Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20081218

Dossier : IMM‑1392‑08

Référence : 2008 CF 1396

Montréal (Québec), le 18 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

ABOULLA AHMAD AL TURK

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision d’une agente des visas au Haut‑commissariat du Canada à Londres, au Royaume‑Uni, décision prise le 14 février 2008, par laquelle l’agente des visas a refusé la demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie des travailleurs qualifiés pour insuffisance de points.

 

I. Résumé des faits

[2]               Le demandeur est Jordanien, marié et père d’un enfant; le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Haut‑commissariat du Canada à Londres (le Haut‑commissariat), au Royaume‑Uni, dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), dans la catégorie d’emploi administrateur de système en informatique.

 

[3]               Le demandeur a obtenu un baccalauréat du Collège universitaire de technologie Princess Sumaya en Jordanie (l’Université de Jordanie). Selon sa propre évaluation contenue dans le dossier, son niveau d’anglais était moyen en ce qui a trait à ses capacités à lire, à écrire, à écouter et à parler.

 

[4]               L’agente des visas a commencé le traitement initial du dossier du demandeur et elle a constaté que le demandeur devait passer l’examen de langue du International English Language Testing System (le IELTS) et qu’il devait fournir des documents relatifs à sa famille au Canada.

 

[5]               Par la suite, le demandeur a informé le Haut‑commissariat par lettre qu’il passerait l’examen du IELTS en octobre 2007 et qu’il fournirait un formulaire à jour contenant des renseignements supplémentaires sur sa famille. Le Haut‑commissariat a reçu la lettre le 28 août 2007 et il l’a consignée dans le Système de traitement informatisé des dossiers de l’immigration (le STIDI).

 

[6]               À la suite de cette lettre, le demandeur aurait envoyé au Haut‑commissariat une deuxième lettre datée du 21 août 2008 dans laquelle il faisait remarquer qu’il devait changer la date de son examen du IELTS d’octobre 2007 à mai 2008. Dans cette deuxième lettre, il a également fourni une mise à jour de son adresse. Toutefois, le Haut‑commissariat n’a aucune note que cette lettre ait jamais été reçue.

 

[7]               Entre‑temps, le Haut‑commissariat a inscrit dans son dossier qu’il n’avait encore reçu aucun résultat de l’examen du IELTS du demandeur, malgré sa demande en ce sens.

 

[8]               Le 13 février 2008, le dossier du demandeur a été examiné par une agente des visas qui a décidé que le demandeur n’avait pas le nombre total de points qui justifiait la délivrance d’un visa de résident permanent. Par conséquent, dans une lettre datée du 14 février 2008, l’agente des visas a avisé le demandeur que sa demande était refusée.

 

II. La décision contestée

[9]               Sur la base des observations écrites, l’agente des visas a estimé que le demandeur avait obtenu un total de 62 unités sur les 67 points qui forment la note de passage, avec une évaluation de deux points pour les compétences linguistiques en anglais; l’agente a finalement conclu que le demandeur n’avait pas suffisamment de points pour la convaincre qu’il serait en mesure de réussir son établissement économique au Canada.

 

III. Les questions en litige

[10]           La présente affaire soulève les trois questions suivantes :

a.       L’agente des visas a‑t‑elle violé l’obligation d’équité procédurale?

b.      L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a évalué les aptitudes linguistiques du demandeur?

c.       L’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 76(3) du Règlement lui confère?

 

IV. Analyse

            La norme de contrôle

[11]           La jurisprudence de la Cour a admis que la décision d’un agent d’immigration, lorsqu’il examine une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés, découle de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et devrait donc attirer une grande retenue. Tant qu’un tel examen est mené de bonne foi, conformément au principe de justice naturelle, sans se fonder sur des considérations inappropriées ou étrangères, la décision est susceptible de contrôle selon la décision manifestement déraisonnable.

 

            L’obligation d’équité procédurale

[12]           Le demandeur affirme qu’on lui a nié toute équité procédurale, parce que sa demande a été traitée en février 2008 avant la réception des résultats de son examen du IELTS de mai 2008.

