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Date : 20090121

Dossier : T-437-08

Référence : 2009 CF 57

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

TAREK ABDEL GHAFAR MAHMOUD

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté, en vertu des dispositions du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, à l’encontre d’une décision rendue par un juge de la citoyenneté le 17 janvier 2008 par laquelle celui‑ci a approuvé la demande de citoyenneté canadienne présentée par le défendeur Tarek Abdel Ghafar Mahmoud. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel doit être accueilli et que l’affaire doit être renvoyée pour nouvelle décision par un autre juge de la citoyenneté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

[2]               Le défendeur est un homme adulte né hors du Canada. Il est arrivé au Canada en provenance de l’Égypte en juin 2002 et prétend être un résident permanent du Canada. Il n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi. À ce titre, le droit du demandeur d’acquérir la citoyenneté canadienne est régi par le paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté qui est ainsi libellé :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

a) en fait la demande;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i)                  un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(ii)        un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

[3]               Le processus par lequel une personne comme le défendeur peut présenter une demande de citoyenneté est énoncé aux articles 11 et 12 du Règlement sur la citoyenneté, 1993 (DORS/93-246).  Sans reprendre ces dispositions dans leur intégralité, celles‑ci prévoient qu’une demande peut être présentée, puis examinée par un agent de la citoyenneté. Le demandeur a la possibilité de corriger les omissions apparentes. Un juge de la citoyenneté peut exiger que le demandeur comparaisse personnellement, seul ou accompagné d’autres personnes, afin de déposer sous serment et de lui donner de plus amples renseignements.

 

[4]               Un juge de la citoyenneté n’est pas un « juge » dans le sens d’un juge d’une cour supérieure ou d’une cour provinciale. L’article 26 de la Loi sur la citoyenneté prévoit que tout « citoyen » peut être nommé juge de la citoyenneté. Aucune formation juridique ou aucune autre qualification ne semble nécessaire. Le pouvoir d’un juge de la citoyenneté, comme le prévoit la Loi et comme le précise davantage le Règlement, est décrit au paragraphe 14(2) de la Loi qui est intitulé « Information du ministre » et il consiste à approuver ou à rejeter la demande mais il est assorti d’une modalité importante, c’est‑à‑dire que le juge de la citoyenneté doit « transmet[tre] sa décision motivée au ministre » :

Information du ministre

(2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l’article 15, approuve ou rejette la demande selon qu’il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

 

 

[5]               Cette « information » prend la forme d’une « approbation » ou d’un « rejet » motivé. Le seul recours prévu par la Loi sur la citoyenneté quant à cette décision est que le ministre ou le demandeur peut interjeter appel à la Cour en vertu du paragraphe 14(5). Le paragraphe 14(6) prévoit que la décision de la Cour est définitive :

Appel

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

 

a) de l’approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

 

Caractère définitif de la décision

(6) La décision de la Cour rendue sur l’appel prévu au paragraphe (5) est, sous réserve de l’article 20, définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel.

 

 

[6]               Par conséquent, sauf si appel est interjeté, l’approbation ou le rejet par un juge de la citoyenneté est définitif en ce qui concerne la citoyenneté canadienne du demandeur. Le ministre ne fait rien d’autre sauf peut‑être interjeter appel. Par conséquent, l’exposition de motifs par le juge de la citoyenneté revêt une importance particulière. Les motifs doivent être suffisamment clairs et détaillés pour démontrer au ministre que tous les faits pertinents ont été pris en considération et soupesés comme il se doit et que les critères juridiques opportuns ont été appliqués. Les documents fournis par Citoyenneté et Immigration Canada en vue d’aider les demandeurs, les juges de la citoyenneté et les autres, lesquels documents n’ont aucune autorité juridique mais peuvent servir de guide, mentionnent ce qui suit aux articles 1.20 et 1.26 à 1.29 du chapitre CP2 (Les décisions) du Guide d’Immigration Canada (CP2-Les décisions (Ottawa : Citoyenneté et Immigration Canada, 2007) :

1.20 La décision doit être justifiée

 

Le décideur doit justifier sa décision.

