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Date : 20090123

Dossier : IMM-5584-08

Référence : 2009 CF 75

ENTRE :

LAMINE YANSANE

 

 demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

 

[1]               Voici pourquoi j’ai accordé le 8 janvier 2009 un sursis de l’exécution de l’ordre de renvoi, prévue pour le 9 janvier 2009, visant Monsieur Lamine Yansane, un citoyen de la Guinée âgé de 35 ans. Sa demande de sursis est greffée à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision, datée du 21 novembre 2008, d’une agente de l’examen des risques avant le renvoi (l’agente de l’ERAR) qui rejetait sa seconde demande ERAR, déposée le 12 novembre 2008.

 

 

 

Survol

[2]               Le 16 octobre 2005, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un faux passeport français; il revendique l’asile. Il craint son père, Imam d’une mosquée à Boké en Guinée, ainsi que sa famille musulmane en raison de son mariage avec son épouse catholique (qui est toujours en Guinée avec leurs trois enfants), et son intention de se convertir, maintenant réalisée, puisqu’il a été baptisé à Montréal le 7 avril 2007.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés (SPR), le 15 août 2006, l’a jugé non crédible. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire fut rejetée par moi-même le 9 janvier 2007. La SPR a fondé sa conclusion de non crédibilité sur plusieurs éléments dont :

 

·      Ses réponses vagues et imprécises à savoir quand, dans le temps, il avait décidé de se convertir au catholicisme en Guinée;

 

·      Certaines incohérences ou invraisemblances : (1) le fait de n’avoir pas été dénoncé durant « sa cour assidue » de sa fiancée; (2) que sa famille aurait accepté qu’il épouse en 1994 au civil sa fiancée sur promesse du demandeur de la convertir à l’Islam dans deux ans; et (3) que le demandeur et sa famille puissent vivre dans la même concession de son père à Boké pendant dix ans (de septembre 1994 (date du mariage) à 2004 (date du départ du demandeur et de sa famille pour résider à Conakry)) sans que son épouse adhère à l’Islam;

 

·      L’omission de n’avoir indiqué dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) le dépôt à la police de deux plaintes contre son père.

 

[4]               Le 26 novembre 2007, sa première demande ERAR est rejetée et une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision est refusée par un juge de cette Cour le 20 juin 2008.

 

[5]               À cette même date du 26 novembre 2007, une agente d’immigration, qui était aussi l’agente de l’ERAR dans le dossier qui nous concerne, refuse sa demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire. Cette demande de dispense était fondée sur son intégration au Canada et sur les mêmes risques qu’il avait identifiés dans sa demande ERAR.

 

[6]               Son renvoi vers la Guinée est fixé pour le 4 mars 2008 suite aux décisions négatives ci-haut mentionnées; il demande un sursis, greffé à une demande d’autorisation du refus de sa demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire (décision de dispense), qui lui fut refusé mais son renvoi a été reporté car un document de voyage n’avait pas encore été émis par les autorités guinéennes.

 

[7]               Entre temps, un juge de cette Cour autorise le 18 juillet 2008 le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de dispense. Le 4 novembre 2008, mon collègue le juge Lagacé rejette ce contrôle.

 

[8]               Le 29 octobre 2008, l’ambassade de la Guinée lui émet un titre de voyage valide pour 6 mois. Tel que mentionné, c’est le 12 novembre 2008 que le demandeur dépose sa deuxième demande ERAR qui fut rejetée le 21 novembre 2008 par la même agente qui lui avait refusé sa première demande ERAR.

 

La décision contestée

[9]               La décision de l’agente de l’ERAR (ci-après l’agente), comme toutes décisions ERAR d’ailleurs, se compose de deux éléments : réponse oui ou non aux questions écrites au formulaire de la décision et l’explication du décideur pourquoi la réponse est oui ou non. Sous l’entête « Nouveaux éléments de preuve (Article 113(a) de l’IPR) », l’agente coche « oui » aux questions Éléments de preuves survenus depuis le rejet et Éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles et répond « non » à la question s’ils étaient disponibles, il n’était pas raisonnable dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur les ait présentés au moment du rejet. Elle conclut « oui » à la question : « Existe-il de nouveaux éléments de preuve? »

 

[10]           Elle dit qu’elle tiendra « compte des documents et éléments soumis après la décision ERAR le 26 novembre 2007, les autres ayant été examinés et une décision négative rendue ». Elle décrit certains éléments nouveaux dont :

 

Le requérant produit à l’appui de sa demande plusieurs lettres de support : de l’Archevêché de Conakry, de la Paroisse Sacré-Cœur de Boké, de l’Archevêché de Montréal, de la Mission communautaire de Montréal, de son frère, un rapport de l’Étude de Me Maurice Lamey Kamano, avocat de Guinée à la Cour et également un article du journal National Post (Canada) du 4 juin 2008 sur le requérant. Ces documents sont de 2008 pour tous sauf la lettre de son frère qui date de juillet 2007. [Je souligne.]

