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Date : 20090129

Dossier : IMM‑245‑09

Référence : 2009 CF 101

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

BALMORE ALEXANDER RAMOS SANCHEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

-et-

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Ce n’est pas de théorie qu’il est question en salle d’audience. Cela est particulièrement vrai lorsqu’entrent en jeu, d’un côté, la condition humaine dans toute sa fragilité et, de l’autre, l’intégrité du système mis en place par l’État en matière d’immigration (pour protéger l’ensemble de la société).

 

[2]               La Cour doit plus précisément, en rendant toute décision (entre un particulier et un organe de l’État ou encore entre deux particuliers), qu’elle soit de nature provisoire ou permanente, prendre en compte les réalités pratiques.

 

[3]               Les réalités pratiques obligent la Cour à juger du bien‑fondé de la demande de toute partie; la Cour suprême du Canada a par conséquent reconnu l’existence de deux exceptions éventuelles au critère formulé dans American Cyanamid (l’arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396, où la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles avait appliqué le critère classique de la forte apparence de droit et infirmé l’ordonnance d’injonction interlocutoire délivrée par le juge des requêtes). La première exception, c’est lorsque l’affaire soulève une « pure question de droit ». La deuxième, c’est lorsque les faits fondamentaux sont évidents en soi.

 

[4]               Dans le contexte du droit privé, on a soutenu qu’il faudrait reconnaître une troisième exception au critère de « la question sérieuse à juger », formulé dans l’affaire American Cyanamid, lorsque le dossier factuel est en grande partie réglé avant le dépôt de la demande.  Ainsi, dans l’affaire Dialadex Communications Inc. c. Crammond (1987), 34 D.L.R. (4th) 392 (H.C. Ont.), à la p. 396, on a conclu :

 

[traduction]

Lorsque les faits ne sont pas vraiment contestés, les demandeurs doivent être en mesure d’établir qu’il existe une forte apparence de droit et qu’ils subiront un préjudice irréparable si l’injonction est refusée.  Si les faits sont contestés, le critère à satisfaire est moins exigeant.  Dans ce cas, les demandeurs doivent établir que leur action n’est pas futile et qu’il existe une question sérieuse à juger, et que, selon la prépondérance des inconvénients, une injonction devrait être accordée.

 

(RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

 

II.  Introduction

[5]               M. Balmore Alexander Ramos Sanchez est un jeune homme de 20 ans originaire du Salvador. Il a quitté son pays à l’âge de 16 ans par crainte des gangs Mara Salvatrucha (le MS‑13) et Mara 18, qui avaient tenté de le recruter et qui l’avaient harcelé, agressé et menacé de mort. Il a demandé l’asile au Canada, mais la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande. Le demandeur a alors sollicité un examen des risques avant renvoi (l’ERAR), mais l’agent d’ERAR a également rejeté cette demande. Le demandeur fait l’objet d’une mesure d’expulsion exécutoire et son renvoi vers le Salvador est prévu pour le 30 janvier 2009, à moins qu’il ne soit fait droit à la présente requête en sursis.

 

[6]               Le 20 janvier 2009, M. Ramos Sanchez a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent d’ERAR.

 

[7]               Des questions sérieuses sont à trancher dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               M. Ramos Sanchez subira un préjudice irréparable s’il doit retourner au Salvador avant que soit rendue la décision dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, puisqu’il serait exposé dans ce pays à une menace à sa vie ou à sa sécurité physique. Compte tenu de ce risque, la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi d’un sursis.

 

III.  Contexte

[9]               M. Ramos Sanchez est un jeune homme de 20 ans originaire du quartier de San Jose Puerto de Golpe, dans la ville de Cojutepeque, au Salvador. Son père possède des propriétés et sa famille cultive le café et les fruits et fait l’élevage du bétail et des poulets. M. Ramos Sanchez est le deuxième fils de ses parents et il a sept frères et sœurs propres. Ses cinq sœurs et son plus jeune frère vivent toujours dans sa ville natale avec son père et sa mère.

 

[10]           Le père de M. Ramos Sanchez a eu quatre autres enfants d’un précédent mariage. L’un d’eux, Cesar, a rejoint les rangs du MS‑13 après son implantation à Cojutepeque en 1998. Cesar est mécontent que son père ait quitté sa mère pour former une nouvelle famille. Lui et les autres membres de son gang s’attendent donc à ce que les membres de la famille de M. Ramos Sanchez les appuient et rejoignent leurs rangs, s’ils ne veulent pas subir leur vengeance.

