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Date : 20081127

Dossier : T-573-04

Référence : 2008 CF 1311

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), ce 27e jour de novembre

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

ALSTOM CANADA INC.

ET

AREVA T&D CANADA INC.

 

demanderesses

et

 

COMPAGNIE DES CHEMINS

DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une requête en jugement sommaire qui a été introduite en vertu du paragraphe 213(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La partie requérante demande qu’une partie de l’instance, soit les réclamations excédant 50 000 $CA, soit rejetée avec dépens et que celle-ci soit renvoyée devant un tribunal.

 

[2]               La partie non requérante, Alstom Canada Inc. (« Alstom »), est la demanderesse, conjointement avec Areva T&D Canada Inc. (« Areva »), dans l’action principale intentée contre la Compagnie des chemins de fer nationaux (le « CN ») en vue d’obtenir un jugement pour la somme de 1 850 000 $CA, plus intérêts et dépens, pour violation présumée de contrat et, subsidiairement, pour manquement présumé à l’obligation de diligence.

 

[3]               Alstom, la demanderesse, et le CN, la défenderesse, sont des acteurs établis de longue date dans leurs secteurs respectifs. Alstom fait partie d’un conglomérat industriel important dont le siège social se trouve en France et qui compte des usines de fabrication dans de nombreux pays. Alstom et ses sociétés affiliées fabriquent de la machinerie et de l’appareillage électriques de grande puissance, notamment des transformateurs et du matériel de transport. Le CN est une société ferroviaire transcontinentale de transport de marchandises dont le réseau parcourt le Canada et les États-Unis.

 

[4]               Alstom a consenti à vendre un transformateur de convertisseur extérieur de 450 kV (le « transformateur »), dont elle est propriétaire, à Manitoba Hydro. En raison de ses dimensions et de son poids, le transformateur est considéré comme un chargement exceptionnel, dont le transport exige du matériel spécialisé et des dispositifs évolués d’acheminement. Par l’intermédiaire de Kuehne & Nagel Int. Ltée (« K&N »), Alstom a conclu un contrat avec le CN en vue du transport du transformateur par train entre Halifax, en Nouvelle-Écosse, et Rosser, au Manitoba.

 

[5]               Ian Rae, de Stafford, au Royaume-Uni, était le directeur de la logistique du transport du transformateur entre Stafford, le lieu de fabrication, et Rosser. À l’époque de la signature du contrat, Alain Collard était responsable du transport du transformateur au Canada pour le compte d’Alstom. Il a depuis été remplacé par Robert Nicole, qui a présenté un affidavit étayant la position des demanderesses. Selon les demanderesses, Ian Rae aurait rencontré Alain Collard, d’Alstom, et Pierre Leblanc, du CN, en décembre 1999 afin de discuter du transport du transformateur. Se fondant sur la proposition de prix fournie par Pierre Leblanc, les défenderesses allèguent que le 9 mai 2000, les parties se seraient entendues sur un prix de 27 795 $CA pour le transport du transformateur.

 

[6]               Expédié par navire depuis Liverpool, en Angleterre, le transformateur est arrivé au port d’Halifax le 18 mars 2001. Le 19 mars 2001, il a été arrimé sur le wagon porte-rail CN 674100 en vue de son transport par le CN. Le même jour, K&N a transmis au CN le connaissement nominatif sur lequel figuraient les instructions spéciales de manutention suivantes :

  • [traduction] Ne pas tourner; côté B du wagon porte-rail en premier.
  • Placer le transformateur à l’avant du convoi; cinq wagons vides doivent précéder le wagon plat surbaissé, dont les numéros seront transmis par le personnel du CN.
  • Aucun passage à la butte.
  • Installer deux enregistreurs de chocs au-dessus du transformateur.
  • M. Merlin Halliday, convoyeur, doit accompagner le wagon porte-rail pendant l’intégralité du trajet jusqu’à la gare de Rosser, au Manitoba.
  • Dossier de vérification du CN : P 10527

 

 

 

[7]               Le matin du 20 mars 2001, le transformateur a été soudé au wagon porte-rail. Le dispositif d’assujettissement, y compris les soudures, a été contrôlé et approuvé par les représentants du CN. Deux enregistreurs de chocs ont été installés sur le transformateur, et un contrôle du bon fonctionnement a été effectué. Le 20 mars également, le CN a délivré la feuille de route numéro 746269 couvrant le transport du transformateur d’Halifax à Rosser; la feuille de route mentionne le Tarif CN 1311. Le Tarif 1311 ne prévoit aucune limitation de responsabilité pour le CN et il établit le fret à 45 851 $CA jusqu’à Rosser.

