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Date :  20090105

Dossier :  IMM-2181-08

Référence :  2009 CF 5

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

EMMANUEL LALANE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Le demandeur devait établir un lien entre les conditions dans son pays et sa situation personnelle, chose qu’il n’a pas faite en l’espèce. Comme l’a souligné le juge Michel Beaudry dans Ould c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 83, 161 A.C.W.S. (3d) 960, citant avec approbation le passage suivant de l’affaire Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506 (QL) au paragraphe 21 :

Ceci étant dit, l'appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d'être persécuté s'il devait être retourné dans son pays doit être personnalisé [sic]. Ce n'est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l'on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné (Ahmad c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 995 (C.F.); Gonulcan c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 486 (C.F.); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 56, 2005 CF 18 (C.F.). (La Cour souligne.)

 

 

[2]               Le seul fait que les autorités responsables aient décidé de ne pas retourner en Haïti des ressortissants haïtiens se trouvant au Canada ne crée aucune présomption d’un risque personnalisé pour le demandeur (Nkitabungi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 331, 169 A.C.W.S. (3d) 862 au par. 12, par le juge Luc Martineau; également, Mpula c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 456, 160 A.C.W.S. (3d) 334 au par. 31, par le juge Maurice Lagacé).

 

[3]               Il est à noter qu’en vertu du paragraphe 230(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), le sursis de la mesure de renvoi ne s’applique pas, entre autres, aux personnes interdites de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre du paragraphe 36.(1)a) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) (Guide d’exécution de la loi (ENF) 10, p. 23 : pièce « A » Affidavit de Dominique Toillon).

 

II.  Procédure judiciaire

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de l’agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR), rendue le 21 avril 2008, rejetant la demande du demandeur.

 

 

III.  Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Emmanuel Lalane, est citoyen d’Haïti.

 

[6]               En 1990, monsieur Lalane, devient résident permanent du Canada.

 

[7]               Entre 2003 et 2007, monsieur Lalane est reconnu coupable de voies de fait, de bris de probation, de complot pour l’importation de stupéfiants, importation de stupéfiants, possession de stupéfiants dans le but de trafiquer et de possession de substances.

 

[8]               En juin 2007, un Rapport 44 est émis en vertu du paragraphe 36.(1)a) de la LIPR « Interdiction de territoire pour grande criminalité ».

 

[9]               En 2008, monsieur Lalane soumet sa demande d’ERAR en invoquant être à risque en Haïti. Aux motifs de sa décision, l’agent reprend une par une les allégations de monsieur Lalane :

-         « Si je reviens après 17 ans, je ne serai pas traité comme les autres »

-         « J’étais dans l’armée, maintenant il n’y a plus d’armé, maintenant il y une révolte des anciens militaires, donc je ne pense pas que je serais bien perçu par eux » 

-         «Il y a (...), des gangs de personnes criminalisées qui font la pluie et le bon temps en Haïti... ils vont penser que j’emmène de l’argent avec moi. (...) ils peuvent penser que je vais prendre leur travail »

-         « Les kidnapping sont très connus en Haïti et il n’est pas rare qu’une personne venant de l’étranger se fasse enlever (...) »

-         « Quand c’est des gangs, ils vont penser que je vais prendre leur territoire et occuper leur espace. Ils vont me regarder comme un rival potentiel. De plus, je n’ai pas de maison, ni aucune famille proche en Haïti. » 

-         « Dans ce contexte d’insécurité et d’anarchie, je ne pourrais aucunement gagner ma vie » 

-         « Je suis père de deux enfants en très bas âge et depuis que j’ai été incarcéré ma conjointe a perdu beaucoup de poids car elle doit supporter physiquement les enfants et elle n’a pas mon support économique.. »

-         « je suis porteur d’un pacemaker (...). En Haïti, des soins par un cardiologue compétent et les instruments de remplacement de batteries n’existent pas comme le standard au Canada ».

 

 

IV.  Décision contestée

 

[10]           L’agent d’ERAR a constaté qu’en raison du fait que monsieur Lalane est un cas visé par le paragraphe 112.(3) de la LIPR, l’évaluation du risque ne pouvait être faite qu’en vertu de l’article 97 de la LIPR.

