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Date : 20081216

Dossier : IMM-5405-08

Référence :  2008 CF 1372

Montréal (Québec), le 16 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

TIMOTHY IGBINOSA

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

-et-

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Qui est la personne et d’où vient-elle?

Au préalable, sans aller plus loin, ces questions nécessitent des réponses claires, nettes et précises. Sans réponses claires, nettes et précises, les objectifs de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), n’auraient aucune logique et cette loi, en elle-même, n’aurait aucun sens.

 

OBJET DE LA LOI

 

 

3.     (1) Objet en matière d’immigration - En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[...]

 

 

(2) Objet relatif aux réfugiés - S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

 

[...]

 

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

 

OBJECTIVES AND APPLICATION

 

3.     (1) Objectives – immigration - The objectives of this Act with respect to immigration are

 

...

 

 

(2)  Objectives – refugees - (2) The objectives of this Act with respect to refugees are

 

 

...

 

(h) to promote international justice and security by denying access to Canadian territory to persons, including refugee claimants, who are security risks or serious criminals.

 

[2]               Les non-citoyens n'ont aucun droit absolu d'entrer ou de rester au Canada. Dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, 1992 CanLII 87 (C.S.C.), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733, le juge John Sopinka affirme que « le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. »

 

[3]               Par la LIPR, le Parlement a établi un mécanisme d’examen exhaustif en matière de détention pour fins d’immigration qui inclut le contrôle des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de l’immigration) par la Cour fédérale.

 

[4]               La détention du demandeur a toujours été révisée tel que prévu par la LIPR et il sera libéré lorsque les conditions requises par la LIPR seront satisfaites.

 

[5]               En l’absence de questions sérieuses et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients favorise les défendeurs Ministres, qui ont intérêt à ce que l’identité du demandeur soit établie avant qu’il ne soit libéré dans la société canadienne.

 

[6]               La preuve démontre amplement, que le demandeur n'a pas coopéré en justifiant de son identité ou en aidant l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) à obtenir cette justification. Il a soumis des documents suspects et il a, à plusieurs reprises, fourni des renseignements non fiables et contradictoires au sujet de son identité et de son itinéraire dans le but de tromper les autorités de l’immigration canadiennes.

 

[7]               Le demandeur n’a pas établi que les circonstances militent en faveur de l’ordonnance exceptionnelle qu’il demande à cette Cour.

 

[8]               En l’espèce, il est sans contredit que l’intérêt public doit prédominer.

II.  Procédure judiciaire

[9]               Il s’agit d’une requête présentée par le demandeur qui vise à obtenir que la Cour déclare :

(1) « que la procédure de contrôle de la détention du demandeur tenue par la Section de l’immigration à Montréal le 03-12-2008 [...] est et/ou paraît entachée de graves erreurs de procédure »;

(2) « une injonction interlocutoire ordonnant aux défendeurs [...] de libérer immédiatement le demandeur sans aucune condition jusqu’à l’audition au fond de sa demande de contrôle ».

 

[10]           La requête est greffée à une Demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (DACJ) à l’encontre d’une décision, datée du 3 décembre 2008, par la commissaire de la Section de l’immigration refusant de libérer le demandeur qui est actuellement détenu par les autorités de l’immigration canadiennes pour fins d’identité.

 

            Remarque préliminaire – Intitulé de cause

[11]           Au regard des points de procédure, les défendeurs Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soutiennent qu'un tribunal dont la décision fait l'objet d'un contrôle judiciaire n’est pas une partie défenderesse appropriée dans une demande de contrôle judiciaire (Règle 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 ; Yeager c. Canada (Service correctionnel), (2000), 189 F.T.R. 196, 254 N.R. 38. (C.F. 1re inst.)).

[12]           En conséquence, l’intitulé de cause est modifié pour que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ne soit plus désignée comme partie intimée dans la présente requête.

 

III.  Faits

[13]           Le demandeur serait un citoyen du Nigéria. Il est arrivé à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau, le 26 septembre 2008, sans aucun document d’identité, par un vol inconnu, avec un document inconnu et a demandé l’asile.

 

[14]           Après avoir fait l’objet d’un contrôle par les autorités de l’immigration canadiennes, des contradictions ont été relevées dans ses allégations et il est détenu depuis pour fins d’identité.

 

[15]           Des révisions de sa détention ont eu lieu le 29 septembre, le 6 octobre, le 5 novembre et le 3 décembre 2008.