 

[11]           M. Ramos Sanchez n’avait que dix ans lorsqu’en 1998, le MS a commencé à exercer des pressions sur lui pour qu’il se joigne au gang. À compter de cette année‑là, le demandeur a fait l’objet de harcèlement et de mauvais traitements, et sa famille a été victime de vol et s’est vue forcée de fournir au MS des produits de sa ferme. Des détails de la situation figurent dans l’exposé circonstancié soumis par le demandeur à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Parmi les points saillants du récit du demandeur, on compte ceux qui suivent.

  • 1998 – Des membres du MS qui volaient un camion et sa pleine cargaison d’œufs et de fruits ont battu M. Ramos Sanchez et son frère Tomas. L’incident a été signalé à la police.
  • 1999 – Des membres du MS ont contraint M. Ramos Sanchez à les conduire à la maison de sa grand‑mère pour y trouver son oncle, qui faisait partie des services nationaux de police. Les membres du gang ont fait feu sur un ouvrier qu’ils croyaient être l’oncle du demandeur.
  • 2000 – Cesar et d’autres membres du MS ont volé de la nourriture que la famille de M. Ramos Sanchez destinait aux victimes d’un tremblement de terre. Ils ont conduit de force M. Ramos Sanchez à sa maison et, tout en volant tout ce qu’ils ont pu trouver, ils l’ont attaché à un poteau, lui ont bandé les yeux et ont vaporisé sur lui de la peinture. Le père de M. Ramos Sanchez a appelé la police; l’ayant appris, des membres du gang sont venus chez lui et, pour se venger, ont abattu deux des chiens de la famille et deux oies.
  • 2001 – Des membres du gang MS ont arrêté au passage M. Ramos Sanchez, alors qu’il se rendait à l’église pour y agir comme servant de messe. Ils ont retiré sa soutane, l’ont vaporisée de peinture puis l’ont déchirée. Ils lui ont fait porter une chemise où étaient inscrits les mots « MS Cojutepeque » à l’avant et à l’arrière. Ils l’ont frappé avec un couteau et, menaçant de le poignarder, l’ont forcé à aller dans l’église la chemise sur le dos. Il a ensuite continué d’y avoir des menaces de membres du MS à l’école, à l’église, à la maison et dans la rue.
  • 2002 – Des membres du gang MS ont agressé M. Ramos Sanchez et son cousin pour savoir où se trouvaient son frère et ses sœurs plus âgés. Les garçons n’ayant pas répondu et ayant pris la fuite, les membres du gang ont fait feu sur eux et atteint le cousin à la jambe.
  • 2004 – En septembre, un membre du gang MS connu sous le nom d’« El Toro » a tiré une balle qui a traversé le toit de la maison familiale, puis d’autres membres du gang ayant encerclé la maison et lui‑même ont cherché s’il y avait de l’argent tout en maintenant les membres de la famille sous la menace de pistolets. Pendant l’incident, un membre du gang a ordonné en secret à M. Ramos Sanchez d’aller porter du riz et du maïs à un endroit particulier avant minuit pour son groupe qui, sinon, reviendrait embêter sa famille. Ce membre du gang a ordonné à M. Ramos Sanchez, sous la menace d’un pistolet, de n’en souffler mot à personne.

 

[12]           C’est en novembre 2004 que la situation du demandeur a empiré, et que sont survenus les incidents suivants qui ont précipité sa fuite hors de son pays.

  • Le 2 novembre, cinq membres du gang Mara 18 (gang rival du MS) sont arrivés à l’église où M. Ramos Sanchez et d’autres membres de son groupe jeunesse étaient réunis. Quelqu’un leur avait dit que le MS‑13 y tenait une rencontre. Les membres du Mara 18 ont tiré des coups de feu en direction de l’église et ils en ont bloqué les portes. Ils voulaient savoir qui était le frère de Cesar Ramos, comme ils avaient un compte à régler. M. Ramos Sanchez a été sauvé par l’intervention d’un coordonnateur de groupe, qui a dit aux membres du gang que le frère de Cesar n’était pas venu ce jour‑là. Ces derniers ont obligé les jeunes gens à retirer leur chemise pour vérifier s’ils portaient des tatouages du MS, puis ils ont ligoté toutes les personnes présentes et sorti leurs pistolets en menaçant de les tuer. Les jeunes gens se sont enfuis lorsque des voitures de patrouille sont arrivées et que les membres du Mara 18 et les policiers ont commencé à échanger des coups de feu.
  • Le 15 novembre, El Cobra, membre du gang MS, est venu à la maison de M. Ramos Sanchez et a tiré des coups de feu en l’air. El Cobra cherchait ce dernier parce qu’on lui avait dit qu’il avait rejoint les rangs du Mara 18. Une sœur de M. Ramos Sanchez a crié que celui‑ci était à l’école, après quoi El Cobra a quitté les lieux.
  • M. Ramos Sanchez craignait pour sa vie et il ne savait pas quoi faire. Le Mara 18 présumait qu’il était membre du MS comme son demi‑frère Cesar, tandis que le MS le croyait membre du Mara 18. Le demandeur craignait que l’un et l’autre gangs veuillent le tuer. Il a quitté son foyer pour se rendre à la capitale, San Salvador, où il a cherché refuge chez un cousin. À San Salvador, il a rencontré un homme qui lui a dit pouvoir l’aider à quitter le pays. Cet homme allait partir le 1er décembre.
  • Le 28 novembre, M. Ramos Sanchez est retourné à Cojutepeque faire ses adieux à sa famille. Lorsqu’il est descendu de l’autobus près de l’école de sa sœur, il s’est rendu compte que des membres du MS le suivaient. Il a alors couru se cacher à l’école. Les membres du gang ont commencé à tirer dans sa direction, et ils ont atteint un autre homme qui lui ressemblait.

