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Date : 20081217

Dossier : IMM-2353-08

Référence : 2008 CF 1392

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SIVASUSI MANIVANNAN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par laquelle la demanderesse sollicite la délivrance d’un bref de mandamus visant à obliger Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à accueillir la demande de parrainage de son époux dans les 90 jours du prononcé de l’ordonnance de la Cour ou, subsidiairement, visant à obliger CIC à terminer l’examen de sa demande dans les 30 jours du prononcé de l’ordonnance de la Cour. La demanderesse sollicite également les dépens.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est née le 7 octobre 1981 et est citoyenne du Sri Lanka. Elle travaille à l’usine de cosmétique Estée Lauder à Scarborough, en Ontario, et demeure à Markam, en Ontario. Le 8 septembre 2001, elle s’est mariée avec Manivannan Ambalavanar, qui est né le 3 janvier 1974 dans le nord du Sri Lanka. Ils sont tous deux Tamouls.

 

[3]               Le 3 décembre 2001, l’époux de la demanderesse (l’époux) a fui le Sri Lanka et s’est rendu à Singapour. Le 3 mars 2002, la demanderesse a fui le Sri Lanka et s’est rendue à Singapour. Avec l’aide d’un agent, la demanderesse et son époux se sont rendus ensemble aux États‑Unis. Ils avaient l’intention de venir au Canada et de demander l’asile ici. Cependant, ils ont été interceptés et détenus à l’aéroport à Chicago par les autorités responsables de l’immigration parce qu’ils étaient munis de faux passeports qui avaient été fournis par l’agent. La demanderesse a été relâchée en juin 2002, car elle était enceinte. Elle a poursuivi son voyage jusqu’au Canada, où elle a demandé le statut de réfugié, alors que son époux était toujours détenu par les autorités des États‑Unis.

 

[4]               L’enfant de la demanderesse, Akshaiyan Manivannan, est né au Canada le 1er octobre 2002. Il est un citoyen canadien et il n’a pas été enregistré auprès du gouvernement du Sri Lanka.

 

[5]               L’époux a demandé le statut de réfugié aux États‑Unis, mais sa demande a été rejetée, et il est retourné au Sri Lanka en avril 2003.

 

[6]               La demanderesse a été acceptée au Canada en qualité de réfugié au sens de la Convention le 26 juin 2003. Elle a présenté une demande de résidence permanente pour elle et son époux en août 2003. La résidence permanente a été accordée à la demanderesse le 9 mars 2005. Cependant, la demande de son époux n’a été traitée par le Haut‑commissariat du Canada à Colombo (le HCC), au Sri Lanka, qu’après que la Cour eut été saisie de la présente demande.

 

[7]               Étant donné qu’il avait des problèmes d’audition, le fils de la demanderesse a eu deux opérations aux oreilles en janvier 2005 et en mai 2007. Une autre chirurgie était prévue en juin 2008.

 

[8]               Les aptitudes sociales du fils de la demanderesse se sont développées lentement, et il a mis beaucoup de temps à apprendre à parler. La demanderesse s’inquiète des répercussions négatives qu’a eues l’absence de son époux sur son fils, particulièrement sur son développement. L’enfant ne comprenait pas pourquoi son père ne pouvait pas être avec lui.

 

[9]               La demanderesse et son fils se sont rendus au Sri Lanka le 21 septembre 2007 pour passer du temps avec son époux à Colombo, et ils sont revenus au Canada le 19 octobre 2007. C’était la première fois que l’époux voyait Akshaiyan depuis sa naissance.

 

[10]           La demanderesse affirme que son fils est devenu encore plus préoccupé au sujet de son père après leur retour du Sri Lanka. De retour à la maison, Akshaiyan a pleuré toutes les nuits pendant un mois parce que son père lui manquait beaucoup, et il demandait constamment à savoir quand son père allait venir au Canada.