 

[16]           La prochaine révision de sa détention est prévue pour le 18 décembre 2008.

 

[17]           En somme, l’ASFC n’est pas satisfaite de l’identité du demandeur mais croit que son identité peut être établie et continue de faire de nombreuses démarches à cet égard.

 

[18]           Initialement, le demandeur avait allégué qu’il était arrivé au Canada directement du Nigéria.

 

[19]           Cependant, la preuve a révélé qu’il est arrivé de l’Italie où il était rentré en 2001. Confronté, il a commencé à changer son histoire.

 

[20]           Les seuls documents par le demandeur pour établir son identité sont (1) un permis de conduire nigérien dont les résultats d’expertise ont déterminé qu’il était apocryphe ce qui veut dire qu’il est probablement pas authentique puisqu’il est entaché de caractéristiques reliées à la contrefaçon; et (2) un certificat de naissance dont les résultats d’expertise ont déterminé qu’il n’avait aucune trace d'altération significative, mais les résultats ne sont pas concluants puisqu’il ne comportait aucun élément de sécurité et que les noms des parents contredisaient ceux donnés par le demandeur.

 

[21]           Conjuguées à d’autres contradictions dans la preuve et dans les déclarations du demandeur, ainsi qu’à sa collaboration limitée aux efforts de l’ASFC, les démarches pour établir l’identité du demandeur se sont compliquées puisque l’ASFC travaille à établir son identité sur la base de trois identités possibles.

 

[22]           Ayant analysé toute la preuve devant elle lors de la dernière révision de détention, en date du 3 décembre 2008, la Section de l’immigration a conclu comme suit :

[...] since the efforts of the CBSA have been reasonable, since I find that your collaboration is lacking to a certain extent, I can’t say that it’s totally negative, but it is lacking to a certain extent, and since CBSA still has certain avenues which they will follow up on to try to establish your identity in a satisfactory manner, I am deciding to maintain you in detention. Your case will be reviewed within a period of thirty days. If CBSA is satisfied of your identity before that, you can come back here at an earlier date or request to come back here at an earlier date and your case will be reviewed. (La Cour souligne.) (Dossier du demandeur à la p. 60).

IV.  Question en litige

[23]           Est-ce que le demandeur a satisfait au critère applicable à la délivrance d'une mesure interlocutoire, tel que défini dans R.J.R. - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 : La demande d’autorisation sous-jacente à la présente requête soulève-t-elle une question sérieuse; la détention du demandeur présente-t-elle un risque de préjudice irréparable et la balance des inconvénients favorise-t-elle sa libération sans que son identité soit établie à la satisfaction des autorités de l’immigration canadiennes?

 

[24]           Il s’agit d’un test conjonctif.

 

V.  Analyse

            A.  Questions sérieuses

[25]           Les prétentions du demandeur ne démontrent pas que la Section de l’immigration, tribunal spécialisé en matière de révision de détentions, aurait erré en faits et en droit au point de justifier l’intervention de cette Cour.

 

[26]           De ses prétentions écrites, nous comprenons que le demandeur argumente que les questions sérieuses à trancher sont les suivantes :

a.       que le représentant du Ministre, non assermenté, n’a aucune connaissance personnelle des faits qu’il présente devant la Section de l’immigration et ne peut, par conséquent, valablement informer le tribunal des efforts qui sont faits par l’ASFC pour établir l’identité du demandeur;

b.      que la Section de l’immigration a refusé d’émettre les citations à comparaître demandées par le demandeur;

c.       que la Section de l’immigration aurait « refusé au procureur du demandeur le droit de compléter ses représentations »;

d.      que la Section de l’immigration aurait interrogé le demandeur en l’absence de son avocat qui aurait quitté la salle au milieu de l’audience pour indiquer sa frustration;

e.       que la Section de l’immigration a procédé sans interprète de langue béninoise;

f.        que chaque révision de détention est une audience de novo.

 

a) Le rôle du conseil du Ministre

[27]           Les lignes directrices énoncées dans le chapitre ENF 3 du Guide de l'immigration, « Enquêtes et contrôle de la détention », section 6.7, sont très claires quant au rôle du conseil du Ministre (Pièce « A » de l’affidavit d’Hélène Exantus) :

  • Le conseil du ministre est un agent d’audience qui représente le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile dans les enquêtes et contrôles de détention devant la Section de l’immigration.
  • Le principal rôle de l’agent d’audience est de présenter le point de vue du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au commissaire de la Section de l’immigration. L’agent d’audience doit défendre la position du ministre et agir selon les instructions de ce dernier [...]
  • Lors des enquêtes et contrôles de détention, les conseils du ministre ont l’obligation de produire de façon équitable toutes les preuves pertinentes devant le commissaire de la Section de l’immigration [...]