 

[13]           Le demandeur explique que bien qu’il ait d’abord pris des engagements pour passer son examen en octobre 2007, par la suite, il a changé d’avis et reporté son examen à mai 2008. Il affirme aussi qu’il a envoyé une lettre au Haut‑commissariat le 21 août 2007, par laquelle il avisait le Haut‑commissariat de son nouveau rendez‑vous pour son examen du IELTS, et que l’agente des visas n’a pas tenu compte de cette lettre; elle a rendu sa décision sur la base des observations écrites du demandeur contenues dans le dossier sans attendre les résultats de son examen du IELTS qui avait été reporté.

 

[14]           Bien que le demandeur ait produit une copie de la lettre du 21 août 2007, dont il dit qu’elle a été envoyée au Haut‑commissariat, il n’a déposé aucun document corroborant que cette lettre a en réalité été envoyée au Haut‑commissariat soit par courrier, soit par messager, soit par télécopie. Il n’y a pas de bordereau de transmission de télécopie ni de reçu de courrier ni aucun document d’un messager dans le dossier du demandeur, à l’exception de son propre affidavit dans lequel il atteste qu’il a bien envoyé la lettre en question et la preuve par ouï‑dire contenue dans l’affidavit de son frère à cet égard. Par contre, l’agente des visas affirme dans son affidavit que, après avoir examiné l’ensemble du dossier, elle n’a pas été en mesure d’y trouver la lettre et que la lettre n’a jamais été reçue au Haut‑commissariat.

 

[15]           Il incombait au demandeur de s’assurer que le Haut‑commissariat avait bien reçu sa lettre; il n’y a aucune indication que le demandeur ait même effectué un suivi auprès du Haut‑commissariat pour s’assurer que sa lettre était bien parvenue au Haut‑commissariat, et plus important, que le Haut‑commissariat savait qu’il ne passerait pas l’examen du IELTS en octobre 2007. Il appert que le demandeur a simplement supposé que sa lettre avait bien été reçue et que le Haut‑commissariat souscrivait au report de son examen du IELTS. Le demandeur aurait dû avoir la sagesse et la prudence d’obtenir un avis de confirmation de sa lettre du 21 août, en particulier parce que le Haut‑commissariat attendait les résultats de son examen du IELTS à une date précise, et certainement pas un avis que le demandeur avait reporté son examen du IELTS.

 

[16]           Il incombait au demandeur de démontrer qu’il répondait à toutes les exigences et aux critères de sélection d’obtention d’un visa d’immigrant. Le fait que le demandeur ait manqué à son devoir de diligence raisonnable en ne s’assurant pas que le Haut‑commissariat était informé du report de son examen du IELTS ne peut pas être reproché à l’agente des visas : elle ne pouvait baser sa décision que sur l’information dont elle disposait, elle n’avait pas reçu de lettre en ce sens et elle n’avait aucun moyen de savoir qu’il y avait quelque problème que ce soit relativement à l’examen du IELTS d’octobre 2007, qui avait été reporté.

 

[17]           En outre, il était raisonnablement loisible au demandeur, avant que la décision définitive du 13 février 2008 ne soit prise, de déposer des observations écrites supplémentaires concernant les compétences linguistiques qu’il alléguait avoir en anglais ou de demander l’occasion de le faire en présence de l’agente des visas. Le demandeur n’a fourni aucune preuve qu’il avait fait des efforts pour déposer des documents supplémentaires à l’appui de l’évaluation de ses capacités en anglais et il n’a pas non plus déposé que l’agente des visas lui a refusé l’occasion de déposer des observations écrites supplémentaires.