 

[11]           Alors qu’elle rendait visite à son époux au Sri Lanka, la demanderesse et son époux ont enregistré leur mariage auprès des autorités civiles. Une copie de leur certificat de mariage et le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse (le FRP) ont été remis au HCC au Sri Lanka le 2 octobre 2007. L’époux a participé à une entrevue menée par des employés du HCC le 19 octobre 2004. Les employés du HCC ont accepté la relation entre la demanderesse et son époux comme étant authentique. Les notes du SSOBL et du STIDI obtenues par la demanderesse révélaient que le HCC avait l’intention d’interroger l’époux de nouveau, mais il n’y a eu aucune date de fixer pour l’entrevue.

 

[12]           La demanderesse s’inquiétait de la sécurité de son époux, elle ne croyait pas que le HCC traitait sa demande de façon raisonnable et elle croyait qu’il n’y avait aucune chance que le HCC aurait accordé la résidence permanente à son époux sans l’intervention de la Cour.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[13]           Lors du dépôt de la présente demande, la demanderesse a soulevé les questions suivantes :

1)      Le défendeur a‑t‑il respecté la Loi et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, les obligations du Canada au regard du droit international ou la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (la Charte), en omettant de terminer le traitement de la demande de résidence permanente que la demanderesse avait déposée pour son époux?

2)      La Cour, vu les faits de l’espèce, devrait‑elle accepter de se déclarer compétente afin de superviser l’affaire jusqu’à ce qu’elle soit réglée?

 

LES DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES

 

Membre de la famille qui n’accompagne pas le demandeur

 

141. (1) Un visa de résident permanent est délivré à tout membre de la famille du demandeur qui ne l’accompagne pas si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) le membre de la famille était visé par la demande de visa de résident permanent du demandeur au moment où celle-ci a été faite ou son nom y a été ajouté avant le départ du demandeur pour le Canada;

 

 

b) il présente sa demande à un agent qui se trouve hors du Canada dans un délai d’un an suivant le jour où le demandeur se voit conférer l’asile;

 

c) il n’est pas interdit de territoire;

 

d) le répondant visé au sous-alinéa 139(1)f)(i) qui parraine le demandeur a été avisé de la demande du membre de la famille et l’agent est convaincu que des arrangements financiers adéquats ont été pris en vue de sa réinstallation;

 

e) dans le cas où le membre de la famille cherche à s’établir au Québec, les autorités compétentes de cette province sont d’avis qu’il répond aux critères de sélection de celle‑ci.

 

 

Section 5

Personne protégée : résidence permanente

Délai de demande

 

175. (1) Pour l’application du paragraphe 21(2) de la Loi, la demande de séjour au Canada à titre de résident permanent doit être reçue par le ministère dans les cent quatre-vingts jours suivant la décision de la Commission ou celle du ministre visées à ce paragraphe.

 

Contrôle judiciaire

 

(2) L’agent ne peut conclure que le demandeur remplit les conditions prévues au paragraphe 21(2) de la Loi si la décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire ou si le délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire n’est pas expiré.

 

Membre de la famille

 

176. (1) La demande de séjour au Canada à titre de résident permanent peut viser, outre le demandeur, tout membre de sa famille.

 

Délai d’un an

 

(2) Le membre de la famille d’un demandeur visé par la demande de séjour au Canada à titre de résident permanent de ce dernier et qui se trouve hors du Canada au moment où la demande est présentée obtient un visa de résident permanent si :

 

a) d’une part, il présente une demande à un agent qui se trouve hors du Canada dans un délai d’un an suivant le jour où le demandeur est devenu résident permanent;

 

b) d’autre part, il n’est pas interdit de territoire pour l’un des motifs visés au paragraphe (3).

 

Interdiction de territoire

 

(3) Le membre de la famille qui est interdit de territoire pour l’un des motifs visés au paragraphe 21(2) de la Loi ne peut obtenir de visa de résident permanent ou devenir résident permanent.

