           Le demandeur a présenté des observations fondées sur l’ancienne version de l’alinéa 19(1)j) de la Loi. Bien que le libellé de la nouvelle version soit différent, il ne diffère pas « au fond » de l’ancienne version (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Varela, 2002 CFPI 167, au par. 19). Les différences qui existent ne sont pas pertinentes en l’espèce, et les parties ont reconnu qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre les deux versions pour ce qui est de la présente affaire. Par conséquent, le fait que l’agente d’immigration ait commis un manquement à l’équité ne vicierait pas sa décision puisque celle‑ci aurait été la même de toutes façons (Mobil c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, à la p. 228).

 

ÉQUITÉ PROCÉDURALE

 

Entrevue

 

[16]           Le demandeur prétend que l’agente d’immigration a commis une erreur en ne le rencontrant pas lors d’une entrevue. Or, les demandeurs n’ont pas droit à une entrevue dans tous les cas. J’ai analysé cette question dans l’affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 588, au paragraphe 28 :

 

Dans l’arrêt [Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817], la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 34, que les décisions des fonctionnaires de l’immigration sont « très différente[s] d’une décision judiciaire ». La Cour a reconnu que la Loi sur l’immigration accorde au ministre une grande latitude pour décider de la procédure appropriée et que les agents d’immigration ne procèdent pas à des entrevues dans tous les cas. La Cour suprême a déclaré qu’une audience n’est pas pour autant toujours nécessaire pour garantir l’audition et l’examen équitables des questions en jeu. Le demandeur doit toutefois avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à son dossier et les voir évalués de façon complète et équitable (voir l’arrêt Baker, précité, paragraphes 31 à 34).

 

[17]           En l’espèce, le demandeur a eu une possibilité valable de présenter des observations et de répondre aux arguments qu’on faisait valoir contre lui avant que l’agente d’immigration ne prenne sa décision. Le 15 novembre 2000, le demandeur a déposé des observations écrites détaillées dans une lettre de onze pages, à laquelle étaient joints des affidavits et des lettres d’appui. Il a déposé d’autres observations datées du 21 janvier 2001. En outre, les notes au dossier de l’agente d’immigration renferment une analyse approfondie et exhaustive des questions soulevées par le demandeur. Par conséquent, je conclus que l’agente d’immigration a examiné avec soin ces observations avant de prendre sa décision, et qu’une audition n’était pas nécessaire.

 

Caractère suffisant des motifs de l’agente

 

[18]           Le demandeur prétend que l’agente a manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas de motifs suffisants de sa décision. Celle‑ci est exposée dans une lettre de deux pages adressée au demandeur le 21 septembre 2001 et dans des notes au dossier de six pages rédigées par l’agente d’immigration et datées également du 21 septembre 2001. Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a statué que les notes au dossier d’un agent d’immigration peuvent constituer les motifs de sa décision. En l’espèce, les notes au dossier de six pages exposent des motifs détaillés et suffisants et s’ajoutent à la lettre de deux pages envoyée au demandeur le même jour.

 


ERREURS DE DROIT

 

Moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur

 

[19]              Le demandeur prétend que l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération le moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur. La Cour suprême du Canada a examiné ce moyen de défense dans l’arrêt R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701. M. le juge La Forest a reconnu, à la page 778, que lobéissance aux ordres dun supérieur ne peut constituer une défense valable si lacte en question est « tellement choquant quil est manifestement illégal ». Selon lui, on pouvait saisir « lessence du moyen de défense et des circonstances dans lesquelles il peut sappliquer » dans un certain nombre de textes faisant autorité. Il a cité à cet égard un passage de louvrage International Law d’Oppenheim (6e éd. 1944), vol. 2, aux pages 452 et 453 :

[traduction] ... le tribunal auquel on soumet la défense d’obéissance aux ordres d’un supérieur pour justifier un crime de guerre doit prendre en considération le fait que les membres des forces armées sont tous tenus d’obéir aux ordres militaires qui ne sont pas manifestement illégaux et qu’on ne peut s’attendre à ce qu’en contexte de discipline de guerre, ils pèsent scrupuleusement le bien-fondé légal de l’ordre reçu [...] Toutefois, [...] la question est régie par le principe primordial suivant lequel les membres des forces armées sont tenus d’obéir aux seuls ordres légaux, et ils ne peuvent par conséquent esquiver la responsabilité si, dans l’exécution d’un ordre, ils commettent des actes qui violent des règles incontestées de guerre et choquent le sentiment général d’humanité.

