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Date : 20090107

Dossier : IMM-2668-08

Référence : 2009 CF 19

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

MUTUMBA, Fahad Huthy

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Une personne qui a le choix entre se retirer ou se libérer, mais qui continue malgré tout à travailler pour un organisme qui est reconnu pour pratiquer la torture et qui, ainsi, est reconnu pour poursuivre des « fins limitées et brutales  », s’expose à s’exclure du statut de réfugié au sens de la Convention.

 

[2]               Lorsque l’on examine le dossier soumis à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal), on trouve ce qui suit : la pièce M-2 qui décrit une hausse de la pratique de la torture en Ouganda (à la page 9). L’Organisation de la sécurité intérieure (l’OSI) est décrite comme étant un service de renseignement gouvernemental qui se sert de la torture afin d’atteindre ses objectifs (à la page 14). La pièce M-4, Uganda Country Report, April 2005, Country Information and Policy Unit Immigration and Nationality Directorate, du Home Office du Royaume-Uni, à la page 1094, au paragraphe 2.9, mentionne ce qui suit : [traduction] « Parmi les organismes accusés de pratiquer la torture, on retrouve […] l’Organisation de la sécurité intérieure (l’OSI) ».

 

[3]               La pièce M-3 fait état de plaintes de présumées violations des droits de la personne commises par un certain nombre d’organismes ougandais, notamment l’OSI (pièce M-3, à la page 21). À la page 1347 du dossier du tribunal, le demandeur lui‑même, lorsqu’on lui a demandé s’il était au courant que [traduction] « la torture était pratiquée », a répondu [traduction] « oui, tout à fait ».

 

II. La procédure judiciaire

[4]               Le demandeur, un citoyen de l’Ouganda, a déposé auprès de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal le 26 mai 2008 par laquelle celui‑ci a rejeté sa demande d’asile. Le Tribunal a conclu que le demandeur était exclu du statut de réfugié et de personne à protéger au sens de la Convention, et ce, en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention relative au statut des réfugiés) qui, de plein droit, interdit l’octroi de ce statut.

 

III.  L’historique

[5]               Le demandeur, M. Fahad Huthy Mutumba, a vécu à Kampala (Ouganda). Il a travaillé comme enseignant de 2002 à 2004.

 

[6]               M. Mutumba a été congédié en mai 2004 en raison de son orientation sexuelle. Il a également été exclu de son église en juillet 2004, et ce, pour le même motif.

 

[7]               En août 2004, M. Mutumba a été embauché par l’OSI. Il a travaillé pour cet organisme pendant 15 mois, c’est‑à‑dire jusqu’au 24 novembre 2005.

 

[8]               Le 24 novembre 2005, M. Mutumba a été arrêté par ses supérieurs à l’OSI. Il était censément soupçonné d’avoir divulgué des renseignements à la presse concernant la mort d’un rebelle qui était mort pendant qu’il était sous la garde de l’OSI. M. Mutumba aurait été détenu, battu et torturé pendant sept jours, puis accusé de trahison. M. Mutumba a été relâché le 1er décembre 2005.

 

[9]               M. Mutumba est arrivé au Canada le 10 décembre 2005 et a demandé l’asile le 15 décembre 2005.

 

IV.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           Le Tribunal a conclu que M. Mutumba a été exclu de la protection accordé au réfugié en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

V.  L’analyse

La loi

[11]           L’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés est ainsi libellé :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that.

 

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

            L’Organisation de la sécurité intérieure (l’OSI)

[12]           Le Tribunal a conclu que l’OSI est une force secrète en Ouganda qui a régulièrement commis des violations graves des droits de la personne qualifiées de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

[13]           Le Tribunal a conclu que l’OSI ougandaise est une force policière secrète et un organisme qui poursuit des fins limitées et brutales.

 

[14]           Il n’existe aucun doute quant au fait que M. Mutumba a travaillé pour l’OSI pendant quinze mois, entre août 2004 et novembre 2005.

 

[15]           Dans l’arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306, [1992] A.C.F. no 109 (QL) (C.A.), la Cour d’appel fédérale a souligné que la simple appartenance à une organisation qui poursuit principalement des fins brutales peut suffire à déclencher l’application de la clause d’exclusion :

[16]      Quel est, alors, le degré de complicité requis? La première conclusion à laquelle je parviens est que la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas, en temps normal, pour exclure quelqu’un de l’application des dispositions relatives au statut de réfugié. De fait, cette conclusion concorde avec l’intention des États signataires, ainsi qu’il appert du Tribunal militaire international de l’après-guerre […] :

 

[traduction] Il importe de signaler que le Tribunal militaire international a exclu de la responsabilité collective « les personnes qui ignoraient les fins criminelles des actes commis par l’organisation et les personnes qui ont été conscrites par l’État, à moins qu’elles n’aient personnellement pris part, en qualité de membres de l’organisation, à la perpétration des actes déclarés criminels par l’article 6 de la Charte. La simple appartenance n’est pas suffisante pour être visée par ces déclarations » [Tribunal militaire international, i. 256].