Non-accompanying family member

 

 

141. (1) A permanent resident visa shall be issued to a family member who does not accompany the applicant if, following an examination, it is established that

 

 

(a) the family member was included in the applicant's permanent resident visa application at the time that application was made, or was added to that application before the applicant's departure for Canada;

 

(b) the family member submits their application to an officer outside Canada within one year from the day on which refugee protection is conferred on the applicant;

 

(c) the family member is not inadmissible;

 

(d) the applicant's sponsor under subparagraph 139(1)(f)(i) has been notified of the family member's application and an officer is satisfied that there are adequate financial arrangements for resettlement; and

 

(e) in the case of a family member who intends to reside in the Province of Quebec, the competent authority of that Province is of the opinion that the foreign national meets the selection criteria of the Province.

 

Division 5

Protected Persons — Permanent Residence

Application period

 

175. (1) For the purposes of subsection 21(2) of the Act, an application to remain in Canada as a permanent resident must be received by the Department within 180 days after the determination by the Board, or the decision of the Minister, referred to in that subsection.

 

Judicial review

 

(2) An officer shall not be satisfied that an applicant meets the conditions of subsection 21(2) of the Act if the determination or decision is subject to judicial review or if the time limit for commencing judicial review has not elapsed.

 

Family members

 

176. (1) An applicant may include in their application to remain in Canada as a permanent resident any of their family members.

 

One-year time limit

 

(2) A family member who is included in an application to remain in Canada as a permanent resident and who is outside Canada at the time the application is made shall be issued a permanent resident visa if

 

 

(a) the family member makes an application outside Canada to an officer within one year after the day on which the applicant becomes a permanent resident; and

 

(b) the family member is not inadmissible on the grounds referred to in subsection (3).

 

 

Inadmissibility

 

(3) A family member who is inadmissible on any of the grounds referred to in subsection 21(2) of the Act shall not be issued a permanent resident visa and shall not become a permanent resident.

 

 

LES ALLÉGATIONS

            La demanderesse

 

[14]           La demanderesse soutient que le HCC ne lui a donné aucune explication écrite justifiant son non‑respect du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Bien que la demande de parrainage ait été déposée en août 2003, le HCC n’a ouvert le dossier que le 17 mai 2004, neuf mois après le dépôt.

 

[15]           Les notes du STIDI du 31 mars 2005 concernant la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse pour son époux révèlent que le HCC voulait obtenir le FRP et d’autres éléments de preuve quant à la détention de son époux par les autorités de l’immigration aux États‑Unis. Au lieu de prendre le FRP qui était dans son propre dossier, le HCC a écrit à l’époux le 4 avril 2005 pour lui demander le FRP. L’époux leur a répondu le 11 avril 2005.

 

[16]           Plusieurs années plus tard, le 28 janvier 2008, le HCC a noté qu’il souhaitait que l’époux participe à une entrevue avant de déterminer s’il lui accorderait un visa. Le HCC n’a pas interrogé l’époux au sujet du FRP en 2004, parce qu’il n’avait pas encore demandé le FRP en 2004.

 

[17]           Les notes du STIDI révèlent également de nombreuses demandes faites par la demanderesse, son époux, des avocats et un parlementaire. Le HCC s’est contenté de prendre note de ces demandes, et il n’a pris aucune action en vue d’accorder la résidence permanente à l’époux.

 

Le retard

 

[18]           La demanderesse craignait pour la sécurité de son époux parce que la situation quant à la sécurité des Tamouls à Colombo se détériorait. La guerre avait pris fin au Sri Lanka, et la police et l’armée avaient souvent appréhendé l’époux afin de le questionner. La demanderesse craignait qu’à un moment donné son époux soit malchanceux et soit torturé, enlevé ou tué, ou qu’il « disparaisse ».