 

[8]               Le trajet sur rail du transformateur a débuté le 21 mars 2001, et il a été livré à Manitoba Hydro le 30 mars 2001. À la livraison, Manitoba Hydro a remarqué que les enregistreurs de chocs installés sur le transformateur avaient été activés, indiquant qu’il avait subi des chocs ou des impacts en cours de transport. Une inspection plus poussée des ingénieurs et d’autres représentants d’Alstom et de Manitoba Hydro a révélé que le noyau et la bobine du transformateur avaient subi des dommages considérables. Le 4 avril 2001, un avis de dommages a été signifié au CN et, les 9 et 10 avril, une inspection conjointe du transformateur a été effectuée en présence de représentants d’Alstom, de Manitoba Hydro et du CN. La nature et la gravité des dommages ont exigé le renvoi du transformateur à l’usine de fabrication et de montage de Stafford, au Royaume-Uni, où il a été réparé et réexpédié au Canada, puis livré à Manitoba Hydro.

 

[9]               Alstom allègue que les dommages subis s’établissent à 1 850 000 $CA, y compris les frais et les dépenses liés aux éléments suivants :

  • Réparation de la bobine
  • Réparation du noyau
  • Remontage et mise à l’essai du transformateur après les réparations
  • Réparation du commutateur à prises de réglage
  • Transport de Winnipeg au Royaume-Uni
  • Transport du Royaume-Uni à Winnipeg
  • Transport aller-retour entre le port de débarquement et l’usine de Stafford au Royaume-Uni

 

 

 

[10]           Le 5 juin 2001, le CN a transmis le Tarif CN 822333-AA à Alstom, qui prenait effet le même jour. Les demanderesses l’ont reçu le 8 juin 2001. Le Tarif CN 822333-AB, qui était apparemment un document substitutif, avait été établi le 1er mars 2001. Toutefois, il a seulement été transmis aux demanderesses le 26 juin 2001. Le Tarif CN 822333-AB, à l’inverse du document précédent CN 822333-AA, comporte une clause limitant la responsabilité du CN à 50 000 $CA.

 

[11]           En janvier 2004, Areva a acquis certains actifs appartenant à Alstom, notamment la totalité de ses droits d’action liés aux dommages subis par le transformateur au cours de son transport ferroviaire par le CN entre Halifax et Rosser.

 

[12]           Le 17 mai 2007, le protonotaire Morneau, chargé de la gestion de l’instance, a conclu que l’instruction ne serait pas efficace tant que la Cour n’aurait pas rendu une décision préliminaire sur une requête en jugement sommaire visant à établir si la défenderesse était fondée à invoquer la limitation de responsabilité prévue au Tarif CN 822333-AB. Il a donc ajourné à une date indéterminée la conférence de gestion de l’instance qui devait avoir lieu le 23 mai 2007, et a ordonné qu’une nouvelle date soit fixée après le règlement de la requête en jugement sommaire.

 

* * * * * * * *

 

[13]           Le litige à l’origine de la présente instance porte sur l’étendue des dommages. Plus particulièrement, il porte sur la prétention formulée à l’alinéa 6b) de la défense modifiée de la défenderesse, selon laquelle :

L’acheminement par rail par la défenderesse était notamment assujetti au tarif CN 822333-AB, applicable au transport de transformateurs de la demanderesse Alstom Canada Inc. entre Halifax, Nouvelle-Écosse et Rosser, Manitoba, pièce D-1A, dont copie est signifiée avec la présente, prévoyant une limite de responsabilité de 50 000$, en considération d’un taux de transport réduit. À cet égard, même en cas de négligence de la défenderesse, sa responsabilité est limitée à cette somme de 50 000$.

 

 

 

[14]           Compte tenu de la clause limitative de responsabilité, le montant facturé à Alstom au titre du Tarif CN 822333-AB a été considérablement réduit par rapport au tarif ouvert. La défenderesse formule la demande suivante à la Cour au paragraphe 39 de ses observations écrites :

[traduction] [. . .] conclure à l’existence d’un accord commercial complet liant les parties, qui intégrait les conditions du Tarif 8822333-AB [sic], et notamment la limitation de responsabilité du CN à 50 000 $CA;

 

 

 

[15]           Les demanderesses ont récusé cet argument, faisant valoir que le Tarif CN 822333-AB visait à renouveler le Tarif CN 822333-AA, lequel était dénué de clause limitative de responsabilité.

 

[16]           Chacune des parties se fonde sur les éléments de preuve présentés par un déclarant principal, à savoir William Hogbin pour le CN et Ian Rae pour Alstom.

