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Date : 20081212

Dossier : T-1761-07

Citation : 2008 FC 1371

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Kelen

 

ENTRE :

MERCHANT LAW GROUP, STEVENSON LAW OFFICE,

ANNE BAWTINHIMER, DUANE HEWSON,

JUDITH LEWIS ET MARCEL WOLF

 

demandeurs (intimés)

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs (appelants)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel présenté conformément au paragraphe 51(1) des Règles des cours fédérales d’une décision du protonotaire datée du 11 juillet 2008, ordonnant que la requête en radiation des défendeurs (les appelants, en l’espèce) soit entendue en même temps que la requête de recours collectif.

 

FAITS

[2]               Les demandeurs nommés de ce recours collectif proposé sont deux cabinets d’avocats et quatre clients de ces cabinets d’avocats agissant pour tous les cabinets d’avocats au Canada et tous les clients de ces cabinets d’avocats qui ont payé de la TPS depuis 1990 sur les débours. La question en litige dans l’action est de savoir si les cabinets d’avocats agissent comme mandataires de leurs clients en ce qui concerne le paiement de certains débours et si, par conséquent, ils n’auraient pas dû prélever et verser la TPS une deuxième fois sur les débours lors de la facturation à leurs clients. C’est de la TPS sur de la TPS. L’un des demandeurs de cette action, Merchant Law Group, a obtenu gain de cause en appel devant la Cour canadienne de l’impôt, en ce qui concerne les cotisations de TPS sur les débours judiciaires facturés aux clients des cabinets d’avocats. Ce recours collectif proposé devant la Cour fédérale vise le recouvrement de la TPS versé par les cabinets d’avocats depuis 1990. Il est fondé sur une faute dans l’exercice d’une charge publique et, subsidiairement, sur une restitution ou un enrichissement sans cause.

 

[3]               Les demandeurs ont présenté une déclaration le 1er octobre 2007. Les défendeurs ont présenté une requête en radiation en janvier 2008. Les demandeurs ont par la suite signifié et produit un avis de requête demandant l’autorisation de produire une déclaration modifiée et pour rejeter la requête en radiation des défendeurs. Subsidiairement, ils demandaient à ajourner la requête en radiation des défendeurs devant être entendue à l’audience de la requête en autorisation.

 

[4]               Les défendeurs soutiennent que la requête en radiation devrait être entendue avant la requête en autorisation, au motif que l’économie des ressources judiciaires favorise l’audience de la requête en radiation d’abord. Les défendeurs présentent trois motifs pour la requête en radiation. Le premier est que les questions du recours collectif proposé sont des questions qui sont de la compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt. Le deuxième est que les demandeurs sont empêchés de demander des dommages-intérêts parce qu’ils étaient tenus d’exercer des recours prévus par la Loi sur la taxe d’accise et que la Loi sur la taxe d’accise exclut expressément la réparation en common law. Le troisième est qu’ils affirment que la déclaration modifiée ne révélerait pas de cause d’action valable.

 

Décision du protonotaire

[5]               Le protonotaire a conclu que, compte tenu des circonstances de cette affaire, la requête en radiation devrait être entendue en même temps que la requête en autorisation. Le protonotaire s’est fié à Campbell c. Canada (Procureur général), 2008 CF 353, 167 A.C.W.S. (3d) 46, dans laquelle la juge Hansen a récemment étudié l’ordre dans lequel une requête en radiation et une requête en autorisation devraient être entendues. Dans cette affaire, la juge Hansen a conclu, au paragraphe 25 :

25. Il ressort clairement de la jurisprudence que, bien qu’en principe une requête en autorisation doive avoir préséance sur les autres requêtes préliminaires, au bout du compte, l’ordre du déroulement de l’instance sera établi en fonction des circonstances de chaque cas.

 

[6]               Le protonotaire a soutenu, à la page 7 de l’ordonnance, que les questions de la compétence et de l’autorisation sont « inextricablement liées au processus d’autorisation » pour que la requête en radiation doive être entendue avec la requête en autorisation.

 [traduction]

La cause d’action et la fondation de la demande dans ce recours collectif proposé présente le cadre duquel une détermination sera faite à savoir si la Cour fédérale a, ou non, compétence pour entendre la demande. La Cour devra établir si la cause d’action découle de la législation et une évaluation et sa validité ou est indépendante de la législation comme le prétendent les demandeurs. Si la cause d’action découle uniquement des évaluations relatives à l’imposition et à la perception de la TPS/TVH, alors la Cour fédérale sera jugée sans compétence dans cette affaire et la requête en autorisation serait rejetée et la demande serait rejetée. Cependant, si elle est tranchée en faveur des demandeurs, alors la question de la cause d’action valable devra toujours être débattue sur la requête en autorisation.