 

[19]           La demanderesse s’est fondée sur le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a déclaré en décembre 2006 que tous les Tamouls étaient exposés à un risque de persécution au Sri Lanka. La guerre a pris fin en janvier 2008 au Sri Lanka, et l’équipe internationale de surveillance de la paix a quitté le pays. Le Human Rights Watch a déclaré en mars 2008 qu’il y avait eu de nombreux enlèvements, disparitions et meurtres extrajudiciaires de jeunes hommes tamouls dans tout le Sri Lanka, y compris à Colombo. Les Tamouls non originaires de Colombo sont souvent pris pour cible, et tant le Human Rights Watch que le président du Sri Lanka ont affirmé que les Tamouls qui présentent des demandes d’immigration aux bureaux des visas à Colombo sont la cible d’enlèvements.

 

[20]           La demanderesse ne s’inquiète pas seulement pour la sécurité de son époux; elle craint également les répercussions négatives que l’absence de son époux aura sur son fils. Elle croit que la séparation aura un effet négatif à long terme sur le développement et la santé mentale de son fils. Elle est également déprimée et angoissée en raison de la séparation d’avec son époux.

 

[21]           La demanderesse souligne que le libellé de l’article 141 du Règlement a un caractère obligatoire et non discrétionnaire, et que son objet est de veiller à la réunification rapide des familles lors de situations comme celle dans laquelle la demanderesse se trouve.

 

[22]           La demanderesse soutient que l’omission d’accorder que soit examinée la demande de son époux  en même temps que la sienne viole les obligations en matière de droit international prévues à l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur le 23 mars 1976, auquel le Canada a adhéré le 19 mai 1976. Le gouvernement du Canada a édicté l’article 141 du Règlement pour se conformer à l’article 23, lequel se lit comme suit :

1.                  La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'État.

2.                  Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et à la femme à partir de l'âge nubile.

 

[23]           La demanderesse affirme que le HCC à Colombo s’est montré incompétent et illogique dans l’examen de sa demande. L’époux a participé à une entrevue sans que le HCC ait obtenu le FRP, lequel était déjà en possession du défendeur : il était joint à la demande de la demanderesse. Il n’est pas clair pourquoi le HCC a demandé le FRP des années après que l’époux eut participé à l’entrevue ou pourquoi le HCC n’a rien fait après l’avoir reçu. La demanderesse a le sentiment que le HCC s’est conduit d’une façon qui donne à penser qu’il a délibérément omis de tenir compte de l’article 141 du Règlement.

 

[24]           La demanderesse soutient que le HCC devrait être capable d’effectuer l’examen de l’autorisation de sécurité d’un immigrant ou d’un réfugié tamoul en moins de cinq ans. Les fonctionnaires au Canada sont capables de traiter les demandes d’admissibilité et de résidence permanente en beaucoup moins de temps.

 

[25]           La demanderesse poursuit en affirmant que la détention de son époux aux États‑Unis n’explique aucunement la raison d’un tel retard. Le défendeur avait accès aux dossiers tenus par les autorités de l’immigration aux États‑Unis et il n’a eu aucune difficulté à traiter le dossier de la demanderesse malgré qu’elle ait été détenue aux États‑Unis. Le HCC a tout simplement choisi de ne pas examiner la demande.

 

[26]           La demanderesse soutient que la situation des droits de la personne au Sri Lanka est bien connue, ce qui aurait dû pousser le HCC a agir suivant le principe de la réunification des familles et l’objectif humanitaire du régime légal.

 

[27]           La demanderesse cite l’article 25 de la Loi qui donne la possibilité au HCC d’étendre l’application des motifs d’ordre humanitaire à un demandeur de résidence permanente. Elle affirme cependant que, de toute façon, son époux respecte toutes les exigences légales et réglementaires.

 

[28]           La demanderesse allègue également que l’article 7 de la Charte s’applique en l’espèce. Elle affirme que l’action de l’État a eu une incidence négative sur son intégrité psychologique : Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.) [J.G.], [1999] 3 R.C.S. 46, paragraphes 58 à 60.

 

[29]           La demanderesse rejette l’argument du défendeur selon lequel il lui [traduction] « manquait » son FRP avant qu’elle lui en envoie une autre copie. Elle soutient que son FRP était déjà dans le dossier du défendeur et qu’il était joint à sa propre demande de résidence permanente.