 

[13]           M. Ramos Sanchez est retourné à San Salvador, puis il a quitté son pays le 1er décembre 2004. Il est parti à destination des États‑Unis d’Amérique, où il est resté pendant près de deux ans.

 

[14]           En décembre 2006, M. Ramos Sanchez est venu au Canada où vivaient certains de ses oncles et cousins, et il y a présenté une demande d’asile. La SPR a instruit cette demande le 17 septembre 2007, et elle l’a rejetée par décision datée du 10 octobre 2007. La SPR n’a pas jugé crédible le témoignage de M. Ramos Sanchez concernant les préjudices qu’il aurait subis, en attachant beaucoup d’importance à son omission de fournir une preuve documentaire quelconque corroborant de manière indépendante ses prétentions. La SPR a rejeté les explications données par le demandeur vu l’absence de toute corroboration, et elle en a tiré une conclusion défavorable. La SPR a également conclu que M Ramos Sanchez n’avait pas confirmé de façon claire et convaincante l’incapacité de l’État de le protéger (motifs de la SPR, dossier de requête, pages 235 et 238 à 241).

 

[15]           M. Ramos Sanchez a présenté une demande d’ERAR, au soutien de laquelle il a présenté les nouveaux éléments de preuve qui suivent.

  • Des éléments de preuve visant à réfuter la conclusion de la SPR quant à la crédibilité, soit des déclarations de témoins des incidents du 2 novembre et du 28 novembre 2004. Le demandeur a produit également une lettre rédigée par la police et une autre par son père ainsi qu’un affidavit de son oncle expliquant pourquoi d’autres éléments de preuve n’étaient pas disponibles.
  • Des éléments de preuve quant à de nouvelles menaces et agressions par des membres du MS‑13 visant des membres de la famille du demandeur, et quant au caractère inadéquat des suites données par la police à la demande de protection de ces derniers. Cela comprenait des éléments de preuve que le MS‑13 tentait de recruter de force les sœurs de M. Ramos Sanchez et s’intéressait toujours à celui‑ci, et que la police locale n’avait pu, faute de moyen de transport, offrir l’aide demandée lorsqu’une sœur du demandeur avait été victime d’agression sexuelle.
  • Des documents sur les conditions dans le pays postérieurs à la décision de la SPR et fournissant de l’information inédite sur l’incapacité de l’État de protéger adéquatement les personnes que le MS‑13 et le Mara 18 prenaient pour cibles.
  • Un rapport intitulé No Place to Hide: Gang, State and Clandestine Violence in El Salvador et publié en février 2007 dans le cadre du programme des droits de la personne de la faculté de droit de Harvard. Bien que ce dernier rapport ait été publié avant l’audience, la SPR n’en avait pas été saisie (dossier de requête, pages 45, 54 à 68, 70 à 72, 83, 87 à 89, 94, 97, 98, 102 à 124, 125 à 234 et 243 à 245).

 

Décision de l’agent d’ERAR

[16]           L’agent d’ERAR a pris connaissance de tous les documents présentés à titre de nouvelle preuve à l’exception des documents sur les conditions dans le pays antérieurs à l’audience. Pour ce qui est du rapport de Harvard, l’agent a conclu qu’il aurait pu être produit à l’audience et il l’a par conséquent exclu, en application de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) (dossier de requête, pages 13 et 14).

 

[17]           L’agent d’ERAR a fait remarquer que M. Ramos Sanchez et son avocate avaient dissipé certains des doutes de la SPR concernant la crédibilité. L’agent n’a tiré aucune conclusion quant à savoir si les nouveaux éléments de preuve suffisaient pour contrer les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, ou si le demandeur avait personnellement constitué une cible dans le passé. L’agent a toutefois conclu que les nouveaux éléments de preuve ne démontraient pas l’existence d’un risque actuel ou futur que feraient courir Cesar ou le Mara 18, et que [traduction] « […] [c]onsidérés dans leur ensemble, […] les nouveaux éléments de preuve ne démontrent pas l’existence d’un risque pour M. Ramos Sanchez » (dossier de requête, pages 18 et 19).