 

Le premier élément qui doit être respecté pour une autorisation de requête est de savoir si les actes de procédures révèlent une cause d’action valable. Selon moi, la question de la compétence et les questions d'autorisation sont inextricablement liées dans le processus d’autorisation. Le processus à privilégier dans les circonstances de ce cas précis est que la requête en radiation soit entendue en même temps que la requête en autorisation.

 

[7]               Le protonotaire a également soutenu, à la page 9, que, même si l’argument des demandeurs sur la compétence est retenu, la Cour pourrait tout de même décider s’il y avait une cause d’action valable à la requête en autorisation.

 [traduction]

En l’espèce, je ne suis pas convaincu que l’argument de la compétence devrait être entendu avant la requête en autorisation. Si l’argument de la compétence devait être accordé en faveur des demandeurs, il y aurait quand même une attaque sur la cause d’action valable à la requête en autorisation. Par conséquent, je ne vois pas de grandes économies des ressources judiciaires. Les questions sont inextricablement liées et le meilleur usage des ressources financières vise à permettre à la requête en autorisation de poursuivre. De plus, selon moi, la requête en radiation ne précisera pas les questions d’autorisation.

 

 

QUESITON EN LTITGE

[8]               La question visée par cet appel est de savoir si le protonotaire a commis une erreur lorsqu’il a ordonné que la requête en radiation des défendeurs et la requête en autorisation soient entendues ensemble.

 

NORME DE CONTRÔLE

[9]               Les décisions discrétionnaires des protonotaires peuvent être annulées en appel seulement si :

(a)  l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits;

(b)    l’ordonnance soulève des questions déterminantes pour l’issue de la cause.

Canada v. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 F.C. 425 (C.A.), par le juge MacGuigan, au paragraphe 95; Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, 224 D.L.R. (4e) 577, par le juge Bastarache, au paragraphe 18.

 

[10]           L’ordre dans lequel les requêtes sont entendues n’est pas déterminant pour l’issue de la cause. Les défendeurs soutiennent que le protonotaire a fondé sa décision sur un principe erroné et une mauvaise appréciation des faits. Par conséquent, la décision du protonotaire sera uniquement annulée si elle est clairement erronée.

 

DISPOSITIONS APPLICABLES

[11]           L’article 312 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 prévoit ce qui suit :

Droits de recouvrement créés par une loi

312. Sauf disposition contraire expresse dans la présente partie, dans la Loi sur les douanes ou dans la Loi sur la gestion des finances publiques, nul n’a le droit de recouvrer de l’argent versé à Sa Majesté au titre de la taxe, de la taxe nette, d’une pénalité, des intérêts ou d’un autre montant prévu par la présente partie ou qu’elle a pris en compte à ce titre.

Statutory recovery rights only

312. Except as specifically provided in this Part, the Customs Act or the Financial Administration Act, no person has a right to recover any money paid to Her Majesty as or on account of, or that has been taken into account by Her Majesty as, tax, net tax, penalty, interest or any other amount under this Part.

 

[12]           L’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (L.R.C. (1985), ch. T-2) prévoit ce qui suit :

Compétence

12. (1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la Loi de 2001 sur l’accise, de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

Jurisdiction

12. (1) The Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine references and appeals to the Court on matters arising under the Air Travellers Security Charge Act, the Canada Pension Plan, the Cultural Property Export and Import Act, Part V.1 of the Customs Act, the Employment Insurance Act, the Excise Act, 2001, Part IX of the Excise Tax Act, the Income Tax Act, the Old Age Security Act, the Petroleum and Gas Revenue Tax Act and the Softwood Lumber Products Export Charge Act, 2006 when references or appeals to the Court are provided for in those Acts.

 

[13]           L’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 prévoit ce qui suit :

Requête en radiation

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

Preuve

(2) Aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa (1)a).

Motion to strike

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

Evidence

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

 

 

DISCUSSION

Position des défendeurs

[14]           Les défendeurs soutiennent que le protonotaire avait clairement tort lorsqu’il n’a pas conclu que la requête en radiation des défendeurs pouvait régler ou limiter sensiblement la demande d’autorisation. Les défendeurs avancent les erreurs suivantes dans les motifs du protonotaire;

1.             Le protonotaire a mal interprété le fondement de la requête en radiation, concluant que, si les demandeurs obtenaient gain de cause en ce qui concerne l’argument de la compétence, la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable resterait à trancher dans le cadre de la requête en autorisation. En fait, la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable fait partie de la requête en radiation et ne devrait pas être tranchée dans le cadre de la requête en autorisation.

