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Date : 20081126

Dossier : IMM‑5267‑07

Référence : 2008 CF 1319

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ABDULLAHI MOHAMED YAHIE

ZAHRA FARAH AHMED

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) pour le contrôle judiciaire d’une décision de la deuxième secrétaire du Haut‑commissariat du Canada à Nairobi (l’agente) rendue le 17 septembre 2007 (la décision), par laquelle l’agente rejetait la demande de résidence permanente au Canada d’Abdullahi Mohamed Yahie (le demandeur) en vertu de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, au motif qu’il occupait un poste de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui se livre ou qui s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Abdullahi Mohamed Yahie est né en 1950 à Geladi, en Éthiopie, et il est un citoyen de l’Éthiopie et de la Somalie. Il habite présentement en Tunisie et travaille pour la Banque africaine de développement à titre de socio‑économiste.

 

[3]               Zahra Farah Ahmed, l’épouse de M. Yahie depuis vingt‑neuf ans, et leurs quatre enfants habitent présentement à Toronto. Ils sont tous citoyens canadiens.

 

[4]               Sauf pour la période d’étude de deux ans de M. Yahie aux États‑Unis, la famille a habité ensemble à Mogadishu jusqu’au déclenchement de la guerre civile en Somalie au début de 1991. Pendant la guerre civile, le demandeur a été séparé de son épouse et de ses enfants alors qu’il cherchait un refuge dans un coin rural du pays. Il a été incapable de rétablir le contact avec sa famille jusqu’à la fin 1994, auquel moment il s’est enfui au Ghana. Il a alors appris que sa famille s’était rendue au Canada en octobre 1991 et qu’elle y avait obtenu l’asile.

 

[5]               En 1998, l’épouse et les enfants de M. Yahie l’ont rejoint à Abidjan et y sont restés jusqu’en juin 2000, auquel moment ils sont revenus au Canada en raison de troubles civils dans ce pays. La famille est retournée de nouveau à Abidjan en août 2001, mais a quitté de nouveau en septembre 2002 et est revenue au Canada en raison de la détérioration de la situation politique.

 

[6]               M. Yahie a travaillé au ministère de la Planification en Somalie comme commis en statistiques, de l’obtention de son diplôme secondaire jusqu’en 1981, à quelle date il a reçu une bourse de la Banque mondiale pour poursuivre des études supérieures en Californie. Il a obtenu une maîtrise en économie (MA) puis il a rejoint sa famille en Somalie. Après avoir terminé sa maîtrise, il est devenu un économiste au ministère de la Planification en Somalie, poste qu’il a occupé de mars 1984 à juin 1986, puis il a commencé ses études doctorales en économie en Californie.

 

[7]               En 1987, M. Yahie a été promu au poste de directeur des ressources humaines au ministère de la Planification en Somalie. Il relevait soit du directeur général du ministère ou du secrétaire permanent, qui à leur tour relevaient du sous‑ministre. Le sous‑ministre relevait du ministre de la Planification. À titre de directeur des ressources humaines, M. Yahie gérait entre dix à quinze personnes, dont six étaient des économistes professionnels. Le reste de ses employés étaient des employés de soutien. Il soutient qu’il a aidé à élaborer des projets sociaux visant à aider les pauvres dans les régions rurales, qu’il travaillait sur le renforcement des capacités et qu’il organisait des formations pour les fonctionnaires en gestion financière. Il n’avait pas son propre budget; le budget des ressources humaines était contrôlé par le ministère des Finances, dont le financement venait principalement de la Banque mondiale, du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), de l’UNICEF et de l’Agence américaine pour le développement international (USAID).

 

[8]               En 1997, M. Yahie a été embauché comme socio‑économiste pour la Banque africaine de développement à Abidjan, en Côte d’Ivoire. En 2001, la Banque africaine de développement a déménagé en Tunisie.

 

[9]               En 2005, Zahra Farah Ahmed a présenté une demande de parrainage pour que M. Yahie rejoigne sa famille au Canada. M. Yahie et son épouse ont acheté une maison au nord de Toronto et M. Yahie prévoyait travailler à Toronto comme conseiller en économie internationale afin de pouvoir vivre avec sa famille à temps plein. Il est venu en visite au Canada cinq ou six fois.