 

[18]           L’agent d’ERAR a également conclu que M. Ramos Sanchez disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à San Salvador, et qu’il pouvait se réclamer de la protection de l’État. L’agent a aussi conclu que le demandeur [traduction] « n’avait pas démontré que de tels changements étaient survenus au Salvador ou dans sa situation personnelle qu’il serait désormais exposé à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités » [Non souligné dans l’original.]. L’agent a conclu, sur le fondement de la nouvelle preuve produite, que le demandeur serait exposé à moins qu’une simple possibilité de persécution et qu’il ne serait vraisemblablement pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Salvador (dossier de requête, pages 19, 24 et 25).

 

IV.  Question en litige

[19]           Les motifs sur lesquels s’appuie la présente requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi sont les suivants :

a.       il y a des sérieuses questions à trancher dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision du défendeur de rejeter la demande d’ERAR du demandeur;

b.      le demandeur subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Salvador dans l’attente de la décision;

c.       la prépondérance des inconvénients est favorable au demandeur.

 

(Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 11 A.C.W.S. (3d) 440 (C.A.F.)).

 

V.  Analyse

            A.  Question sérieuse à trancher

[20]           Il est facile de satisfaire au critère de la question sérieuse à trancher, qui est moins rigoureux que le critère de l’autorisation. Une mesure de redressement provisoire devrait être refusée pour ce motif uniquement quand elle est demandée au soutien d’une instance qui est manifestement mal fondée ou qui est « frivole et vexatoire » (Thamotharampillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 86 A.C.W.S. (3d) 1114, [1999] A.C.F. n° 246 (QL); Sowkey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 67, 128 A.C.W.S. (3d) 777).

 

[21]           Il y a des questions sérieuses à trancher dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

Compétence de l’agent d’ERAR

[22]           L’étendue de la compétence d’un agent d’ERAR pour accorder le droit d’asile est décrite aux articles 112 et 113 de la LIPR, et elle a récemment été interprétée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 162 A.C.W.S. (3d) 1013. La Cour d’appel a statué que, bien qu’une demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR, elle peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. La LIPR atténue le risque de multiplication des recours en limitant les éléments de preuve qui peuvent être présentés à l’agent d’ERAR. Celui‑ci doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que de nouveaux éléments de preuve soient survenus depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance.

 

[23]           La Cour d’appel a conclu que, pour en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR, l’agent d’ERAR devait juger les éléments de preuve crédibles, pertinents, nouveaux et substantiels (Raza, précité, paragraphe 13).

 

[24]           Les éléments de preuve sont « nouveaux » s’ils sont aptes :

a.       à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile,

b.      à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile, ou

c.       à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité).

 

[25]           Si les éléments de preuve nouveaux sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur doit établir que les éléments de preuve nouveaux ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés lors de l’audition de la demande d’asile. Si les nouveaux éléments de preuve sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors ils doivent être considérés (sauf s’ils sont rejetés parce qu’ils ne sont pas crédibles, pertinents, nouveaux ou substantiels) (Raza, précité, paragraphe 13).

 

[26]           Il ressort clairement de l’arrêt Raza de la Cour d’appel fédérale qu’un ERAR n’a pas uniquement pour objet l’évaluation du risque en fonction du changement de circonstances depuis l’audition de la demande d’asile. L’agent d’ERAR doit également examiner si les nouveaux éléments de preuve sont susceptibles de contredire une conclusion de fait, notamment quant à la crédibilité, tirée par la SPR.

 

[27]           En l’espèce, il ressort des motifs que l’agent d’ERAR a mal interprété l’article 113 de la LIPR et n’a fondé sa décision que sur la question du changement de circonstances. Il a ainsi déclaré ce qui suit dans le paragraphe final des motifs :

[traduction]

[…] Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que des changements étaient survenus au Salvador ou dans sa situation personnelle à un point tel qu’il serait désormais exposé à un risque de persécution […], à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[28]           La nouvelle preuve consistait en des déclarations de témoins corroborant deux événements clés : 1. l’attaque du 2 novembre 2004, par le Mara 18, du groupe réuni dans l’église, et le fait que le gang recherchait M. Ramos Sanchez, 2. l’attaque du 28 novembre 2004 du MS‑13 visant M. Ramos Sanchez. Le témoin Josefa Beltran Flores a en outre corroboré les prétentions du demandeur selon lesquelles des membres de gangs l’avaient persécuté pendant des années dans le but de le recruter. L’agent d’ERAR a admis les déclarations de ces témoins.

