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Date :  20081209

Dossier :  T-895-07

Référence :  2008 CF 1358

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS INC.,

une corporation dûment constituée en vertu des lois du Nouveau-Brunswick,

JEAN-GILLES CHIASSON, en son nom personnel et ès qualités de

président de l’Association des crabiers acadiens inc.,

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS INC., une association

personnifiée immatriculée selon les lois du Québec, MARC COUTURE,

en son nom personnel et ès qualités d’administrateur de l’Association

des crabiers gaspésiens inc., ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

une association non personnifiée immatriculée selon les lois du Québec,

DANIEL DESBOIS, en son nom personnel et ès qualités d’administrateur

de l’Association des crabiers de la Baie, et ROBERT F. HACHÉ

 

demandeurs

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

 

I.  Au préalable

[1]               [1]        [...] Dans un appel interjeté à l'encontre d'une décision discrétionnaire du protonotaire, la Cour doit d'abord s'assurer : (1) que la décision était "entachée d'une erreur flagrante" en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits; ou (2) que le protonotaire a exercé à tort son pouvoir discrétionnaire au sujet d'une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal (voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, p. 463). Ce n'est qu'en présence de l'une de ces deux situations que la Cour peut entendre l'affaire de novo et substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du protonotaire. Autrement, la Cour doit rejeter sommairement l'appel sans réexaminer le fond de la cause.

 

[6]        [...]

 

[TRADUCTION]

 

La question n'est pas de savoir si la preuve déposée au
cours de l'instruction d'une action pourrait être de
qualité supérieure, mais de déterminer si la preuve par
affidavit entendue au cours du contrôle judiciaire ne
serait pas appropriée

 

[17]      On semble avoir oublié que le protonotaire cherchait simplement à déterminer s'il y avait lieu d'instruire le contrôle judiciaire comme une action. En exerçant son pouvoir discrétionnaire de ne pas le faire en l'espèce, il est parvenu à des conclusions concernant la non-pertinence de l'économie de la production d'électricité et aux autres conclusions citées par les intimés. Toutefois, toute conclusion accessoire qu'il a faite ne lie pas le juge qui sera saisi du contrôle judiciaire et, par conséquent, elle ne constitue pas une décision ayant une influence déterminante sur l'issue du contrôle judiciaire.

 

(British Columbia Hydro Power Authority c. Canada (Procureur général) (1997), 137 F.T.R. 259, [1997] A.C.F. no 1333 (QL), tel que spécifié par le juge Marshall Rothstein).

 

II.  Procédure judiciaire

 

[2]               Il s’agit d’un appel des demandeurs à l'encontre d’une décision du protonotaire Richard Morneau, datée du 22 avril 2008, (Décision) rejetant la requête des demandeurs pour que le recours en contrôle judiciaire soit instruit comme s’il s’agissait d’une action conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R., 1985, ch. F-7 et soit réunie avec l’instance T-1271-07 aux termes de la règle 105 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

 

III.  Faits

[3]               Le 24 mai 2007, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire contre le Procureur général du Canada contestant l’adoption par le Ministre des Pêches et des Océans (MPO) d’un plan de gestion de la pêche du crabe des neiges, annoncé le 25 avril 2007 (Plan). Ce Plan était soutenu avec une note décisionnelle, intitulée « Memorandum to the Minister : 2007 Management Plan Snow Crab Areas 12, 18, 25, 26 » signée par le Ministre le 20 avril 2007 (note décisionnelle). Le ministre a approuvé le Plan en se basant sur les motifs énoncés dans la note décisionnelle.

 

[4]               L’objet de la Demande est d’annuler et infirmer le Plan et toute décision prise en application des aspects du Plan. Les demandeurs ont contesté quatre aspects du Plan ou le MPO a excédé sa compétence en dérogeant des principes énoncés à la Loi sur les pêches, L.R., 1985, ch. F-14, au Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 et au Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86-21 (Règlement) :

a)      L’imposition d’une période de pêche distincte pour un secteur particulier de la zone 12 (d’une largeur d’un mille nautique longeant la zone 19);

b)      La répartition du total autorisé de capture (TAC) entre les divers groupes de pêcheurs;

c)      L’attribution, par le MPO, d’une partie du TAC à certains regroupements de pêcheurs; 

d)      L’interdiction d’utiliser dans certaines zones, à partir de 2008, des casiers à crabe dont le maillage est supérieur à soixante-quinze (75) millimètres.  