 

Cela signifie qu’il faut expliquer clairement aux parties les motifs de la décision, le raisonnement qui a abouti à la décision et la preuve qui a été prise en compte.

 

Selon l’article 15 de la Loi sur la citoyenneté, il est obligatoire d’exposer les motifs d’une décision lorsqu’un juge de la citoyenneté décide de ne pas approuver une demande.

 

Le fait de ne pas exposer les motifs d’une décision lorsque la loi l’exige peut entraîner une annulation de la décision

 

Lorsqu’une décision est justifiée convenablement, cela permet d’informer le demandeur des motifs de la décision. Cela donne aussi au demandeur la possibilité de déterminer s’il veut appeler ou non de la décision.

 

 

Contenu d’une décision

 

1.26 Les motifs de la décision doivent être exposés

 

Lorsqu’un juge de la citoyenneté décide de ne pas approuver une demande, il doit :

·        informer le demandeur que sa demande n’a pas été approuvée;

·        exposer pleinement les motifs de la décision;

·        présenter les motifs de la décision pour que le demandeur ou le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration puisse déterminer s’il y a lieu d’appeler de la décision                   …

 

1.27 Ce qu’il faut inclure dans la justification de la décision

 

La justification d’une décision doit comprendre :

·        les faits;

·        l’analyse des faits;

·        les déductions de l’analyse.

 

1.28 Une simple conclusion ne suffit pas

 

Il est insuffisant de présenter une conclusion et de répéter les critères énoncés dans la Loi sur la citoyenneté.

 

Il faut exposer les arguments et la preuve.

 

Le juge de la citoyenneté doit ensuite démontrer pourquoi il en est arrivé à sa décision et faire état de la preuve à l’appui de la décision.

 

 

 

1.29 Éléments d’une décision de refus

 

Voici les éléments d’une décision de refuser l’attribution de la citoyenneté :

·        un sommaire de la preuve examinée;

·        les éléments de preuve rejetés (s’il en est) et les motifs pour lesquels ils ont été rejetés;

·        les conclusions de fait (preuve);

·        une explication des conclusions et leurs rapports avec les conditions de la Loi;

·        démontrer que le demandeur a été informé des deux options qui lui sont offertes :

Ø      présenter une nouvelle demande lorsqu’il jugera avoir rempli les conditions de la Loi;

Ø      appeler de la décision à la Section de première instance de la Cour fédérale dans un délai de 60 jours après avoir été avisé de la décision.

 

[7]               Selon le juge Russell de la Cour fédérale, dans la décision Pourzand c. Canada (MCI), 2008 CF 395, au paragraphe 21, le manquement à l’obligation de fournir des motifs suffisants est une question d’équité procédurale et de justice naturelle qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte :

21     Les questions d’équité procédurale sont de pures questions de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. La deuxième question est donc susceptible de contrôle judiciaire en fonction de cette norme. La troisième question qui a été soulevée au sujet de la suffisance des motifs est également une question d’équité procédurale et de justice naturelle et elle est également assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, au paragraphe 15; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 250 F.T.R. 303, 2004 CF 486 au paragraphe 9; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, au paragraphe 9).

 

[8]               Le juge Blanchard de la Cour fédérale, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2008 CF 275, au paragraphe 6, a déclaré que les motifs doivent être suffisants pour permettre à la cour d’appel de s’acquitter de son rôle et que le juge de la citoyenneté commet une erreur susceptible de contrôle en ne motivant pas suffisamment une décision :

6     La Loi impose aux juges de la citoyenneté l’obligation de motiver leurs décisions. Les motifs doivent être suffisants pour permettre à la cour d’appel de s’acquitter de son rôle. La jurisprudence établit que le juge de la citoyenneté commet une erreur susceptible de contrôle en ne motivant pas suffisamment une décision. Voir : Seiffert c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. nº 1326, au paragraphe 9, et Ahmed c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. nº 1415, au paragraphe 12.