 

[11]           L’agente évalue ces nouveaux éléments de preuve de la façon suivante :

 

 

(1)   Lettres de support

 

« Je relève que beaucoup de documents présentés à l’appui sont des lettres de support d’amis et de membres de sa famille, auxquelles j’accorde un poids relatif étant donné qu’elles servent les intérêts du requérant et ne sont pas objectives. Plusieurs lettres de diverses instances chrétiennes concernent son intégration au Canada, son sursis au renvoi, son sérieux dans sa pratique religieuse au Canada et le danger qui le menace dans son pays. Ces aspects ont déjà été examinés lors de l’examen des risques avant renvoi précédent ainsi que sa demande de dispense de visa de résident permanent et les deux recours en Cour fédérale ont été rejetés en 2008, confirmant que les deux décisions respectaient la justice naturelle. » [Je souligne.]

 

(2)   Le rapport de l’avocat de Conakry du 12 mai 2008

 

« En ce qui a trait au rapport d’un avocat de Conakry daté du 12 mai 2008, ce dernier a fait enquête sur demande de Me Stewart Istvanffy, le représentant du requérant. Une enquête a été menée auprès du père Apollinaire de la paroisse Sacré-Cœur de Boké en Guinée qui ne pouvait entrer en contact avec le père du requérant car il ne veut pas lui parler. Il aurait rencontré le père de madame Mariama, épouse du requérant ainsi que d’autres musulmans qui auraient exprimé leur opinion sur le cas et en général, craignant pour la sécurité du requérant. Je note que cet avocat a indiqué dans sa lettre :

 

« … depuis que sa fille a été épousée par Lamine, c’est de la merde pour tout le monde et précisément pour le jeune couple qui vit un enfer … »

 

J’accorde peu de valeur probante à ce rapport intéressé qui reprend essentiellement les mêmes éléments que ceux déjà considérés non crédibles par la CISR. » [Je souligne.]

 

(3) L’article du National Post

 

« En ce qui a trait à l’article du 4 juin 2008 du National Post par Graeme Hamilton, intitulé : « No faith in conversion », bien que le requérant n’indique pas qu’il sera ciblé pour avoir été médiatisé au Canada, je vais considérer l’impact de cette situation sur son retour en Guinée. Cet article résume les mêmes éléments que ceux allégués dans la demande de protection, le refus de la CISR pour cause de non crédibilité, le même rapport établi par une firme d’avocats en Guinée, présenté avec la demande ERAR, le baptême à Montréal, une pétition de 300 noms en appui au demandeur (qui n’est pas au dossier), les commentaire de Me Istvanffy sur le fait qu’il sera persécuté s’il retourne en Guinée. La pétition de 300 noms qui n’est pas au dossier n’ajouterait rien d’important à la demande du requérant. »

 

« Je remarque que dans le présent cas, comme dans le cas de plusieurs demandeurs déboutés et prêts pour renvoi du Canada, l’utilisation des médias est une stratégie courante afin d’être considéré comme réfugié sur place afin d’éviter un renvoi. Cet article exprime l’opinion d’un journaliste qui reprend des éléments déjà examinés et sur lesquels même la Cour fédérale s’est déjà prononcée. Je suis d’avis que le fait d’avoir été médiatisé dans un journal au Canada aura peu d’impact sur le retour du requérant qui a reçu un titre de voyage en octobre 2008 des autorités guinéennes, valide pour 6 mois, pour retourner au pays. J’accorde peu de valeur probante à cet article de journal, étant déjà au courant des éléments qu’on y retrouve et le considérant fait sur demande de son avocat pour servir les intérêts du demandeur. » [Je souligne.]

 

[12]           Avant de passer à l’analyse, il est utile de préciser la nature et le contenu de certains éléments de la nouvelle preuve admise par l’agente :

 

(1)               La lettre de la Paroisse Sacré-Cœur de Boké, datée du 4 mai 2008, a été écrite par le curé de cette paroisse. Il affirme connaître le demandeur et être au courant de ses problèmes avec son père qui « est un imam bien reconnu comme une autorité influente qui n’a pas apprécié ce geste [le mariage civil entre le demandeur et son épouse Mariama Kalabone] qui le déshonore et le trahi ». Il dit que le père « menaçait son fils » et le différend entre eux « s’étant aggravé » le demandeur et sa famille ont choisi d’aller vivre à Conakry. Il affirme :

 

« C’est avec surprise que j’apprends que Monsieur YANSANE Lamine doit revenir en Guinée. Connaissant cet homme [le père] à Boké, j’atteste qu’il mettra ces menaces de mort à exécution contre [son fils] si celui-ci revenait en Guinée. El hadj Aboubacar [le père] fait parti des fondamentalistes qui n’acceptent pas que leurs enfants changent de religion : ils naissent, vivent et meurent musulmans. » [Je souligne.]