[5]               La demande a été accompagnée d’une demande de communication des documents en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales. Les demandeurs sollicitaient la Cour par voie de requête, en date du 23 juillet 2007, une ordonnance pour une divulgation complète de documents de la part du défendeur semblable à celle que l’on retrouve dans une cause d’action. Dans sa décision du 27 juillet 2007, (Assoc. des crabiers acadiens Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 781, 68 Admin. L.R. (4th) 217 (Crabiers acadien)), le protonotaire Morneau a rejeté la requête puisque les documents recherchés n’étaient pas devant le Ministre lors de l’adoption du Plan. La demande de transmission de documents était de nature d’une recherche d’informations et de documents que l’on retrouve au stade interlocutoire d’une action et non lors d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Suite à cette décision du 27 juillet 2007, les parties ont déposé leurs affidavits. Monsieur Robert Haché, pour les demandeurs, a déposé un affidavit dans lequel il détaillait les faits historiques de la relation entre les parties et le développement de la pêche au crabe des neiges. Monsieur Rhéal Vienneau, Directeur régional, division de la gestion des ressources de la direction de la gestion des pêches et de l’aquaculture, région du Golfe, a déposé un affidavit en réponse à celui de monsieur Haché.

 

[7]               Monsieur Vienneau a fait l’objet d’un long interrogatoire sur affidavit, le 23 novembre 2007. Lors de cet interrogatoire, les procureurs du défendeur se sont opposés, entre autres, à la production de documents additionnels.

 

 

[8]               Le 13 décembre 2007, les demandeurs ont déposé une requête demandant à cette Cour d’ordonner que le contrôle judiciaire en question soit instruit comme s’il s’agissait d’une action conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales et une réunion avec l’instance T-1271-07 aux termes de la règle 105 des Règles des Cours fédérales (discuté ci-dessus).

 

IV.  Décision faisant l’objet de la demande

[9]               En rejetant la requête de conversion et réunion, le protonotaire Morneau appui sa décision en se basant sur les trois critères de l’arrêt Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464, 166 N.R. 57 (C.A.) :

a)      La vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans la Demande;

b)      La suffisance de l’évaluation de la preuve par affidavit;

c)      La nécessité d’évaluer l’attitude et la crédibilité des témoins.

 

[10]           En appliquant le premier critère, le protonotaire Morneau a déterminé que les vraies questions auxquelles la Cour doit répondre face à la demande seraient à savoir si le Ministre, en mettant en œuvre le Plan, a agi conformément aux pouvoirs et aux obligations qui lui ont été conférés par la Loi sur les pêches suite aux considérations pertinentes et non autres que celles qui font l’objet de cette loi. Le protonotaire Morneau a conclu que l’historique de la relation entre les parties et le développement de la pêche au crabe des neiges de même que la validité et l’existence des ententes alléguées entre les parties ne font pas partie des aspects pertinents dans le cadre de la matière de la Demande.

 

[11]           Quant à la suffisance de l’évaluation de la preuve par affidavit et la crédibilité des témoins, le protonotaire Morneau a déterminé que monsieur Vienneau a fait valoir de façon suffisante ses connaissances quant aux renseignements concernant le retard d’ouverture de la pêche dans la zone 12 et aux restrictions face au maillage. Le fait que le défendeur a refusé lors de l’interrogatoire de produire l’échange de correspondance qui aurait pu être pertinente est « une situation qui pouvait se régler en temps opportun par une requête pour faire trancher une objection et non pas par une demande de conversion » (Décision au par. 25). Le protonotaire a ajouté que « [l]es demanderesses auraient pu également tenter de rechercher des pêcheurs de la zone 19 des affidavits à cet effet » (Décision au par. 26).

 

[12]           En rejetant la demande de conversion, le protonotaire Morneau n’a pas tranché la question de la réunion du dossier actuel avec l’action en dommages. Par ailleurs, il a rejeté la demande de la réunion ayant accepté l’argument du défendeur que les redressements réclamés dans les deux instances sont différents.

 

[13]           L’action en dommages est contre le Procureur général du Canada par les membres et anciens membres des associations demanderesses dans la présente instance ainsi que des membres d’une quatrième association, soit les Crabiers du Nord-est (dont le président, monsieur Robert F. Haché est demandeur en l’instance). Ces demandeurs prétendent que par l’adoption du Plan, le ministre a mis de côté les ententes qu’il a conclues depuis 1990 avec les pêcheurs traditionnels (élaborées ci-dessous). Ces demandeurs ont réclamé des dommages en raison de bris de contrats, faute dans l’exercice d’une charge publique, expropriation sans compensation, négligence dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, déclarations inexactes, enrichissement sans cause, et manquement à une obligation fiduciaire. Cette action touche l’historique de la pêche au crabe des neiges y inclut le Plan.

 

[14]           Par contre, les demandeurs dans cette instance réclament une déclaration d’invalidité des décisions du Ministre par rapport au Plan. Les questions de droit sont tout à fait différentes dans les deux instances. L’action en dommages sera tranchée à l’aide de droit des contrats et des délits civils, alors que l’instance en l’espèce sera tranchée à l’aide de droit administratif. Finalement, le dossier actuel se retrouvait déjà à un stade assez avancé; c’est-à-dire, à l’audience même. Par contre, l’action en dommages n’était qu’à ses tout débuts. Au moment de la Décision, l’action en dommages était suspendue en attendant qu’une décision dans une instance d’un dossier similaire.