 

[11]           Après avoir évalué l’ensemble de la preuve au dossier, l’agent d’ERAR a rejeté la demande de protection du demandeur pour les raisons suivantes :

  • Les allégations du demandeur concernant son pacemaker et son état de santé ne sont pas pertinentes à la demande d’ERAR en ce que le sous-alinéa 97.(1)b)(iv) de la LIPR les exclut;
  • Le demandeur ne soumet aucune preuve concernant les militaires ou sur sa participation dans l’armée;
  • Le demandeur n’a pas démontré qu’il est d’intérêt pour les autorités haïtiennes ou que ces autorités sont au courant de ses antécédents criminels au Canada; la preuve présentée n’est pas suffisante pour établir l’existence d’un risque en raison de son passé criminel;
  • Les sources documentaires consultées ne démontrent pas que le fait d’être déporté et d’avoir vécu à l’étranger le met à risque;
  • L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que sa situation est différente de celle des autres citoyens haïtiens; les sources et la preuve déposée ne montrent pas l’existence d’une possibilité qu’il soit personnellement à risque en ce pays.

[12]           Monsieur Lalande invoque les motifs suivants au soutien de sa demande à l’encontre de la décision d’ERAR :

  • L’agent d’ERAR n’a pas pris en considération ni commenté le fait qu’Haïti est sur la liste des pays moratoires;
  • L’agent d’ERAR a mis de côté des éléments de preuve présentés par monsieur Lalane;
  • L’agent d’ERAR a fait une lecture sélective de la preuve documentaire;
  • L’agent d’ERAR a fait une lecture erronée des risques allégués par monsieur Lalane;
  • L’agent ERAR a considéré des documents sans en avoir avisé monsieur Lalane et sans lui permettre d’en commenter le contenu.

 

V.  Point en litige

[13]           L’agent d’ERAR a-t-il erré en faits ou en droit de façon à rendre sa décision déraisonnable ?

 

VI.  Analyse

            Preuve nouvelle postérieure à la décision

[14]           Les quatre pièces déposées comme pièces « A », « B », « C » et « D » à l’affidavit de madame Gilberte Charles (la conjointe du demandeur) constituent des nouvelles preuves.

 

[15]           Plusieurs faits énoncés dans cet affidavit constituent en soi de la nouvelle preuve puisque cet affidavit ne se trouvait pas en preuve devant l’agent chargé de l’ERAR.

 

[16]           Les pièces « A », « B », « C » et « D » jointes à cet affidavit constituent de la nouvelle preuve puisqu’elles n’ont pas été portées à la connaissance de l’agent d’ERAR. L’affidavit de madame Dominique Toillon démontre sans être contredit ainsi que ces quatre pièces ne figurent aucunement dans le dossier du tribunal.

 

[17]           Plus évident encore est le fait que la pièce « B » est datée du 22 mai 2008 et que la pièce « C » est datée du 6 mai 2008, soit postérieurement à la décision d’ERAR, datée du 21 avril 2008.

 

[18]           Il ne fait aucun doute que les documents joints à cet affidavit de madame Charles ne sauraient être considérés par cette Cour alors que l’agent d’ERAR n’en était pas saisi au moment de rendre sa décision.

 

[19]           En outre, il est clair que par le biais de cet affidavit, monsieur Lalane tente surtout de répondre aux préoccupations soulevées par l’agent d’ERAR dans sa décision, en ajoutant des renseignements ou en clarifiant les renseignements qu’il avait déjà donnés dans sa demande pour des considérations d’ordre humanitaire (CH). Ainsi, monsieur Lalane tente de présenter une nouvelle preuve à la Cour.

 

[20]           Or, il est bien établi que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, cette Cour ne peut pas prendre en considération des éléments de preuve dont le décideur ne disposait pas (Mijatovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 685, 149 A.C.W.S. (3d) 290 au par. 22).

Le moratoire

[21]           Il faut bien comprendre que la suspension temporaire des renvois vers un pays donné est un processus bien distinct de la demande d’ERAR.

 

[22]           En effet, tel que mentionné dans le guide ENF chapitre 10, sec. 11.2, un sursis temporaire est imposé lorsque le renvoi dans un pays ou un lieu déterminé expose la personne visée à un risque généralisé que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile juge dangereux et non sécuritaire pour l’ensemble de la population civile du pays ou du lieu en cause. Le risque personnel est différent du risque généralisé et est évalué pendant l’examen de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), des motifs CH ou pendant l’ERAR.