[28]           Ainsi, il est clair que l’agent d’audience parle et agit au nom du Ministre. Son rôle est d’informer et de communiquer au tribunal le résultat de toutes les démarches entreprises par le Ministre pour établir l’identité d’une personne détenue.

 

[29]           Quoi qu’il en soit, la Section de l’immigration dispose d’une grande souplesse en ce qui a trait à la preuve dont elle peut tenir compte. Elle n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et peut s’appuyer sur tous les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision (LIPR alinéas 173c) et d) ; Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] 3 R.C.F. 301 au par. 7.).

 

[30]           Ainsi, la Section de l’immigration n’est pas liée par la règle de la meilleure preuve et peut en particulier accepter et prendre en considération la preuve par ouï-dire (ENF 3 – Section 6.4).

 

b) Les citations à comparaître

[31]           En tant que tribunal indépendant et maître de sa propre procédure, la Section de l’immigration peut toujours délivrer une citation à comparaître pour qu'un témoin se présente à l'audience afin qu'il y soit interrogé. Dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Section de l’immigration prend en considération tout élément pertinent. La règle 33(2) des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229 précise :

33(2) Pour décider si elle délivre une citation à comparaître, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

 

a) la nécessité du témoignage pour l'instruction approfondie de l'affaire;

 

b) la capacité de la personne de présenter ce témoignage.

33(2) In deciding whether to issue a summons, the Division must consider any relevant factors, including

 

 

 

(a) the necessity of the testimony to a full and proper hearing; and

 

 

(b) the ability of the person to give that testimony.

 

[32]           En l'espèce, le 21 juillet 2005, la Section de l’immigration a refusé d'accorder la demande du demandeur pour que l’agent d’immigration qui a procédé à l’expertise des documents d’identité du demandeur ainsi que l’agent d’immigration en charge de son dossier soient cités à comparaître puisque le tribunal a jugé que « les raisons pour la comparution des témoins ne sont pas suffisantes pour justifier l’émission de citations à comparaître » (Dossier du demandeur aux pp. 49 et 50).

 

[33]           Force est de constater que le demandeur n'a pas démontré la nécessité du témoignage des deux personnes visées. Il n’a fourni aucune explication tangible au soutien de sa demande de citations à comparaître.

 

[34]           Il n’y a aucune allégation que les rapports des deux agents seraient inexacts et le demandeur n’avance aucun argument à cet effet.

 

[35]           Il n’y a aucune preuve devant cette Cour pour démontrer que le demandeur n’a pas pu exercer son droit à une audience équitable ou qu’il n’a pas eu l'occasion de présenter des preuves et d'intervenir dans les débats pour faire valoir son point de vue et pour corriger toute inexactitude dans sa preuve.

[36]           Le seul fait que la requête n'ait pas été accordée par la Section de l’immigration n'est pas, à lui seul, un motif suffisant qui permet de conclure à un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 669, 160 A.C.W.S. (3d) 851 au par 13).

 

c) Le refus au procureur du demandeur de compléter ses représentations

[37]           Dans son Mémoire et aux paragraphes 56 à 64 de son affidavit, le demandeur allègue que « la commissaire a catégoriquement refusé au procureur du demandeur de compléter ses représentations » et laisse entendre au paragraphe 63 de son affidavit qu’il avait des « arguments additionnels qu’il voulait maintenant aborder ».

 

[38]           Il est à noter que le demandeur ne fournit aucune précision sur les prétendus « arguments additionnels » qu’il voulait aborder.

 

[39]           Avec égards, la preuve devant la Cour démontre que les choses  ne se sont pas déroulées de la manière prétendue par le demandeur.

 

[40]           Tout d’abord, les paragraphes 58 et 59 de son affidavit contredisent l’allégation que le demandeur n’a pas eu l'occasion de présenter des preuves et d'intervenir dans les débats pour faire valoir son point de vue et pour corriger toute inexactitude dans sa preuve.