 

[18]           Néanmoins, les renseignements du dossier que le demandeur avait présentés ont donné l’assurance à l’agente des visas que le demandeur passerait l’examen du IELTS en octobre 2007, et non pas que l’examen serait reporté jusqu’en mai 2008. L’agente des visas a attendu jusqu’en février 2008 pour terminer le traitement de la demande, après qu’elle a noté que les résultats de l’examen n’avaient pas été présentés dans le délai convenu avec le demandeur. Le demandeur avait à s’occuper de sa demande de visa seulement, tandis que l’agente des visas avait probablement à traiter de nombreuses autres demandes de visa. Il appert donc que le demandeur a été négligent et qu’il est responsable de son propre malheur parce qu’il ne s’est pas assuré que l’agente des visas avait reçu sa lettre et qu’elle était au courant du report de son examen du IELTS en mai 2008 et que les résultats de cet examen seraient par conséquent retardés.

 

[19]           Étant donné ce qui précède, la Cour ne voit pas comment l’agente des visas pourrait être accusée d’avoir commis une violation de l’équité procédurale. Au contraire, l’agente des visas a avisé le demandeur de ses interrogations bien avant de rendre sa décision et il appartenait au demandeur de répondre à ces interrogations dans un délai raisonnable ou du moins de s’assurer que l’agente savait, avant de prendre sa décision, que le demandeur ne pourrait pas produire les résultats de son examen linguistique à la date prévue.

 

Évaluation linguistique

[20]           La disposition pertinente du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), est libellée de la façon suivante :

 

79. (1) Le travailleur qualifié indique dans sa demande de visa de résident permanent la langue — français ou anglais — qui doit être considérée comme sa première langue officielle au Canada et celle qui doit être considérée comme sa deuxième langue officielle au Canada et :

 

79. (1) A skilled worker must specify in their application for a permanent resident visa which of English or French is to be considered their first official language in Canada and which is to be considered their second official language in Canada and must

 

a) soit fait évaluer ses compétences dans ces langues par une institution ou organisation désignée aux termes du paragraphe (3);

 

(a) have their proficiency in those languages assessed by an organization or institution designated under subsection (3); or

 

b) soit fournit une autre preuve écrite de sa compétence dans ces langues.

 

(b) provide other evidence in writing of their proficiency in those languages.

 

Points

 

  (2) Un maximum de 24 points d’appréciation sont attribués pour la compétence du travailleur qualifié dans les langues officielles du Canada d’après les standards prévus dans les Standards linguistiques canadiens 2002, pour le français, et dans le Canadian Language Benchmarks 2000, pour l’anglais, et selon la grille suivante :

 

Points

 

  (2) Assessment points for proficiency in the official languages of Canada shall be awarded up to a maximum of 24 points based on the benchmarks referred to in Canadian Language Benchmarks 2000 for the English language and Standards linguistiques Canadiens 2002 for the French language, as follows:

 

[…]

 

[…]

 

b) pour les capacités à parler, à écouter, à lire ou à écrire à un niveau de compétence moyen :

 

(b) for the ability to speak, listen, read or write with moderate proficiency

 

(i) dans la première langue officielle, 2 points pour chaque aptitude si les compétences du travailleur qualifié correspondent aux niveaux 6 ou 7,

 

(i) in the first official language, 2 points for each of those abilities if the skilled worker’s proficiency corresponds to a benchmark of 6 or 7, and

 

(ii) dans la seconde langue officielle, 2 points si les compétences du travailleur qualifié correspondent aux niveaux 6 ou 7;

 

(ii) in the second official language, 2 points for each of those abilities if the skilled worker’s proficiency corresponds to a benchmark of 6 or 7; and

 

c) pour l’aptitude à parler, à écouter, à lire ou à écrire chacune des langues officielles :

 

(c) for the ability to speak, listen, read or write

 

(i) à un niveau de compétence de base faible, 1 point par aptitude, à concurrence de 2 points, si les compétences du travailleur qualifié correspondent aux niveaux 4 ou 5,

 

(i) with basic proficiency in either official language, 1 point for each of those abilities, up to a maximum of 2 points, if the skilled worker’s proficiency corresponds to a benchmark of 4 or 5, and

 

(ii) à un niveau de compétence de base nul, 0 point si les compétences du travailleur qualifié correspondent à un niveau 3 ou à un niveau inférieur.

(ii) with no proficiency in either official language, 0 points if the skilled worker’s proficiency corresponds to a benchmark of 3 or lower.