 

[30]           La demanderesse souligne que le défendeur a insisté pour obtenir des documents sur lesquels elle n’avait aucun pouvoir pour qu’il puisse confirmer des renseignements que la demanderesse lui avait déjà fournis, renseignements qu’il pouvait facilement confirmer. La demande d’asile de la demanderesse a été accueillie, ce qui veut dire que son témoignage a été accepté comme étant crédible et elle a été déclarée admissible. Rien ne permettait de supposer que l’époux avait été détenu pour une autre raison que celle donnée par la demanderesse.

 

[31]           La demanderesse n’est pas d’accord avec le défendeur qui affirme qu’il n’y a eu [traduction] « aucun refus d’agir » et que le HCC a continué de traiter le dossier : il a demandé à l’époux de lui fournir le dossier produit par les États‑Unis. La demanderesse souligne que le défendeur n’a offert aucune réponse à l’évidente question de savoir pourquoi, alors qu’il avait la collaboration du gouvernement des États‑Unis et qu’il avait un accès facile aux casiers judiciaires aux États‑Unis, le défendeur a refusé de vérifier si l’époux n’avait aucun antécédent de détention à l’exception de sa détention par les autorités d’immigration des États‑Unis.

 

[32]           La demanderesse soutient en conclusion que le défendeur n’a pas respecté l’intention du législateur en ce qui concerne la priorité qu’il faut donner aux examens des demandes de résidence permanente présentées par des réfugiés au sens de la Convention en leur nom et au nom de leur conjoint. Sans l’intervention de la Cour, le défendeur se serait contenté de laisser indéfiniment en suspens la demande de résidence permanente en question : il aurait présenté des demandes irréalistes et pris note qu’il avait répété ces demandes.

 

Le défendeur

 

[33]           Le défendeur affirme que l’autorisation de sécurité effectuée dans le cadre de la demande de la demanderesse n’avait pas pu être terminée parce que la demanderesse avait omis de fournir une attestation de vérification de casier judiciaire (l’attestation) et le dossier quant à la détention de treize mois de son époux au Texas. CIC a demandé à de nombreuses reprises au cours des quatre dernières années à la demanderesse et à son époux de fournir ces documents.

 

[34]           Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun retard déraisonnable et aucun refus d’examiner la demande; au contraire, le retard, allègue‑t‑il, est entièrement imputable à la demanderesse qui a omis, depuis le 26 juillet 2004, de fournir les documents nécessaires pour que CIC puisse terminer l’examen de sécurité de l’époux. Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun refus d’agir et que des étapes étaient continuellement entreprises afin que CIC puisse examiner la demande de la demanderesse; CIC a, par exemple, fixé d’autres entrevues malgré les documents manquants.

 

Le retard

 

[35]           Le défendeur allègue que la demanderesse n’a pas réussi à établir que le retard était déraisonnable.

 

[36]           Le défendeur soutient que le retard en l’espèce n’est pas déraisonnable, étant donné que tout retard est entièrement imputable à l’omission de la demanderesse de fournir des documents qui ont été demandés un mois et demi après le dépôt de sa demande.

 

[37]           Le défendeur soutient que la demanderesse a reçu plusieurs avis mentionnant que la demande de résidence permanente de son époux était incomplète. Un de ces avis était une lettre de CIC datée du 26 juillet 2004, laquelle mentionnait que, pour que CIC traite la demande, il devait obtenir l’attestation. Bien que l’époux, dans une lettre du 2 août 2004, ait mentionné qu’il savait que CIC en avait besoin, l’attestation n’a pas été fournie. Le 4 août 2004, une deuxième lettre a été envoyée à l’époux, laquelle mentionnait que CIC n’avait toujours pas reçu l’attestation et qu’une entrevue était prévue le 19 octobre 2004.