 

Toutefois, lorsqu’une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, comme celles d’une police secrète, il paraît évident que la simple appartenance à une telle organisation puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente à des actes de persécution.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           L’arrêt Ramirez est devenu un arrêt de principe et ses principes ont été fréquemment réitérés par la Cour et la Cour d’appel fédérale (Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79, [1993] A.C.F. no 1292 (QL) (1re inst.); Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298, [1993] A.C.F. no 912 (QL) (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433, [1993] A.C.F. no 1145 (QL) (C.A.); Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1177, [2003] A.C.F. no 1507 (QL); Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 838, 160 A.C.W.S. (3d) 148).

 

[17]           Le Tribunal a conclu que, selon les déclarations écrites de M. Mutumba et selon la preuve documentaire, l’OSI est une force policière secrète en Ouganda. M. Mutumba a par la suite nié la qualification antérieure qu’il avait faite de l’OSI.

 

[18]           M. Mutumba a demandé l’asile au Canada le 15 décembre 2005. Le jour suivant, M. Mutumba a été interrogé par un agent d’immigration, M. Graham Rowe (pièce A de l’affidavit de Ketsia Dorceus).

 

[19]           La déclaration écrite faite par M. Mutumba au point d’entrée mentionne clairement que l’OSI est une agence de sécurité secrète du gouvernement ougandais :

[traduction]

 

Mon nom est Fahad Huthy Mutumba. Je suis âgé de 35 ans et je suis citoyen ougandais, je suis né à l’hôpital Mulago à Mengo, district de Kampala, le 9 octobre 1973.

 

J’ai dû m’enfuir de mon pays parce que je craignais d’être persécuté par l’appareil de sécurité gouvernemental pour avoir refusé de devenir membre de l’organisation d’agents secrets appelée Organisation de sécurité intérieure (OSI). J’ai travaillé pour cette organisation à titre d’employé civil, à savoir comme administrateur de bureau, pendant un an, et c’était le major Haruna Nukorgo qui m’avait présenté à cette organisation le 7 août 2004. Ma tâche principale consistait à consigner par écrit des déclarations écrites émanant de suspects et à les inscrire à l’ordinateur grâce au logiciel de traitement de texte Microsoft.

 

Au début, cela ne me semblait pas un bon emploi pour moi, travailler dans l’armée, mais comme j’avais perdu mon emploi antérieur pour avoir révélé mon orientation sexuelle, la vie était difficile car j’avais une famille de six enfants à faire vivre!

 

Le deuxième motif est que j’ai révélé que j’étais homosexuel.

(signature) 16-12-2005

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Au cours de sa séance de questions et réponses avec l’agent Rowe, M. Mutumba a mentionné que l’OSI était une agence de sécurité. En raison de sa propre situation, il a admis avoir accepté son poste tout en sachant que l’OSI torturait des citoyens.

[traduction]

 

Qui veut vous faire du mal?

L’agence de sécurité appelée Organisation de sécurité intérieure.

 

Pourquoi êtes‑vous particulièrement ciblé?

J’ai refusé de devenir membre de cette organisation parce qu’elle torturait des citoyens et les qualifiait de traîtres.

 

Pourquoi voulait‑elle que vous en deveniez membre?

Je travaillais pour elle, je prenais des notes durant les interrogatoires mais elle voulait que je participe davantage à ses activités.

 

Avez‑vous déjà participé à des séances de torture?

Non, je recueillais des déclarations de personnes qui étaient interrogées par le personnel de sécurité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[21]           La description faite par M. Mutumba de l’OSI comme étant une « organisation d’agents secrets » ou une « agence de sécurité » et les actes de torture liés à cette organisation étaient suffisants pour que l’on conclue que celle‑ci visait principalement des fins brutales et limitées de la manière décrite dans l’arrêt Ramirez, susmentionné, ainsi que dans la jurisprudence ultérieure.

 

[22]           Par conséquent, le fait que M. Mutumba a appartenu à cette organisation pendant quinze mois suffisait pour déclencher l’application de la clause d’exclusion énoncée à l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés.

 

[23]           À l’appui de cette conclusion selon laquelle l’OSI est une force policière secrète qui se livre à des violations des droits de la personne et à des crimes contre l’humanité, le Tribunal renvoie à deux documents mentionnés à la note de bas de page no 2 de ses motifs, c’est‑à‑dire la pièce M-2, Commonwealth Human Rights Initiative : The police, the people, the politics : Police Accountability in Uganda, 2006, et la pièce M-3, Uganda Human Rights Commission Annual Report, chapter 02: investigations and resolution of complaints, 2004 (pièces B et C de l’affidavit de Ketsia Dorceus).