2.             Le protonotaire a supposé, à tort, que les éléments de preuve découlant de la requête en autorisation seraient pertinents à la requête en radiation. La requête en radiation est conforme à l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales et ne dépend d’aucune preuve ou question qui pourrait être soulevée lors de l’audience d’une requête en autorisation.

3.             Le protonotaire a omis de donner effet au principe selon lequel une requête en radiation fondée sur la compétence constitue une exception au principe général selon lequel les requêtes en autorisation devraient être entendues avant les autres requêtes interlocutoires.

 

Position de la partie demanderesse

[15]           Les demandeurs affirment que la décision du protonotaire ne devrait pas être radiée pour les raisons suivantes.

1.       Le protonotaire était conscient des problèmes et a correctement énoncé la loi. Le protonotaire a ensuite exercé son pouvoir discrétionnaire à titre de protonotaire de la gestion de l’instance et a conclu que les requêtes seraient entendues en même temps. La Cour doit seulement interférer avec cet exercice du pouvoir discrétionnaire dans le cas plus précis d’une mauvaise utilisation du pouvoir discrétionnaire judiciaire. La Cour ne devrait pas substituer sa discrétion à celle du protonotaire, à moins que le protonotaire n’ait manifestement tort sur un principe de droit ou une mauvaise compréhension des faits;

2.      L’économie judiciaire a favorisé l’audition de la requête en radiation en même temps que la requête en autorisation. L’ordonnance du protonotaire datait du 11 juillet 2008 et le présent appel à la Cour fédérale a retardé l’action de quatre mois. L’audition des requêtes en radiation avant la requête en autorisation peut être qualifiée d’« incursion tactique » visant à retarder l’audition de la requête en autorisation. Les requêtes en autorisation doivent être présentées au plus tard 90 jours après le dépôt de la défense par les Règles des Cours fédérales.

3.      Les demandeurs invoquent le délit d’inconduite comme fondement de leur réclamation. Les éléments des infractions sont énoncés aux paragraphes 12 à 18 de la déclaration modifiée. Les faits en l’espèce sont compliqués et l’action ne devrait pas être radiée, à moins qu’il ne soit clair et évident qu’ils ne présentent aucune cause d’action.

 

La décision du protonotaire était-elle fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits

 

[16]           Le protonotaire a correctement indiqué à la page 7 de l’ordonnance.

 [traduction]

Si la cause d’action découle uniquement des évaluations relatives à l’imposition et à la perception de la TPS/TVH, alors la Cour fédérale sera jugée sans compétence dans cette affaire et la requête en autorisation serait rejetée et la demande serait rejetée. 

 

 

[17]           Le protonotaire a continué en ces termes

 [traduction]

Cependant, si elle est tranchée en faveur des demandeurs, alors la question de la cause d’action valable devra toujours être débattue sur la requête en autorisation.

 

Sur ce point, il a tout à fait tort. La question de la cause d’action valable ne devrait pas être débattue sur la requête en autorisation si la requête en radiation fondée sur l’alinéa 221(1)a) était entendue d’abord. La Cour fédérale peut être empêchée par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt d’entamer une telle action parce que l’article 312 de la Loi sur la taxe d’accise limite le droit de toute personne de recouvrer la TPS, sauf disposition contraire de la Loi sur la taxe d’accise. Cette question procédurale devrait être réglée d’abord sur les faits présentés dans la requête en radiation.

 

[18]           Le protonotaire a maintenu, aux pages 7 et 8 de l’ordonnance :

 [traduction]

Le premier élément qui doit être respecté pour une autorisation de requête est de savoir si les actes de procédures révèlent une cause d’action valable. Selon moi, la question de la compétence et les questions d’autorisation sont inextricablement liées dans le processus d’autorisation.

 

Sur ce point, il a également tout à fait tort. La question de la compétence n’est pas liée aux questions d’autorisation. En fait, comme l’exige le paragraphe 221(2) des Règles des Cours fédérales, la requête en radiation ne peut pas être fondée sur n’importe quelle preuve et est strictement fondée sur le fait que la déclaration modifiée ne comporte aucune cause d’action. Par conséquent, la requête radiée est distincte de toute autre preuve qui pourrait être entendue par la Cour dans le cadre du processus d’autorisation.