 

[9]               Je conclus donc que s’il y a eu manquement à l’obligation de fournir des motifs suffisants et que le ministre ne peut pas décider s’il doit oui ou non interjeter appel et que la Cour ne peut pas exercer sa fonction d’appel, alors il y a eu manquement aux principes de la justice naturelle. C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la présente affaire.

 

LES FAITS DE L’ESPÈCE

[10]           Le dossier soumis au juge de la citoyenneté révèle que le défendeur et sa famille, laquelle est composée de son épouse et de deux enfants, dont l’un n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité et ne pouvait donc pas présenter sa propre demande de citoyenneté, sont arrivés au Canada en provenance d’Égypte et ont demandé la citoyenneté. L’épouse et l’enfant qui avait l’âge de la majorité ont par la suite retiré leur demande. Le défendeur a retiré une première demande et a soumis une deuxième demande. La deuxième demande fait l’objet du présent appel.

 

[11]           Le dossier soulève un certain nombre de questions, par exemple la question soulevée par le fait que le défendeur s’est vu refuser l’accès au régime d’assurance‑maladie de l’Ontario parce qu’il n’avait pas fourni les renseignements appropriés concernant sa résidence. Il faut se demander en quoi cela a trait à la résidence au Canada dans son ensemble. Le défendeur a effectué plusieurs voyages, dont certains ont duré plusieurs mois, aux Émirats arabes unis. Il faut se demander si le défendeur est vraiment enraciné au Canada. Le défendeur n’occupe aucun emploi au Canada. Il est travailleur autonome. Il détient un contrat relatif à du travail à exécuter aux Émirats arabes unis. Il faut se demander une fois de plus s’il est vraiment enraciné au Canada. Le défendeur a déposé un document indiquant qu’il avait été présent au Canada pendant un nombre de jours inférieur au nombre exigé. Par la suite, il a déposé un document rectificateur mentionnant qu’il a été présent au Canada pendant le nombre de jours exigé. Ce sont des questions qu’un juge de la citoyenneté est censé examiner et trancher. Non seulement il doit s’acquitter de cette tâche, mais il doit également mentionner dans ses motifs si oui ou non ces questions ont été examinées et, dans l’affirmative, de quelle manière elles ont été tranchées.

 

[12]           Le dossier concernant la demande de citoyenneté a été soumis à la Cour et il comprend une page de notes manuscrites rédigée par le juge de la citoyenneté. Ces notes indiquent que le juge de la citoyenneté, à un moment ou l’autre, a eu à l’esprit certaines des questions factuelles. Ces notes ne font toutefois pas partie des motifs.

 

[13]           Dans le présent appel, le défendeur a déposé un affidavit traitant, en grande partie, de plusieurs des questions factuelles soulevées dans sa demande. Il ne convient pas, dans un appel comme celui en espèce, que la Cour soit saisie d’éléments de preuve dont le juge de la citoyenneté n’était pas saisi. Je répète ce que le juge Russell de la Cour fédérale a affirmé dans la décision Zhao c. Canada (MCI), 2006 CF 1536, au paragraphe 35 :

35     Selon l’alinéa 300c) des Règles, l’appel d’une décision d’un juge de la citoyenneté qui est interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi est instruit comme s’il s’agissait d’une demande. Dans l’ancien système, il s’agissait d’un nouveau procès, et le demandeur avait le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve. Cependant, il a été conclu dans plusieurs décisions qu’un appel comme celui dont je suis saisi en l’espèce ne peut être instruit que sur la foi du dossier soumis au juge de la citoyenneté. Voir, par exemple, la décision du juge Rothstein dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chan (1998), 150 F.T.R. 68, 44 Imm. L.R. (2d) 23, au paragraphe 3 (C.F. 1re inst.) et celle du juge Rouleau dans Tsang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n1210, au paragraphe 2 (C.F. 1re inst.) (QL). Voir aussi la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hung (1998), 47 Imm. L.R. (2d) 182, [1998] A.C.F. no 1927, au paragraphe 8 (C.F. 1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Rouleau conclut explicitement qu’aucun nouvel élément de preuve ne doit être soumis à la Cour. Enfin, le juge de Montigny fait renvoi à toutes ces affaires dans une décision récente : Lama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 461, au paragraphe 21, où il conclut que seule la preuve soumise au juge de la citoyenneté peut être prise en compte dans le cadre d’un appel.