 

[29]           L’agent d’ERAR n’a tiré aucune conclusion, toutefois, quant à savoir si cette preuve suffisait pour infirmer la conclusion de la SPR quant à la crédibilité. L’agent n’en est venu à aucune conclusion pour ce qui est de savoir si M. Ramos Sanchez faisait l’objet du préjudice allégué. Il a plutôt simplement conclu que les nouveaux éléments de preuve au dossier ne démontraient pas l’existence d’un risque actuel ou futur que feraient courir Cesar (le demi‑frère) ou le Mara 18, et conclu que, [traduction] « […] [c]onsidérés dans leur ensemble, […] les nouveaux éléments de preuve ne démontrent pas l’existence d’un risque pour M. Ramos Sanchez ».

 

[30]           Le rôle d’un agent d’ERAR, en dernière analyse, est d’évaluer la probabilité d’un risque actuel ou futur (Raza, précité).

 

[31]           L’agent d’ERAR se devait donc d’exercer sa compétence et d’examiner si les déclarations des témoins démontraient la possibilité que M. Ramos Sanchez soit une cible et subisse un préjudice.

 

[32]           Si la possibilité de la prise pour cible et du préjudice est crédible, la nouvelle preuve établit ainsi ce qui suit :

  • M. Ramos Sanchez constituait personnellement une cible tant pour le MS‑13 que le Mara 18 avant son départ du Salvador en décembre 2004.
  • Les membres du gang MS‑13 qui avaient pris le demandeur pour cible continuent d’extorquer et de harceler sa famille. Le MS exerce également des pressions sur les sœurs du demandeur pour qu’elles rejoignent leurs rangs.
  • Le MS‑13 s’intéresse toujours à M. Ramos Sanchez. Marta Perez, chef de la section des femmes du gang MS, a agressé physiquement Rosita, une sœur du demandeur, parce qu’elle avait refusé de lui dire où se trouvait ce dernier. La sœur Beatriz du demandeur a pour sa part été agressée sexuellement par « El Toro », un membre du gang qui lui a dit d’envoyer ses salutations à son frère et de l’informer qu’il l’attendait.

 

[33]           Cela suffit pour établir la probabilité future d’une prise pour cible et d’un préjudice. Il y a par conséquent une question sérieuse à trancher.

 

[34]           L’agent d’ERAR a conclu que M. Ramos Sanchez disposait d’une PRI à San Salvador parce qu’il y avait [traduction] « vécu sans incident avec son cousin ». Le demandeur n’ayant toutefois vécu qu’un peu plus de deux semaines chez son cousin à San Salvador, soit du 15 novembre au 1er décembre 2004, il n’était pas raisonnable de conclure d’un si court séjour que San Salvador constituait [traduction] « un refuge » ou « un foyer sûr de remplacement », compte tenu particulièrement de la faible superficie du pays (dossier de requête, pages 19, 30, 40, 41, 246 et 247; Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, 45 A.C.W.S. (3d) 141; Ahmed c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 42 A.C.W.S. (3d) 113, 156 N.R. 221, paragraphe 5).

 

[35]           La conclusion de l’agent d’ERAR quant à l’existence d’une PRI à San Salvador est en outre contredite par la preuve rapportée dans le paragraphe suivant des motifs :

[traduction]

Des zones entières de la capitale sont pratiquement sous le contrôle du MS‑13 et de la bande rivale, le Mara 18. Les policiers locaux se montrent prudents lorsqu’ils y font la patrouille, tentant même, lorsque c’est possible, de ne pas s’aventurer dans ces parties de la ville.

 

[36]           La conclusion d’existence d’une PRI était par conséquent déraisonnable.

 

                  Protection de l’État

[37]           La protection de l’État doit être efficace et appropriée dans les circonstances. La capacité de l’État de protéger ses citoyens doit être appréciée en fonction non seulement de l’existence de recours, mais aussi de la capacité et de la volonté de l’État de les mettre en application (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, 165 A.C.W.S. (3d) 146; Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407, 166 A.C.W.S. (3d) 311; Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35; Streanga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 792, 159 A.C.W.S. (3d) 555, et la jurisprudence qui y est citée).

 

[38]           L’agent d’ERAR a fait le résumé des nouveaux documents sur les conditions dans le pays, datant tous de 2008, produits par M. Ramos Sanchez. L’agent a relevé les éléments de preuve suivants qui démontrent l’incapacité de l’État de protéger les victimes potentielles du MS‑13 ou du Mara 18.