 

[19]           Le défendeur affirme que, en particulier lorsque la compétence est en cause dans une requête interlocutoire préliminaire, cette requête devrait être entendue avant la requête en autorisation. Il cite une décision du protonotaire Morneau dans Galarneau c. Canada (Procureur général, 2004 CF 718, 266 F.T.R. 52, dans laquelle le protonotaire Morneau a soutenu qu’il était approprié d’entendre la requête en radiation avant la requête en autorisation. Le protonotaire a soutenu, au paragraphe 34 :

 

34        Quant à la situation au Québec, je pense tout comme les défendeurs que la jurisprudence dominante dans cette province établit qu’il est à propos de soulever l’absence de compétence ratione materiae à la première occasion. Une revue fort complète de la situation se retrouve contenue aux propos du juge Crépeau de la Cour supérieure du Québec dans la décision de cette cour du 17 décembre 2002 dans l’arrêt Option Consommateurs c. Servier Canada inc., [2002] J.Q. no 5672.

 

 

Aux paragraphes 37 et 38, le protonotaire a continué en ces termes :

 

37        Par ailleurs, la demanderesse soulève avec force qu’au stade présent l’aspect collectif du recours en l’espèce n’est pas encore défini et qu’une série de points de droit et de faits ne pourront être appréciés dans leur collectivité qu’au stade du mérite ou, du moins, qu’au stade de l’autorisation.

 

38        [...] Faire droit à un tel argument serait reconnaître aux règles de cette Cour en matière de recours collectifs un pouvoir attributif de compétence. Or, tel ne peut être le cas. 

 

[...]

 

 

Dans sa décision confirmant la décision du protonotaire dans Galarneu v. Canada (AG) 2005 FC 39., 306 F.T.R. 1, la juge Gauthier a indiqué, aux paragraphes 24 à 29 :

 

24 [...] la Cour est d’accord avec les commentaires du protonotaire Morneau aux paragraphes 22 à 40 de sa décision et n’entend pas les répéter. Toutefois, il faut mentionner que depuis l’ordonnance du protonotaire, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision importante sur la question dans Société Asbestos ltée c. Lacroix, [2004] J.Q. no 9410 (C.A.) (QL), qui confirme en tous points l’interprétation de la jurisprudence québécoise et la conclusion du protonotaire Morneau. 

 

[...]

 

26        La Cour d’appel du Québec devait donc décider si cette requête présentée avant l’audition de la requête en autorisation était prématurée. Après avoir analysé les divers courants jurisprudentiels, y inclus la jurisprudence citée par la demanderesse, elle conclut que la compétence ratione materiae est une question d’ordre public et qu’il en va de l’intérêt de la saine administration de la justice que l’incompétence ratione materiae puisse être soulevée à la première occasion.

 

...

 

29        Comme le protonotaire Morneau, la Cour conclut donc qu’il n’est pas prématuré de trancher la présente requête des défendeurs.

 

Bien que ces décisions des tribunaux du Québec ne lient pas cette Cour, je conclus, comme l’ont conclu la juge Gauthier et le protonotaire Morneau, que leur raisonnement est convaincant et applicable en l’espèce. En l’espèce, le protonotaire aurait dû d’abord entendre la requête en radiation fondée sur la compétence, d’autant plus que la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt confèrent à la Cour de l’impôt une compétence exclusive en matière de TPS/TVH.

 

Questions juridiques sur la requête en radiation

[20]           La Cour exposera les questions juridiques à trancher sur la requête en radiation et les façons dont elles pourraient être déterminantes. Les questions juridiques à trancher sur la requête en radiation sont les suivantes :

1.       La Cour fédérale du Canada a-t-elle compétence pour entendre et juger la réclamation des demandeurs qu’ils ont le droit de recouvrer la TPS/TVH perçue illégalement par l’Agence du revenu du Canada en vertu de la Loi sur la taxe d’accise à la lumière de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, qui prévoit que la Cour canadienne de l’impôt a une compétence exclusive pour entendre et trancher les questions découlant de la Loi sur la taxe d’accise.

 

2.       Subsidiairement, l’article 312 de la Loi sur la taxe d’accise signifie-t-il qu’aucune personne, y compris les demandeurs, n’a le droit de recouvrer la TPS/TVH payée à Sa Majesté, sauf tel que prévu expressément dans la Loi sur la taxe d’accise.