 

[10]           La demande de résidence permanente de M. Yahie a été examinée à Nairobi. On lui a demandé de se présenter en entrevue. Il ne s’est pas présenté aux deux entrevues prévues au Haut‑commissariat du Canada. Son dossier a été rejeté pour défaut de se conformer. Un avis d’appel a été déposé et le dossier a été rouvert. Une autre entrevue a été prévue pour le 9 juillet 2008.

 

[11]           Pendant son entrevue, M. Yahie a répondu aux questions de l’agente et on lui a dit à la fin de l’entrevue qu’il était interdit de territoire au Canada, sans droit d’appel. Il soutient qu’on lui a dit qu’il pouvait demander un recours auprès du ministre de la Sécurité publique.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[12]           Pendant son entrevue avec l’agente, on a posé des questions à M. Yahie au sujet de sa relation avec la personne qui le parrainait, ainsi que sur son passé. Sa demande a été rejetée parce que l’agente a conclu qu’il avait occupé un poste de « haut fonctionnaire » au gouvernement de la Somalie, en contravention à l’alinéa 35(1)b) de la Loi. Le gouvernement de la Somalie est un régime désigné au sujet duquel il a été conclu qu’il s’était livré au terrorisme, à des violations des droits de la personne, avait commis un génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

 

[13]           L’agente a conclu que, même si une personne n’avait jamais participé personnellement à une contravention à l’alinéa 35(1)b), les hauts fonctionnaires de gouvernements coupables partagent la responsabilité de ces contraventions parce qu’ils étaient en position leur permettant d’influencer les actions, les lois ou les politiques du gouvernement en question.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes pour le contrôle judiciaire :

1)      Quelle est la norme de contrôle?

 

2)      L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que M. Yahie était un haut fonctionnaire tel que défini à l’alinéa 35(1)b) de la Loi et de l’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement)?

 

3)      L’agente a‑t‑elle manqué à son devoir d’équité en n’offrant pas à M. Yahie une possibilité de répondre à ses préoccupations?

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Atteinte aux droits humains ou internationaux

 

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

Human or international rights violations

 

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

 

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

 

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

 

c) être, sauf s’agissant du résident permanent, une personne dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé — ou s’est engagé à imposer — des sanctions de concert avec cette organisation ou association.

 

(c) being a person, other than a permanent resident, whose entry into or stay in Canada is restricted pursuant to a decision, resolution or measure of an international organization of states or association of states, of which Canada is a member, that imposes sanctions on a country against which Canada has imposed or has agreed to impose sanctions in concert with that organization or association.

 

 

Exception

 

(2) Les faits visés aux alinéas (1)b) et c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

Exception

 

(2) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

[16]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent en l’espèce :

Application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi

 

16. Pour l’application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur au sein d’une administration les personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment :

 

Application of par. 35(1)(b) of the Act

 

16. For the purposes of paragraph 35(1)(b) of the Act, a prescribed senior official in the service of a government is a person who, by virtue of the position they hold or held, is or was able to exert significant influence on the exercise of government power or is or was able to benefit from their position, and includes

 

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

 

(a) heads of state or government;

 

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

 

(b) members of the cabinet or governing council;

 

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

 

(c) senior advisors to persons described in paragraph (a) or (b);

 

d) les hauts fonctionnaires;

 

(d) senior members of the public service;

 

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

 

(e) senior members of the military and of the intelligence and internal security services;

 

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

 

(f) ambassadors and senior diplomatic officials; and

 

g) les juges.

(g) members of the judiciary.