  • Des zones entières de la capitale sont pratiquement sous le contrôle du MS‑13 et du Mara 18. Les policiers locaux tentent de ne pas s’aventurer dans ces parties de la ville.
  • Les politiques dites de « Mano Dura » (Main ferme) seraient mal vues et inefficaces, les prisons devenant les quartiers généraux des gangs.
  • Le Salvador est l’un des cinq pays où il y a le plus de violence au monde. Dix meurtres sont signalés chaque jour à la police.
  • Les policiers ne font rien ou presque rien face aux menaces d’extorsion dont font l’objet les visiteurs des États‑Unis, faute de formation et de personnel (Note : cette information provient d’un document dispensant aux Américains des conseils en matière de sécurité).
  • Les groupes de surveillance de voisinage recourent désormais aux services d’agences de sécurité et à des postes de contrôle.
  • Les membres de gangs et autres criminels vont et viennent librement, le jour comme la nuit.
  • Les gangs de rue transnationaux, y compris le MS‑13 et le Mara 18, constituent d’importantes menaces pour la sécurité publique au Salvador.
  • La Police nationale civile (PNC) est toujours en voie de devenir une force policière moderne et efficace capable de protéger le public […] les techniques courantes de patrouille des rues, les mesures antigang et de répression du crime demeurent inefficaces. Le manque d’équipement (particulièrement des radios et des véhicules) restreint encore davantage sa capacité de prévenir ou de contrer efficacement la criminalité.
  • Selon les estimations de la police, les deux gangs (MS‑13 et Mara 18) comptent de 10 000 à 13 500 membres au Salvador même, et environ 60 000 à 120 000 membres dans l’ensemble de la région (dossier de requête, pages 19 et 20).

 

Des éléments de preuve additionnels, dont ceux qui suivent, figuraient dans ces documents mais n’ont pas été mentionnés par l’agent d’ERAR.

  • Il y a couramment des meurtres et d’autres activités de gangs accompagnées de violence dans tout le pays, et la police ne prend aucune ou presqu’aucune mesure pour s’y attaquer (dossier de requête, page 108).
  • Les gangs ont modifié leurs stratégies pour pouvoir survivre aux descentes de police et conserver leur emprise dans les zones où ils exercent leurs activités (dossier de requête, page 119).
  • Le plan Super Mano Dura (Main très ferme) du président Saca a été abandonné à la fin de 2007 et, au début d’avril [2008], ce dernier a admis que la lutte contre les gangs durerait encore 25 ans (dossier de requête, page 122).

 

[39]           L’agent d’ERAR a passé en revue le plus récent rapport du Département d’État des États‑Unis sur le Salvador et en a relevé les éléments qui suivent.

  • La criminalité avec violence, notamment celle liée aux gangs, l’impunité des coupables et la corruption généralisées ont miné les efforts de défense des droits de la personne.
  • La formation déficiente, l’insuffisance des fonds versés par l’État, l’absence de code de la preuve uniforme et des cas isolés de corruption et de criminalité pure et simple ont nui à l’efficacité de la PNC.
  • Le système judiciaire a manqué d’efficacité et a été entaché par des problèmes de (participation à la) corruption et d’impunité, ce qui a compromis le respect envers lui et envers le principe de légalité. Le financement insuffisant de la PNC par l’État, auquel s’est ajouté l’intimidation et le meurtre de victimes et de témoins, ont rendu difficile l’identification, l’arrestation et la poursuite des auteurs de […] crimes.

 

[40]           L’agent d’ERAR a renvoyé à deux « Réponses aux demandes d’information » publiées en avril 2006 par la Direction des recherches de la SPR et concernant les gangs et les mesures de répression de l’État. Ces documents confirment que le Mara Salvatrucha constitue un gang structuré extrêmement violent qui s’adonne à la grande criminalité, et font état de diverses mesures prises par l’État de 2004 à avril 2006. En 2008, comme je l’ai toutefois dit, ces [traduction] « mesures antigang demeuraient inefficaces ». Le plan Super Mano Dura n’était plus bien vu parce qu’inefficace, et on l’a abandonné à la fin de 2007. En outre, tel que je l’ai dit, le président du Salvador a lui‑même admis que la lutte contre les gangs durerait encore environ 25 ans.

 

[41]           Or, malgré la preuve accablante montrant qu’en 2008, le gouvernement salvadorien ne pouvait protéger ses citoyens des gangs MS‑13 et Mara 18, la seule justification énoncée sur le sujet a été que [traduction] « les membres de gang sont arrêtés, on fait obstacle au trafic, les policiers corrompus sont renvoyés ou poursuivis et les divers échelons du gouvernement coordonnent leurs efforts » (dossier de requête, page 25).