 

a.      Déclarant de la défenderesse : William Hogbin

 

[17]           William Hogbin collabore à l’ébauche, à la version définitive et à la publication des tarifs du CN, dont il est un employé depuis 27 ans. Il a soumis un affidavit à l’appui de la requête de la défenderesse, et il a été contre-interrogé par les demanderesses le 9 avril 2008.

 

[18]           Selon M. Hogbin, [traduction] « le transport [du transformateur] était régi par le Tarif CN­822333-AB ». Il mentionne au paragraphe 22 de son affidavit qu’en novembre 2001, Alstom a payé 29 740,65 $CA, [traduction] « soit le montant prévu au Tarif CN-822333-AB, plus les taxes ». Ce faisant, Alstom est réputée avoir reconnu et accepté les conditions du transport, notamment la limitation de la responsabilité du CN à 50 000 $CA.

 

[19]           Lors de son contre-interrogatoire par l’avocat des demanderesses, M. Hogbin a admis qu’Alstom avait reçu 2 factures du CN pour la feuille de route numéro 746269. Quand il a été interrogé sur l’écart entre les montants indiqués sur les 2 factures, M. Hogbin n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi la première facture de 51 022,95 $CA, établie le 30 août 2001, a par la suite été réduite à 29 740,65 $CA, soit le montant payé par les demanderesses. C’est ce que confirme un courriel transmis à Réjean Pichette, du CN, le 15 mars 2006, dans lequel M. Hogbin déclare ne pas savoir pourquoi le montant de la facture a été modifié.

 

[20]           En contre-interrogatoire, M. Hogbin a aussi déclaré qu’il ignorait pourquoi le Tarif CN 822333-AB contenait une clause limitant la responsabilité du CN à 50 000 $, contrairement au document précédent, le Tarif CN 822333-AA. Il a ajouté que la personne la plus susceptible d’avoir autorisé l’insertion de la clause limitative était Pierre Leblanc et que, normalement, il faisait ce genre de modification avec le consentement de l’autre partie (paragraphes 75 à 78 de la transcription du contre-interrogatoire de William Hogbin). Le CN n’a pas produit d’affidavit de Pierre Leblanc, qui travaille pour le CN partout dans le monde.

 

b.      Déclarant des demanderesses : Ian Rae

 

[21]           Au moment où le CN a livré le transformateur à Manitoba Hydro, Ian Rae était le responsable direct d’Alstom pour la planification et l’exécution de l’expédition entre Stafford et le poste convertisseur de Manitoba Hydro, à Rosser. Dans son affidavit, daté du 22 octobre 2007, M. Rae réplique à diverses prétentions de M. Hogbin. Au paragraphe 10, il déclare ce qui suit :

[traduction] En ce qui a trait au paragraphe 19 de l’affidavit de M. Hogbin, il est possible que le Tarif CN-822333-AB ait été antidaté au 1er mars 2001, mais il a été établi et transmis aux demanderesses bien après les dommages subis par le transformateur alors que le CN en avait le soin, la garde et le contrôle [. . .]

 

 

 

[22]           Selon M. Rae, le montant facturé par le CN pour le transport du transformateur a été convenu en mai 2000, longtemps avant l’établissement du Tarif CN 822333-AB. Le montant de 27 795 $CA découlait d’un accord conclu avec le CN pour le transport du transformateur au prix (indexé de 4 %) qui avait été facturé auparavant à Alstom pour le transport d’un autre transformateur plus petit de 117 tonnes. M. Rae ajoute qu’en octobre 2000, il a reçu un courriel de Pierre Leblanc énonçant les conditions de transport, qui ne contenaient pas de clause limitative de responsabilité.

 

[23]           Pour expliquer l’écart entre le montant de la première facture et celui qu’Alstom a payé, Ian Rae signale que le CN a transporté le transformateur à Halifax après la constatation des dommages. Le CN avait alors facturé Alstom pour le transport aller-retour par rail entre Halifax et Rosser. Le 8 juin 2001, Alain Collard a envoyé une télécopie au CN pour contester ces factures (la télécopie figure à la page 131 du dossier de requête des demanderesses). Le CN a envoyé une nouvelle facture confirmant le prix convenu en mai 2000 et a accepté d’annuler celle qui avait été établie pour le trajet de retour vers Halifax jusqu’à ce que le présent litige soit réglé. M. Rae a déclaré ce qui suit : [traduction] « Il est clair que le CN a transmis une facture erronée à Alstom et que le montant a été corrigé pour qu’il reflète l’accord sur le fret intervenu en mai 2000 ».