 

 

Le moyen de défense de la common law fondé sur les ordres d’un supérieur a été codifié à l’article 14 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

 

[20]           L’agente d’immigration a fait référence à ce moyen de défense dans ses notes au dossier :

 

[traduction] Le moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur repose sur la reconnaissance de l’obligation, pour les militaires, de respecter rigoureusement les ordres donnés par les supérieurs. M. Yassin fait valoir qu’il aurait été considéré comme un traître s’il n’avait rien fait, et comme une personne négligeant son devoir.

[...]

Je suis convaincue que M. Yassin connaissait la réputation du KHAD et qu’il aurait dû savoir quel traitement le terroriste moudjahidin allait recevoir après avoir été livré au KHAD.

 

[...]

 

Je suis convaincue que M. Yassin connaissait l’existence du KHAD, que celui‑ci faisait partie du ministère de la Sécurité de l’État et qu’il avait la réputation de violer les droits de la personne.

 

Le conseil a indiqué dans ses observations que M. Yassin ne faisait pas partie du détachement du Sarandoy qui aidait le KHAD. Or, selon la transcription de l’audience de la SSR, M. Yassin a indiqué dans son témoignage que le terroriste moudjahidin qu’il avait arrêté avait été livré au KHAD. Je suis convaincue que le détachement du Sarandoy auquel appartenait M. Yassin aidait le KHAD.


 

[21]           L’agente d’immigration a ensuite examiné la défense de contrainte et la défense de nécessité. Ces moyens de défense et celui fondé sur les ordres d’un supérieur se recouvrent dans une large mesure. Après avoir passé en revue les notes au dossier de l’agente d’immigration, je suis convaincu qu’elle a pris en considération le moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur et qu’elle l’a rejeté pour les mêmes raisons que la défense de contrainte et la défense de nécessité. Elle a écrit dans ses notes :

 

[traduction] Il [le demandeur] n’a jamais mentionné qu’il avait été forcé d’exercer ses fonctions de policier au sein du Sarandoy pour ne pas courir un danger grave et imminent. M. Yassin n’a jamais dit qu’il était tellement en danger physiquement qu’il n’avait pas la liberté de choisir le bien et de ne pas faire le mal.

Cette conclusion de fait laisse entendre que le demandeur n’aurait pas droit au moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur qui est prévu à l’article 14 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre parce qu’il savait que le Khad était une organisation violente qui commettait des actes de torture qui sont « manifestement illéga[ux] » ou, selon les termes employés par le droit international coutumier, qui [traduction] « choquent le sentiment général d’humanité ». L’agente d’immigration a donc pris en considération de manière appropriée le moyen de défense fondé sur les ordres d’un supérieur avant de décider que le demandeur n’était pas admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi.

 

Utilisation de la décision de la SSR

 

[22]           Pour décider que le demandeur n’était pas admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi, l’agente des visas s’est fondée en partie sur la décision rendue précédemment par la SSR selon laquelle le demandeur était exclu de la protection de la Convention par l’alinéa 1Fa). Le demandeur prétend que l’agente a commis une erreur de droit en considérant que la conclusion de la SSR établissait qu’il n’était pas admissible suivant l’alinéa 19(1)j).

 

[23]         L’agente s’est appuyée sur la décision rendue par la Cour dans Figueroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 181 F.T.R. 242, [2000] A.C.F. no 250 (QL), pour agir ainsi. M. le juge Pinard a écrit, au paragraphe 15 de cette décision :

 

Je pense que conclure à l’exclusion d’un réfugié de la protection de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fa) démontre que le premier volet du test prévu à l’alinéa 19(1)j) de la Loi a été rempli.

 

Selon le demandeur, l’agente n’aurait pas dû se fonder sur la décision rendue par la Section de première instance dans Figueroa parce que cette décision a été portée en appel et que, bien qu’elle ait confirmé la décision, la Cour d’appel n’a rien dit au sujet de cette question particulière (Figueroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 112, [2001] A.C.F. no 589 (QL)).

 

[24]           L’effet de l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans Figueroa a été examiné par M. le juge Gibson dans Varela, précitée. Il a écrit, au paragraphe 24 :


... la Cour d’appel fédérale, en appel de la décision rendue par le juge Pinard dans l’affaire Figueroa, avait pour le moins une attitude ambivalente en ce qui concerne l’avis exprimé par le juge Pinard au paragraphe [15] de ses motifs, à savoir que « [...] conclure à l’exclusion d’un réfugié de la protection de la Convention en vertu de l’alinéa 1Fa) démontre que le premier volet du test prévu à l’alinéa 19(1)j) de la Loi a été rempli ». Il peut tout au moins être soutenu que les motifs prononcés par le juge Desjardins dans l’affaire Figueroa, tels qu’ils ont été ci-dessus cités, laissent entendre qu’il est encore loisible à un agent d’immigration de rendre une décision eu égard aux faits de l’affaire Figueroa et, a fortiori, à la lumière des dispositions du paragraphe 80.1(1) de la Loi, lorsque l’arbitre est saisi de la question.