 

[23]           D’ailleurs, le chapitre PP3 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) sur le traitement des demandes d’ERAR prévoit expressément que le risque identifié dans une demande d’ERAR doit être un risque personnalisé et que les deux processus sont bien différents. Sous la section 10.6, il est mentionné :

10.6.      Le risque ne doit pas être généralisé – oppression généralisée

 

Tous les motifs de protection doivent se manifester par un risque qui est personnel et objectif. Ces risques peuvent, en fait, être le lot d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable. La Loi offre une protection dans le cas d'une oppression généralisée : le ministre de la Sécurité publique peut appliquer une suspension des renvois vers certains pays dans lesquels la population entière est à risque, en vertu des facteurs prévus par le Règlement. Par contre, la demande de protection concerne les allégations d'un risque personnel [...]

 

10.6.      The risk must not be faced generally – Generalized oppression

 

All grounds for protection involve a demonstration that the risk be characterized as personal and objectively identifiable. These risks may, in fact, be shared by other persons who are similarly situated. The Act does provide for protection in cases of generalized oppression: a stay of removal to particular countries may be decided upon by the PS Minister where whole populations are at risk, according to factors set out in the Regulations. The application for protection, by contrast, is meant to deal with an allegation of personal risk...

 

 

[24]           Il est à noter qu’en vertu du paragraphe 230(3) du Règlement, le sursis de la mesure de renvoi ne s’applique pas, entre autres, aux personnes interdites de territoire pour grande criminalité ou criminalité au titre du paragraphe 36.(1)a) de la LIPR (Guide ENF 10, p. 23 : pièce « A » Affidavit de Dominique Toillon).

 

[25]           Ainsi, la preuve documentaire générale sur Haïti et le fait qu’Haïti soit un pays bénéficiant d’une suspension temporaire de renvois (STR) ne dispense nullement monsieur Lalane d’établir l’existence d’un risque personnalisé advenant un retour en Haïti.

 

[26]           Le seul fait que les autorités responsables aient décidé de ne pas retourner en Haïti des ressortissants haïtiens se trouvant au Canada ne crée aucune présomption d’un risque personnalisé pour monsieur Lalane. Dans la décision récente, Nkitabungi, ci-dessus, bien qu’en matière CH, le juge Martineau faisait les commentaires suivants :

[12]      [...] D’autre part, le seul fait que les autorités responsables aient décidé de ne pas retourner au Congo des ressortissants congolais se trouvant au Canada sans statut légal ne crée aucune présomption de difficultés indues ou excessives comme le soutient le savant procureur du demandeur. En effet, chaque cas de demande CH est un cas d’espèce. Je note à cet égard que dans la décision Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, il a été décidé qu’un moratoire sur les renvois au Congo n’empêche pas en soi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit rejetée.

 

(Également, Mpula, ci-dessus).

 

[27]           Le Guide de Citoyenneté et Immigration Canada, à son chapitre PP3 concernant les évaluations ERAR, mentionne spécifiquement que « le risque ne doit pas être généralisé – Oppression généralisée. » Autrement, tout à chacun des ressortissants d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande d’ERAR, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but ni l’objectif d’une demande d’ERAR.

 

[28]           La preuve documentaire générale sur Haïti ne pouvait établir à elle seule le bien-fondé de la demande de protection. Monsieur Lalane devait établir un lien entre la situation actuelle dans son pays et sa situation personnelle. Il est indiqué dans Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719, 149 A.C.W.S. (3d) 303 :

[12]      Également, un principe bien reconnu veut qu’il ne suffise pas de simplement faire référence aux conditions dans le pays en général sans lier ces conditions à la situation personnelle du demandeur (voir, par exemple, Dreta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, et Nazaire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 416). 

 

(Également : Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [205] A.C.F. no 506 (QL); Ould, ci-dessus; Kaba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1113, 167 A.C.W.S. (3d) 961).

