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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20081202

Référence : 2008 CF 1343

Dossiers : IMM‑5015‑06

IMM‑3195‑08

IMM‑3197‑08

 

ENTRE :

ALAN HINTON

IRINA HINTON

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

Dossier : IMM‑3196‑08

ET ENTRE :

SVETLANA POTAPOVA ET

NIKOLAY POTAPOV

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 


 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Il s’agit du dernier effort déployé par Alan et Irina Hinton, par Baz Singh Momi et par d’autres personnes pour qu’ils puissent exercer un recours collectif afin de recouvrer un montant d’environ 700 millions de dollars se rapportant à la délivrance de visas ou de documents similaires conformément à 43 règlements pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) ou en vertu de l’ancienne loi, ce montant représentant censément un profit pour Sa Majesté. À ce jour, un recours collectif a été autorisé dans le dossier IMM‑5015‑06, mais selon une décision rendue par la Cour d’appel fédérale, les membres de la catégorie étaient uniquement ceux qui avaient versé des frais en vertu d’un seul règlement. Les demandeurs veulent faire élargir la catégorie, de façon à inclure tous ceux qui ont versé des frais en vertu de l’un ou l’autre des 43 règlements.

 

[2]               Le fondement juridique est le suivant : la Loi sur la gestion des finances publiques autorise le gouvernement à exiger des frais d’usager pour la prestation de services, mais le gouvernement ne peut pas faire de profit.

 

BREF HISTORIQUE

[3]               L’historique de la présente affaire est relaté en détail dans les décisions Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1484; Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 738, [2007] 2 R.C.F. 291; Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 7 (Hinton no 1); dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hinton, 2008 CAF 215 (Hinton no 2) et dans la décision Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1007 (Hinton no 3).

 

[4]               L’affaire a commencé lorsqu’un recours collectif a été envisagé dans l’affaire Momi. J’ai suspendu le recours au motif qu’étant donné que les demandeurs attaquaient une décision rendue par un office fédéral, ils devaient s’adresser à la Cour par voie de demande de contrôle judiciaire plutôt que par voie d’action. En outre, étant donné qu’il s’agissait d’une affaire d’immigration, ils devaient d’abord demander l’autorisation prévue à l’article 72 de la LIPR.

 

[5]               C’est exactement ce que les demandeurs ont fait dans l’affaire Hinton no 1. Dans leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ils ont mentionné le règlement en vertu duquel ils avaient versé des frais, toujours dans l’intention d’obtenir l’autorisation et de demander ensuite que la demande de contrôle judiciaire soit convertie en un recours collectif applicable aux 43 visas. L’autorisation a été accordée, la demande de contrôle judiciaire a été convertie en un recours collectif, et la catégorie autorisée visait tous ceux qui avaient versé des frais pour l’un ou l’autre des 43 visas au cours des années en question.

 

[6]               Le ministre a porté cette décision en appel.

 

[7]               Dans l’arrêt Hinton no 2, la Cour d’appel a restreint la catégorie, étant donné que la demande de contrôle judiciaire avait initialement été limitée à un seul des 43 règlements. La Cour a modifié la catégorie « [...] afin qu’[elle] se limite aux personnes visées par la demande d’autorisation », c’est‑à‑dire à un seul règlement. Toutefois, elle a proposé une méthode permettant de reconstituer au complet la catégorie initialement autorisée. Le juge Sexton a dit ce qui suit au paragraphe 58 :

En l’espèce, sans vouloir imposer au juge des requêtes (en tant que juge chargé de la gestion de l’instance), ou aux intimés, la façon de corriger la situation, j’estime qu’il suffirait que les intimés présentent simultanément une demande d’autorisation fondée sur l’article 72 de la LIPR qui viserait les autres membres du groupe, et qu’ils demandent à ce que ces membres puissent faire partie du groupe, tel que modifié par les présents motifs.

 

 

[8]               Les Hinton et les parents de Mme Hinton, les Potapova, ont pris ce conseil à cœur. Toutefois, ils ont adopté une approche à deux étapes. Dans les dossiers IMM‑3195‑08, IMM‑3196‑08 et IMM‑3197‑08, ils ont demandé l’autorisation et le contrôle judiciaire en mentionnant non seulement le règlement en vertu duquel ils avaient versé des frais, mais aussi les 43 règlements en question. Dans la décision Hinton no 3, j’ai accordé l’autorisation. L’article 72 de la LIPR prévoit qu’il est statué sur la demande d’autorisation selon la procédure sommaire et, sauf autorisation contraire, sans comparution en personne. Étant donné la complexité de la présente affaire, j’ai entendu l’argumentation orale et, en accordant l’autorisation, j’ai rendu des motifs.

 

[9]               Comme l’a dit la Cour d’appel, les demandeurs demandent que « [...] ces membres puissent faire partie du groupe, tel que modifié par les présents motifs ». Ils me demandent de rétablir la catégorie que j’ai initialement autorisée.

