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Date : 20090126

Dossier : IMM-3319-08

Référence : 2009 CF 76

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

ITZEL MALINALLI PATRON PEDROZA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant le rejet de la demande d’asile de la demanderesse. La question de fond est de savoir si les conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) quant à la crédibilité et à la vraisemblance ainsi qu’à la protection de l’État sont raisonnables. La demanderesse a aussi soulevé la question du caractère suffisant des motifs. Les faits en litige portent sur une allégation de viol par une connaissance et sur la question de savoir si la demanderesse a demandé la protection de l’État.

 

II.         FAITS

[2]               La demanderesse est une citoyenne mexicaine âgée de 23 ans. Sa demande d’asile repose sur une crainte de persécution fondée sur la violence sexiste de David Antonio Velasco Chedraui (Antonio), actuellement maire de la ville natale de la demanderesse, mais qui ne l’était pas au moment du viol.

 

[3]               Le 18 novembre 2004, la demanderesse et son amie, Alma, ont rencontré deux hommes, dont Antonio. Dans la soirée, la demanderesse s’est sentie malade et a perdu connaissance. En reprenant connaissance, elle a constaté qu’Antonio était en train de la violer, mais elle n’a pas pu obtenir de l’aide des deux autres personnes.

 

[4]               Lorsque la demanderesse est arrivée chez elle cette nuit-là, sa mère l’a amenée chez le médecin de famille, qui les a ensuite accompagnées à l’hôpital local adjacent au commissariat de police, hôpital où la demanderesse a été examinée. La demanderesse a alors également parlé à un agent de police.

 

[5]               La demanderesse affirme que lorsqu’elle a divulgué le nom de l’agresseur à l’agent de police, ce dernier est allé consulter un autre agent et, suivant les instructions de l’autre agent, l’entrevue a pris fin.

 

[6]               Par la suite, la demanderesse et sa famille ont reçu de nombreux appels de menace. Durant cette période, ils sont allés au commissariat de police à plusieurs reprises. À un certain moment, la mère et le frère de la demanderesse se rendaient hebdomadairement au commissariat pour faire pression pour qu’on enquête sur l’incident de viol par une connaissance.

 

[7]               La demanderesse a retenu les services d’un avocat pour qu’il enquête sur le traitement de leur plainte et elle a appris qu’aucun rapport de police n’avait été établi. De plus, l’avocat n’a pas été en mesure de trouver le rapport médical de l’hôpital.

 

[8]               On a enlevé le père de la demanderesse pendant quelques jours en février 2007. Après cet incident, la demanderesse a demandé à son avocat de cesser d’enquêter sur l’affaire. De plus, l’avocat a cessé d’exercer sa profession et a quitté sa maison en raison des difficultés que ce mandat avait causées à sa pratique.

 

[9]               En juin 2007, Antonio a appelé la demanderesse et l’a informée qu’elle avait été sage de ne pas donner suite aux accusations qu’elle avait portées, qu’il communiquerait de nouveau avec elle et qu’il voulait répéter l’expérience du 18 novembre 2004. En raison de cet appel, la demanderesse a tiré la conclusion qu’Antonio était obsédé par elle et qu’il voulait la violer encore. Elle a finalement quitté le Mexique et demandé l’asile au Canada.

 

[10]           La CISR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, car le commissaire a conclu qu’elle n’était pas crédible lorsqu’elle relatait des événements centraux de son récit. Le commissaire n’a pas cru que la demanderesse avait déposé une plainte à la police ou qu’elle avait même été examinée à l’hôpital. Plus particulièrement, le commissaire a noté que la demanderesse ne pouvait pas se souvenir du nom du médecin ou de celui de l’hôpital. Le commissaire a également conclu que la demanderesse avait suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre les agents de police d’enquêter sur l’affaire parce qu’elle avait un témoin, Alma, qui aurait pu confirmer son récit. Le commissaire n’a pas cru non plus que la demanderesse, par l’intermédiaire de son avocat, avait tenté de contacter le procureur général pour l’informer que sa plainte ne faisait l’objet d’aucune enquête.

 

[11]           Enfin, le commissaire a conclu qu’il n’y avait vraisemblablement pas de danger parce qu’Antonio savait que la demanderesse avait retiré sa plainte et qu’il en était heureux. Le commissaire a fondé sa conclusion sur la conversation entre la demanderesse et Antonio en juin 2007, durant laquelle il avait montré qu’il s’intéressait toujours à elle.

 

III.       ANALYSE

[12]           Les parties et la Cour conviennent que depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la vraisemblance et à la crédibilité est la décision raisonnable. Il en va de même pour la norme de contrôle applicable à la question de la protection de l’État en l’espèce. Pour les motifs qui seront exposés ci-dessous, il n’est pas nécessaire ici d’établir la norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’obligation de fournir des motifs adéquats.

 

[13]           En règle générale, la Cour est réticente à annuler les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la CISR, en particulier lorsqu’elles sont fondées sur les observations de témoins. Cependant, de nombreuses conclusions quant à la crédibilité et à la vraisemblance en l’espèce reposent sur la preuve documentaire. Ainsi, toute déférence dont il faut faire preuve à l’égard de la décision du commissaire est considérablement réduite.