 

[14]           On peut examiner de trois façons différentes une demande de citoyenneté canadienne et la question de la « résidence ». La première façon consiste en un comptage rigoureux du nombre de jours de présence au Canada. La deuxième façon est moins rigoureuse et exige la démonstration d’un grand attachement au Canada. La troisième façon est semblable à la deuxième et consiste en la question de savoir où un demandeur vit habituellement ou à quel endroit il a centralisé son mode d’existence. Ces trois critères ne peuvent toutefois pas être fusionnés. On ne doit choisir qu’un seul des trois critères, puis l’appliquer. Je répète ce que la juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale a affirmé dans la décision Mizani c. Canada (MCI), 2007 FC 698, aux paragraphes 10 et 13 :

10           La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), 1992 CanLII 2417 (C.F.), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

 

 

13           Si le juge de la citoyenneté peut choisir d’appliquer l’un ou l’autre des trois critères, il ne lui est pas permis de les « fusionner » (Tulupnikov, précitée, au paragraphe 17).

 

 

[15]           L’avocat du demandeur reconnaît que si l’on ne considérait que le nombre de jours rectifié de présence au Canada, comme l’a proposé le défendeur, et que l’on appliquait que le premier critère, c’est‑à‑dire le simple décompte des jours de présence au Canada, alors il serait raisonnable d’accepter qu’un juge de la citoyenneté ait pu conclure qu’il conviendrait d’approuver la demande de citoyenneté. Toutefois, si on se fie aux motifs invoqués, du moins à ce qu’on en comprend, ce n’est pas ce que le juge de la citoyenneté a fait. Il est difficile de lire les notes manuscrites, mais on peut toutefois lire ce qui suit :

[traduction]

 

[…] OK – FP Nov/07 – Estampilles concordent […] RQ – Ingénieur ne pouvait pas faire reconnaître son travail au Can. – a eu contrat avec […] du Canada à l’Égypte ÉAU, - Permis de séjour en Égypte […] obtient un visa chaque fois qu’il quitte le Canada. Aucune carte d’assurance‑maladie de l’Ontario en raison du changement d’adresse et semble y avoir un problème avec l’assurance‑maladie de l’Ontario. Fourni correspondance avec l’assurance‑maladie de l’Ontario. Loué @ Minto…Jan/04., Incorporé son entreprise le 28/01/05 T1 pour 0203, […] 2004, 05 TPS 2006. Documents scolaires. Je suis convaincu que le demandeur est enraciné au Canada.24

 

 

[16]           La transcription révèle que le juge de la citoyenneté a appliqué le critère des « solides attaches » ou le critère de l’« enracinement » et non pas le critère du comptage strict des jours, mais cela n’est pas du tout évident.

 

[17]           L’avocat du défendeur prétend que les motifs doivent être tirés de l’ensemble du formulaire d’une page que le juge de la citoyenneté a rempli et dans laquelle il a coché la case indiquant que le défendeur (demandeur) « satisfait aux dispositions de l’alinéa 1c) (la résidence) ». Par conséquent, il est prétendu que le critère de la résidence a été appliqué et que le demandeur a satisfait à ce critère. L’avocat du défendeur prétend de plus que le formulaire ne comprend qu’un espace de 4 centimètres pour l’exposition des motifs. On peut donc s’attendre à ce que les motifs soient peu explicites. Le formulaire rempli que j’ai joint à la présente décision en litige l’illustre fort bien.