 

[42]           L’agent d’ERAR a reconnu que le Salvador était aux prises avec de graves problèmes, comme la violence largement répandue et la corruption et l’inefficacité des fonctionnaires. Comme toutefois la SPR avait aussi reconnu ces faits et malgré cela conclu que la protection de l’État était disponible, l’agent d’ERAR a conclu que [traduction] « les nouveaux renseignements au dossier ne démontrent pas que cette situation a changé ». L’agent a poursuivi en concluant que M. Ramos Sanchez pouvait se réclamer de la protection de l’État au Salvador.

 

[43]           La démarche suivie par l’agent d’ERAR doit être appréciée en fonction de la compétence établie à l’article 113 de la LIPR. En l’absence de nouveaux éléments de preuve, l’agent ne peut réexaminer la conclusion de la SPR relativement à la protection de l’État, aussi erronée qu’elle puisse être. Si, toutefois, il y a de nouveaux éléments de preuve concernant la situation régnant dans le pays, l’agent d’ERAR doit alors procéder à un examen indépendant de cette preuve, appliquer les critères juridiques appropriés et trancher de manière indépendante la question.

 

[44]           La conclusion de la SPR se fondait sur la preuve datant de 2006. En 2008, toutefois, il y avait d’importants éléments de preuve nouveaux selon lesquels la situation avait empiré au Salvador et les « sérieux efforts » consentis par l’État pour maîtriser les gangs avaient échoué. Le plan Super Mano Dura n’était plus bien vu parce qu’inefficace, et il avait été abandonné à la fin de 2007. Je le répète, le président du Salvador a lui‑même admis que la lutte contre les gangs durerait encore près de 25 ans. Ces éléments de preuve réfutent la conclusion tirée par la SPR (dossier de requête, pages 240 et 244).

 

[45]           M. Ramos Sanchez a par conséquent soulevé une question sérieuse en faisant valoir que l’agent d’ERAR avait conclu à tort que la protection de l’État était disponible au Salvador.

 

L’exigence de l’agent d’ERAR relativement à l’application de l’alinéa 113a) de la LIPR

 

[46]           L’agent d’ERAR n’a pas pris en considération le rapport intitulé No Place to Hide: Gang, State and Clandestine Violence in El Salvador et publié en février 2007 dans le cadre du programme des droits de la personne de la faculté de droit de Harvard, au motif que M. Ramos Sanchez ou son avocate aurait pu le trouver et le soumettre à l’audience. L’agent d’ERAR n’était pas convaincu que cet élément de preuve n’était pas accessible à M. Ramos Sanchez ou qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il l’ait présenté. L’agent d’ERAR a donc appliqué l’alinéa 113a) de la LIPR de manière déraisonnable.

 

[47]           Il ne découle pas du simple fait que ce rapport a été publié avant l’audience que son existence était manifeste ou qu’il était facilement accessible à M. Ramos Sanchez ou à son avocate. Son existence, d’ailleurs, n’a été manifeste ni pour la Direction des recherches de la SPR ni pour l’agent du tribunal qui avait pour rôle de fournir à la SPR la preuve pertinente. La Direction des recherches produit des cartables nationaux de documentation mis à jour et sur lesquels la SPR se fonde pour trancher les demandes d’asile. Le cartable national de documentation pour le Salvador a été mis à jour en juillet 2007, et la SPR en était saisie. Or, le rapport de la faculté de droit de Harvard n’y figurait pas. Si l’équipe de recherche de la SPR n’a pu trouver ce document, comment aurait‑il pu être raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile ou son avocate aient pu le faire? (dossier de requête, pages 54 et 243 à 245).

 

[48]           Il s’agit là d’un rapport extrêmement pertinent qui provient d’une source crédible. Il est le fruit d’une mission d’enquête réalisée au Salvador de mars à septembre 2006, ainsi que de recherches de suivi menées pendant des mois. Les chercheurs ont eu des entretiens avec des victimes, d’anciens et d’actuels membres de gangs ainsi que des responsables d’ONG et du gouvernement. L’information consignée dans le rapport est postérieure à d’autres éléments de preuve relatifs aux gangs que renferme le cartable national de documentation, et elle est plus détaillée que ceux‑ci. Le rapport donne des précisions sur les risques que les gangs font courir aux jeunes gens, et sur l’insuffisance de la protection de l’État. Il constitue une preuve substantielle, particulièrement en ce qui concerne la protection de l’État, et l’agent d’ERAR aurait dû le prendre en considération (dossier de requête, pages 129 et 244; il est fait aussi mention du rapport aux pages 129 et 234 du dossier de requête).