 

V.  Les dispositions pertinentes

[15]           La Cour fédérale doit utiliser une procédure sommaire pour statuer sur les demandes de contrôle judiciaire. Toutefois, il existe une exception au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales qui donne à la Cour fédérale le pouvoir de convertir une demande de contrôle judiciaire à une action :

18.4      (1)      Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

 

(2) Elle peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

 

18.4      (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Federal Court under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

 

(2) The Federal Court may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.

 

[16]           Selon la règle 105 des Règles des Cours fédérales, la Cour fédérale a le pouvoir de réunir deux instances :

105.      La Cour peut ordonner, à l’égard de deux ou plusieurs instances :

 

a) qu’elles soient réunies, instruites conjointement ou instruites successivement;

 

 

b) qu’il soit sursit à une instance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard d’une autre instance;

 

c) que l’une d’elles fasse l’objet d’une demande reconventionnelle ou d’un appel incident dans une autre instance.

 

105.      The Court may order, in respect of two or more proceedings,

 

(a) that they be consolidated, heard together or heard one immediately after the other;

 

(b) that one proceeding be stayed until another proceeding is determined; or

 

 

(c) that one of the proceedings be asserted as a counterclaim or cross-appeal in another proceeding.

 

 

VI.  Questions en litige

[17]           Les trois questions soulevées sont les suivantes :

(1) Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire ?

(2) Est-ce que la demande en contrôle judiciaire devrait être instruite comme une action conformément au paragraphe18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ?

(3)   Dans l’affirmative, est-ce que cette demande en contrôle judiciaire peut être réunie avec l’action en dommages conformément à la règle 105 des Règles des Cours fédérales ?

 

VII.  Analyse

(1)   Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire ?

[18]           Dans l’arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, la Cour d'appel fédérale a statué que les juges de la Cour fédérale, saisis en appel d’une décision d'un protonotaire, conservent le droit d'exercer leur pouvoir discrétionnaire de novo, mais que ce pouvoir ne doit être exercé qu'en certaines circonstances :

[19]      […]

 

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a)         l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

 

b)         l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

[19]           À l’égard de la première étape, l’arrêt Merck c. Apotex, ci-dessus, a affirmé que le critère déterminant est strict :

[22]      [...] À mon avis, on ne saurait raisonnablement dire qu'est compatible avec l'objectif de la loi, la norme de révision qui soumet toutes les décisions de protonotaire attaquées à l'instruction de novo quelles que soient les questions concernées et peu importe si ces décisions statuent au fond sur les droits des parties. Pareille norme n'économise ni les ressources judiciaires ni le temps des juges. Dans chaque cas, elle obligerait le juge des requêtes à reprendre l'affaire depuis le début. En outre, elle réduirait la fonction de protonotaire à un rôle d' « étape » préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes. Je ne pense pas que ce soit là le résultat voulu par le législateur.

[23]      On ne devrait par conséquent pas conclure trop rapidement qu'une question, si importante soit-elle, est déterminante. On doit cependant se garder de s'abstenir de trancher de novo une question déterminante simplement parce qu'on a naturellement tendance à s'en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure.

 

[20]           Dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, [1993] A.C.F. no 130 (QL) (C.A.), le juge Mark MacGuigan a conclu qu’il faut mettre l'accent sur le sujet des ordonnances et non sur leurs effets : 

[98]      [...] Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, [page465] il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de "l'influence déterminante sur l'issue du principal" à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit).

 

[21]           Dans le même arrêt, le juge en chef Julius A. Isaac, a suggéré dans sa dissidence que seules les ordonnances sur le fond se prononçant sur les droits des parties répondent à l’exigence d’une influence déterminante; donc, les questions « tout à fait accessoire aux points litigieux entre les parties » ne font pas partie d’une influence déterminante sur l'issue principale. En outre, en examinant la jurisprudence de l’Ontario, le juge en chef Isaac a constaté que seules les décisions qui empêchent le jugement sur le fond de l'affaire seraient considérées comme ayant soulevé une question d’influence déterminante (Aqua-Gem, ci-dessus).

[22]           La question à se poser est de savoir si les modifications proposées sont déterminantes, qu'elles soient ou non autorisées. Si elles sont déterminantes, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo.

 

[23]           Si on détermine que l’ordonnance en l’espèce n’a pas une influence déterminante sur l’issue principale, il faut procéder à la deuxième étape du test établi dans Merck c. Apotex, ci-dessus, avant que cette Cour détermine d’intervenir dans une décision discrétionnaire du protonotaire. À l’égard de la deuxième étape, dans l’arrêt Aqua-Gem, le juge MacGuigan a expliqué l’étendue de cette étape :

[95]      Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

 

(Aqua-Gem, ci-dessus; également, Merck c. Apotex, ci-dessus au par. 17).

 

 

[24]           Le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales est une exception au paragraphe (1) et doit être analysé en tenant compte de ce dernier; donc, dans l’arrêt Macinnis, ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a souligné que des « motifs très clairs » sont requis pour instruire une demande de contrôle judiciaire comme s’il s’agissait d’une action :

[9]        [...]  Il ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des « motifs très clairs » d'avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l'ensemble de la preuve lorsqu'elle considère que l'affaire requiert tout l'appareillage d'un procès tenu en bonne et due forme [...]

