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Date : 20050121

Dossier : IMM-3912-04

Référence : 2005 CF 89

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2005                                                                        

                                                                                                                                                           

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                       OLGA CADENAS MUNOZ

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c.27 (Loi), a été déposée à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) rendue le 24 mars 2004. Dans cette décision, le tribunal a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de « personne à protéger » à l'article 97.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que la demanderesse n'était pas crédible?

[3]                Pour les raisons qui suivent, je dois répondre de façon affirmative à cette question. Par conséquent, la demande contrôle judiciaire sera accueillie.

MISE EN CONTEXTE

[4]                La demanderesse est âgée de 34 ans et est citoyenne mexicaine. Elle allègue revendiquer le statut de réfugié au Canada en raison d'une crainte bien fondée de persécution basée sur son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des femmes victimes de violence conjugale au Mexique. La demanderesse dit craindre pour sa vie et craindre des traitements et/ou des peines cruels et inusités si elle devait retourner dans son pays d'origine.


[5]                La demanderesse indique être persécutée dans son pays par Luis Hernandez, un agent de la police judiciaire au Mexique, qui fut son ami de coeur. En janvier 2002, la demanderesse lui apprend qu'elle désire mettre un terme à leur relation à cause de son comportement possessif et contrôleur. Ce dernier promet de changer et la demande en mariage. Cette dernière refuse. Le 7 mars 2002, elle décide de rencontrer Luis Hernandez afin de lui expliquer les sentiments qu'elle ressent pour l'une de ses amies, Anna Garcia. Ce dernier est furieux et l'insulte.

[6]                Le 9 mars 2002, Luis Hernandez commence à la harceler et à la persécuter. Après avoir surpris la demanderesse et son amie Anna à s'embrasser, il l'insulte de nouveau, l'agresse et menace de la tuer. Il répète ses menaces lors d'une conversation téléphonique le 17 mars.

[7]                Le lendemain, elle se rend à son travail. C'est alors qu'elle apprend que quelqu'un s'est emparé de sa liste de courriels, incluant la liste de tous ses clients et fournisseurs, et leur a envoyé une série de photos d'elle-même posée nue et dans des positions compromettantes. La demanderesse est convaincue qu'il s'agit de l'oeuvre de Luis Hernandez, qui comme policier, a utilisé ses contacts afin de faire ce mauvais coup.

[8]                Trois jours après cet incident, elle est invitée à donner sa démission. Devant son refus, elle est congédiée par son employeur sans lettre de recommandation. Par la suite, elle est atteinte d'une sérieuse dépression. Elle soutient que Luis Hernandez continue toujours de la harceler au moyen d'appels téléphoniques.

[9]                Craignant son persécuteur, aucune plainte n'est déposée auprès des autorités policières. La demanderesse prétend que sa mère est tombée gravement malade à cause de cette situation.

[10]            En mai 2002, la réclamante change son numéro de téléphone afin de mettre un terme aux appels incessants de Luis Hernandez. Quelques jours plus tard, il l'a rejoint et continue de la menacer.

[11]            En octobre 2002, la demanderesse effectue un voyage au Canada mais doit retourner dans son pays car sa mère est menacée par Hernandez. Elle se réfugie chez son père dans la région de Chiapas. Lorsqu'elle communique de nouveau avec sa mère, cette dernière l'informe que l'agent persécuteur continue toujours ses menaces.

[12]            Durant le mois de mars 2003, elle est kidnappée pendant quatre à cinq heures par les hommes de Hernandez. Craignant pour sa vie, elle décide de quitter le pays le 17 mars pour se diriger vers les États-Unis où elle y reste pendant six mois. Pendant ce temps, elle est admise d'urgence à l'hôpital suite à une crise de nerfs. Après avoir consulté un avocat new-yorkais, elle arrive à Montréal où elle demande la protection du Canada.

DÉCISION CONTESTÉE


[13]            Le tribunal conclut que la demanderesse n'a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de personne à protéger en raison de son manque de crédibilité. Le décideur lui reproche de ne pas avoir fourni le message courriel accompagnant les photos envoyées à ses collègues de travail et à ses clients. Il note également le rôle exagéré attribué à Hernandez. Il ne croit pas non plus à la crainte subjective raisonnable de persécution car la réclamante a mis fin à son voyage au Canada pour aller retrouver sa mère. Il n'accorde aucune valeur probante au rapport psychologique déposé par la demanderesse ainsi qu'aux lettres de ses collègues de travail corroborant l'intrusion dans son ordinateur et l'envoi des photos compromettantes.

ANALYSE

1.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que la demanderesse n'était pas crédible?