 

[41]           Quant au reste, la décision de la Section de l’immigration parle d’elle-même : 

So, essentially, counsel wanted to make at the end of the hearing some further arguments or submissions on procedures on how detention reviews are handled. Seeing as these issues or points were already addressed throughout this hearing and last hearing, I indicated to your counsel that we do not need to hear that at this point, and that the main elements being the reasonable efforts and collaboration. Those were the key issues that needed to be addressed at this point, and that I do not have the authority to change how detention reviews are handled in general. I only have the authority to handle how each detention review that I preside over is handled, and I believe that I did address the issues as they came up during the hearing.  (La Cour souligne.)

 

(Dossier du demandeur à la p. 59).

 

d)   Que la Section de l’immigration aurait interrogé le demandeur en l’absence de son avocat qui aurait quitté la salle au milieu de l’audience pour indiquer sa frustration

 

[42]           La pertinence de cet argument n’est pas du tout clair des prétentions du demandeur.

 

[43]           Il ne précise pas le genre de questions qui lui auraient été posées ou les réponses qu’il aurait fournies et la pertinence de tout cela pour la décision de la Section de l’immigration.

 

[44]           Selon le paragraphe 67 de son affidavit, il semblerait que ces questions seraient plutôt « anodines ».

 

[45]           Selon les paragraphes 64, 58 et 59 de son affidavit, son avocat aurait quitté la salle juste avant le prononcé de la décision, soit après que les parties aient complété leurs preuves et représentations.

 

[46]           Le non-respect des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale ne se présume pas (Singh, ci-dessus au par. 14).

 

[47]           Ni le demandeur, ni son procureur ne se sont objectés de cette prétendue situation lors de l’audition.

 

[48]           Quant à l’allégation que le demandeur aurait été rencontré en entrevue à plusieurs reprises par l’agent d’immigration chargé de son dossier sans la présence de son avocat, il importe de rappeler que les principes de justice fondamentale ne comprennent pas le droit à l’assistance d’un avocat quand il s’agit de recueillir des renseignements de routine.

 

[49]           En effet, dans l’affaire Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, la Cour suprême du Canada a confirmé (1) que les non-citoyens ne possèdent aucun droit d’entrer ou de rester au Canada, (2) que l’interrogatoire d’une personne aux fins de son admission doit être analysé différemment de l’interrogatoire d’une personne qui se trouve au Canada, (3) qu’il s’agit d’un processus administratif de routine, (4) que le droit à l’assistance d’un avocat ne s’étend pas au-delà des circonstances de l’arrestation ou de la détention prévue à l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U), et (5) que les principes de justice fondamentale ne comprennent pas le droit à l’assistance d’un avocat quand il s’agit de recueillir des renseignements de routine.

 

[50]           En l’espèce, il appert clairement de la preuve devant la Cour que le demandeur était conscient de son droit à l’assistance d’un avocat, qu’il a choisi librement de collaborer avec l’agent d’immigration et ne peut valablement prétendre la violation de ce droit puisqu’il a mis fin à l’entrevue en invoquant son droit à l’assistance d’un avocat, ce qui fut respecté par l’agent d’immigration (Dossier du demandeur à la p. 44, par. 4).

 

e) Que la Section de l’immigration a procédé sans interprète de langue béninoise 

[51]           Un partie a le droit à l’assistance d’un interprète dans le cadre de  toute procédure devant la Section de l’immigration à laquelle l’intéressé est partie ou lorsqu’il témoigne devant un tribunal, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue dans laquelle se déroule la procédure (article 17 des Règles de la Section de l’immigration).

 

[52]           Encore une fois, en l’espèce, la décision de la Section de l’immigration parle d’elle-même :

Before rendering my decision on the matter, sir, there were some points that were raised during the hearing, as you are well aware. Your counsel made some objections. Firstly, I’ll deal with those. Throughout the hearing there were some procedural issues that were raised by your counsel. The first issue being that of an interpreter. Now, as I stated during the hearing, we have proceeded in the past without the benefit of a Benin interpreter because there was none available. There have been efforts made by the Interpreter’s Unit to try to find someone who speaks that language who is an accredited interpreter. It can’t just be anybody obviously. Unfortunately, they were not able to find anyone. So, since you have proceeded in the past with immigration authorities and in front of this tribunal in English, we decided to proceed in English today, and I explained to you that you could at any point in time raise the fact that there was maybe something you didn’t understand and it would be repeated for you to ensure that you did understand everything that occurred(La Cour souligne.)

 

(Dossier du demandeur à la p. 59).