 

[38]           Le défendeur continue en notant qu’une troisième lettre a été envoyée par CIC le 19 octobre 2004, dans laquelle CIC mentionnait qu’il n’avait toujours pas reçu une attestation de vérification de casier judiciaire délivrée par l’Illinois. Le 4 avril 2005, soit environ un an après la première lettre envoyée par CIC, une quatrième lettre a été envoyée à l’époux concernant son omission de fournir le dossier produit par le Texas au sujet de sa détention de treize mois au Texas. CIC a également demandé le FRP de la demanderesse dans la lettre du 4 avril 2005.

 

[39]           Le défendeur soutient que, près de trois ans plus tard, la demanderesse et son époux n’avaient fourni ni le dossier produit par le Texas, ni le FRP de la demanderesse. Par conséquent, le 5 septembre 2007, CIC a envoyé une deuxième lettre dans laquelle il demandait que la demanderesse lui envoie son FRP, après quoi la demanderesse lui a enfin fourni son FRP.

 

[40]           Plus de quatre ans après que la demande initiale concernant l’attestation a été envoyée, CIC a envoyé, le 29 juillet 2008, une cinquième demande à l’époux concernant cette même attestation.

 

[41]           Le défendeur termine sur ce sujet en alléguant qu’il y avait une explication satisfaisante pour le retard : l’autorisation de sécurité ne pouvait pas être terminée tant que les documents concernant les treize mois de détention de l’époux au Texas n’avaient pas été fournis.

 

[42]           Le défendeur soutient que des étapes étaient continuellement entreprises afin que CIC puisse terminer le traitement de la demande de la demanderesse, et ce, même si la demanderesse avait omis de fournir les documents demandés dans le délai imparti. Il a continué d’examiner le dossier malgré les documents manquants et noté, le 30 juillet 2007, qu’une autre autorisation de sécurité était nécessaire. Une autre entrevue a été fixée et elle a eu lieu le 25 juin 2008, parce que CIC avait besoin de cette autre autorisation de sécurité.

 

[43]           Le défendeur n’a pas causé de retard volontaire ou refusé de s’acquitter d’une obligation légale quelconque.

 

[44]           Le défendeur a rappelé à la Cour que le ministre a l’obligation légale exprès de protéger la société canadienne et qu’il doit s’assurer que les immigrants potentiels ne sont pas visés par les articles 34 à 39 de la Loi. Une demande de résidence permanente ne peut pas être accueillie à moins que le demandeur respecte toutes les obligations prévues à la Loi. Les enquêtes de sécurité sont nécessaires pour établir si les demandeurs sont admissibles ou non suivant la Loi.

 

[45]           Le défendeur soutient que le ministre a activement tenté de terminer l’examen de la demande de la demanderesse, mais qu’il ne pouvait pas terminer l’autorisation de sécurité avant qu’il ait reçu les documents concernant la détention de treize mois de l’époux au Texas. D’après la correspondance entre CIC et la demanderesse et son époux, il est clair que la demanderesse et son époux avaient été dûment avisés qu’ils devaient fournir ces documents afin que l’autorisation de sécurité puisse être terminée.

ANALYSE

 

[46]           Lors de l’audience de la présente affaire à Toronto, il y a eu des indices selon lesquels une décision quant à la demande de visa de résidence permanente de l’époux allait être prise dans un avenir rapproché. La Cour a donc suspendu l’audience pour donner le temps au HCC de rendre sa décision et elle a donné aux avocats la directive de la garder informée des progrès.

 

[47]           Comme prévu, le HCC à Colombo a délivré un visa de résidence permanente à l’époux au début du mois de novembre 2008.

 

[48]           La demanderesse a mentionné qu’en raison de ce dénouement, la présente affaire était réglée, à l’exception de la demande d’adjudication des dépens.

 

[49]           La demanderesse appartient à la classe ouvrière et a un jeune enfant. Elle gagne 9,10 dollars l’heure. Elle affirme ne pas avoir les moyens, de façon réaliste, de se payer le litige, mais elle s’est néanmoins sentie obligée d’entreprendre la présente instance afin que soit réglée la question du statut de son époux. Le coût du litige s’ajoute au 1 100 dollars de frais payés au gouvernement et autres frais causés par le retard dans le traitement de la demande. Elle a le sentiment qu’elle a été obligée d’intenter une poursuite afin d’attirer l’attention sur son dossier et, malgré cela, le défendeur a attendu que la Cour lui fasse part de ses réserves et lui donne des directives lors de l’audience avant de régler la présente affaire.