 

[49]           En outre, même si l’agent d’ERAR peut exclure un rapport en application de l’alinéa 113a) de la LIPR, il disposait du pouvoir discrétionnaire de prendre en compte le rapport de Harvard. Un agent d’ERAR n’est pas tenu de prendre en considération uniquement les éléments de preuve soumis par le demandeur; il a au contraire l’obligation de procéder à une recherche indépendante suffisamment étendue pour en arriver à une décision bien fondée. En l’espèce, l’agent a bel et bien consulté d’autres sources que les documents présentés, y compris deux Réponses aux demandes d’information d’avril 2006 et donc également antérieures à l’audience, et s’est appuyé sur ces sources. L’agent d’ERAR a par conséquent commis une erreur en n’exerçant pas comme il se devait le pouvoir discrétionnaire dont il disposait de prendre en considération des éléments de preuve substantiels et crédibles qui étayaient les allégations de risque de M. Ramos Sanchez (Guide de l’Immigration, PP 3, paragraphes 10.2 et 10.3; Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, 310 F.T.R. 59, paragraphes 44 et 45; Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, 157 A.C.W.S. (3d) 602, paragraphe 33).

 

[50]           M. Ramos Sanchez a par conséquent démontré l’existence de questions sérieuses à trancher. Ces questions n’étant pas manifestement sans fondement, il est donc justifié d’octroyer un sursis.

 

B.  Préjudice irréparable

[51]           Les juges Sopinka et Cory ont défini comme suit le « préjudice irréparable » dans l’arrêt RJR‑MacDonald, précité :

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre.

 

[52]           Lorsqu’il existe un risque de préjudice dans le pays d’origine, cela est irréparable. Le juge Joseph Robertson a déclaré ce qui suit sur le sujet dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 206, 90 A.C.W.S. (3d) 443 (C.A.F.) :

[12]      […] Aucune violation d’un droit humain fondamental ne peut être mesurée avec précision ou réparée par l’octroi d’une somme l’argent. C’est particulièrement vrai dans des affaires en matière d’immigration comportant le renvoi dans un pays qui ne respecte pas les normes internationales en matière de droits de la personne […]

 

[53]           Le juge Luc Martineau a en outre déclaré ce qui suit dans la décision Figurado c. Canada (Procureur général), 2005 CF 47, [2005] 4 R.C.F. 387 :

[45]      Lorsqu’il y a une question sérieuse à trancher concernant une décision ERAR négative qui exposera le demandeur au risque d’être persécuté ou qui l’exposera personnellement à un danger de torture ou de menace à sa vie ou à un traitement ou peine cruel ou inusité, et qu’un sursis est demandé en attendant la décision relative à la demande principale de contrôle judiciaire, il s’ensuivra nécessairement un préjudice irréparable et, en règle générale, la prépondérance des inconvénients favorisera le demandeur. Donc, la Cour devrait normalement accorder le sursis dans ces circonstances mis à part la question de savoir si la demande principale de contrôle judiciaire sera sans objet si le demandeur est renvoyé.

 

(On cite la décision Streanga, précitée).

 

[54]           À supposer que M. Ramos Sanchez soit renvoyé, il ne pourrait obtenir aucun redressement si ses allégations de préjudice s’avéraient être véridiques. La mesure de redressement sollicitée serait rendue inefficace par le renvoi du demandeur.

 

[55]           M. Ramos Sanchez a soulevé des questions sérieuses face à la conclusion qu’il ne serait pas exposé à un risque au Salvador. L’ensemble de la preuve dont la Cour est saisie démontre qu’il court un risque et qu’il subirait par conséquent un préjudice irréparable, du fait

  • qu’il a été personnellement la cible tant du MS‑13 que du Mara 18 dans le passé,
  • que le Mara 18 continue de harceler sa famille et de s’intéresser au demandeur,
  • que l’État du Salvador ne peut fournir une protection adéquate.

 

C.  Prépondérance des inconvénients

[56]           Vu le préjudice irréparable auquel M. Ramos Sanchez serait exposé, la prépondérance des inconvénients lui est favorable. Le préjudice auquel il serait exposé en cas de renvoi est beaucoup plus important que ne pourrait l’être tout inconvénient subi par le défendeur (dossier de requête, pages 5, 29 et 32).

 

[57]           La prépondérance des inconvénients penche par conséquent en faveur de l’octroi d’un sursis.

 

VI.  Conclusion

[58]           Le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est par conséquent accordé en attendant que soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision quant à l’ERAR.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que soit accueillie la demande présentée, par le demandeur, de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont il fait l’objet en attendant que soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision quant à l’examen des risques avant renvoi.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM‑245‑09

 

INTITULÉ :                                         BALMORE ALEXANDER RAMOS SANCHEZ

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 28 JANVIER 2009 (par téléconférence)

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        LE 29 JANVIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brenda J. Wemp

 

POUR LE DEMANDEUR

Hilla Aharon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brenda J. Wemp

Avocate

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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