 

[25]           Les critères pouvant être analysés dans le cadre d’une requête sous le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne sont pas limités par ceux qui sont adoptés dans l’arrêt Macinnis. Dans l’arrêt Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1995), 179 N.R. 398, 54 A.C.W.S. (3d) 893 (C.A.F.), au paragraphe 1, le juge James Hugessen a conclu que le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales « n’établit aucune limite quant aux facteurs qui peuvent à juste titre être pris en considération lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient ou non de permettre qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action ».

 

[26]           Ce n’est qu’en présence de l’une de ces deux situations que la Cour peut entendre l’affaire de novo et substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du protonotaire. Autrement, la Cour doit rejeter sommairement l’appel sans réexaminer le fond de la cause (British Columbia British Columbia Hydro, ci-dessus au par. 1).

 

(2)   Est-ce que la demande en contrôle judiciaire devrait être instruite comme une action conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ?

 

Est-ce que l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue de l’affaire principale ?

 

[27]           La question de savoir si le présent recours doit être instruit comme s’il s’agissait d’une action n’est pas une question ayant une influence déterminante sur l’issue de l’affaire principale, soit la contestation de la décision du Ministre, qu'elles soient ou non autorisées (Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee (1997), 144 F.T.R. 218, 76 A.C.W.S. (3d) 888 (C.F.) au par. 10).

[28]           En appliquant l’arrêt Merck c. Apotex, ci-dessus, si la demande en révision judiciaire serait instruite comme s’il s’agissait d’une action, alors le processus se poursuivrait mais transformé dans une autre forme. Par contre, si la demande en révision judiciaire n’est pas instruite comme s’il s’agissait d’une action et donc ne soit pas réunie, le processus pourrait se poursuivre, néanmoins, dans une procédure éventuelle autre que celle-ci. Par conséquent, une révision de novo de la décision du protonotaire n’était pas justifiée sur ce titre, compte tenu que les deux procédures sont considérées comme distinctes et séparées.

 

L'ordonnance est-elle entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits ?

 

[29]           Les demandeurs prétendent que le protonotaire Morneau a erré en droit en choisissant seuls les critères établis dans l’arrêt Macinnis, ci-dessus. Ils prétendent que le protonotaire Morneau n’a pas étudié tous les motifs qui lui ont été soumis, comme la multiplicité non souhaitable des procédures, la volonté d’éviter les dépens et les délais inutiles, et l’absence d’urgence à décider du litige.

 

[30]           Cependant, au paragraphe 21 de la Décision, le protonotaire Morneau a mentionné précisément qu’il n’a pas ignoré ces autres critères pertinents. Il a dit simplement que l’analyse des trois critères mentionnés soit suffisante pour justifier le rejet de la requête. Cela ne veut pas laisser entendre que le protonotaire a refusé de considérer les autres critères. Même si la jurisprudence élabore plusieurs critères à considérer afin de déterminer si la demande de contrôle judiciaire doit être instruite comme s’il s’agissait d’une action, il était loisible au protonotaire de déterminer auxquels des critères il aurait accordé plus de poids; donc, compte tenu du fait que la décision du protonotaire Morneau n’était pas manifestement erronée, cette Cour n’a pas à décider les facteurs additionnels soulevés par les demandeurs.

 

[31]           Les trois critères utilisés par le protonotaire Morneau sont les suivantes :

a)      La vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre à la Demande;

b)      La suffisance de l’évaluation de la preuve par affidavit;

c)      La nécessité d’évaluer l’attitude et la crédibilité des témoins.

 

a) La vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre à la Demande

 

[32]           Le juge Robert Décary a expliqué qu’un juge « commettrait une erreur en acceptant qu'une partie puisse seulement présenter la preuve qu'elle veut au moyen d'un procès si cette preuve n'était pas liée aux questions très précises auxquelles la Cour doit répondre » (Macinnis, ci-dessus au par. 10). Lors d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour devra déterminer si le Ministre a commis une erreur susceptible de révision. En l’espèce, la Cour devra décider si le Ministre a outrepassé sa compétence en basant sa décision sur des motifs étrangers aux lois et règlements de pêche.

 

[33]           Selon son mandat, le Ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom de tous les Canadiens (Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, 142 D.L.R. (4th) 193, aux par. 36-37); donc, la seule preuve qui est pertinente à cet effet est la documentation que le Ministre avait devant lui lorsqu’il a pris la décision :

[6]        [...] La pertinence est déterminée à partir de l'avis de demande et des affidavits déposés, s'il en est. Il convient de se rappeler que l'instance est une demande de contrôle judiciaire relative à la décision d'un tribunal. Les éléments pertinents comprennent la preuve dont le décideur était saisi lorsqu'il a pris sa décision. Ce n'est pas tout à fait la même chose que la preuve dont il a tenu compte ou qu'il a examinée. À mon avis, les éléments pertinents comprennent tous les éléments de preuve qui ont été portés à la connaissance du décideur dans le cadre du processus décisionnel. Les éléments pertinents ne comprennent pas tous les documents qui concernent la question et qui ont pu se trouver sur le bureau du décideur à une date antérieure. Ils ne comprennent certainement pas l'ensemble des documents qui se trouvent dans son service ou dans sa zone de responsabilité.