 

[14]           Plusieurs problèmes dans la décision de la CISR rendent les conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance déraisonnables. La décision n’établit pas clairement si l’essentiel de la décision repose sur une remise en question du récit de la demanderesse quant à son viol et aux événements qui se sont immédiatement produits par la suite, ou si la CISR a décidé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

[15]           Les commentaires du commissaire sur les circonstances post-viol des examens médicaux et des rapports à la police portent à croire que le commissaire s’est peut-être demandé s’il y avait bel et bien violence sexiste. Si le commissaire avait, en fait, accepté que la demanderesse avait été violée, on se serait attendu à ce qu’il fasse référence aux directives, étant donné la nature de la procédure et de la décision. Cependant, aucune référence n’a été faite aux directives de la CISR intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe », bien qu’il n’y ait pas vraiment de conclusion selon laquelle le viol n’avait pas eu lieu.

 

[16]           Il y a aussi plusieurs problèmes en ce qui a trait aux conclusions précises du commissaire sur lesquelles reposaient les conclusions de non‑crédibilité et d’invraisemblance. Le premier problème concerne les commentaires du commissaire selon lesquels la demanderesse n’a pas donné le nom du médecin qu’elle avait rencontré à l’hôpital local.

 

[17]           Il était déraisonnable pour le commissaire de se fonder sur l’omission de la demanderesse de nommer le médecin parce qu’on n’a jamais demandé à la demanderesse, ne serait-ce qu’une fois, de le faire. Cependant, le commissaire a considéré que l’omission de la demanderesse de nommer le médecin minait sa crédibilité.

 

[18]           Il ne fait aucun doute que ce médecin existait et qu’il a examiné la demanderesse. La preuve indique que le médecin examinateur était autorisé par la police à examiner les victimes de violence sexuelle. La lettre de l’avocat de la demanderesse et le rapport psychiatrique déposé auprès de la CISR établissent ce fait.

 

[19]           Le commissaire conclut ensuite que l’omission de la demanderesse de fournir le nom exact de l’hôpital constituait une autre preuve de son manque de crédibilité. Le défendeur a reconnu, avec justesse, que cette conclusion était [traduction] « vulnérable ». La preuve produite par la demanderesse montrait qu’elle connaissait le nom de l’hôpital tel qu’on le désigne localement, soit l’hôpital San Jose. Elle a aussi clairement décrit le bâtiment et son emplacement adjacent au commissariat de police.

 

[20]           De plus, il est clair que le commissaire a mal compris la nature de la discussion entre la demanderesse et Antonio en juin 2007. Le commissaire a conclu que la crédibilité de la demanderesse était compromise, car il a apparemment pensé que la conversation portait principalement sur le retrait de la plainte. Cependant, la plainte avait été retirée depuis longtemps et ce qu’on devait en fait comprendre de cette conversation est qu’Antonio voulait revoir la demanderesse. C’est cette intention du violeur qui fait craindre à la demanderesse de retourner au Mexique. Le commissaire n’a clairement pas compris cette partie de la preuve.

 

[21]           La conclusion du commissaire selon laquelle la demanderesse n’est pas crédible en ce qui concerne sa plainte à la police comporte également de graves lacunes. Le commissaire a conclu que la demanderesse n’était pas sincère lorsqu’elle faisait état des difficultés qu’elle avait rencontrées dans la poursuite de sa plainte, parce qu’à son avis, Alma, un témoin, pouvait prouver les allégations de la demanderesse. Cependant, la preuve montre qu’Alma a prétendu n’avoir rien à voir avec la demanderesse et qu’elle a nié avoir joué quelque rôle que ce soit dans l’incident, probablement en raison de sa peur envers Antonio. Conclure qu’Alma pouvait aider la demanderesse relativement à sa plainte à la police est entièrement incompatible avec la preuve.

 

[22]           La décision n’est pas seulement compromise par les conclusions quant à la crédibilité et à la vraisemblance, mais elle l’est aussi gravement par l’omission de prendre en compte certains des éléments de preuve les plus importants concernant la protection de l’État. La CISR n’a pas tenu compte des efforts déployés par la demanderesse et sa famille pendant 14 mois pour que la police pousse plus loin son enquête. La CISR n’a pas tenu compte du rôle que l’avocat de la demanderesse avait joué à cet égard. La CISR n’a pas traité des menaces faites aux membres de la famille de la demanderesse qui étaient compatibles avec le récit de la demanderesse, ni de l’omission de la police d’intervenir. Le problème n’est pas que la CISR n’a pas jugé ces questions crédibles; c’est plutôt que la CISR n’a jamais fait référence à cette preuve cruciale sur laquelle s’est fondée la demanderesse pour montrer qu’elle ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État dans ces circonstances particulières.

 

[23]           Les arguments de la demanderesse relativement à l’omission du commissaire de rendre une décision motivée sont en fait compris dans les arguments quant à la crédibilité et à la vraisemblance. La Cour n’est pas d’accord avec l’observation de la demanderesse voulant que le commissaire est tenu de faire part au demandeur durant l’audience de ses doutes relativement à la crédibilité. La crédibilité est une question qui se pose toujours, et la CISR n’est pas tenue de tirer des conclusions préliminaires sur la crédibilité et de fournir au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes avant de rendre sa décision. Cependant, la CISR doit fonder ses conclusions quant à la crédibilité sur des motifs raisonnables et exacts. En l’espèce, la CISR ne l’a pas fait.

 

IV.       CONCLUSION

[24]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre tribunal pour nouvel examen. Il n’y a pas de question à certifier puisque la présente affaire est un cas d’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en l’espèce est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour nouvel examen.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3319-08

 

INTITULÉ :                                       ITZEL MALINALLI PATRON PEDROZA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 26 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick J. Roche

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bureau du droit des réfugiés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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