 

[24]           Au paragraphe 18, M. Rae ajoute ce qui suit concernant la clause limitative de responsabilité :

[traduction] « À ma connaissance, que ce soit lors des négociations directes avec le CN ou lors des discussions avec Alain Collard, qui travaille au bureau d’Alstom à Montréal, ou avec Gerry Pasloski, de Manitoba Hydro, il a toujours été clair que les conditions de transport des transformateurs par le CN comprenaient une limitation de responsabilité de 4 500 000 $CA. Il n’a jamais été question de limiter la responsabilité du CN à 50 000 $CA, et il n’y a certainement pas eu d’entente de la sorte. »

 

 

 

[25]           M. Rae fait aussi l’historique des négociations entre les parties. Selon lui, le CN a toujours transmis ses tarifs à Alstom avant leur prise d’effet ou le jour même, sauf le Tarif CN 822333-AB.

 

* * * * * * * *

 

[26]           La présente affaire soulève la question essentielle suivante :

Le CN s’est-il acquitté du fardeau de prouver l’absence de question sérieuse en ce qui concerne la prétention formulée au paragraphe 6b) de sa défense modifiée, selon laquelle il pouvait limiter sa responsabilité à 50 000 $CA en échange d’une entente sur un prix réduit?

 

 

 

[27]           Comme l’ont proposé les demanderesses, la question dont le CN saisit la Cour pourrait être reformulée ainsi : l’inapplicabilité de l’un des tarifs mentionnés au dossier (y compris ceux de la série 1311, à l’exception du Tarif CN 822333-AB) est-elle tellement certaine qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès?

 

[28]           Les principes applicables en matière de jugement sommaire sont résumés par ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 CF 853 :

  1. Les dispositions relatives aux jugements sommaires ont pour but de permettre à la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire.
  2. Un des critères applicables consiste à déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès.
  3. Chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien.
  4. Saisie d’une requête en jugement sommaire, la Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire.
  5. Le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s’il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire.

 

 

Voir également Liu v. Matrikon inc., [2008] F.C. J. No 406, 2008 FC 279, au paragraphe 4; Premakumaran c. Canada, [2007] 2 R.C.F. 191 (C.A.), au paragraphe 8; AMR Technology Inc. v. Novopharm Ltd., [2008] F.C.J.  No 1210, 2008 FC 970, au paragraphe 7, et Suntec Environmental Inc. c. Trojan Technologies Inc., 2004 CAF 140, 320 NR 322 (C.A.F.).

 

[29]           Dans leur réplique à la prétention de la défenderesse, les demanderesses se fondent sur les déclarations non contestées d’Ian Rae dans son affidavit :

  Le prix a été convenu en mai 2000, bien avant le transport du transformateur et l’établissement du Tarif CN 822333-AB.

  L’écart entre les 2 factures que le CN a transmises à Alstom découle d’une erreur, et non d’un accord entre les parties quant à la clause de limitation de responsabilité du Tarif CN 822333-AB.

  Il n’y a jamais eu de discussion relativement à la limitation de responsabilité, sauf en ce qui concerne la limite habituelle de 4,5 millions de dollars canadiens.

 

 

 

[30]           Les demanderesses soulignent par ailleurs que M. Hogbin, le déclarant, n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi le Tarif CN 822333-AA ne prévoyait pas de clause limitative, contrairement au Tarif CN 822333-AB, et qu’il n’était pas au courant de l’accord conclu entre les parties. Pierre Leblanc, l’employé du CN qui normalement devait avoir cette information, n’a pas fait de déposition.

 

[31]           Les demanderesses vont jusqu’à affirmer qu’il n’a jamais existé de lien contractuel entre les parties à l’égard du Tarif CN 822333-AB. Autrement dit, elles réfutent la thèse que la défenderesse défend dans ses observations écrites selon laquelle le Tarif CN 822333-AB faisait partie intégrante d’un [traduction] « accord commercial complet liant les parties ».

 

[32]           Les observations de la défenderesse reposent sur ce qui est décrit dans le tarif en question. De toute évidence, le Tarif CN 822333-AB contient une clause de limitation de la responsabilité, il indique un prix de 27 795 $CA et il est daté du 1er mars 2001. Toutefois, il ressort tout aussi clairement du dossier que le Tarif CN 822333-AB a seulement été transmis aux demanderesses le 26 juin 2001, et qu’elles l’ont reçu le 29 juin suivant, soit longtemps après la constatation des dommages subis par le transformateur. La défenderesse n’a pas été en mesure d’expliquer de manière sensée pourquoi le tarif serait antidaté ou pourquoi il contient la clause limitative en litige, absente de tous les tarifs que le CN avait transmis antérieurement à Alstom.