 

(Ecology Action Centre Society c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1164, 109 A.C.W.S. (3d) 388).

 

[34]           Dans un arrêt similaire, British Columbia Hydro, ci-dessus, la requérante a contesté la validité d’une ordonnance par le MPO dans laquelle il enjoignait à l’intimée d’ouvrir les vannes du barrage de Daisy Lake. L’ordonnance est désignée par l’expression « ordonnance relative au débit minimal ». La requérante a prétendu que le Ministre ne pouvait rendre l’ordonnance en question puisque, lorsque le barrage de Daisy Lake a été construit, le gouvernement du Canada avait déclaré qu’aucune ordonnance relative au débit minimal ne serait rendue et que c’est sur la foi de cette déclaration qu’elle a accepté de construire le barrage.

 

[35]           Le protonotaire, dans British Columbia Hydro, a examiné les arguments des intimés selon lesquels il était nécessaire d'entendre des témoignages concernant les déclarations et l’autorité qui a été accordée à celles-ci. Le juge Rothstein a confirmé la conclusion du protonotaire en première instance rejetant ainsi la requête :

 

[18]      [...]

 

Le protonotaire a été d'avis que les témoignages concernant des déclarations faites il y a plus de quarante ans et une enquête à grande échelle portant sur l'économie du barrage de Daisy Lake étaient inutiles et en exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon défavorable à la position des intimés, il n'a pas fondé sa décision sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits, et il n'a pas non plus soulevé une question ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause.

 

[36]           En espèce, les demandeurs prétendent que la répartition du TAC entre les divers groupes de pêcheurs a ajouté de nouveaux participants à la pêche au crabe des neiges dans la région du sud du Golfe Saint-Laurent. Le protonotaire Morneau a examiné les arguments des demandeurs selon lesquels il était nécessaire d'entendre des témoignages concernant les ententes alléguées entre les parties en 1990, 1997 et 2002 où le Ministre s’est engagé à limiter, de façon permanente, le nombre de permis de pêche au crabe à 130. Les détenteurs de ces 130 permis ont été appelés les pêcheurs traditionnels de crabe (pêcheurs traditionnels). En émettant de nouveaux permis à des organisations de pêcheurs (pêcheurs de nouvel accès), les demandeurs prétendent que le Ministre a renié les ententes intervenues avec les pêcheurs traditionnels.

 

[37]           Comme le protonotaire, dans l’arrêt British Columbia Hydro, ci-dessus, le protonotaire Morneau a aussi raisonnablement conclu que les ententes alléguées ne sont pas pertinentes dans le cadre de la présente Demande, comme ils ne font pas partie du cœur de la Demande même (Décision au par. 23).

 

[38]           Toutefois, le protonotaire Morneau a déjà décidé sur une requête demandant de tels renseignements. Dans un arrêt statué sur une requête de la transmission des documents dans le présent dossier, le protonotaire Morneau a conclu que « quant à la décision visée, soit l'adoption du Plan, je considère que les demanderesses ne peuvent réclamer que les documents qui étaient devant le Ministre lors de l'adoption du Plan » (Crabiers acadiens, ci-dessus au par. 11); donc, les demandeurs ne peuvent pas faire ce qu’il a été empêché de faire dans la requête de la transmission des documents.

 

[39]           En rejetant l’application de l’arrêt Jazz Air LP v. Toronto Port Authority, 2006 CF 705, 294 F.T.R. 278, motifs confirmés, mais redressement varié par Jazz Air LP c. Administration portuaire de Toronto, 2006 CF 904, [2006] A.C.F. no 1155 (QL), sur la base de la nécessité d’avoir eu mauvaise foi pour qu’une requête en conversion puisse être accueillie, le protonotaire a mal interprété la jurisprudence. Dans l’arrêt Jazz Air, la protonotaire Martha Milczynski a accueilli la conversion sur trois facteurs. Seulement deux facteurs portent sur la mauvaise foi : (1) Le besoin d’évaluer viva voce l’attitude et la crédibilité de témoins et (2) la multiplicité non souhaitable des procédures où il existe plusieurs décisions censées prises en mauvaise foi. Elle a aussi conclu qu’il s'agissait d'un différend commercial complexe et donc, il était nécessaire d’obtenir l’historique des relations entre les parties par voie d’une action. De plus, la protonotaire Milczynski a conclu que la demande était difficile à gérer, complexe et dépourvue des garanties procédurales d'une action. À son avis, les questions en litige ne pouvaient pas être établies ou appréciées de manière satisfaisante par l'examen d'une preuve par affidavit.

