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Date : 20081222

Dossier : IMM-2855-08

Référence : 2008 CF 1401

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

PRISCILLA MOOKETSI

SAMUEL MOOKETSI

DAVID JOEL

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse principale, Mme Priscilla Mooketsi, une citoyenne du Botswana, est entrée au Canada en 2005 avec son époux et deux de ses enfants. Après que son époux fut retourné au Botswana, Mme Mooketsi et ses deux enfants ont demandé l’asile en raison des mauvais traitements qu’ils ont subis aux mains de l’époux. Dans une décision datée du 15 février 2007, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande. Par la suite, la famille a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) pour lequel ils ont présenté de nombreuses observations. La demande d’ERAR était fondée sur les mauvais traitements subis par tous les membres de la famille. Dans une décision datée du 15 mai 2008, un agent d’ERAR a rejeté leur demande de protection. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.        Les questions préliminaires

 

A.        Les demandes des demandeurs mineurs

 

[2]               La situation concernant les demandeurs mineurs a été clarifiée à l’audition de la présente affaire.

 

[3]               Samuel est citoyen à la fois des États-Unis et du Botswana. Les demandeurs reconnaissent que l’ERAR serait effectué par rapport aux États-Unis. Par conséquent, il n’y a presque aucune possibilité que le demandeur puisse démontrer que les États-Unis sont incapables de le protéger. La demande de contrôle judiciaire concernant Samuel sera donc rejetée.

 

[4]               Par contre, David est citoyen du Botswana uniquement. Le défendeur convient que les motifs de l’agent d’ERAR, dans la mesure où ils concernent David, sont inadéquats. Je suis d’accord et la demande de contrôle judiciaire concernant David sera accueillie.

 


B.         Approbation de principe pour motifs d’ordre humanitaire

 

[5]               Depuis le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont vu leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire approuvée en principe. En conséquence, une décision défavorable dans le cadre du présent contrôle judiciaire n’entraînera pas un renvoi des demandeurs au Botswana. Je me suis demandé si l’approbation pour des motifs d’ordre humanitaire rendait le contrôle judiciaire théorique ou, si ce n’était pas le cas, pourquoi je ne pourrais pas simplement reporter l’audience. L’avocate du demandeur m’a convaincue que je devais me pencher sur la présente demande malgré l’approbation de principe.

 

[6]               La principale raison d’agir ainsi a trait à l’âge d’une fille de la demanderesse qui habite actuellement aux États-Unis. Il faudra un ou deux ans pour terminer les vérifications de santé, de sécurité et de criminalité et autoriser la résidence permanente dans la catégorie des immigrants pour des motifs d’ordre humanitaire. Pendant ce temps, la fille aux États-Unis fêtera ses 22 ans et ne pourra donc plus être parrainée. Cependant, si Mme Mooketsi obtenait gain de cause dans le cadre du présent contrôle judiciaire ainsi que dans le nouvel ERAR, elle pourrait obtenir le statut de personne protégée avant le 22e anniversaire de sa fille et donc être en mesure de la parrainer.

 

[7]               Bien que je n’affirme pas que ce qui précède représente un résumé exact des procédures d’immigration en jeu, je suis convaincue que j’ai des motifs suffisants pour juger la demande de Mme Mooketsi sur le fond.

 


III.       Les questions en litige

 

[8]               Les questions soulevées en l’espèce, relativement à Mme Mooketsi, sont les suivantes :

 

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte et en se faisant une fausse idée des « nouveaux éléments de preuve » qui contredisaient les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité?

 

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en rejetant certains éléments de preuve produits, au motif qu’ils ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)?

 

IV.       Analyse

 

A.        Considérations générales

 

[9]               Lorsqu’il demande la protection dans le cadre du processus d’ERAR, un demandeur d’asile débouté peut présenter de nouveaux éléments de preuve. L’alinéa 113a) de la LIPR est rédigé ainsi :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

[10]           L’arrêt de principe au sujet de l’évaluation de la preuve produite dans le cadre d’une demande d’ERAR est l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 370 N.R. 344. Comme l’affirme la juge Sharlow dans cet arrêt, au paragraphe 12 : « La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. »

 

[11]           L’arrêt Raza clarifie les limites quant aux nouveaux éléments de preuve qui peuvent être pris en considération en application de l’alinéa 113a). Au paragraphe 13, la juge Sharlow énonce le principe général voulant que l’agent d’ERAR doive respecter la décision défavorable de la SPR, « à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance ». Ensuite, elle présente une liste de questions ou de « motifs » pour lesquels les nouveaux éléments de preuve produits à l’ERAR peuvent être rejetés. Au paragraphe 15, la juge Sharlow déclare ceci :

Je ne dis pas que les questions énumérées ci‑dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d’ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d’ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus.   [Non souligné dans l’original.]

 

[12]           En l’espèce, les demandeurs ont présenté de nombreux éléments de preuve visant à réfuter la conclusion de la SPR selon laquelle leur prétention quant à la violence familiale n’était pas crédible. L’agent d’ERAR a examiné cette preuve et a conclu que certains éléments étaient nouveaux et que certains autres n’étaient pas admissibles au titre de l’alinéa 113a). Les demandeurs formulent des objections relativement aux deux catégories d’éléments de preuve.