 

 

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont aussi pertinentes :

Définitions

 

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

Definitions

 

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

 

« crime contre l’humanité »
"crime against humanity"

« crime contre l’humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

"crime against humanity"
« crime contre l’humanité »

"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

 

« crime de guerre »


"war crime"

« crime de guerre » Fait — acte ou omission — commis au cours d’un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

"genocide"


« génocide »

"genocide" means an act or omission committed with intent to destroy, in whole or in part, an identifiable group of persons, as such, that at the time and in the place of its commission, constitutes genocide according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

 

« génocide »


"genocide"

« génocide » Fait — acte ou omission — commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable de personnes et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un génocide selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

"war crime"


« crime de guerre »

"war crime" means an act or omission committed during an armed conflict that, at the time and in the place of its commission, constitutes a war crime according to customary international law or conventional international law applicable to armed conflicts, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

 

Interprétation : droit international coutumier

 

(4) Il est entendu que, pour l’application du présent article, les crimes visés aux articles 6 et 7 et au paragraphe 2 de l’article 8 du Statut de Rome sont, au 17 juillet 1998, des crimes selon le droit international coutumier, et qu’ils peuvent l’être avant cette date, sans que soit limitée ou entravée de quelque manière que ce soit l’application des règles de droit international existantes ou en formation.

 

Interpretation — customary international law

 

(4) For greater certainty, crimes described in articles 6 and 7 and paragraph 2 of article 8 of the Rome Statute are, as of July 17, 1998, crimes according to customary international law, and may be crimes according to customary international law before that date. This does not limit or prejudice in any way the application of existing or developing rules of international law.

 

Interprétation : crimes contre l’humanité

 

(5) Il est entendu qu’un crime contre l’humanité transgressait le droit international coutumier ou avait un caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations avant l’entrée en vigueur des documents suivants :

 

Interpretation — crimes against humanity

 

(5) For greater certainty, the offence of crime against humanity was part of customary international law or was criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations before the coming into force of either of the following:

 

a) l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, signé à Londres le 8 août 1945;

 

(a) the Agreement for the prosecution and punishment of the major war criminals of the European Axis, signed at London on August 8, 1945; and

 

b) la Proclamation du Commandant suprême des Forces alliées datée du 19 janvier 1946.

(b) the Proclamation by the Supreme Commander for the Allied Powers, dated January 19, 1946.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les questions portant sur l’équité procédurale au sujet d’un agent des visas relèvent de la décision correcte : Lak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 350.

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable soient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu que les deux normes de raisonnabilité seraient fondues en une seule forme de raisonnabilité.

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a aussi conclu qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer l’analyse de la norme de contrôle pour chaque affaire. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche ne porte pas fruit que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs qui constituent l’analyse de la norme de contrôle.

 

[21]           Dans la décision Yassin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 1029, la Cour a conclu que la décision raisonnable simpliciter était la norme de contrôle applicable à une décision d’un agent au sujet de la question des « hauts fonctionnaires ». De plus, dans la décision Holway c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 309, la Cour a conclu que la question de savoir si un demandeur était un « haut fonctionnaire » de l’armée était une question mixte de faits et de droit et que la décision raisonnable simpliciter était la norme de contrôle applicable.

 

[22]           Par conséquent, compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à la deuxième question soulevée par les demandeurs est celle de la raisonnabilité. Lorsqu’on examine une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres mots, la Cour ne devra intervenir que si la décision était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

 

 

Le demandeur

 

 

Lettre d’entrevue/Possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente

 

[23]           Les demandeurs soutiennent que M. Yahie n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente parce qu’on ne lui a pas donné la chance de présenter des preuves qui démontraient que son poste au sein du gouvernement somalien n’était pas un poste de haut fonctionnaire et qu’il n’avait aucun contrôle ni influence sur le gouvernement, ses politiques ou ses finances. Les demandeurs font valoir que cela signifie que l’agente a manqué à son devoir d’équité.

 

Le poste de haut fonctionnaire au sens du Règlement

 

 

[24]           Les demandeurs font valoir que le poste de M. Yahie n’était pas un poste de « haut fonctionnaire » au sens de l’article 35 de la Loi. Ils font valoir qu’il n’avait pas une influence importante sur le pouvoir du gouvernement parce qu’il n’avait que 10 à 15 employés dans son département. De plus, son département travaillait sur des projets sociaux de développement et de planification qui visaient les femmes et la pauvreté et il recevait un financement principalement de la part de donneurs internationaux.