 

[53]           Il importe d’abord de noter qu’à part l’allégation qu’il n’y avait pas d’interprète de langue béninoise lors de la révision de détention, du 3 décembre 2008, il n’y a aucun argument pour démonter comment cela aurait affecté le demandeur ou constitué un manquement à la justice naturelle dans son cas.

 

[54]           Il importe aussi de noter qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas d’audition d’une demande d’asile qui aurait été possible d’ajourner aussi longtemps qu’il faudrait pour trouver un interprète, mais d’un cas où il est requis par la loi et l’intérêt personnel du demandeur détenu de procéder à la révision de sa détention.

 

[55]           Or, en l’espèce, malgré l’absence d’interprète, il n’y aucune allégation précise que le fait que les révisions de détention du demandeur se sont déroulées en anglais.

 

[56]           La Section de l’immigration a indiqué très clairement au demandeur de l’aviser à tout moment s’il ne comprenait pas quelque chose. Il n’y a aucune preuve que le demandeur a manifesté un tel fait ou qu’il n’a pas compris quelque chose.

 

[57]           Il importe de noter que le demandeur était aussi dûment représenté par un avocat lors des révisions de détention.

 

[58]           Il est très surprenant de constater que l’affidavit du demandeur lui a été traduit du français à l’anglais.

[59]           Or, si le demandeur a des difficultés à comprendre l’anglais, alors comment se peut-il que son affidavit lui soit valablement traduit du français à l’anglais pour faire valoir de témoignage devant cette Cour (Dossier du demandeur à la p. 5)?

 

f) Que chaque révision de détention est une audience de novo

[60]           Fait peu surprenant, cet argument du demandeur ne repose sur aucun fondement légal. Il n’a présenté aucune autorité ou jurisprudence à l’appui de son argument.

 

[61]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572, la Cour d’appel fédérale faisait observer que le contrôle des motifs d’une détention n’est pas à proprement parler une nouvelle audience. Au contraire, tous les facteurs existants se rapportant à la détention doivent être pris en compte, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de détention :

[6]        Je pense qu'il est important en premier lieu de clarifier l'utilisation du mot « nouvelle » dans l'expression nouvelle audience. À proprement parler, une nouvelle audience est une audience au cours de laquelle un nouveau dossier est présenté et au cours de laquelle il n'est aucunement tenu compte d'une décision antérieure (voir à cet égard les arrêts Bayside Drive-in Ltd. c. M.R.N. (1997), 218 N.R. 150, à la page 156, (C.A.F.), et Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, à la page 166 (C.A.)). Ce n'est pas ce qui se produit dans un contrôle des motifs de la détention. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lai, [2001] 3 C.F. 326, à la page 334, (1re inst.), M. le juge Campbell a déclaré que dans un contrôle des motifs de la détention « tous les facteurs liés à la détention doivent être examinés, y compris les motifs de toute ordonnance antérieure de détention » . Même si le juge Campbell traitait d'une affaire suivant l'ancienne loi, rien ne justifie que sa décision ne doive pas s'appliquer suivant la nouvelle loi. Par conséquent, il n'est pas précisément exact de décrire comme une nouvelle audience la sorte de contrôle effectué suivant les articles 57 et 58 de la nouvelle loi.

 

[62]           Dans la décision Sittampalam c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1352, 143 A.C.W.S. (3d) 332, la juge Eleanor Dawson a résumé les principes exposés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanabalasingham de la façon suivante :

[19]      [...] Premièrement, avec ce genre de contrôle, il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une audition de novo. La constitution du dossier de la Commission se fait de manière continue au fil des audiences et celle-ci est censée prendre en compte les motifs pour lesquels les ordonnances précédentes ont été rendues. Deuxièmement, la Commission doit décider à nouveau, à chaque contrôle, si le maintien de la détention est justifié. Troisièmement, si un commissaire choisit de ne pas suivre les décisions rendues antérieurement par la Commission, il doit invoquer des motifs clairs et convaincants pour ce faire. Quatrièmement, c'est toujours au ministre qu'il incombe d'établir qu'il y a des motifs justifiant la détention ou le maintien en détention. Cependant, lorsque le ministre a présenté une preuve prima facie en faveur du maintien de la détention, l'intéressé doit produire des éléments de preuve en réponse, sinon il risque le maintien de sa détention. (La Cour souligne.)