 

3.       Subsidiairement, la déclaration modifiée, telle qu’elle a été plaidée, révèle-t-elle une cause d’action valable pour le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique ou, à titre subsidiaire, pour la restitution ou l’enrichissement sans cause?

 

 

Compétence exclusive de la Cour canadienne de l’impôt

[21]           L’un des demandeurs, Merchant Law Group, a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt concernant la TPS impayée sur les débours juridiques imputés aux clients du cabinet d’avocats : voir Merchant Law Group c. Canada, [2008] A.C.I. no 265. En l’espèce, le recouvrement de la TPS sur ces débours jusqu’en 1990 est réclamé devant la Cour fédérale en qualifiant la cause d’action de malfaçon ou de restitution. Toutefois, la Cour fédérale peut conclure que les demandeurs tentent indirectement d’interjeter appel de leurs cotisations de TPS, ce qu’ils ne peuvent pas faire directement en vertu de la Loi sur la taxe d’accise parce que les délais d’appel ont expiré. Si elle estime que c’est le cas, seule la Cour de l’impôt a compétence sur la question.

 

Cause d’action valable

1. Faute dans l’exercice d’une charge publique

[22]           Pour que les demanderesses puissent établir le délit civil d’inconduite, la défenderesse soutient que les plaidoiries doivent présenter les faits importants requis pour établir le délit :

1.       un fonctionnaire public a délibérément et illégalement agi dans l’exercice de fonctions publiques;

2.       le fonctionnaire savait que le comportement était illégal et risquait de blesser le demandeur;

3.       il y avait causalité et des dommages-intérêts doivent être versés aux demandeurs.

[23]           Les défendeurs affirment que, puisque les demandeurs n’ont pas nommé de fonctionnaire particulier, ils n’ont pas respecté l’un des éléments d’une réclamation d’inconduite. Les demandeurs soulignent une décision récente de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Swift Current (City) c. Saskatchewan Power Corporation, 2007 SKCA 27, 156 A.C.W.S. (3d) 578. Dans cette affaire, le juge Lane a conclu, au paragraphe 29, que la société d’État défenderesse pouvait être tenue responsable d’une mauvaise administration de la charge publique sans avoir invoqué le nom du particulier dans la déclaration modifiée :

 [traduction]

29        Une société peut en soi être jugée responsable de torts intentionnels. Une personne morale doit, bien entendu, agir par l’intermédiaire d’individus qui sont l’âme dirigeante de la société. L’identité de tels particuliers, cependant, est une question de preuve, non en élément essentiel de la demande.

 

[24]           Toutefois, les défendeurs soutiennent également que les demandeurs n’ont pas plaidé de faits importants relatifs à une conduite délibérée et illégale, ou à la connaissance d’une telle conduite, dans la déclaration modifiée. Il s’agit d’une question juridique à trancher sur la requête en radiation pure et simple fondée sur les actes de procédure.

 

2.  Restitution ou enrichissement sans cause

[25]           Les défendeurs soutiennent que la Cour suprême du Canada a statué que la loi sur la TPS établissait un mécanisme d’indemnisation afin de ne pas pouvoir invoquer des droits de common law qui auraient autrement pu être utilisés (comme la restitution ou l’enrichissement sans cause). Voir Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services (Can.), [1992] 2 R.C.S. 445, 92 D.L.R. (4e) 51. La Cour tranchera cette question juridique sur une requête en radiation. 

 

[26]           En l’espèce, l’allégation d’abus de pouvoir est le délit d’inconduite. Les demandeurs avaient le droit d’interjeter appel de la TPS sur les débours juridiques, comme l’a fait le demandeur Merchant Law Group. Ils n’ont pas interjeté appel dans les délais prévus par la Loi sur la taxe d’accise. En ce qui concerne la requête en radiation, la Cour doit trancher si la Cour suprême dans Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, 284 D.L.R. (4e) 385, leur donne une deuxième cause d’action devant la Cour fédérale pour recouvrer cette TPS.  