 

[25]           L’article 8.2 des Directives ENF 18 - Crimes de guerre et crimes contre l’humanité d’Immigration Canada traite de l’alinéa 16d) du Règlement. Il précise :

8.2. Critères pour établir l’interdiction de territoire

 

Les personnes décrites à L 35(1)b) peuvent être réparties en trois catégories, chacune avec ses preuves exigées, comme on le constate au tableau qui suit :…

 

8.2. Requirements to establish inadmissibility

 

Persons who are described in A35(1)(b) may be broken down into three categories, each with its own evidentiary requirements, as set out in the following table:…

 

2. Personnes visées au

 

R16c), d), e) et f)(diplomates de haut rang)

 

• Régime désigné

• Preuve du poste occupé

• Preuve d’un poste de

rang supérieur (voir la

note à la fin du tableau)

Outre la preuve nécessaire, on doit établir que le poste est de rang supérieur. À cette fin, on doit situer le poste dans la hiérarchie où le fonctionnaire travaille. On peut trouver

des exemplaires d’organigrammes dans des

ouvrages comme Europa World Year Book, Encyclopedia of the Third World, Country Reports on Human Rights Practices (du

département d’État des É.‑U.) et les bases de données du Système des crimes de guerre contemporains (SCGC). Si l’on peut prouver que le poste est dans la moitié supérieure de l’organisation, on peut considérer qu’il est un poste de rang supérieur. Un autre moyen de l’établir est celui des preuves de responsabilités liées au poste et du type de travail effectué ou

des types de décisions prises (à défaut d’être prises par le demandeur, par les titulaires de postes analogues).

 

2. Persons described in

 

R16(c), R16(d), R16(e), and R16(f) senior diplomatic officials

• Designation of regime

• Proof of position held

• Proof that position is senior (see the note following this table)

In addition to the evidence required, it must be established that the position the person holds or held is a senior one. In order to establish that the person’s position was senior, the position should be related to the hierarchy in which the functionary operates. Copies of organization charts can be located from the Europa World Year Book, Encyclopedia of the Third World, Country Reports on Human Rights Practices (U.S. Department of State) and the Modern War Crimes System (MWCS) database. If it can be demonstrated that the position is in the top half of the organization, the position can be considered senior. This can be further established by evidence of the responsibilities attached to the position and the type of work actually done or the types of decisions made (if not by the applicant then by holders of similar positions).

 

3. Personnes non visées

au R16

 

• Régime désigné

 

• Preuve que la personne

était en mesure

d’influencer

sensiblement l’exercice

du pouvoir ou a pu tirer

des avantages de son

 

3. Persons not described in R16

 

• Designation of regime

 

• Proof that the person could exercise significant

influence or was able to benefit from the position

 

En plus de la désignation du régime, on doit établir que la personne, même si elle

n’occupait pas un poste officiel, est ou était en mesure d’influer sensiblement sur les actions et politiques du régime ou a pu en

tirer certains avantages.

 

In addition to the designation of the regime, it must be established that the person, although not holding a formal position, is or was able to exercise significant influence on the actions or policies of the regime or was able to benefit from the position.

 

La personne qui favorise ou qui soutient un gouvernement désigné par le ministre peut

poste être considérée comme influant sensiblement les actes ou les politiques de ce gouvernement. La notion d’influence sensible ne se limite

pas aux personnes prenant les décisions finales au nom du régime, mais s’applique aussi à celles qui ont participé à la

formulation de ces politiques, par exemple par des conseils, ainsi qu’aux personnes chargées de les mettre en application. Si

une personne exerce des activités qui permettent directement ou indirectement au

régime de mettre en œuvre ses politiques, la preuve d’une influence sensible est établie. Le terme « exercice du pouvoir par leur gouvernement » au R16 ne se limite pas aux pouvoirs exercés par les organismes

centraux ou les ministères, mais peut également s’entendre des entités qui exercent le pouvoir à l’échelon local. Lorsqu’on a établi que la personne exerçait

une influence sensible ou tirait certains avantages, l’ampleur ou la mesure de cette influence ou de ses avantages n’est pas

pertinente pour l’établissement de l’interdiction de territoire; toutefois, certains facteurs doivent être pris en compte par le ministre pour décider si l’entrée de cette personne au Canada serait préjudiciable à

l’intérêt national.