 

[63]           En l'espèce, il est manifestement clair que la Section de l’immigration a examiné toutes les preuves qui lui ont été soumises, notamment celles relatives aux efforts et démarches de l’ASFC pour établir l’identité du demandeur ainsi que la collaboration de ce dernier à cette fin, et a donc évalué tous les facteurs pertinents.

 

[64]           En somme, la Section de l’immigration a conclu que le Ministre fait des efforts valables pour établir l'identité du demandeur et qu’en raison de la collaboration inadéquate et du manque de crédibilité de ce dernier, ces efforts sont compliqués et nécessitent plus de temps.

 

[65]           La Section de l’immigration pouvait raisonnablement arriver à ses conclusions compte tenu de la preuve dont elle disposait.

 

[66]           Le demandeur n’est peut-être pas d’accord avec le résultat de la décision sur sa révision de détention, mais il est clair qu’elle entre dans l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de la preuve que la Section de l’immigration avait devant elle.

 

[67]           D’ailleurs, ses arguments à l’encontre de cette décision ne concernent pas le fond des questions débattues devant la Section de l’immigration, mais plutôt des prétendus manquements à l’équité procédurale lors de l’audition qui, tel que démontré ci-dessous, ne sont aucunement fondés.

 

[68]           Par ses prétentions, le demandeur n'a aucunement démontré que la décision de la Section de l’immigration était déraisonnable et par conséquent, il n'existe aucune question sérieuse à trancher à l'égard de la demande de contrôle judiciaire déposée à l'encontre de cette décision.

 

[69]           Par conséquent, la requête devrait être rejetée pour ce seul motif.

 

B.  Préjudice irréparable

[70]           Le demandeur n’invoque et ne démontre aucun préjudice irréparable du fait de sa détention par les autorités de l’immigration canadiennes.

 

[71]           Par conséquent, la requête devrait être rejetée pour ce seul motif.

 

[72]           La détention du demandeur n’est pas illégale. Elle résulte de l’opération de la loi puisque le Canada a le droit de contrôler l’entrée et de connaître l’identité de tous les étrangers sur son territoire (Article 55 de la LIPR). Il n’y a aucune allégation que ses conditions de détention seraient problématiques.

 

[73]           Les non-citoyens n'ont aucun droit absolu d'entrer ou de rester au Canada. Dans Chiarelli, ci-dessus, le juge Sopinka affirme que « le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. »

 

[74]           Par la LIPR, le Parlement a établi un mécanisme d’examen exhaustif en matière de détention pour fins d’immigration qui inclut le contrôle des décisions de la Section de l’immigration par la Cour fédérale.

 

[75]           La détention du demandeur a toujours été révisée tel que prévu par la LIPR et il sera libéré lorsque les conditions requises par la LIPR seront satisfaites.

 

C.  Balance des inconvénients

[76]           Le demandeur ne présente aucun argument et ne démontre pas que la balance des inconvénients favorise sa libération « immédiate » et « sans conditions ».

 

[77]           En conséquence, la requête devrait être rejetée pour ce seul motif.

 

[78]           Eu égard aux prétentions exposées plus haut, les défendeurs Ministres soumettent que la balance des inconvénients penche nettement en leur faveur.

[79]           En l’absence de questions sérieuses et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients favorise les défendeurs Ministres, qui ont intérêt à ce que l’identité du demandeur soit établie avant qu’il ne soit libéré dans la société canadienne.

 

[80]           La preuve démontre amplement, que le demandeur n'a pas coopéré en justifiant de son identité ou en aidant l’ASFC à obtenir cette justification. Il a soumis des documents suspects et il a, à plusieurs reprises, fourni des renseignements non fiables et contradictoires au sujet de son identité et de son itinéraire dans le but de tromper les autorités de l’immigration canadiennes.

 

[81]           Le demandeur n’a pas établi que les circonstances militent en faveur de l’ordonnance exceptionnelle qu’il demande à cette Cour.

 

[82]           En l’espèce, il est sans contredit que l’intérêt public doit prédominer.

 

VI.  Conclusion

[83]           Compte tenu de tout ce qui précède, le demandeur ne rencontre pas les critères de la jurisprudence relativement à l’octroi de sa requête.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

 

1.         La requête du demandeur soit rejetée;

 

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5405-08

 

INTITULÉ :                                       TIMOTHY IGBINOSA c.

                                                            MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                            et MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marcel Dufour

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Evan Liosis

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARCEL DUFOUR

Ste-Thérèse (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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