 

B.         L’agent d’ERAR s’est-il fait une fausse idée des éléments de preuve qu’il a considérés comme étant nouveaux?

 

[13]           Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. En résumé, la SPR, en raison de nombreux éléments du récit non plausibles ou incohérents, n’a pas cru aux prétentions de violence familiale des demandeurs. Un des éléments de preuve déposés devant la SPR était l’ordonnance d’un tribunal américain portant sur la garde des trois autres enfants de la demanderesse, qui étaient (et demeurent) aux États-Unis. Dans sa décision, la SPR a mentionné le manque de renseignements sur la situation ayant motivé cette ordonnance. Les documents expliquant la situation ont été présentés à l’agent d’ERAR et acceptés comme étant de nouveaux éléments de preuve.

 

[14]           Au sujet de ces éléments de preuve, l’agent d’ERAR a écrit :

[traduction]

J’accorde un peu de valeur aux documents qui renseignement sur le contexte de l’ordonnance de garde, puisqu’ils font état de la violence subie par les enfants aux mains de leur père. Cependant, la preuve objective ne démontre pas que la demanderesse principale a été victime de violence. En outre, bien que la SPR n’ait pas été au courant des détails, elle connaissait la décision du tribunal d’accorder la garde des enfants au tribunal et elle savait également que la demanderesse avait témoigné au sujet de la violence de son époux envers les enfants (aux États-Unis).

 

Je note également que la fille aînée, Prudence, a affirmé dans son affidavit : « Ma mère a également été la cible de la colère de mon père et n’a donc jamais été capable de nous protéger de lui. » Cependant, l’affidavit ne donne pas d’autres détails et cette affirmation seule ne constitue pas une preuve objective suffisante réfutant les conclusions de la SPR.

 

[15]           À mon avis, la conclusion de l’agent était raisonnable compte tenu de la preuve. Hormis l’affidavit de la sœur de Mme Mooketsi, dans lequel elle prétend avoir été témoin de la violence, il y avait peu de preuve directe montrant que M. Mooketsi avait été violent physiquement envers la demanderesse principale. La preuve témoignait plutôt de la violence grave subie par les trois filles habitant aux États-Unis, de l’incapacité de Mme Mooketsi à l’empêcher et de la multitude de fois où les parents ont abandonné leurs filles.

 

[16]           Compte tenu de ces nouveaux éléments de preuve, l’agent pouvait conclure que la preuve objective ne réfutait pas les conclusions de la SPR. À mon sens, la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

C.        La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant des éléments de preuve?

 

[17]           L’agent a rejeté bon nombre des éléments de preuve déposés parce qu’il ne s’agissait pas de nouveaux éléments de preuve. Les demandeurs soutiennent qu’une bonne partie de la preuve rejetée contredit la conclusion de la SPR quant à leur crédibilité – une conclusion de fait.  Selon les demandeurs, c’est l’un des motifs pour lesquels les éléments doivent être considérés comme nouveaux, comme il est écrit dans l’arrêt Raza, précité, au paragraphe 13(3)c).

 

[18]           À mon sens, les demandeurs appliquent mal l’arrêt de la Cour d’appel dans Raza. Selon l’interprétation que je fais de la décision, et en particulier du paragraphe 13, l’élément de preuve n’est pas nouveau dès qu’on peut répondre par l’affirmative à l’une des questions posées. Comme il est écrit au paragraphe 15 de l’arrêt Raza, les preuves doivent être prises en considération « à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci-dessus ». Par conséquent, si les nouveaux éléments de preuve avaient pu être présentés à l’audience devant la SPR, alors l’alinéa 113a) exige que ces éléments soient rejetés, même s’ils contredisent une conclusion de fait tirée par la SPR. Ce principe est soutenu par le paragraphe 13(5)a) de l’arrêt Raza.

 

[19]           Après avoir examiné chacun des éléments de preuve rejetés qui ont été mentionnés dans la présente demande de contrôle judiciaire, je conclus que l’agent d’ERAR a appliqué l’alinéa 113a) à la preuve de manière raisonnable. Les observations de Mme Mooketsi n’étaient pas nouvelles. Elles ne révélaient pas de nouveaux risques et ne faisaient que répéter les propres affirmations de Mme Mooketsi quant à la violence conjugale dont elle aurait été victime, lesquelles affirmations la SPR a jugées non crédibles.  De plus, les éléments de preuve provenant de différents tiers soit répétaient ce que Mme Mootketsi leur avait affirmé, soit auraient raisonnablement pu être produits devant la SPR.

 

[20]           Je conclus que le rejet par l’agent des nouveaux éléments de preuve était raisonnable.

 

V.        Conclusion

 

[21]           Enfin, je conclus que la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent d’ERAR :

 

1.                  sera accueillie en ce qui concerne David Joel;

 

2.                  sera rejetée en ce qui concerne Samuel Mooketsi et Priscilla Mooketsi.

 

[22]           Ni l’une ni l’autre des parties ne proposent de question à certifier et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire concernant le demandeur David Joel est accueillie; l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvel examen.

 

2.                  La demande de contrôle judiciaire concernant Priscilla Mooketsi et Samuel Mooketsi est rejetée.

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2855-08

 

INTITULÉ :                                                   PRISCILLA MOOKETSI, SAMUEL MOOKETSI, DAVID JOEL

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION  

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 16 DÉCEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 DÉCEMBRE 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

POUR LES DEMANDEURS

 

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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