 

[18]           L’avocat du demandeur prétend que, dans un cas comme celui de l’espèce, on s’attendrait à ce que le juge de la citoyenneté joigne au formulaire une ou des pages dans lesquelles des motifs suffisants sont énoncés. Le juge de la citoyenneté ne devrait pas être limité par le formulaire.

 

[19]           Je conclus que l’exigence selon laquelle un juge de la citoyenneté doit fournir des motifs clairs et adéquats doit l’emporter sur les limites apparentes imposées par le formulaire. Il est dommage qu’on n’ait pas fourni un formulaire plus adéquat mentionnant qu’une ou des pages comportant les motifs appropriés peuvent être jointes. Citoyenneté et Immigration Canada devrait songer immédiatement à améliorer le formulaire en question.

 

[20]           Selon moi, en l’espèce, je conclus que les motifs exposés sont inadéquats et prêtent à confusion. Ils sont inadéquats car un certain nombre de questions factuelles sont soulevées par la présente demande, mais ils sont silencieux quant à savoir si ces questions ont été examinées et tranchées et, le cas échéant, de quelle manière. Les motifs prêtent à confusion car le fondement juridique de la décision, peu importe que le critère de l’« enracinement » ou le critère du comptage strict des jours de présence ait été appliqué. Ces lacunes sont telles que ni le ministre ni la Cour ne peut déterminer ce qui a été examiné et ce qui a été appliqué par le juge de la citoyenneté. Il y a eu inobservation de l’exigence prévue par la loi de fournir des motifs.

 

LA RÉPARATION

[21]           La présente instance est qualifiée d’appel par le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté. L’article 300 des Règles des Cours fédérales prévoit que la procédure à suivre est la présentation d’une demande.

 

[22]           La Loi sur la citoyenneté ne mentionne pas quelle réparation la Cour peut accorder dans le cadre d’un tel appel. L’article 52 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C 1985, ch. F-7, par contre, prévoit un certain nombre de réparations concernant un appel d’une décision de la Cour fédérale, notamment rejeter l’appel, rendre la décision qui aurait dû être rendue, ordonner un nouveau procès et énoncer dans une déclaration les conclusions auxquelles la Cour fédérale aurait dû arriver et ordonner la poursuite de l’instruction. De plus, s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire, la Cour pourrait rejeter la demande ou annuler la décision faisant l’objet du contrôle et renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue par une autre personne comme c’est d’ordinaire le cas.

 

[23]           En examinant un certain nombre de décisions rendues par mes collègues, je souligne que, en accordant des réparations autres qu’un rejet de l’appel, ils ont, en accueillant un appel interjeté par le ministre, rejeté des demandes de citoyenneté. Dans d’autres causes ils ont accueilli l’appel et renvoyé l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue, parfois par un autre juge de la citoyenneté.

 

[24]           En l’espèce, j’accueillerai l’appel. Je crois qu’il est très indiqué de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue et très indiqué que l’affaire soit tranchée de nouveau par un autre juge de la citoyenneté.

 

[25]           Il convient de n’adjuger aucuns dépens. Le ministre, même s’il a eu gain de cause, doit être pénalisé d’une certaine façon pour le caractère inadéquat du formulaire en litige.

 


JUGEMENT

Pour les motifs exposés :

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel est accueilli;
  2. L’affaire est renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre juge de la citoyenneté;
  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-437-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. TAREK ABDEL GHAFAR MAHMOUD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 janvier 2009      

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Claudine Patry

POUR LE DEMANDEUR

 

Rezaur Rahman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudine Patry

Ministère de la Justice

234, rue Wellington, Tour Est

Ottawa (Ontario)  K1A 0H8

Téléc. : 613-954-1920

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

Rezaur Rahman

Avocat

2378, Holly Lane, bureau 204

Ottawa (Ontario)  K1V 7P1

Téléc. : 613-739-1900

POUR LE DÉFENDEUR

 

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