 

Retard

[27]           Les demandeurs affirment que cette « inconduite » est un événement continu et que le retard supplémentaire de la requête en autorisation va prolonger les fautes du gouvernement. À cet égard, les cabinets d’avocats tiendront vraisemblablement compte du jugement de la Cour canadienne de l’impôt dans Merchant Law Group c. Canada, précitée, statuant que la TPS n’est pas exigible sur les débours engagés par le cabinet comme mandataire pour ses clients, puis facturés au client. La TPS est exigible sur une fourniture taxable par le cabinet d’avocats, et non sur les débours engagés par le cabinet d’avocats en tant qu’agent du client, puis transférés au client. Par conséquent, ils ne remettront pas la TPS sur ces débours. C’est la loi actuelle et elle est conforme aux bulletins d’interprétation de l’Agence du revenu du Canada : Déclaration de principes sur la TPS/TVH, P-209R, « Débours effectués par les avocats » (7 juillet 2004) de l’Agence du revenu du Canada. Cependant, la décision de la Cour canadienne de l’impôt fait actuellement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale.

 

 

 

Conclusion

[28]           Les questions résumées ci-dessus sont des questions juridiques distinctes des questions soulevées par la requête en autorisation. Dans Pearson v Canada (Minister of Justice), 2008 CF 62, 322 F.T.R. 202, le protonotaire a soutenu qu’une requête en radiation préliminaire n’était pas incompatible avec des recours collectifs. Le protonotaire a résumé sa décision à la page 9 de l’ordonnance :

Dans Pearson, les circonstances étaient telles qu’une requête en radiation préalable à l’autorisation était appropriée, car il y avait une question juridique pure à laquelle il fallait répondre sur la requête en radiation qui serait déterminante.

 

[29]            La requête en radiation en l’espèce repose strictement sur les actes de procédure et n’est pas « liquidée » à l’égard des éléments de preuve ou des questions découlant de l’autorisation. Chacune des questions juridiques décrites ci-dessus peut être tranchée sur la requête en radiation indépendamment de tout élément de preuve découlant de la requête en autorisation. Ainsi, le raisonnement de Pearson s’applique ici. 

 

[30]           Pour distinguer Pearson, le protonotaire a statué que si l’argument de la compétence allait en faveur des demandeurs, il y aurait toujours une contestation de la cause d’action valable de la requête en autorisation. Par conséquent, le protonotaire n’a vu aucune économie de ressources judiciaires pour l’audition de la requête en radiation en premier. La Cour conclut, avec respect, que le protonotaire a mal compris les motifs de la requête en radiation. La requête en radiation comportait un motif selon lequel l’action devrait être radiée en raison de l’absence d’une cause d’action valable. Par conséquent, le protonotaire avait manifestement tort de conclure que la requête en autorisation devrait encore être tranchée pour décider s’il existait une cause d’action valable. En fait, la question de savoir s’il y avait une cause d’action valable serait décidée dans le cadre de la requête en radiation avant la requête en autorisation.

 

[31]           La Cour entendra la requête en radiation de manière accélérée et sera prête à entendre la requête en autorisation peu après, de manière accélérée, si la requête en radiation est rejetée. À ce stade, la requête en autorisation n’a pas été déposée sous forme définitive et les demandeurs ont besoin de plus de travail à cet égard. Par conséquent, la Cour ne s’attend pas à ce que l’audition de la requête en radiation en premier retarde la requête en autorisation. 

 

 

DÉPENS

[32]            La Cour ne rendra aucune ordonnance sur les dépens relatifs au présent appel. Les défendeurs auraient pu attendre jusqu’à ce que la requête en autorisation soit entendue pour procéder à la requête en radiation. Le retard pour cet appel était important. Quoi qu’il en soit, la Cour est saisie de ce pourvoi et doit reconnaître que l’ordonnance du protonotaire était fondée sur un principe de droit et une compréhension des faits manifestement erronés. Par conséquent, la Cour doit accueillir l’appel.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.                  le présent appel est accueilli et la décision du protonotaire datée du 11 juillet 2008 est annulée;

 

2.                  la requête en radiation présentée par les défendeurs en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales se poursuivra avant la requête en autorisation des demandeurs (qui n’a pas encore été formellement déposée);

 

3.                  le dossier de requête des défendeurs pour la requête en radiation sera déposé dans les trois semaines suivant la date de la présente ordonnance (sans compter la période du 24 décembre 2008 au 4 janvier 2009) et le dossier de réponse des demandeurs sera déposé trois semaines plus tard.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1761-07

 

INTITULÉ :                                       MERCHANT LAW GROUP ET AL. c. AGENCE DU REVENU DU CANADA ET AL.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Merchant, Q.C.

Me Casey Churko

 

POUR LES DEMANDEURS (INTIMÉS)

Me Myra Yuzak

Me Naomi Goldstein

POUR LES DÉFENDEURS (APPELANTS)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS (INTIMÉS)

John H. Sims, c.r.

Procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS (APPELANTS)


 

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