 

(2)               La lettre de l’Archevêché de Conakry, en date du 14 mai 2008, provient du Chancelier diocésain qui certifie comme suit :

 

« Sa conversion aurait provoqué de vives réactions au sein de sa famille musulmane.

 

Pour sa paix et sa sécurité, il aurait quitté la Guinée pour se réfugier au Canada, conservant ainsi sa foi catholique.

 

En effet, il est impensable pour les musulmans que l’on puisse se convertir au christianisme; et un chrétien est, généralement traité de « Cafre », l’équivalent de Satan.

 

Il est impossible d’assurer la protection de Monsieur YANSANE : nous sommes dans un domaine privé, et plus familial.

 

Je délivre cette attestation pour servir et valoir ce que de droit. »

[Je souligne.]

 

(3)               L’article du National Post a été publié le 4 juin 2008 et raconte l’histoire de Monsieur Yansane; son auteur est Graeme Hamilton. Je cite l’extrait pertinent :

 

In an interview from Guinea, his father, El Hadj Aboubacar Yansane, warned his son to stay away. “If he stays Catholic, he can never come back here,” the father, an imam in the town of Boke, told the National Post “I am a Muslim, and if he has become Catholic, he should stay over there. I don’t even want to see him…. He knows what will happen. It would be dangerous for him to come back to Boke.” [Je souligne.]

 

(4)               Le rapport d’enquête de Maître Kone est en date du 12 mai 2008. Il s’est déplacé à Boké pour enquêter. Maître Kone a rencontré le curé de la Paroisse du Sacré-Coeur, le père de Mariama Kalabone, l’Imam Solmah et une autre personne qui n’a pas voulu donner son nom, ainsi qu’un Imam à Conakry. Tous corroborent le risque au demandeur de retour en Guinée. Maître Kone ajoute :

 

« Nous avons connu le cas d’un autre fils d’Imam Monsieur BAIDE, devenu chrétien et prétendant au sacerdoce, il a été lui aussi menacé de mort par son père. L’église de Guinée s’est vue dans l’obligation de l’éloigner de ses parents en l’envoyant à Rome en Italie, où il a fait ses études religieuses et est actuellement prêtre de la compagnie de Jésus.

 

Plus grave est les autorités guinéennes (Policières et Judiciaires) n’apportent pas leur protection aux victimes de ces situations. Saisies, elles considèrent souvent que cela relève de la famille qui doit trouver solution en son sein. Cette attitude n’est pas étonnante quand on sait que la population guinéenne est à 90% musulmane et que les dirigeants de ces différents services sont de cette confession religieuse. » [Je souligne.]

 

(5)               La lettre du frère mentionne que le père du demandeur a prononcé le fatwa contre lui.

 

Analyse

[13]           Il est très bien établi par la jurisprudence de cette Cour, pour l’octroi d’un sursis, un demandeur doit démontrer chacun des trois éléments suivants : (1) l’existence d’une ou plusieurs questions sérieuses soulevées par la décision liée à la demande de sursis; (2) que le demandeur subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé; et (3) la balance des inconvénients favorise le demandeur plutôt que les Ministres (voir l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans R.J.R. - Macdonald Inc. c. le Procureur général du Canada, [1994] 1 R.C.S. 311 (R.J.R. – Macdonald et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988) 86 N.R. 302) (Toth)).

 

[14]           Avant de poursuivre l’analyse, j’estime utile en l’espèce d’énumérer certains principes qui découlent de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FCA 385, sous la plume du juge Sharlow, décision qui analysait les principes de base du programme ERAR et le traitement de la nouvelle preuve tirée du paragraphe 113(a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) qui se lit :

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

[15]           Les motifs de la juge Sharlow ont été rédigés en anglais; les citations françaises qui suivent ne sont pas d’une traduction officielle.

 

[16]           La juge Sharlow reconnaît qu’un ERAR n’est pas un appel d’une décision de la SPR mais elle nuance ce propos en écrivant au paragraphe 12 :

 

[12]     La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR. Cette limite se trouve à l’alinéa 113a) de la LIPR, ainsi formulé [Je souligne.] :

 

 

[17]           La juge Sharlow étoffe son raisonnement aux paragraphes suivants de ses motifs :

 

[13]     Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

 

1.                   Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur

source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2.                   Pertinence : Les preuves nouvelles sont‑elles pertinentes à la demande

d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3.                   Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

 

(a)                à prouver la situation courante dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

 

(b)               à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

 

(c)                à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer. [Je souligne.]