 

A person who assists in either promoting or sustaining a government designated by the Minister can be characterized as having significant influence over its policies or actions. The concept of significant influence is not limited to persons who made final decisions on behalf of the regime; it also applies to persons who assisted in the formulation of these policies, e.g., by providing advice, as well as persons responsible for carrying them out. If a person conducts activities which directly or indirectly allow the regime to implement its policies, the test for significant influence is met. The phrase "government power" in R16 is not limited to powers exercised by central agencies or departments but can also refer to entities that exercise power at the local level. Once it is established that the person exerted significant influence or benefited, the extent or degree of this influence or benefit is not relevant to the finding of inadmissibility; however, they are factors that could be considered by the Minister when deciding whether authorizing the person to enter Canada would not be detrimental to the national interest.

 

Note : Il n’y a pas de définition de « supérieur » dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et aucune jurisprudence de la Cour fédérale. Toutefois, en étudiant le problème relativement à un

poste militaire, un tribunal de la Section d’appel de l’immigration concluait : « Une personne de rang supérieur de l’armée serait une personne occupant un poste élevé dans les forces armées et une personne de rang plus avancé et souvent, avec des états de service comparativement longs. Une situation élevée se traduirait par les responsabilités données à cette personne et les postes occupés par les supérieurs immédiats de celles‑ci. » [T99‑14995, 11 mai 2001]

 

 

Note: There is no definition of "senior" in the Immigration and Refugee Protection Act and no case law from the Federal Court. However, in considering this issue in relation to a military position, a tribunal of the Immigration Appeal Division determined that: "A senior member of the military would be a person occupying a high position in the military and would be a person of more advanced standing and often of comparatively long service. Advanced standing would be reflected in the responsibilities given to the person and the positions occupied by the person’s immediate superiors." [T99‑14995, May 11, 2001]

 

 

 

[26]           Les demandeurs soutiennent, en se fondant sur ces directives, que M. Yahie était directeur d’un département des ressources humaines du ministère de la Planification—un département parmi la douzaine qui constitue le ministère de la Planification. Ils font valoir qu’il n’avait pas un poste suffisamment important dans la hiérarchie pour avoir partagé un objectif commun avec le gouvernement qui a commis des crimes. Les demandeurs concluent en précisant que l’agente n’a pas effectué d’analyse et n’a pas tenu compte du niveau de M. Yahie dans le gouvernement somalien; elle n’a pas non plus tenu compte des responsabilités de son poste ni du type de travail qu’il faisait : Hamidi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 402 (C.F.); Lutfi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1703 (C.F.) et Nezam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 554 (C.F.).

 

Le défendeur

 

 

Lettre d’entrevue/Possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente

 

 

[27]           Le défendeur soutient que l’agente n’a pas manqué à son devoir d’équité. Il fait valoir que M. Yahie a été informé directement des renseignements qu’il devait présenter. On lui a aussi donné la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente. Il soutient que la preuve de M. Yahie a confirmé qu’il était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 35(1)b). Selon le défendeur, les demandeurs n’ont pas démontré que la Cour devrait intervenir dans l’évaluation de l’agente au sujet de l’interdiction de territoire. Le fait que les demandeurs ne sont pas d’accord avec l’agente n’est pas un motif justifiant le contrôle judiciaire.

 

Le poste de haut fonctionnaire au sens du Règlement

 

 

[28]           Le défendeur souligne que le gouvernement somalien est désigné comme étant un régime qui s’est livré à des violations graves des droits de la personne et à d’autres crimes. Le défendeur mentionne aussi que M. Yahie a occupé un poste dans ce gouvernement pendant l’apogée des atrocités contre le peuple de la Somalie. Selon le défendeur, M. Yahie avait des liens directs en matière de formation des fonctionnaires et de renforcement des capacités dans les régions rurales, qui auraient aidé de façon importante le gouvernement à atteindre ses objectifs.