 

[40]           Cependant, on peut en l’espèce distinguer l’arrêt Jazz Air sur ses faits du cas actuel, compte tenu que, parmi tous les autres éléments spécifiés ci-dessus, Jazz Air, n’a contesté aucune décision ou comportement mais a plutôt allégué que l’organisme gouvernemental a manqué à l’obligation d’agir équitablement.

 

b) La suffisance de l’évaluation de la preuve par affidavit

 

[41]           La personne sujette à l’interrogatoire a un rôle différent en fonction du contexte de procédure, soit celui du contre-interrogatoire sur affidavit ou soit l’interrogation au préalable. L’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1997), 146 F.T.R. 249, 80 C.P.R. (3d) 550 a établi les distinctions entre ces deux procédures :

            [4]        […]

a) la personne interrogée est un témoin, et non une partie;

 

b) les réponses données sont des éléments de preuve, et non des aveux;

 

c) le témoin peut légitimement répondre qu'il ignore quelque chose; il n'est pas tenu de se renseigner;

 

d) on ne peut exiger d'un témoin qu'il produise un document que s'il en a la garde ou la possession, les mêmes règles s'appliquant à tous les témoins;

 

e) les règles relatives à la pertinence sont plus restreintes.

 

[42]           Le fait de savoir si une preuve présentée au procès pourrait être supérieure à celle d’un affidavit lors d’un contrôle judiciaire n’est pas un facteur à considérer par la Cour :

[10]      [...] Mais le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d'affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d'un procès pourrait être supérieure.

 

(Macinnis, ci-dessus).

 

Le droit au contre-interrogatoire n’est pas nécessairement frustré juridiquement en raison du manque de connaissance personnelle alléguée par l’affiant.

 

[43]           En espèce, les demandeurs prétendent que la note décisionnelle indique expressément que la décision de retarder l’ouverture d’une partie de la zone 12 fait suite à des pressions exercées par les pêcheurs de la zone 19, soit les pêcheurs voisins de la zone 12; toutefois, le Plan ne contient aucun motif précis justifiant la mesure. Les demandeurs prétendent que ni l’affidavit de monsieur Vienneau ni son contre-interrogatoire dévoilent les motifs pour lesquels la demande des pêcheurs de la zone 19 a été acceptée.

 

[44]           Au contraire de la prétention des demandeurs, les documents qui ont été produits par le Ministre en vertu de la règle 318 des Règles des Cours fédérales sont suffisants pour l’évaluation de la preuve. L’onglet 6 de la note décisionnelle, intitulée « Additional Information : Boundary Line Between Crab Fishing Area 12 and Crab Fishing Area 19 », fournit une analyse détaillée expliquant la question du retard d’ouverture. L’onglet 6 a résumé les motifs pour les pressions exercées par les pêcheurs de la zone 19 ainsi que leurs recommandations. En outre, les documents recherchés dans le contre-interrogatoire de l’affidavit de monsieur Vienneau avaient déjà été jugés non pertinents par le protonotaire Morneau dans son arrêt Crabiers acadiens, ci-dessus. Le protonotaire Morneau a rejeté la requête des demandeurs parce que les documents recherchés n’étaient pas devant le Ministre lors de l’adoption du Plan.

 

[45]           En outre, le protonotaire Morneau a raisonnablement conclu que les demandeurs auraient pu obtenir des affidavits des pêcheurs de la zone 19. Aucune preuve au dossier ne démontre que les demandeurs ont fait des démarches infructueuses à cet effet et que ces pêcheurs ont des intérêts opposés aux demandeurs.

 

[46]           Il convient de noter que les règles d’admissibilité de la preuve et de la pertinence des faits sont les mêmes dans un cas comme dans l’autre malgré le fait que la preuve soit présentée sous forme d’affidavit ou de vive voix. La question de la suffisance de la preuve par affidavit dans une requête en conversion ne vise pas à déterminer ou à trancher la pertinence ou l’admissibilité de la preuve qu’une partie voudrait présenter lors de l’audience de la Demande. Ces questions soulèvent des aspects qui doivent être tranchés par requêtes distinctes plutôt qu’une conversion.

 

[47]           Quant à l’attribution d’une partie du TAC à des regroupements de pêcheurs de nouvel accès, les demandeurs prétendent que celle-ci avait pour but de rationaliser la pêche au homard. Comme l’explique monsieur Vienneau dans son affidavit, l’expression « rationalisation » fait partie de « l’ensemble des mesures prises en vue de diminuer le nombre de pêcheurs impliqués dans une pêche donnée » (Affidavit de monsieur Vienneau, au par. 26). S’appuyant sur la décision Larocque c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2006 CAF 237, 270 D.L.R. (4th) 552, qui a confirmé qu’il est illégal pour le Ministre d’utiliser les ressources halieutiques afin de financer les activités de l’État, les demandeurs prétendent que le Ministre utiliserait la ressource du crabe des neiges comme monnaie d’échange pour financer la rationalisation de certaines autres pêches, soit la pêche au homard et à certains poissons de fond. Les demandeurs soutiennent qu’une telle méthode de rationalisation constitue une appropriation illégale des ressources halieutique par le Ministre.