 

L’OPPOSITION SOULEVÉE PAR LE MINISTRE

[10]           Par suite de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinton no 2, le ministre ne conteste plus la décision portant que l’exercice d’un recours collectif est la procédure qu’il convient de suivre dans l’affaire Hinton. Le ministre est prêt à reconnaître que certains éléments de preuve permettent d’élargir la catégorie pour qu’elle s’applique à quelques‑uns des 42 autres types de visas, mais uniquement à l’égard de certaines années précises. Aux dires du ministre, la requête est prématurée, en ce sens qu’il veut exercer son droit de contre‑interroger un certain Richard Kurland au sujet de divers affidavits. Le ministre espère établir au moyen de ce contre‑interrogatoire que, sauf pour ce dont il a ci‑dessus été fait mention, les requêtes [traduction] « [...] visant la réunion des causes d’action et l’élargissement de la catégorie actuellement définie dans la décision Hinton ne sont pas adéquatement étayées par la preuve ».

 

[11]           Les affidavits de Me Kurland, sur lesquels nous reviendrons, n’ont pas été déposés à l’appui des présentes requêtes. De fait, les requêtes ne sont pas accompagnées d’un affidavit, et elles n’ont pas à l’être, puisque l’article 363 des Règles des Cours fédérales exige uniquement qu’une partie présente sa preuve par affidavit, relatant les faits sur lesquels elle se fonde qui ne figurent pas au dossier de la Cour. Les demandeurs se fondent sur le dossier tel qu’il existait au moment où j’ai accordé l’autorisation de demander le contrôle judiciaire conformément aux exigences de l’article 72 de la LIPR (Hinton no 3).

 

[12]           Je conclus que le ministre n’a pas le droit de contre‑interroger Me Kurland au sujet des présentes requêtes. Je n’ai pas à me prononcer sur la prétention des Hinton selon laquelle le ministre avait renoncé au droit qu’il avait peut‑être de procéder à un contre‑interrogatoire ou que la position prise par le ministre constitue un abus de procédure. Toutefois, je suis d’accord pour dire que le ministre me demande fondamentalement de reconsidérer la décision que j’ai rendue dans l’affaire Hinton no 3. Si je puis à bon droit le faire, ce dont je doute, je refuse.

 

LES AFFIDAVITS DE RICHARD KURLAND

[13]           Me Kurland est un avocat qui exerce sa profession à Vancouver, dans le domaine du droit de l’immigration. Il n’est pas inscrit au dossier, mais il semble être un avocat qui donne des instructions. Il a déposé un certain nombre d’affidavits au cours de la présente instance, par lesquels divers documents, comme des rapports annuels présentés au Parlement par Citoyenneté et Immigration, ont été versés au dossier de la Cour, ainsi que d’autres documents du gouvernement qu’il a obtenus par l’accès à l’information. Me Kurland a été contre‑interrogé dans l’affaire Momi, mais il ne l’a pas été dans l’affaire Hinton no 1. Ses affidavits portent sur les mêmes questions, mais ils comportent des différences, en ce sens que les années financières en cause dans les affaires Momi et Hinton ne sont pas tout à fait les mêmes.

 

[14]           Me Kurland a signé un affidavit à l’appui des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire dans les dossiers IMM‑3195‑08, IMM‑3196‑08 et IMM‑3197‑08. Il a simplement confirmé et réitéré ce qu’il avait déjà dit. Le dossier, dans l’affaire Hinton no 1, y compris les affidavits antérieurs et les pièces qui y étaient jointes, a été reproduit et faisait partie du dossier dans lequel j’ai accordé l’autorisation. Il importe de noter qu’en vertu de l’article 12 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, « [s]auf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, le contre‑interrogatoire de l’auteur de l’affidavit déposé à l’occasion de la demande n’est pas permis avant que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie ». Le ministre n’a pas demandé l’autorisation de contre‑interroger Me Kurland avant que l’autorisation soit accordée.

 

[15]           Si les présentes affaires devaient se poursuivre en tant que demandes de contrôle judiciaire, ce qu’elles ne sont pas, le ministre aurait le droit absolu de contre‑interroger Me Kurland. Toutefois, l’un des grands avantages d’une action, comme je l’ai dit dans les décisions Momi et Hinton no 1, est que la preuve n’est pas présentée au moyen d’affidavits et de contre‑interrogatoires y afférents, mais qu’elle est plutôt présentée au moyen de la production complète de documents, d’un interrogatoire préalable et d’un témoignage de vive voix présenté à l’instruction.

 

[16]           Au moyen du contre‑interrogatoire projeté, le ministre cherche à obtenir de Me Kurland un aveu selon lequel il n’y a rien dans le dossier qui constitue une preuve indiquant que le gouvernement a, la plupart du temps, fait un profit à l’égard de la plupart des visas; par conséquent, ceux qui ont versé des frais pour obtenir les visas en question devraient être exclus de la catégorie. Le ministre invoque les décisions Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68, [2001] 3 R.C.S. 158, Hoffman c. Monsanto Canada Inc., 2003 SKQB 174, 44 C.P.C. (5th) 290, MacKinnon c. National Money Mart Co. et al, 2004 BCSC 1533 et Hickey‑Button c. Loyalist College of Applied Arts & Technology, (2006), 267 D.L.R. (4th) 601, 31 C.P.C. (6th) 390, à l’appui de la thèse selon laquelle il doit exister une preuve justifiant la constitution d’une catégorie particulière plutôt que d’une autre.