 

[50]           Lors de l’audience relative à la présente affaire, l’avocat du défendeur a mentionné que tout était en place pour qu’une décision puisse être prise et qu’elle devrait se prendre dans un avenir rapproché. Par conséquent, je ne crois pas que l’on puisse dire que, à cette étape, c’est la Cour qui a fait en sorte que la décision quant à la délivrance du visa soit prise; ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que le litige en soi n’était pas nécessaire pour attirer l’attention sur le dossier et que la menace d’un mandamus délivré par la Cour n’a pas joué un rôle important dans le règlement tardif de ce qui était, en fait, une demande de statut non litigieuse.

 

[51]           Il est de droit constant que, suivant l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, il doit y avoir des raisons spéciales pour que la Cour adjuge des dépens dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Mon interprétation de la jurisprudence m’amène à conclure que peuvent notamment constituer des raisons spéciales une situation où une partie agit de mauvaise foi ou d'une manière qui peut être qualifiée d'inéquitable, d'oppressive ou d'inappropriée, ainsi qu’une conduite qui prolonge inutilement ou de façon déraisonnable l'instance. Voir Platonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1438, dossier no IMM-4446-99, le 12 septembre 2000; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 669, 2005 CF 544, dossier no IMM‑1864‑04, le 21 avril 2005; M. Untel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 535, et Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262 (Can LII), dossier no IMM‑8446‑04, paragraphe 26.

 

[52]           En l’espèce, mon examen du dossier révèle qu’aucune critique ne peut être soulevée quant à la façon dont le dossier a été traité au Canada et je tiens à préciser que l’avocat du défendeur, M. Todd, a été méticuleux, franc et d’une grande aide dans l’instruction et le règlement de l’affaire.

 

[53]           Les problèmes et les retards semblent avoir été causés par le bureau des visas à Colombo. La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente et s’est fondée sur l’article 176 du Règlement pour y inclure son époux. La demande a été déposée en août 2003, et le bureau des visas a ouvert le dossier le 17 mai 2004.

 

[54]           La Cour reconnaît qu’il fallait du temps pour examiner l’admissibilité de l’époux, particulièrement du point de vue de la sécurité, et qu’une vérification des antécédents devait être effectuée, mais, selon mon examen du dossier, il semble y avoir eu des retards injustifiés et non nécessaires dans le traitement du FRP de la demanderesse, retard entre autres dû au fait que CIC n’a pas clairement laissé savoir à l’époux qu’il devait fournir une [traduction] « attestation de vérification de casier judiciaire délivrée par le Texas ».

 

[55]           Par exemple, dans son affidavit, Mme Piyatissa – qui a révisé, pour les besoins de la présente demande, le dossier monté à Colombo – n’a pas été tout à fait franche, n’a pas fourni un récit complet à la Cour et a tenté de blâmer la demanderesse et son époux pour tous les retards :

[traduction]

Les motifs de la détention de treize mois de l’époux au Texas sont encore inconnus. Malgré les nombreuses demandes qui leur ont été adressées au cours des quatre dernières années, dans lesquelles on leur demandait de fournir l’attestation de vérification de casier judiciaire délivrée par le Texas et l’ensemble des dossiers relatifs à sa détention au Texas, la demanderesse et son époux ne les ont pas encore fournis.

 

 

[56]           Mais il demeure que le bureau des visas, même s’il a demandé [traduction] « l’ensemble des documents relatifs à sa détention au Texas » dans une lettre du 4 avril 2005, n’a pas précisé qu’il voulait une [traduction] « attestation de vérification de casier judiciaire délivrée par le Texas » avant le 29 juillet 2008. Si la demanderesse et son époux avaient su ce qui leur était demandé, le bureau des visas l’aurait immédiatement obtenu. Le dossier révèle que la demanderesse et son époux ont coopéré et répondu promptement aux demandes. Dès qu’ils ont su que le bureau des visas avait besoin de l’attestation, il l’a obtenue. L’attestation a été délivrée par le Texas le 13 août 2008 et remise au bureau des visas le 4 septembre 2008.