 

[29]           En l’espèce, il est clair dans la décision de l’agent qu’il a considéré les conditions difficiles du pays en cause (Décision à la p. 7 au par. 3). L’agent a évalué les conditions du pays, a admis que la situation demeurait fragile et conclu que monsieur Lalane n’était pas personnellement à risque en ce pays. Voici sa conclusion à cet égard au dernier paragraphe à la page 8 de sa décision :

Malgré cette situation, je considère que le demandeur n’a pas démontré que sa situation est différente de celle des autres citoyens haïtiens. Ainsi, je considère que les sources ainsi que la preuve déposée ne montrent pas l’existence d’une possibilité qu’il soit personnellement à risque en ce pays.

 

 

[30]           En conclusion, la question qui devait être tranchée par l’agent n’était pas de savoir quand ni où monsieur Lalane sera renvoyé, mais bien de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’advenant un retour dans son pays d’origine, monsieur Lalane serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[31]           Le fait que monsieur Lalane n’ait pas démontré qu’il était personnellement à risque a raisonnablement amené l’agent à conclure « Je suis d’avis que monsieur Lalane n’a pas démontré l’existence de motifs sérieux de croire qu’il serait personnellement exposée au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » (Décision à la p. 8 au dernier paragraphe).

 

[32]           L’agent ne mentionne pas explicitement le moratoire à sa décision, mais ceci ne constitue pas une erreur; la décision d’ERAR et l’exécution éventuelle d’une mesure de renvoi sont deux choses complètement différentes.

 

La preuve

[33]           Monsieur Lalane allègue que l’agent a omis de considérer les documents déposés en preuve pour démontrer qu’il était résident permanent du Canada depuis 18 ans. Il soutient que ces deux documents viennent appuyer ses allégations qu’il craint faire l’objet d’une détention arbitraire par les forces de l’ordre vu sa perte de résidence et d’être enlevé pour rançon comme personne qui a de la famille à l’étranger. Monsieur Lalane invoque la même chose avec le fait qu’il aurait obtenu son diplôme d’ingénieur civil qui démontre qu’il aurait été dans l’armée.

 

[34]           Or, faut-il que monsieur Lalane explique à l’agent d’ERAR en quoi les documents en question appuient ses allégations, chose qu’il n’a pas faite en l’espèce. Les soumissions écrites de monsieur Lalane sont complètement silencieuses sur ce point.

 

[35]           Il est de jurisprudence constante qu’il incombe au demandeur de présenter tous les renseignements pertinents pour appuyer sa demande. Ainsi que la Cour l’a fait observer dans l’arrêt Owusu : « puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu'il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites » (Raji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 653, 158 A.C.W.S. (3d) 464 au par. 10; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] R.C.F. 635 au par. 8).

 

[36]           Ainsi, l’agent a considéré ces documents lesquels étaient plutôt pertinents pour sa demande CH, que pour l’étude de sa demande d’ERAR (Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, 132 A.C.W.S. (3d) 548; Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 160, 139 A.C.W.S. (3d) 348; Youssef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864, 296 F.T.R. 182; Tuhin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 22, 167 A.C.W.S. (3d) 574 au par. 4).

 

Lecture sélective de la preuve documentaire

[37]           Monsieur Lalane allègue que l’agent a fait une lecture extrêmement sélective de la preuve documentaire concernant Haïti.

 

[38]           Toutefois, monsieur Lalane ne précise nullement la preuve documentaire et les passages pertinents qui supporteraient sa crainte.

 

[39]           D’après la prétention de monsieur Lalane, l’agent ne pouvait conclure qu’il n’existait pas pour lui un risque à sa vie compte tenu du risque généralisé régnant en Haïti et du sursis réglementaire imposé par le Ministre aux mesures de renvoi vers ce pays. Autrement dit, monsieur Lalane est d’avis que la décision de l’agent n’est pas raisonnable compte tenu de la suspension temporaire des renvois vers Haïti décrétée par le Canada qui, selon lui, est une reconnaissance explicite qu’il est trop dangereux de retourner en Haïti. Selon monsieur Lalane, l’agent ne pouvait nier qu’il était personnellement exposé au risque généralisé régnant en Haïti.