 

[48]           Suite à la décision Larocque, ci-dessus, le Ministre a modifié la raison d’être des allocations aux regroupements de pêcheurs de nouvel accès. Dans son affidavit, monsieur Vienneau prétend que telles allocations sont maintenant basées sur le principe d’équité :

29.       […] L’objectif visé demeure une répartition équitable de la ressource visant à accorder à des pêcheurs, (le nouvel accès) une opportunité de générer des revenus additionnels découlant de leur entreprise de pêche leur accordant ainsi une plus grande stabilité financière

 

De plus, le représentant du Ministre constate que « le MPO n’a reçu en contrepartie aucun financement ou aucune rétribution quelconque » (Affidavit du monsieur Vienneau, au par. 35).

 

[49]           Toutefois, selon les demandeurs, la procédure sommaire, propre au contrôle judiciaire, les prive d’interroger les représentants des regroupements de pêcheurs afin de vérifier si la politique décrite par monsieur Vienneau est suivie et de confirmer si des conditions explicites ou implicites continuent d’être imposées par le MPO afin d’assurer la rationalisation de la pêche au homard et au poisson de fond. Notamment, les demandeurs prétendent qu’un regroupement, l’union des Pêcheurs des Maritimes (l’UPM), dispose toujours d’un plan de rationalisation de la pêche au homard. Les demandeurs contestent la conclusion du protonotaire Morneau quant à la possibilité d’obtenir des affidavits de l’UPM pour démontrer la présence chez elle d’un plan de rationalisation de la pèche au homard et par cette voie obtenir toutes les preuves nécessaires pour poursuivre la demande de contrôle judiciaire. Selon les demandeurs, parce que les membres de l’UPM bénéficient d’allocations de crabe des neiges, ils n’ont aucun intérêt à souscrire à des affidavits qui viendraient attaquer la façon de procéder utilisée par le Ministre; donc, on ne saurait prétendre que les demandeurs doivent obtenir des affidavits d’individus ayant des intérêts divergents aux leurs.

 

[50]           Similaire à l’égard des pêcheurs de la zone 19, le protonotaire Morneau a aussi conclu que les demandeurs auraient pu chercher d’obtenir des affidavits des pêcheurs de l’UPM. Aucune preuve au dossier ne démontre que les demandeurs ont fait des démarches infructueuses à cet effet et que ces pêcheurs ont des intérêts opposés aux demandeurs. Dans le cas de l’UPM, l’affidavit de monsieur Haché a démontré que certains homardiers de l’UPM pêchant le crabe des neiges lui donnent volontairement des informations (Affidavit de monsieur Haché, au par. 42). À l’égard de cette question, la décision du protonotaire Morneau n’est pas entachée d'erreur flagrante et son pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

[51]           Quant à l’interdiction d’utiliser dans certaines zones, à partir de 2008, des casiers à crabe dont le maillage est supérieur à 75 millimètres, monsieur Vienneau a témoigné à son contre-interrogatoire que cette restriction était une mesure proactive de conservation et que la flottille traditionnelle avait été consultée par le Ministère à propos d’une étude scientifique à ce sujet. Le protonotaire Morneau a trouvé suffisantes les précisions apportées par monsieur Vienneau lors de son interrogatoire. À l’intérieur du contexte actuel, cette conclusion n’est pas erronée.

 

c) La nécessité d’évaluer l’attitude et la crédibilité des témoins

 

[52]           Quant à la nécessité d’évaluer l’attitude et la crédibilité des témoins à l’égard de l’entente de 1990 alléguée, la pertinence de ce dernier dans le présent contrôle judiciaire a déjà été rejetée, comme expliquer ci-dessus au sujet de la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans la Demande. De plus, les demandeurs allèguent qu’ils doutent de la validité des affirmations de monsieur Vienneau dans son affidavit et son contre-interrogatoire. Cependant, même si monsieur Vienneau n’a pas participé aux négociations relatives à l’entente alléguée, il s’était renseigné à ce sujet. Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que monsieur Vienneau s’est contredit lors de son contre-interrogatoire ou qu’il s’est contredit par rapport à son affidavit ou par rapport à la documentation en preuve. Les demandeurs n’ont pas démontré que les notes sténographiques du contre-interrogatoire du 23 novembre 2007 ne sont pas suffisantes afin que la Cour puisse apprécier les questions entourant la crédibilité du témoin.

 

[53]           Les demandeurs ont soulevé l’arrêt Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et Océans, Région du Pacifique) (1998), 78 A.C.W.S. (3d) 451, [1998] A.C.F. no 292 (QL), afin de proposer que la preuve par affidavit soit insuffisante lorsqu’une transaction passée est reliée à une demande de contrôle judiciaire. Cependant, la transaction dans Radil Bros était une transaction commerciale à l’égard des permis. En l’espèce, il n’existe pas une telle transaction qui requiert l’évaluation de l’attitude et la crédibilité des témoins.