 

Dans Figueroa, la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur les conclusions de la SSR parce que, d’après elle, ces conclusions constituaient une preuve raisonnable du rôle joué par M. Figueroa au sein de la police secrète du Guatemala, une force policière réputée pour ses violations des droits de la personne et ses actes de torture. Mme le juge Desjardins a estimé que l’agent d’immigration avait « amplement de la preuve » lui permettant de conclure que M. Figueroa était une personne décrite à l’alinéa 19(1)j) de la Loi. Par conséquent, je suis convaincu que la Cour d’appel fédérale a implicitement statué qu’un agent d’immigration peut se fonder sur les conclusions de fait de la SSR. Cela ne signifie pas cependant qu’un revendicateur du statut de réfugié exclu par l’alinéa 1Fa) est automatiquement non admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi. Comme le juge Gibson l’a dit dans la décision Varela, lorsqu’il doit décider si un demandeur est non admissible suivant l’alinéa 19(1)j), un agent d’immigration n’est pas lié par la décision de la SSR de rejeter la revendication du statut de réfugié de ce dernier en vertu de l’alinéa 1Fa).

 

[25]           Quoi qu’il en soit, l’agente d’immigration en l’espèce ne s’est pas appuyée seulement sur la décision de la SSR d’exclure le demandeur pour conclure que celui‑ci n’était pas admissible suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi. Ses notes au dossier de six pages et ses [traduction] « notes relatives à l’examen du cas » indiquent qu’elle a examiné des questions qui n’avaient pas été soulevées devant la SSR. Aucune erreur de droit n’a donc été commise à cet égard.

 

QUESTIONS CERTIFIÉES

 

[26]           À l’audience, le demandeur a proposé quatre questions à des fins de certification. Les deux premières ont été retirées. Les deux autres se lisent comme suit :

 

1.                  L’exclusion d’un réfugié au sens de la Convention par l’alinéa 1Fa) de la Convention sur les réfugiés signifie‑t‑elle qu’il a été établi qu’on peut penser, pour des motifs raisonnables, que le revendicateur du statut de réfugié a commis une infraction au droit international suivant l’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration, de sorte qu’un agent d’immigration à qui des allégations fondées sur cette disposition sont présentées serait lié par la décision de la Section du statut de réfugié selon laquelle le revendicateur est exclu par l’alinéa 1Fa) de la Convention?

 

2.                  La modification apportée à l’alinéa 19(1)j) pour y incorporer les dispositions de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre a‑t‑elle prépondérance sur une ordonnance de la Cour portant que les moyens de défense doivent être pris en considération?

 


[27]           La Cour estime que la première question ci‑dessus n’est pas pertinente et ne permet pas de disposer de la demande parce que l’agente d’immigration ne s’est pas sentie liée par la décision de la SSR selon laquelle le demandeur était exclu par l’alinéa 1Fa). Cela ressort clairement des notes au dossier de six pages de l’agente d’immigration datées du 21 septembre 2001.

 

[28]           La deuxième question n’est pas non plus pertinente et ne permet pas non plus de disposer de la présente demande parce que l’agente d’immigration a clairement pris en considération les moyens de défense fondés sur la contrainte, la nécessité et les ordres d’un supérieur.

 


[29]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

                                                                                                                           « Michael A. Kelen »           

                                                                                                                                                  JUGE                      

 

 

OTTAWA, ONTARIO

Le 2 octobre 2002

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4593‑01

 

INTITULÉ :                                                   BILLAL AHMAD YASSIN

demandeur

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le jeudi 26 septembre 2002

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              Monsieur le juge Kelen

 

DATE DES MOTIFS :                                  le mercredi 2 octobre 2002

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane                                                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Mary Matthews                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane                                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocat

166, rue Pearl, bureau 100

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

 

Morris Rosenberg                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada


 

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

 

                                Date : 20021002

 

                                Dossier : IMM‑4593‑01

 

 

ENTRE :

 

 

BILLAL AHMAD YASSIN

demandeur

 

 

- et -

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                                     défendeur

 

 

 

 

                                                                               

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

                                                                                

 

 

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