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Date : 20081202

Dossier : IMM-1476-08

Référence : 2008 CF 1315

Toronto (Ontario), le 2 décembre 2008

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

MANUEL ANTONIO ASUAJE ARANGUREN 

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Le demandeur sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), la révision judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) rendue le 5 février 2008 ayant pour effet de lui refuser le droit de parrainer un fils Manuel Erick Asuaje Lopez aux termes de l’alinéa 117(9)(d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), faute d’avoir déclaré celui-ci lors de sa demande de visa de résidence permanente au Canada.

II.        Les faits

[2]               Le 13 août 1993, le demandeur obtient avant de quitter son pays, le Venezuela, un visa  de résident permanent pour venir au Canada.

 

[3]               Dans sa demande de résidence permanente il indique avoir à sa charge une conjointe et une jeune fille, citoyenne canadienne née le 3 février 1991.

 

[4]               Le demandeur arrive à Montréal le 22 août 1995 et obtient son droit d’établissement. Lors de son arrivée, il répond par l’affirmative à la question 13 de sa fiche d’établissement lui demandant si outre le nom de son épouse il a d’autres personnes à sa charge, mais n’indique aucune autre information.

 

[5]               Dans sa demande de résidence permanente au Canada d’août 1993, le demandeur n’a jamais mentionné toutefois être père d’un fils du nom de Manuel Erick Asuaje Lopez, né le 21 août 1989; les seules personnes à charge qu’il déclare de façon spécifique et que connaissent les autorités canadiennes de l’immigration sont son épouse, Luz Marina Sarabia-Buestas, et sa fille, Bernette Manuellys Asuaje Sarabia.

 

[6]               Le 26 septembre 2007, un agent rejette la demande pour un visa de résidence permanente présentée par le demandeur à titre de répondant pour son fils, et ce au motif que ce dernier ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)(d) du Règlement. L’agent conclut ainsi après avoir considéré que lors de sa demande de visa de résident permanent, le demandeur n’a pas déclaré que sa famille comprenait un fils et que lors de son entrée au Canada à titre de résident permanent, le fils n’accompagnait pas le demandeur et n’a donc pas fait l’objet d’un contrôle tel que requis par le Règlement.

 

[7]               Le demandeur interjette appel de cette décision de l’agent des visas devant la SAI, et le 12 février 2008 celle-ci rejette son appel au motif que son fils est exclu aux termes de l’alinéa 117(9)(d) du Règlement.

 

III.       Question en litige

[8]               La décision de la SAI est-elle entachée d’une erreur de fait ou de droit justifiant l’intervention de la Cour?

 

IV.       Cadre législatif

[9]               Le Règlement prévoit comme suit:

Demandes

10. (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d), toute demande au titre du présent règlement :   […]

Applications

10. (1) Subject to paragraphs 28(b) to (d), an application under these Regulations shall […]

Renseignements à fournir

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

a) les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d’immigration du demandeur et de chacun des membres de sa famille, que ceux-ci l’accompagnent ou non, ainsi que la mention du fait que le demandeur ou l’un ou l’autre des membres de sa famille est l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une autre personne;

[…]

Required information

(2) The application shall, unless otherwise provided by these Regulations,

(a) contain the name, birth date, address, nationality and immigration status of the applicant and of all family members of the applicant, whether accompanying or not, and a statement whether the applicant or any of the family members is the spouse, common-law partner or conjugal partner of another person;

[…]

Restrictions

117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

[Je souligne.]

Excluded relationships

117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

    [Emphasis added.]

[10]           Le terme « membre de sa famille » auquel réfèrent ces alinéas est défini au Règlement comme suit:

1. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la Loi et au présent règlement.

[…]

1. (1) The definitions in this subsection apply in the Act and in these Regulations.

[…]

Définition de « membre de la famille »

(3) Pour l’application de la Loi — exception faite de l’article 12 et de l’alinéa 38(2)d) — et du présent règlement — exception faite des articles 159.1 et 159.5 —, « membre de la famille », à l’égard d’une personne, s’entend de :

a) son époux ou conjoint de fait;

b) tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait;

c) l’enfant à charge d’un enfant à charge visé à l’alinéa b).

[Je souligne.]