 

[33]           Les demanderesses s’inscrivent aussi en faux contre la prétention de la défenderesse selon laquelle le montant de 27 795 $CA reflète une réduction consentie du fait de la clause limitative. Selon les demanderesses, il s’agit en fait du prix convenu en mai 2000. Cette affirmation est corroborée par la correspondance électronique susmentionnée entre les représentants du CN et d’Alstom, qui fait état de l’accord conclu entre les parties concernant un prix analogue à celui qui avait été facturé pour un transport précédent, indexé de 4 %.

 

[34]           Au vu des éléments de preuve présentés dans l’affidavit d’Ian Rae, je suis d’avis que les demanderesses ont soulevé une question sérieuse qui mérite qu’un juge des faits l’examine, en l’occurrence la question de savoir quel tarif parmi ceux qui sont mentionnés au dossier est applicable dans le présent litige.

 

[35]           Je remarque par surcroît que l’avocat de la défenderesse n’a pas soumis l’accord précis apparemment conclu entre les parties concernant la limitation de responsabilité, comme l’exige l’article 137 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, qui dispose que :

  137. (1) La compagnie de chemin de fer ne peut limiter sa responsabilité envers un expéditeur pour le transport des marchandises de celui-ci, sauf par accord écrit signé soit par l’expéditeur, soit par une association ou un groupe représentant les expéditeurs.

 

  (2) En l’absence d’un tel accord, la mesure dans laquelle la responsabilité de la compagnie de chemin de fer peut être limitée en ce qui concerne un transport de marchandises est prévue par les conditions de cette limitation soit fixées par l’Office pour le transport, sur demande de la compagnie, soit, si aucune condition n’est fixée, établies par règlement de l’Office. 

 

 

  137. (1) A railway company shall not limit or restrict its liability to a shipper for the movement of traffic except by means of a written agreement signed by the shipper or by an association or other body representing shippers.

 

  (2) If there is no agreement, the railway company’s liability is limited or restricted to the

 

extent provided in any terms and conditions that the Agency may

(a) on the application of the company, specify for the traffic; or

(b) prescribe by regulation, if none are specified for the traffic.

 

 

[36]           À cet égard, l’avocat de la défenderesse s’en est tenu aux « traces documentaires ». Compte tenu de la pertinence indiscutable de la preuve testimoniale susmentionnée pour l’interprétation desdites « traces documentaires », il serait opportun à mon avis que la question faisant jouer l’article 137 de la Loi sur les transports au Canada soit également examinée dans le cadre d’un éventuel procès.

 

[37]           J’estime en conséquence que les observations de la défenderesse ne prouvent pas les faits essentiels qui, à ce stade-ci, me permettraient de trancher que les parties sont liées par le Tarif CN 822333-AB et par sa clause qui limiterait la responsabilité de la défenderesse à 50 000 $CA.

 

[38]           En ce qui a trait aux dépens, les demanderesses font valoir au paragraphe 38 de leur mémoire des faits et du droit que [traduction] « la seule conclusion logique qui peut se dégager des faits non contestés serait que le CN, en établissant le Tarif 822333-AB, a tenté d’imposer à sa cliente, de manière unilatérale et rétroactive, un régime de limitation de responsabilité défavorable à Alstom ». Les demanderesses demandent par conséquent à la Cour d’adjuger des dépens contre la défenderesse.

 

[39]           Les règles à l’égard des dépens sont énoncées à l’article 11 des Règles des Cours fédérales. Le paragraphe 400(1) accorde à la Cour un pouvoir discrétionnaire absolu pour fixer le montant des dépens et les répartir. Le paragraphe 400(3) énonce un certain nombre de considérations relativement à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

 

[40]           La présente requête en jugement sommaire découle d’une décision du protonotaire selon laquelle elle était nécessaire pour assurer la poursuite efficace de l’instance. J’estime qu’à ce stade-ci, rien ne justifie l’adjudication de dépens contre la défenderesse.

 

[41]           Pour tous ces motifs, la requête en jugement sommaire sera rejetée, et les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

            La requête en jugement sommaire, introduite par la défenderesse en vertu du paragraphe 213(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, est rejetée. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-573-04

 

INTITULÉ :                                       ALSTOM CANADA INC. ET AREVA T&D CANADA

INC. c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 NOVEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. John Kenrick Sproule                                              POUR LES DEMANDERESSES

 

M. Jacques Perron                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sproule Faguy, S.E.N.C.R.L.                                       POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

 

Lavery, de Billy, S.E.N.C.R.L.                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

 

 

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