 

[40]           Eu égard à la situation générale ayant cours en Haïti, telle que détaillée par le défendeur, monsieur Lalane devait établir un lien entre les conditions dans son pays et sa situation personnelle, chose qu’il n’a pas faite en l’espèce. Comme l’a souligné le juge Michel Beaudry dans Ould, ci-dessus, au paragraphe 21, citant avec approbation le passage suivant de l’affaire Jarada, ci-dessus, au paragraphe 28 :

Ceci étant dit, l'appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d'être persécuté s'il devait être retourné dans son pays doit être personnalisé [sic]. Ce n'est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l'on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné (Ahmad c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 995 (C.F.); Gonulcan c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 486 (C.F.); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 56, 2005 CF 18 (C.F.). (La Cour souligne.)

 

 

            L’équité procédurale

 

[41]           Finalement, monsieur Lalane soumet que le fait que l’agent ait considéré des documents sans l’avoir avisé et sans lui permettre d’en commenter le contenu constitue une erreur de droit manifestement déraisonnable.

 

[42]           Or, dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266, 218 F.T.R. 12, qui reprend la décision Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461, 79 A.C.W.S. (3d) 796, qui définit la notion de preuve extrinsèque, cette Cour a clairement précisé que l’équité n’exigeait pas la communication d’éléments de preuve non extrinsèque, comme les rapports sur la situation générale du pays accessible au demandeur avant le dépôt de ses observations :

[33]      Je tire le principe général suivant de l'arrêt Mancia. La preuve extrinsèque doit être communiquée à la demanderesse. L'équité ne requiert toutefois pas la communication d'éléments de preuve non extrinsèques, comme les rapports sur la situation générale du pays, à moins que ces éléments n'aient été rendus accessibles après que la demanderesse eut déposé ses observations et à moins qu'ils respectent les autres critères formulés dans cet arrêt.

 

[34]      D'après moi, ces deux "règles" reposent sur le même fondement. L'équité exige que les documents, les rapports et les avis dont la demanderesse n'a pas connaissance ou n'est pas présumée avoir connaissance soient communiqués.

 

[35]      À mon avis, le fondement de la règle établie dans Mancia résiste aux arrêts Haghighi et Bhagwandass. Énoncé de façon générale, le principe qui sous-tend ces arrêts veut que l'obligation d'équité oblige la communication d'un document, d'un rapport ou d'un avis si cette communication est nécessaire pour fournir à la personne une possibilité significative et équitable de présenter l'ensemble de sa preuve au décideur.

 

[36]      Par conséquent, même si la distinction entre la preuve extrinsèque et la preuve non extrinsèque n'est clairement plus déterminante quant à la question de savoir si l'obligation d'équité exige la communication, le fondement de la règle de l'arrêt Mancia demeure. J'en arrive à cette conclusion parce que même dans les arrêts récents, qui appliquent le cadre postérieur à l'arrêt Baker pour définir l'obligation d'équité, la préoccupation dominante relativement à la communication consiste à savoir si la personne a connaissance ou est présumée avoir connaissance du document, de l'avis ou du rapport.

 

[...]

 

[44]      [...] Je ne suis toutefois pas convaincue que les principes d'équité énoncés dans les arrêts Baker, Haghighi et Bhagwandass vont jusqu'à exiger la communication dans les circonstances de la présente affaire. En d'autres termes, l'ARRR n'était pas tenue de communiquer avant de rendre sa décision les documents accessibles au public qui décrivent la situation générale du pays et dont la demanderesse est présumée avoir eu connaissance. (La Cour souligne.)

 

[43]           En l’espèce, les documents consultés par l’agent, dont les citations apparaissent à la fin de ses notes au dossier, sont des documents ou sites publics qui décrivaient la situation générale en Haïti. Ces éléments de preuve étaient tous accessibles à monsieur Lalane avant de présenter ses observations.

 

[44]           L’agent n’était donc pas tenu de communiquer ces éléments de preuve accessibles au public et dont monsieur Lalane était présumé avoir eu connaissance.

VII.  Conclusion

[45]           Monsieur Lalane n’a pas fait ressortir d’éléments qui auraient pu permettre à cette Cour de conclure que la décision rendue est déraisonnable.

 

[46]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2181-08

 

INTITULÉ :                                       EMMANUEL LALANE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNET

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 17 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-François Fiset

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Doyon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JEAN-FRANÇOIS FISET

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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