Definition of “family member”

(3) For the purposes of the Act, other than section 12 and paragraph 38(2)(d), and for the purposes of these Regulations, other than sections 159.1 and 159.5, “family member” in respect of a person means

(a) the spouse or common-law partner of the person;

(b) a dependent child of the person or of the person's spouse or common-law partner; and

(c) a dependent child of a dependent child referred to in paragraph (b).
[Emphasis added.]

 

V.        Analyse

i) Norme de contrôle

[11]           La question en litige ici porte sur l'interprétation de l'alinéa 117(9)d) du Règlement et son application aux faits. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de la « déraisonnabilité » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

ii) La décision de la SAI est raisonnable

[12]           Le demandeur allègue qu’à l’époque de sa demande de visa  il n’avait pas la garde légale de son fils. De sorte que le seul fait de répondre par l’affirmative (oui) à la question 13 de sa fiche d’établissement rencontre, selon lui, les exigences du Règlement. Rappelons que la question 13 lui demandait si outre les personnes qui l’accompagnent et dont il a fourni les noms, il a d’autres personnes à sa charge?

 

[13]           Si on se fie aux documents produits, et plus particulièrement à la décision du Pouvoir Judiciaire de la République Bolivarienne de Venezuela rendue le 2 juin 2006, il semble bien que ce n’est qu’à cette date, donc après la demande de visa, que le Tribunal du Circuit judiciaire de Protection de l’Enfant et de l’Adolescent de la circonscription judiciaire métropolitaine de Caracas, au Venezuela, transfère formellement au demandeur la garde de son fils. Par cette décision, le tribunal autorise l’enfant à résider à Montréal chez son père pour que ce dernier « puisse exercer la garde de son fils ERICK MANUEL pleinement, le surveiller et lui offrir l’assistance matérielle et l’orientation morale et éducative dont le fils aura besoin, (alors que) la mère conservera l’autorité parentale ainsi que le droit à un régime de visites ».

[14]           Il n’est peut-être pas inutile de noter que cette décision découle du consentement du demandeur et de la mère de l’enfant, et que le Tribunal cite dans sa décision l’extrait suivant : « …il arrive que le père MANUEL ASUAJE a établi sa résidence dans la ville de Montréal, Québec, Canada pour des raisons de travail, et afin d’améliorer la qualité de sa vie, le bien-être et la sécurité de notre fils mineur, nous avons décidé conjointement que ce dernier voyage à la dite ville pour établir sa résidence chez son père et suivre des études… » Voilà en bref pourquoi la mère consent à transférer la garde de l’enfant au père ici demandeur.

 

[15]           Il est peut-être exact qu’avant cette date le demandeur n’avait pas la garde légale de son fils.  Mais qu’il ait ou pas la garde de son fils ne change rien au lien biologique qui unit le demandeur à son fils et aux obligations et responsabilités qui en découlent. Un père ne cesse pas d’être père parce qu’il n’a pas la garde de son fils. Pourquoi lors de sa demande de visa de résident permanent pour venir au Canada le demandeur oublie-t-il de déclarer avoir un fils?

 

[16]           Il ressort clairement de l’alinéa 117(9)(d) du Règlement, que ce fils doit être considéré au sens de la Loi comme un « étranger » membre de la famille du répondant, et que lorsque le demandeur effectue sa demande de résidence permanente, son fils, « l’étranger » au sens de la Loi, ne l’accompagne pas et ne fait l’objet d’aucun contrôle au point d’entrée. En conséquence, ce fils est exclu de la catégorie du regroupement familial, selon les termes de l’alinéa 117(9)(d) du Règlement.

 

[17]           La définition du terme « membre de sa famille », n’aide pas davantage le demandeur puisque ce terme comprend « tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait ». Que le fils du demandeur ait été sous la garde de son ex-conjointe ne change rien à l’obligation du demandeur de déclarer lors de sa demande de visa de résidence permanente les nom, date de naissance, adresse, nationalité et statut d’immigration de chacun des « membres de sa famille » au sens où l’entend le Règlement , que ceux-ci l’accompagnent ou non lors de son entrée au Canada comme résident permanent. Il ne pouvait tout simplement pas oublier être le père biologique du fils qu’il cherche aujourd’hui à parrainer.