 

 

ANALYSE

 

 

[29]           Premièrement, je ne vois aucun problème en matière d’équité procédurale selon les faits en l’espèce. M. Yahie savait que l’agente s’intéressait à la nature de son poste et de ses fonctions au sein du gouvernement somalien en raison des lettres qu’il avait reçues avant l’entrevue. De plus, les questions qu’on lui a posées ne nécessitaient aucun préavis ni préparation. Il n’a eu aucune difficulté à répondre et il n’a pas été placé en position désavantageuse.

 

[30]           Le point central réel de l’affaire en l’espèce est le manque d’analyse et de transparence dans la décision au sujet de la façon dont l’agente a tiré sa conclusion selon laquelle M. Yahie était un haut fonctionnaire du gouvernement somalien.

 

[31]           L’avocat du défendeur a proposé plusieurs facteurs qui se trouvent en arrière‑plan en l’espèce et qui auraient pu porter l’agente à tirer la conclusion qui nous intéresse. Cependant, ces propositions restent conjecturales et je dois examiner la décision elle‑même pour trouver une explication.

 

[32]           En examinant la décision complète, je dois conclure que les demandeurs ont raison lorsqu’ils soutiennent que l’agente n’a effectué aucune analyse de la position hiérarchique de M. Yahie dans le gouvernement par rapport à ses responsabilités. Il est impossible de déduire, à partir de la décision et des documents que l’agente a examinés, si M. Yahie occupait un poste suffisamment élevé pour justifier l’exclusion. L’agente n’a pas suivi les directives; l’avocat du défendeur fait valoir que l’agente a simplement fondé sa conclusion au sujet du poste de « haut fonctionnaire » sur ce que M. Yahie lui a dit à l’entrevue. L’agente a décidé qu’à son avis, M. Yahie était un « haut fonctionnaire » sans mentionner les directives ou la jurisprudence.

 

[33]           Bien entendu, il est vrai que l’agente a un large pouvoir discrétionnaire lui permettant de prendre ce genre de décision. Cependant, un tel pouvoir discrétionnaire n’est pas distinct et il ne peut pas être utilisé sans être lié à la jurisprudence. C’est ce que l’agente a omis de faire. Elle n’a mentionné aucune jurisprudence pour les critères qu’elle a utilisés afin de prendre sa décision au sujet du niveau hiérarchique de M. Yahie et elle n’explique pas comment les faits en l’espèce répondent à une telle jurisprudence.

 

[34]           Il n’y a pas de fondement jurisprudentiel ni d’analyse pertinente dans la décision. Les motifs sont inadéquats. Cette décision est déraisonnable pour ce motif et elle devrait être annulée. Je relève les mêmes problèmes dans la présente décision que ceux que la juge Heneghan a exprimés dans l’affaire Nezam, précitée, au paragraphe 26 et auxquels le juge Blanchard a fait face dans la décision Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 1639 (C.F.), au paragraphe 45. Il s’agit là de questions qui doivent être traitées en réexamen.

 

[35]           Le problème en l’espèce n’est pas lié à la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam, [2001] 2 C.F. 337 (C.A.F.) au sujet du manque d’une présomption réfutable. Le problème est plutôt que l’agente ne révèle à aucun moment les critères sur lesquels elle s’est fondée pour définir l’expression « haut fonctionnaire », et à aucun moment elle n’explique quels faits dont elle était saisie l’ont menée à conclure que M. Yahie est interdit de territoire en raison de cette définition.

 

[36]           Le défendeur a évoqué le spectre de la demande de visa précédente qui avait été rejetée et pour laquelle M. Yahie n’a interjeté aucun appel. Rien ne me porte à penser qu’il s’agissait là du fondement de la décision de l’agente et je ne vois pas comment une décision distincte au sujet de l’admissibilité devrait avoir des répercussions sur la demande dont il est question en l’espèce.

 


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1)      La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant un autre agent, conformément aux présents motifs.

2)      Aucune question n’est certifiée.

.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5267‑07

 

INTITULÉ :                                       ABDULLAHI MOHAMED YAHIE et ZAHRA FARAH AHMED c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LES DEMANDEURS

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LORNE WALDMAN

AVOCAT

TORONTO (ONTARIO)

POUR LES DEMANDEURS

 

JOHN H.SIMS, C.R.

SOUS‑PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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