 

 

[57]           Le dossier a été traité par différents agents et il a fait l’objet de nombreux retards. Des erreurs n’ont tout simplement pas été expliquées. Par exemple, à la page 5 du dossier du bureau des visas, il y a une note du STIDI datée du 11 avril 2005 :

[traduction]

L’intéressé est venu porter les copies détaillées du FRP qui avaient été demandées, et des copies certifiées de l’ensemble des documents concernant sa détention. Je les ai mises dans le plateau du greffe.

 

La déposante du défendeur a néanmoins juré dans son affidavit du 12 août 2008 que [traduction] « [a]près deux demandes faites en trois ans, la demanderesse a enfin fourni son FRP le 2 novembre 2007 ». Ni l’obligation réglementaire selon laquelle les demandes auraient dû être traitées en même temps (la demanderesse a obtenu la résidence permanente le 9 mars 2005), ni les considérations d’ordre humanitaire soulevées par la présente affaire ne semblent avoir été prises en compte. En particulier, la demanderesse et son époux ont un fils qui a souffert de problèmes sociaux et émotionnels et qui a été séparé de son père plus longtemps que ce qu’on aurait raisonnablement pu s’attendre étant donné les circonstances de l’espèce. Tout ce qui précède a mené à un recours justice qui n’était pas nécessaire.

 

[58]           Le dossier du bureau des visas est brouillon et la Cour n’est pas convaincue qu’il est complet.

 

[59]           Je ne vois pas de preuve de mauvaise foi en l’espèce, mais il y a eu un retard déraisonnable au bureau des visas de Colombo. Le bureau des visas a laissé le dossier traîner pour des raisons qui n’ont pas été expliquées de façon satisfaisante et la demanderesse et son époux ont dû intenter un recours en justice avant que le bureau des visas délivre enfin le visa à l’époux. Le bureau des visas a choisi de blâmer la demanderesse et son époux pour les retards, mais les grandes lignes des correspondances donnent à penser le contraire. Chaque fois que le bureau des visas leur a clairement fait savoir ce dont il avait besoin, la demanderesse et son époux lui a fourni les documents demandés.

 

[60]           Comme l’a souligné le juge Harrington au paragraphe 24 de la décision Singh, la « Cour considère qu'un retard exagéré dans le traitement d'une demande constitue un motif spécial qui justifie des dépens ». En l’espèce, je crois que le dossier révèle qu’il y a eu un retard exagéré et déraisonnable de la part du bureau des visas à Colombo dans une affaire qui soulève d’importantes considérations humanitaires et qui a empêché la famille de bénéficier du principe de la réunification des familles, principe étant une partie essentielle de notre régime en matière d’immigration. La demanderesse a été obligée d’avoir recours aux tribunaux afin d’obliger un règlement dans une affaire qui concernait une demande relativement simple.

 

[61]           La demanderesse sollicite un montant global de [traduction] « 4 000 $ ou des dépens adjugés en fonction d’un taux horaire déterminé par la Cour », ce qui donne à penser que la demanderesse sollicite les dépens avocat‑client, lesquels ne sont pas justifiés à mon avis vu les faits de l’espèce. Je crois bien, par contre, que des dépens partie‑partie sont justifiés et qu’ils devraient être adjugés à hauteur de 2 000 $ au titre du paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.      La demande de délivrance d’un bref de mandamus est rejetée parce qu’elle est sans objet, mais les dépens sont adjugés à hauteur de 2 000 $.

2.      Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2353-08

 

INTITULÉ :                                                   SIVASUSI MANIVANNAN c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 23 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL   

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 DÉCEMBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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