 

[24]           Lorsqu’on examine le dossier dont le Tribunal était saisi, on trouve la pièce M-2, laquelle décrit une hausse de la pratique de la torture en Ouganda (à la page 9). L’Organisation de la sécurité intérieure (OSI) y est décrite comme étant un service de renseignement gouvernemental qui se sert de la torture afin d’atteindre ses objectifs (à la page 14). La pièce M-4, le Uganda Country Report, April 2005, Country Information and Policy Unit Immigration and Nationality Directorate, du Home Office du Royaume-Uni, à la page 1094, au paragraphe 2.9, mentionne ce qui suit : [traduction] « Parmi les organismes accusés de pratiquer la torture, on retrouve […] l’Organisation de la sécurité intérieure (OSI).

 

[25]           La pièce M-3 fait état de plaintes de présumées violations des droits de la personne commises par un certain nombre d’organismes ougandais, notamment l’OSI (pièce M-3, à la page 21). À la page 1347 du dossier du tribunal, le demandeur lui‑même, lorsqu’on lui a demandé s’il était au courant que « la torture était pratiquée », a répondu « oui, tout à fait ».

 

[26]           Considérés globalement, les documents susmentionnés et les déclarations de M. Mutumba confirment que celui‑ci était membre de l’OSI. Il savait que cette organisation pratiquait la torture et qu’elle la pratiquait en secret comme en témoigne l’expérience personnelle qu’il a vécue alors qu’il était détenu pour avoir censément divulgué des renseignements au public. Par conséquent, le Tribunal disposait de tous les éléments nécessaires pour appliquer la clause d’exclusion prévue à l’alinéa a) de la section F de l’article premier.

 

[27]           Le tribunal de première instance a examiné les observations écrites de M. Mutumba et du représentant du ministre lorsqu’il a examiné la question de l’exclusion. Il n’existe aucune exigence que les motifs reflètent la totalité des arguments énoncés par les parties ou que les conclusions du tribunal soient limitées à celles proposées par les parties au litige.

 

[28]           Le juge James Russell a réitéré le principe énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (QL) (C.A.F.) :

[53]      […] Comme la Cour d’appel fédérale l’a établi dans Mehterian […], les motifs écrits de la Commission doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles pour qu’un revendicateur puisse comprendre pourquoi sa revendication est rejetée […]

 

[29]           En l’espèce, la ratio decidendi du Tribunal est claire, M. Mutumba est exclu en vertu de l’alinéa a) de la section F de l’article premier à titre de membre de l’OSI, une organisation qui poursuit des fins limitées et brutales, c’est‑à‑dire la torture de citoyens ougandais. Les motifs sont clairs et donnent à M. Mutumba l’explication complète quant à la décision défavorable rendue par le Tribunal.

 

Le témoignage fourni par le demandeur quant à l’OSI

[30]           Au cours de l’audience, le Tribunal a souligné que M. Mutumba lui avait soumis un témoignage très différent quant au rôle qu’il avait joué dans l’OSI par rapport aux déclarations antérieures qu’il avait faites au point d’entrée.

 

[31]           M. Mutumba, à l’audience du Tribunal, a nié d’une manière générale les déclarations qu’il avait faites lors de son entrevue au point d’entrée. Son témoignage est devenu vague et évasif en ce qui concernait les fonctions qu’il occupait à l’OSI par opposition aux déclarations antérieures qu’il avait faites.

 

[32]           M. Mutumba a prétendu, à l’audience, qu’il ne savait pas que l’OSI pratiquait la torture et tuait des citoyens ougandais et il a qualifié ces affirmations de [traduction] « rumeurs ». Ce témoignage contredisait complètement les déclarations qu’il avait faites au point d’entrée alors qu’il avait parlé de la torture pratiquée par cette organisation.

 

[33]           En plus de tout ce qu’il avait déjà mentionné, M. Mutumba a parlé de sa santé physique et mentale. Cela, néanmoins, ne change pas la suite des événements qui se sont produits en Ouganda et qui ont mené à la décision d’exclusion rendue par le Tribunal.

 

[34]           À la suite de son témoignage, M. Mutumba a été incapable d’invoquer la défense de contrainte pour justifier sa décision de demeurer à l’emploi de l’OSI. M. Mutumba a précisé  que, en février 2005, sept mois après être devenu membre de l’OSI, il avait songé à quitter l’organisation mais qu’il était resté car aucune autre possibilité d’emploi ne s’offrait à lui. M. Mutumba n’était aucunement en danger d’être exposé à un danger imminent s’il avait quitté son poste à cette époque.

 

[35]           La question de la complicité a également été examinée par le juge Edmond Blanchard dans la décision El Kachi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 403, [2002] A.C.F. no 554 (QL).

 

VI.  Conclusion

[36]           La décision de la Commission est confirmée et la demande de contrôle judiciaire de M. Mutumba est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2668-08

 

INTITULÉ :                                       MUTUMBA, Fahad Huthy

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, Q.C.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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