[14]            La norme de contrôle concernant les questions de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL) au paragraphe 4).

[15]            Le tribunal reproche notamment à la demanderesse de ne pas avoir déposé le message courriel auquel était attaché les photos compromettantes. Il est vrai que ce document aurait pu constituer un élément de preuve additionnelle ajoutant du poids à la réclamation de la demanderesse. Cependant, la Cour considère comme manifestement déraisonnable d'avoir exclu ou mis de côté les lettres de collègues de travail confirmant avoir reçu le message avec les photos. Il en va de même pour la lettre de sa mère qui corrobore le récit de la réclamante à ce sujet. Les photos en question ont été envoyées aux clients et aux fournisseurs de la demanderesse violant ainsi sa dignité et le respect de sa vie privée.

[16]            Le tribunal souligne que la lettre de congédiement de l'employeur est complètement silencieuse au sujet de l'envoi de ce fameux courriel daté du 18 mars 2002. Au contraire, la Cour n'est pas du tout étonnée que l'employeur, Société Panasonic Mexique, n'ait pas voulu insérer une telle mention dans sa lettre. Il est tout à fait normal qu'une compagnie aussi importante ayant à son emploi un directeur des ressources humaines ait décidé de ne pas faire allusion à ce courriel.

[17]            La Cour considère comme déplacé et inopportun le paragraphe suivant de la décision (page 4, dernier paragraphe)

Dans un autre segment de l'audience, madame ajoute n'avoir jamais eu de relation sexuelle avec Mme Garcia et qu'elles s'étaient uniquement embrassées et qu'elle ne la plus revue depuis le mois de mars 2002. Le tribunal, sans porter de jugement, trouve quand même étonnant que madame, qui a également témoigné avoir eu des pulsions ou avoir eu une attirance envers une copine de classe alors qu'elle était au secondaire, que ses relations intimes avec Mme Garcia se soient limitées à un baiser.

[18]            Après avoir lu attentivement le passage dans les notes sténographiques à ce sujet, la Cour ne voit absolument aucun fondement à cette extrapolation du tribunal. La demanderesse ayant catégoriquement nié avoir eu des relations sexuelles avec cette dame.

[19]            Finalement, se basant sur le comportement de la réclamante à l'audition, le tribunal considère grandement exagéré le rapport psychologique déposé. Son procureur a fait remarqué qu'il y avait eu une pause après ses questions à la demanderesse et celles posées par le décideur. Ceci peut très bien expliquer le changement de comportement de cette dernière.

[20]            Les propos du juge Martineau dans R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162 (1ère inst.) (QL) au paragraphe 25, trouvent application ici :

En outre, en agissant avec zèle dans sa recherche de contradictions, la Commission a accordé beaucoup trop d'importance à des éléments secondaires et ne s'est pas attardée aux véritables éléments dont elle disposait : la crainte subjective de persécution de la demanderesse et le fondement objectif de cette crainte. La Commission semble ne pas avoir tenu compte d'une grande quantité d'éléments de preuve très pertinents contenus dans le dossier. Le rapport psychologique, qui a été admis en preuve et qui n'a pas été contesté, indique que la demanderesse est crédible, et il étaie totalement le récit de cette dernière.

[21]            Après avoir pris en considération la preuve présentée devant le tribunal ainsi que les notes sténographiques, je suis d'avis que les erreurs manifestement déraisonnables soulevées méritent l'intervention de la Cour.

[22]            Le procureur de la demanderesse a mentionné qu'il voulait soumettre une question à être certifiée. La Cour lui a indiqué qu'il devait la soumettre au plus tard le 19 janvier à midi. Quant à la partie adverse, elle devait faire connaître ses représentations au plus tard le 20 janvier à midi. Le greffe a reçu les représentations du procureur de la partie demanderesse, Me Istvanffy à 16h30 le 19 janvier et je les ai refusées. Lorsqu'un délai est fixé par la Cour, il doit être respecté à moins de circonstances particulières qui doivent être expliquées, ce qui n'est pas le cas ici. Ce dossier ne soulève aucune question importante de portée générale, donc aucune ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La revendication de la demanderesse est remise pour réexamen par une formation différente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Aucune question n'est certifiée.

             "Michel Beaudry"                      

Juge

          


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-3912-04

INTITULÉ :                                                     OLGA CADENAS MUNOZ c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                                                             ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 18 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'HONORABLE JUGE BEAUDRY


DATE DES MOTIFS :                                   le 21 janvier 2005

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Mélanie Brouillette

Marie-Claude Paquette                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)       

John H. Sims                                                    POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


Montréal (Québec)       

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