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Date :  20081218

Dossier :  T-643-07

Référence :  2008 CF 1393

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2008

En présence de L'honorable Max M. Teitelbaum 

 

ENTRE :

ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA

(RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL CANADA)

et

SYNDICAT DES DÉBARDEURS S.C.F.P.

SECTION LOCALE 375

et

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES DÉBARDEURS,

ILA, SECTION LOCALE 1657

et

LOGISTEC STEVEDORING INC.

et

MONTREAL GATEWAY TERMINALS PARTNERSHIP

et

TERMONT MONTRÉAL INC.

et

EMPIRE STEVEDORING CO. LTD.

et

CERESCORP INC.

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle la demanderesse désire obtenir un jugement déclaratoire selon lequel la « nouvelle orientation » du ministère des Ressources humaines et Développement des compétences et la promesse de conformité volontaire qui lui a été proposée sont contraires à l’article 15 de la Charte canadienne des droit et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada (R.-U.), constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (Charte) ainsi qu’une déclaration de cette Cour que la Partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (CCT), doit être appliquée uniformément à travers le pays.

 

[2]               Dans l’affaire Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs S.C.F.P. section locale 375, 2006 CAF 360, un autre dossier impliquant la demanderesse et un des présents défendeurs, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision par laquelle elle confirmait la décision rendue par monsieur le juge Yves de Montigny (dossier T-213-05) de cette Cour et concluait que la décision de l’agent d’appel de considérer la demanderesse comme employeur aux fins de l’application de l’alinéa 145(2)a) du CCT n’était pas manifestement déraisonnable et que, considérant la situation de la demanderesse, celle-ci ne pouvait pas être exclue de l’application de la Partie II du CCT.

 

[3]               Fort de cette décision de la Cour d’appel fédérale, la Direction Travail du ministère des Ressources humaines et Développement des compétences (RHDC) a décidé d’informer la demanderesse des effets qu’aurait cette décision quant à l’application de la Partie II du CCT au Port de Montréal, et plus particulièrement en ce qui concerne la demanderesse et ses activités.

 

[4]               Notamment, lors de cette séance d’information qui a eu lieu le 13 février 2007, la Direction Travail de RHDC a rappelé à la demanderesse les obligations qui lui incombaient en tant qu’employeur aux termes de la Partie II du CCT.

 

[5]               Le 4 avril 2007, un agent de santé et de sécurité, agissant aux termes de la Partie II du CCT, constatant que la demanderesse n’avait pas constitué de comité d’orientation en matière de santé et de sécurité tel que l’exige le paragraphe 134.1(1) du CCT, lui a proposé de prendre les mesures nécessaires pour se conformer volontairement à cette disposition en signant une promesse de conformité volontaire. (Dossier de la demanderesse, volume I, onglet 9, pages 318 à 319)

 

[6]               Ne s’estimant pas l’employeur, la demanderesse a refusé de signer la promesse de conformité volontaire et a plutôt intenté, le 18 avril 2007, la présente instance. (Dossier de la demanderesse, volume I, onglet 10, page 321)

 

[7]               Le 9 juillet 2007, un agent de santé et de sécurité a donné à la demanderesse, conformément à l’article 145 du CCT, l’instruction de se conformer au paragraphe 134.1(1) du CCT soit de mettre en place un comité d’orientation. (Affidavit de France de Repentigny, Dossier de la défenderesse, volume III, page 396, paragraphe 3)

 

[8]               Les articles 134.1(1) et 145(2)(a) du CCT prévoient comme suit :

 

 

 

134.1(1) [Constitution obligatoire]

L’employeur qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus constitue un comité d’orientation chargé d’examiner les questions qui concernent l’entreprise de l’employeur en matière de santé et de sécurité; il en choisit et nomme les membres sous réserve de l’article 135.1.

 

145(2)[Situation dangereuse] S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent :

 

  a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu’il précise, à la prise de mesures propres :

 

 

 

    (i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

   (ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

134.1(1) [Establishment mandatory]

For the purposes of addressing health and safety matters that apply to the work, undertaking or business of an employer, every employer who normally employs directly three hundred or more employees shall establish a policy health and safety committee and, subject to section 135.1, select and appoint its members.

 

145(2)[Dangerous situation – direction to employer]

If a health and safety officer considers that the use or operation of a machine or thing, a condition in a place or the performance of an activity constitutes a danger to an employee while at work,

(a) the officer shall notify the employer of the danger and issue directions in writing to the employer directing the employer, immediately or within the period that the officer specifies, to take measures to

   (i) correct the hazard or condition or alter the activity that constitutes the danger; or

  (ii) protect any person from the danger;

 

 

[9]               Le 6 août 2007, la demanderesse a, aux termes de l’article 146 du CCT, interjeté appel de cette instruction et en a demandé la suspension en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire. Cette suspension a été accordée par un agent d’appel le 15 août 2007. (Affidavit de France de Repentigny, Dossier de la défenderesse, volume III, page 396, paragraphes 4 et 5)

 

[10]           L’article 146 du CCT prévoit :

 

146.(1) [Procédure] Tout employeur, employés ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.

 

  (2) [Absence de suspension]

À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

146.(1) [Appeal of direction]

An employer, employee or trade union that feels aggrieved by a direction issued by a health and safety officer under this Part may appeal the direction in writing to an appeals officer within thirty days after the date of the direction being issued or confirmed in writing.

 

 

  (2) [Direction not stayed] Unless otherwise ordered by an appeals officer on application by the employer, employee or trade union, an appeal of a direction does not operate as a stay of the direction.