 

 

[21]           Le demandeur fait valoir que la conclusion de l’agente des visas est absurde parce qu’elle a conclu qu’il possédait seulement une compétence linguistique en anglais d’un niveau de base, étant donné qu’il avait étudié à l’Université de Jordanie pendant quatre ans et qu’il a suivi tout son cursus en anglais. Toutefois, cela ne mène pas à la conclusion que le demandeur a une compétence linguistique moyenne ou élevée en anglais. Le demandeur peut très bien avoir été en mesure de réussir tout son cursus avec seulement un niveau de compétence de base faible en anglais.

 

[22]           De plus, il découle clairement de l’affidavit de l’agente des visas qu’elle a bien pris en considération l’expérience du demandeur à l’Université de Jordanie, mais qu’elle a conclu que cette expérience était insuffisante et ne démontrait pas une compétence moyenne ou élevée en anglais. L’agente a noté que bien que le demandeur ait pu étudier en anglais, elle n’était toujours pas convaincue qu’il ait étudié dans un environnement anglophone comparable à celui d’une personne qui étudie au Royaume‑Uni ou aux États‑Unis. Il était tout à fait raisonnable que l’agente des visas parvienne à une telle conclusion.

 

[23]           En bref, l’agente des visas a basé son évaluation de la compétence linguistique en anglais du demandeur sur les observations écrites du demandeur, de même que sur l’information contenue dans le dossier. Toutefois, l’agente n’a pas pris en considération la preuve intéressée ou la preuve non vérifiable fournie par le demandeur et elle a demandé au demandeur de passer l’examen du IELTS, ce que le demandeur a accepté de faire, et l’agente des visas n’a pas été avisée, avant la prise de sa décision, que cet examen avait été reporté et que les résultats seraient par conséquent retardés.

 

[24]           La Cour admet que le paragraphe 79(2) du Règlement énonce que l’évaluation des points pour les compétences en langues officielles est attribuée sur la base du Canadian Language Benchmarks (le CLB). Les notes du STIDI révèlent seulement que l’agente n’est pas [traduction] « convaincue que le demandeur a démontré une compétence linguistique en anglais correspondant au niveau 8 ». Il est vrai que cette conclusion ne contient aucune référence à des échantillons de textes écrits par le demandeur, qui faisaient partie des observations du demandeur. Toutefois, les échantillons écrits fournis par le demandeur ne prouvent pas en soi que c’est lui qui a écrit les échantillons et que ces échantillons n’auraient pas pu être écrits par quelqu’un d’autre.

 

[25]           Toutefois, à la lecture de la lettre de refus, de concert avec les notes du STIDI et l’affidavit non contesté de l’agente, il devient clair que l’évaluation que l’agente a faite des compétences linguistiques en anglais du demandeur avait été faite eu égard aux observations écrites contenues dans le dossier du demandeur, eu égard à son expérience estudiantine et eu égard au CLB.

 

[26]           Étant donné toutes les circonstances en l’espèce, soit le défaut du demandeur de produire les résultats de son examen du IELTS à temps et son défaut de s’assurer que l’agente savait que son examen du IELTS avait été reporté, la Cour ne trouve pas que l’omission de l’agente des visas d’évaluer les échantillons de textes écrits par le demandeur, conformément au CLB peut être suffisamment importante en soi au point que la décision discrétionnaire de l’agente soit déclarée déraisonnable.

 

[27]           En bref, pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la Cour conclut que la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; l’évaluation qui y est contenue apparaît avoir été faite de bonne foi, conformément au principe de justice naturelle et sans se fonder sur des considérations inappropriées ou étrangères. Par conséquent, cette décision mérite la retenue de la Cour. Il s’ensuit que la Cour conclut que l’agente des visas n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et que sa décision dans son ensemble est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[28]           La Cour est d’accord avec les parties qu’il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande est rejetée.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                IMM‑1392‑08

 

INTITULÉ :                                             ABOULLA AHMAD AL TURK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     Le 19 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    Le juge suppléant Lagacé

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 18 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Lam

 

POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel-Yan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.