 

4.                   Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles,

c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

5.                   Conditions législatives explicites :

 

(a)                Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

(b)               Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles). [Je souligne.]

 

[14]     Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

 

[15]     Je ne dis pas que les questions énumérées ci‑dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d'ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d'ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus. [Je souligne.]

 

[18]           Au paragraphe 17 de ses motifs, la juge Sharlow est d’avis que les nouvelles preuves au soutien d’une demande ERAR ne peuvent pas être rejetées au seul motif qu’elles visent le même risque ajoutant :

 

[17]     « … Cependant, l’agent d'ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR. »

[Je souligne.]

 

[19]           La juge Sharlow exprime sa conclusion :

 

[18]     En l’espèce, M. Raza et sa famille ont produit au soutien de leur demande d’ERAR plusieurs documents. Tous les documents ont été établis après le rejet de leur demande d’asile. L’agent d'ERAR a conclu que l’information contenue dans les documents se limitait pour l’essentiel à répéter l’information que la SPR avait eue devant elle. À mon avis, cette conclusion était raisonnable. Les documents ne sont pas aptes à établir que la protection offerte par l’État au Pakistan, protection que la SPR avait jugé suffisante, n’était plus suffisante à la date de la demande d’ERAR. Par conséquent, les prétendues preuves nouvelles ne sont pas recevables au regard de la quatrième question de la liste ci‑dessus. [Je souligne.]

 

[20]           Je procède maintenant à l’analyse requise.

(a) Les questions sérieuses

[21]           Dans l’arrêt R.J.R. - Macdonald Inc., précité, les juges Sopinka et Cory écrivent :

 

49     Quels sont les indicateurs d'une "question sérieuse à juger"? Il n'existe pas d'exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences minimales ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l'affaire. La décision sur le fond que rend le juge de première instance relativement à la Charte est une indication pertinente, mais pas nécessairement concluante que les questions soulevées en appel constituent des questions sérieuses: voir Metropolitan Stores, précité, à la p. 150. De même, l'autorisation d'appel sur le fond qu'une cour d'appel accorde constitue une indication que des questions sérieuses sont soulevées, mais un refus d'autorisation dans un cas qui soulève les mêmes questions n'indique pas automatiquement que les questions de fond ne sont pas sérieuses.

 

50     Une fois convaincu qu'une réclamation n'est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l'affaire. [Je souligne.]

 

 

[22]           Dans cet arrêt, les juges indiquent qu’il existe deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond. Ces deux exceptions ne sont pas applicables en l’espèce.

 

[23]           Je considère que le demandeur m’a démontré l’existence des questions sérieuses suivantes :

 

1.    L’agente a-t-elle respecté les consignes sur la nouvelle preuve énoncées dans l’arrêt Raza précité?

 

2.    L’agente a-t-elle erré en droit dans son évaluation de la nouvelle preuve en n’accordant que très peu de poids aux nouvelles preuves mentionnées au paragraphe 10 ci-haut au motif : (1) soient qu’elles servent les intérêts du requérant [lettres de support (voir Perea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 432, au paragraphe 7)]; (2) ou ont déjà été examinées [lettres du curé à Boké et de l’Archevêché]; (3) ou que le rapport de Maître Kone n’a peu de valeur probante parce qu’il a été mandaté par les procureurs du demandeur au Canada [le rapport Kone]; (4) ou visent les mêmes allégués dans sa demande de protection (l’article du National Post)?

 

3.    L’agente a-t-elle refusé de considérer ou a-t-elle ignoré la preuve nouvelle sur la protection de l’État signalée dans le rapport Kone et dans la lettre du Chancelier diocésain ainsi que l’exemple semblable à celui du demandeur de la personne exilée cité dans le rapport Kone?

 

4.    L’agente a-t-elle minimisé l’importance des lettres des autorités catholiques en Guinée en les considérant simplement comme lettres de support?

 

(b) Le préjudice irréparable

[24]           J’estime que le demandeur a établi l’existence d’un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé d’un simple fait que sa vie est en danger s’il retourne en Guinée.

 

(c) La balance des inconvénients

[25]            Elle favorise le demandeur qui a démontré l’existence de plusieurs questions sérieuses et le préjudice irréparable.

 

 

 

[26]           Pour ces raisons le sursis est accordé.

 

          « François Lemieux »

___________________________

                           Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 janvier 2009


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5584-08

 

INTITULÉ :                                       LAMINE YANSANE c. LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et al

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 janvier 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  Le juge Lemieux          

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sébastien Dasylva

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

 

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