 

 

[11]           Le défendeur convie la Cour fédérale à refuser d’entendre la requête en contrôle judiciaire du demandeur étant donné que celui-ci n’a pas épuisé tous les mécanismes d’appel prescrits par le CCT.

 

[12]           La question que cette Cour doit par conséquent se poser est donc de savoir si la demande de révision judiciaire logée par la demanderesse est prématurée et si cette dernière doit épuiser tous les recours internes avant que la Cour fédérale soit saisie de l’affaire.

 

[13]           La Partie II du CCT qui s’intitule Santé et sécurité au travail a pour objet, tel qu’énoncé à l’article 122.1, de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. Cet article stipule que :

 

122.1 [Prévention des accidents et des maladies] La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

 

122.1 [Purpose of Part] The purpose of this Part is to prevent accidents and injury to health arising out of, linked with or occurring in the course of employment to which this Part applies.

 

 

[14]           À cet égard, les obligations des employeurs sont prévues aux articles 124 à 125.3 du CCT. L’article 124 prévoit :

 

124. [Obligation générale] L’employeur veuille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

124. [General duty of employer] Every employer shall ensure that the health and safety at work of every person employed by the employer is protected.

 

 

[15]           De plus, la Partie II du CCT comporte sa propre définition d’employeur qui est plus large que celle prévue à la Partie I du CCT qui traite des relations du travail.

 

[16]           Parmi les différentes obligations dévolues aux employeurs, il y a celle prévue à l’article 134.1 du CCT de constituer un comité d’orientation.

 

[17]           Les agents de santé et de sécurité désignés aux termes de l’article 140 du CCT sont responsables de voir à l’application de la Partie II et, conséquemment, ils peuvent donner, aux termes de l’article 145 du CCT, une instruction à l’employeur s’ils constatent une contravention.

 

[18]           Aux termes de l’article 146 du CCT, un employeur, un employé ou un syndicat qui s’estime lésé par une instruction d’un agent de santé et de sécurité peut interjeter appel à un agent d’appel qui pourra soit modifier, annuler ou confirmer ladite instruction.

 

[19]           La promesse de conformité volontaire n’est pas une procédure ni une étape prévue par une quelconque disposition de la Partie II du CCT mais provient d’une Politique de conformité élaborée par RHDC. (Dossier du Procureur Général, volume I, pages 1 à 21)

 

[20]           La promesse de conformité volontaire est une mesure préliminaire et volontaire permettant à un employeur de corriger une contravention à la Partie II du CCT avant qu’une instruction ne lui soit donnée aux termes de l’article 145 du CCT.

 

[21]           Par conséquent, compte tenu que la promesse de conformité volontaire ne produit aucun effet et que les droits de la demanderesse ne peuvent être affectés par cette mesure je conclus que ce présent recours est prématuré en ce que la demanderesse aurait dû attendre de recevoir une instruction et suivre le processus d’appel administratif prévu par le CCT plutôt que de s’adresser directement à cette Cour pour faire valoir sa position.

 

[22]           La jurisprudence de cette Cour souligne qu’un contrôle judiciaire ne sera pas accordé s’il existe un autre recours adéquat qui n’a pas été épuisé. En l’espèce, un contrôle judiciaire n’est opportun qu’après qu’une décision est rendue par un agent d’appel conformément à l’article 146 du CCT. Une demande de révision judiciaire d’une promesse de conformité volontaire émis par un agent de santé et sécurité, exerçant ces fonctions au ministère des Ressources humaines et Développement des compétences, ne constitue pas la voie appropriée étant donné la procédure d’appel établie dans le CCT et le recours prévu au paragraphe 136. (Anderson c. Canada (Officier des opérations, Quatrième groupe des opérations maritimes), [1997] 1 C.F. 273, 141 D.L.R. (4e) 54; Collin c. Canada (Procureur général), 2006 C.F. 544, 72 W.C.B. (2e) 141; Ramautar c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 C.F. 1003, 160 A.C.W.S. (3e) 1044)

 

[23]           Le demandeur se devait d’épuiser les recours qui sont à sa disposition en fonction du CCT avant de loger cette instance. Conséquemment, la demande de révision judiciaire doit être rejetée.

 

[24]           En ce qui concerne les soumissions de la demanderesse en vertu de l’article 15 de la Charte, celles-ci ne tiennent pas la route.

 

[25]           La jurisprudence a clairement établi et ce depuis 1972 que le terme « tous » (« every individual ») dans la Charte n’inclut absolument pas une corporation (ou, comme en l’espèce, un employeur). (Voir R. c. Colgate Palmolive (1972), 8 C.C.C. (2e) 40)

 

[26]           Je suis entièrement convaincu qu’une corporation ne peut se prévaloir de la protection offerte par l’article 15 de la Charte étant donné que cet article fait clairement référence à « tous » (« every individual »). (Voir Smith, Kline & French Laboratories et autres c. P.G. du Canada [1986] 1 C.F. 274 (1ère inst) où l’appel a été rejeté pour autres motifs)


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-643-07

 

INTITULÉ :                                       ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA et al

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Qc

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            TEITELBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me André C. Giroux

Me Robert Monette

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Nadia Hudon

Me Nadine Perron

Me Catherine Pronovost

Me Philippe C. Vachon

 

POUR LE DÉFENDEUR P.G. du Canada

 

POUR LES AUTRES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OGILVY RENAULT

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

BORDEN, LADNER, GERVAIS

 

POUR LE DÉFENDEUR P.G. du Canada

 

 

POUR LES AUTRES DÉFENDEURS

 

 

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