 

(3) Dans l’affirmative, est-ce que cette demande en contrôle judiciaire peut être réunie avec l’action en dommages conformément à la règle 105 des Règles des Cours fédérales ?

 

Est-ce que l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue principale ?

 

[54]           La question si le présent recours doit être réuni avec une autre instance n’a pas une influence déterminante (Vogo Inc. c. Acme Window Hardware Ltd., 2004 CF 851, 256 F.T.R. 37 au par. 75). En appliquant l’arrêt Merck c. Apotex, ci-dessus, si la demande en contrôle judiciaire est instruite comme s’il s’agissait d’une action et est ensuite réunie avec une autre instance, le processus se poursuivrait. L’inverse est aussi vrai. Les deux peuvent se faire d’une autre façon, c’est-à-dire, séparément, une après l’autre; donc, les ordonnances ci-dessus ne portent pas sur les questions ayant une influence déterminante sur l'issue principale et donc une révision de novo de la décision du protonotaire n’est pas justifiée dans ce cas-ci.

 

L'ordonnance est-elle entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits ?

 

[55]           Les objectifs recherchés par la réunion d'instances consistent à éviter la multiplication des instances et à favoriser un règlement rapide et peu coûteux de ces instances (Global Restaurant Operations of Ireland Ltd. c. Boston Pizza Royalties Limited Partnership, 2005 CF 317, 38 C.P.R. (4th) 551 au par. 11; également, John E. Canning Ltd. c. Tripap Inc. (1999), 167 F.T.R. 93, 88 A.C.W.S. (3d) 543 (C.F.) au par. 27). Les facteurs pertinents à considérer afin de déterminer si la réunion d’instances est appropriée se composent des facteurs suivants : les mêmes parties en cause, questions juridiques et factuelles en commun, cause d’action similaire et preuve similaire et la probabilité que la décision dans un dossier permettra de régler l’autre dossier (Global Restaurant, ci-dessus au par. 11; également, Canning, ci-dessus au par. 27). Tout cela pour dire qu’une réunion d'instances n'est justifiée que s'il existe substantiellement des questions de droit et de fait et des redressements demandés en commun (Canning, ci-dessus au par. 33).

 

[56]           Ayant rejeté la requête des demandeurs afin que le présent recours soit instruit comme s’il s’agissait d’une action, le protonotaire Morneau n’avait pas à traiter la demande additionnelle concernant la réunion du présent recours à l’action en dommages. Toutefois, il a constaté qu’il aurait rejeté cette demande pour des motifs que fait valoir le défendeur dans ses représentations écrites, c’est-à-dire, que l’identité substantielle des redressements demandés, l’identité substantielle des questions de droit et que les redressements réclamés dans les deux instances sont différents.

 

[57]           Quant à l’identité substantielle des redressements demandés dans l’action en dommages, les demandeurs réclament des dommages en raison de bris de contrats, faute dans l’exercice d’une charge publique, expropriation sans compensation, négligence dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, déclarations inexactes, enrichissement sans cause, et manquement à une obligation fiduciaire. Par contre, les demandeurs à l’instance réclament une déclaration d’invalidité des décisions du Ministre par rapport au Plan.

 

[58]           Les questions de droit sont tout à fait différentes dans les deux instances. L’action en dommages sera tranchée à l’aide de questions relatives au droit des contrats et des délits civils, alors que cette instance sera tranchée à l’aide de questions relatives au droit administratif, à savoir, l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire.

 

[59]           Finalement, ce dossier est à un stade assez avancé puisque les affidavits ont été déposés et les contre-interrogatoires sur affidavits ont été complétés. Les parties doivent seulement déposer leurs dossiers pour que le processus puisse procéder à l’audience. Par ailleurs, l’action en dommages n’est qu’à ses débuts. Au moment de la Décision, l’action en dommages était suspendue en attendant qu’une décision relative à une instance similaire soit rendue.

 

[60]           Étant donné que la Cour n’est pas engagée dans une analyse de novo, les raisons du protonotaire Morneau de ne pas octroyer la réunion des dossiers sont raisonnables.

 

VIII. Conclusion

[61]           La Cour conclut que l’ordonnance du protonotaire Morneau ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue principale et que l’ordonnance est raisonnable compte tenu du contexte de l’instance.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-895-07

 

INTITULÉ :                                       ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS INC., une corporation dûment constituée en vertu des lois du Nouveau-Brunswick, JEAN-GILLES CHIASSON, en son nom personnel et ès qualités de président de l’Association des crabiers acadiens inc., ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS INC., une association personnifiée immatriculée selon les lois du Québec, MARC COUTURE, en son nom personnel et ès qualités d’administrateur de l’Association des crabiers gaspésiens inc., ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE, une association non personnifiée immatriculée selon les lois du Québec, DANIEL DESBOIS, en son nom personnel et ès qualités d’administrateur de l’Association des crabiers de la Baie, et ROBERT F. HACHÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Bernard Jolin

Me David Quesnel

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Ginette Mazerolle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

HEENAN BLAIKIE S.E.N.C.R.L., SRL

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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