 

[18]           Le Règlement est clair mais malheureusement le demandeur l’a ignoré, et  son excuse ne tient pas la route, vu les faits et les exigences du règlement. En conséquence, la Cour conclut que la décision visée par le présent recours est justifiée en fait et en droit, bref il s’agit d’une décision raisonnable ne justifiant pas une intervention pour l’annuler.  

 

VI.       Question à certifier

[19]           Le demandeur propose pour certification la question suivante :

Peut-on opposer au demandeur l’alinéa 117(9)(d) du Règlement alors que l’enfant n’était pas à charge lors de la demande de visa de résidence permanente mais qu’il l’était lors de la demande de parrainage subséquente?

 

[20]           Le jugement sur une demande de contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci (article 74d) de la Loi).

 

[21]           Cependant, pour que la Cour accepte de certifier une question, il ne suffit pas d’avancer que celle-ci n’a jamais été tranchée; encore faut-il que la question proposée soit aussi « déterminante quant à l’issue de l’appel … [et qu’on n’utilise pas la certification demandée] comme un moyen d’obtenir de la Cour d’appel, des jugements déclaratoire à l’égard de question … qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée. » [Je souligne.] (Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 4). Il n’est pas nécessaire ici de certifier la question proposée puisque la Cour d’appel fédérale y a déjà répondu dans l’arrêt Fuente même si les faits diffèrent (voir Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Cleotilde dela Fuente, 2006 CAF 186 (Fuente)). Dans cette affaire, Mme dela Fuente et sa mère avaient demandé et obtenu un visa de résidence permanente au titre de la catégorie de regroupement familial. Mme dela Fuente avait obtenu le visa parce qu’elle était un membre non marié de la famille de sa mère et accompagnait celle-ci. À son arrivée au Canada en octobre 1992, elle indique sur son formulaire d’établissement être célibataire et sans personnes à charge, bien que mariée depuis environ deux semaines avant son entrée au Canada. Un enfant naît au Canada par la suite de ce mariage et Mme dela Fuente présente une demande de parrainage pour son mari. D’abord reçue puis approuvée, cette demande est par la suite refusée par un agent d’immigration (agent) au motif que Mme dela Fuente n’ayant pas déclaré son conjoint lors de son admission au Canada, celui-ci se trouve par conséquent exclu aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

 

[22]           Un juge de cette Cour fit droit à une demande de révision judicaire de cette décision de l’agent en estimant que les mots « à l’époque où cette demande a été faite », de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, s’entendaient de la date à laquelle Mme dela Fuente avait déposé sa demande de visa, ou tout au plus de la date à laquelle elle avait obtenu son visa. Et puisqu’ à cette date Mme dela Fuente n’était pas mariée et que son futur mari n’était pas un membre de la famille, en conséquence selon ce juge l’alinéa 117(9)d) ne s’appliquait pas.  Dans sa décision le juge certifie deux questions dont une formulée comme suit :

L‘expression « à l’époque où cette demande a été faite » dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, vise-t-elle l’époque ou la demande de résidence permanente a été faite?

 

[23]           Saisi de la question, la Cour d’appel y répond comme suit :

L’expression « à l’époque où  cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement, s’entend de la durée de la demande, depuis la date à laquelle elle a été amorcée par le dépôt du formulaire officiel jusqu’à la date à laquelle l’intéressé obtient le statut de résident permanent au point d’entrée.

 

[24]           Puisque le présent demandeur était au moment de sa demande de résidence permanente le père biologique de l’enfant qu’il cherche à parrainer après son entrée au Canada, et ce, sans l’avoir révélé antérieurement, malheureusement pour lui son fils Erick Manuel se trouve exclu du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) et de la définition du terme « membre de sa famille » du Règlement.

 

[25]           Vu la réponse donnée par la Cour d’appel dans Fuente à la question précitée, il n’est pas nécessaire de certifier celle proposée par le demandeur même si sa demande concerne son fils plutôt qu’un conjoint comme c’était le cas dans Fuente. Chose certaine les faits ici n’avantagent pas plus le demandeur que ceux considérés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Fuente, bien au contraire.

 

VII.      Conclusion

[26]           En conséquence la demande sera rejetée et aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE  la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1476-08

 

INTITULÉ :                                      MANUEL ANTONIO ASUAJE ARANGUREN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Karkar

 

POUR LE DEMANDEUR

Steve Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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