 

[17]           Je ne suis pas d’accord. Il y a deux réponses. La première, et je le dis avec égards, est que ce que Me Kurland pense m’importe peu. Me Kurland n’est pas un expert‑comptable. Dans les décisions Momi, Hinton no 1 et Hinton no 3, je suis arrivé à la conclusion, en me fondant sur l’examen que j’avais effectué de ce qui est essentiellement la même documentation, qu’il existe une cause raisonnablement défendable ainsi qu’une défense raisonnablement soutenable. Je ne vais pas passer au crible une quatrième fois les mêmes 1 500 pages dont sont composés les documents. Il est temps de passer à autre chose.

 

[18]           La seconde réponse est que les décisions mentionnées par le ministre n’étayent pas la thèse qu’il avance. La preuve, dans une requête en autorisation, porte sur des questions telles que les points communs, un représentant demandeur et la procédure qu’il convient de suivre. Tout cela a déjà été traité dans les décisions Hinton no 1 et Hinton no 2.

 

[19]           De fait, comme l’a dit le juge au paragraphe 25 de l’arrêt Hollick, précité :

[…] À mon sens, le représentant du groupe doit établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions énumérées à l’art. 5 de la Loi, autre que l’exigence que les actes de procédure révèlent une cause d’action.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[20]           Depuis que la décision Hinton no 1 a été rendue, les Règles des Cours fédérales ont été modifiées en vue de permettre un contrôle judiciaire collectif. Auparavant, une demande de contrôle judiciaire devait être d’abord convertie en action. Toutefois, le nouvel alinéa 334.16(1)a) des Règles, comme la disposition qu’il a remplacée, prévoit simplement que les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable. La différence, dans les demandes déposées en vertu de l’article 72 de la LIPR, est que la demande d’autorisation constitue le document introductif d’instance. C’est dans le contexte d’une demande mise en état qu’il devrait y avoir une preuve quelconque révélant une cause d’action raisonnable.

 

[21]           Je souscris à l’avis exprimé par le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) dans l’arrêt Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 308, paragraphe 20 :

Je ferais observer que, en matière d’immigration, il faut obtenir l’autorisation du tribunal avant de procéder par voie de contrôle judicaire. Par conséquent, en cette matière, la demande de contrôle judiciaire qui donne lieu à des demandes de conversion et d’autorisation se fonde sur une décision quant à l’existence d’une cause d’action raisonnable, et l’existence d’une telle cause d’action ne devrait pas être en litige dans les demandes de conversion et d’autorisation. Dans le cas des contrôles judiciaires qui ne portent pas sur l’immigration, les parties plaideront le caractère raisonnable de la cause d’action. Les demandes de conversion et d’autorisation seront rejetées si l’absence de cause d’action raisonnable est démontrée. Le contrôle judiciaire pourra procéder, mais le demandeur saura alors que ses chances d’avoir gain de cause sont minces.

 

[22]           En somme, le ministre me demande indirectement de modifier l’ordonnance que j’ai rendue dans l’affaire Hinton no 3. Dans l’ouvrage intitulé The Discipline of Law, lord Denning a cité sir George Jessel, qui disait : [traduction] « Je me trompe peut‑être et j’ai parfois tort, mais je n’entretiens jamais de doutes. » Je me trompe peut‑être, et j’ai parfois tort, et j’entretiens souvent des doutes. Je doute qu’il soit évident et manifeste que la catégorie projetée au complet n’a pas de cause raisonnablement défendable. J’ai conclu à trois reprises, à raison ou à tort, dans les décisions Momi, Hinton no 1 et Hinton no 3 qu’il avait été satisfait à ce critère préliminaire peu exigeant. En restreignant la catégorie, on me demande en fait de priver presque tous les demandeurs d’un jugement. Comme je l’ai dit dans la décision Hinton no 3, ce faisant, j’agirais d’une façon à la fois abusive et arbitraire.

 

[23]           Une ordonnance reconstituant la catégorie initiale sera rendue.

 

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Montréal (Québec)

Le 2 décembre 2008

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                                  IMM-5015-06, IMM-3195-08 et IMM-3197-08

 

INTITULÉ :                                                   ALAN HINTON ET IRINA HINTON

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :                                              IMM-3196-08

 

INTITULÉ :                                                   SVETLANA POTAPOVA ET

                                                                        NIKOLAY POTAPOV

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

                                                                       

L’AUDIENCE A EU LIEU PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 25 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              Le juge Harrington 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

Marie-Louise Wcislo

Lorne McClenaghan

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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