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Date : 20090203

Dossier : IMM-2738-07

Référence : 2009 CF 96

Montréal (Québec), le 3 février 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

RASHEENA ALLEYNE

VANDRA ALLEYNE

KLEIN ALLEYNE

ANDRE ALLEYNE

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision datée du 15 mai 2007 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) a rejeté la troisième demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) au motif que ceux-ci étaient insuffisants pour accorder aux demandeurs une dispense de l’exigence qui prévoit qu’une demande de résidence permanente doit être présentée de l’extérieur du Canada.

 

II.         Les faits

[2]               La demanderesse principale, Rasheena Alleyne, et ses trois enfants, Vandra, Klein et Andre (les enfants demandeurs), tous des citoyens de Trinité, sont entrés au Canada le 25 décembre 1993, munis de visas de visiteurs.

 

[3]               La demanderesse principale a trois autres enfants qui ne sont pas parties à la présente demande, dont l’une d’entre eux, Sadiq Jan, mère de quatre enfants et déjà résidente permanente, et deux autres, Tracy Alleyne, mère de deux enfants nés au Canada, et Sommar Alleyne, qui ont obtenu des décisions CH favorables, tandis que la demanderesse et les enfants demandeurs ont obtenu des décisions CH défavorables.

 

III.       Raisons alléguées dans la demande CH

[4]               Les raisons alléguées à l’appui de la demande CH peuvent se résumer ainsi :

a.         Les demandeurs craignent d’être victimes de harcèlement et de discrimination s’ils devaient être renvoyés du Canada en raison de leur origine raciale mixte;

b.         Les demandeurs n’ont pas de liens familiaux à Trinité;

c.         La demanderesse principale a été agressée physiquement par son époux dont elle est séparée, le père des enfants demandeurs;

d.         L’ancienne belle-mère de la demanderesse principale a menacé de la faire arrêter si elle retournait à Trinité;

e.         L’ancien beau-père de la demanderesse principale a de bons contacts et cette dernière craint qu’il utilise son influence pour lui faire du mal;

f.           Les demandeurs vivent au Canada depuis 15 ans et se sont bien établis.

 

IV.       La décision CH contestée

[5]               L’agent a conclu que les difficultés et les risques allégués par les demandeurs sont insuffisants pour établir qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leur résidence permanente de l’extérieur du Canada. Pour parvenir à cette conclusion, l’agent d’ERAR a tiré des conclusions qui peuvent se résumer ainsi :

-           La crainte et les risques allégués par la demanderesse principale, à savoir le mal que pourrait lui faire son ancien beau-père, l’arrestation engagée par son ancienne belle‑mère, le harcèlement et la discrimination exercés par la collectivité en raison de l’origine raciale mixte de la famille, ne constituent pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives;

-           Étant donné que la demanderesse principale a quitté Trinité il y a 15 ans et qu’elle est séparée de son époux depuis le 1er février 1997, les circonstances ont changé depuis ce temps de sorte que les risques auxquels elle craint d’être exposée sont devenus au fil des ans des éléments de preuve insuffisants pour établir l’existence de difficultés;

-           Les documents d’information sur le pays indiquent que la corruption policière est un problème lié aux drogues et autres activités illicites, mais que des mécanismes sont prévus pour porter plainte contre les agents de police. Les documents révèlent également l’existence de lois antiracistes et condamnant les crimes motivés par la race;

-           La notion du risque est de nature prospective et la demanderesse principale n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’elle s’exposerait personnellement à un risque si elle devait retourner à Trinité;

-           Sous le coup d’une mesure de renvoi depuis 2001, les demandeurs pouvaient raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient autorisés à demeurer au Canada de façon permanente. Ils ont donc pris le risque de s’établir au pays, tout en sachant pertinemment que leur statut d’immigration était plus qu’incertain;

-           Les demandeurs se sont établis à un certain degré, mais pas au point où la difficulté de présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada serait inhabituelle, injustifiée ou excessive;

-           La preuve est insuffisante pour démontrer que les demandeurs ne seraient pas en mesure de s’adapter à la vie à Trinité aussi bien qu’ils se sont établis au Canada;

-           Rien dans la preuve ne démontre que le déménagement et le nouvel établissement dans leur pays d’origine auraient des répercussions négatives importantes sur les petits-enfants susceptibles de constituer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

V.        Questions en litige

[6]               Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions qui peuvent être reformulées de la façon suivante :

            L’agent a-t-il commis une erreur en refusant la demande vu l’ensemble des circonstances?

 

VI.       Analyse

            Norme de contrôle

[7]               La présente affaire nécessite l’application du droit à une situation de fait seulement. La norme de contrôle applicable en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable. La question en litige relève de l’expertise de l’agent d’ERAR et, par conséquent, la déférence s’impose et la Cour ne devrait pas intervenir sauf si la décision de l’agent d’ERAR n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

            L’agent a-t-il commis une erreur en refusant la demande vu l’ensemble des circonstances?

[8]               Les demandeurs font remarquer que Tracy et Sommar ont présenté en avril 2004 une demande fondée sur les mêmes motifs pour tous les membres de la famille. Cette demande a été accueillie alors que la demande contestée en l’espèce a abouti à une conclusion différente. Les enfants demandeurs sont plus jeunes que Tracy et Sommar qui ont passé la plus grande partie de leur vie au Canada et qui sont vraisemblablement mieux établies et enracinées dans la culture canadienne.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que l’agent d’ERAR n’a pas du tout tenu compte de la question de la disparité et de l’incohérence puisqu’il n’a pas mentionné dans les motifs de la décision que les demandes de Tracy et Sommar avaient été accueillies. De plus, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en n’analysant pas les difficultés susceptibles de se présenter en raison de la séparation qui découleraient de ces conclusions contraires.

 

[10]           Les demandeurs n’ont cité aucune jurisprudence à l’appui de l’argument selon lequel une décision CH favorable à l’égard d’un membre de la famille devrait se traduire par une décision favorable à l’égard d’un autre membre de la famille. La Cour précise que cet argument a été invoqué dans le contexte relatif aux réfugiés et qu’il a toujours été rejeté par la Cour fédérale (Bakary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, au paragraphe 10).

 

[11]           L’agent n’a pas commis d’erreur en omettant de mentionner les décisions CH favorables rendues à l’égard de Tracy et Sommar. Les décisions CH reposent sur les faits qui sont propres à la situation d’un demandeur. Le rejet de cet argument repose principalement sur deux facteurs : premièrement, les demandes d’asile doivent être tranchées au cas par cas; et deuxièmement, il est possible que l’autre décision soit erronée (Bakary, précité; Aoutlev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n183 (QL), au paragraphe 26; et Cortes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. n323 (QL), au paragraphe 10).

 

[12]           La détermination du statut de réfugié se fait au cas par cas, et cela est d’autant plus vrai dans les décisions CH. En outre, et étant donné qu’ils n’ont pas fourni les motifs de la décision CH rendue en faveur d’un autre membre de leur famille, les arguments des demandeurs sont sans fondement probants et la Cour n’est pas en mesure de comparer les deux situations.

 

[13]           La Cour ne peut toutefois ignorer le fait que l’affidavit de Tracy indique qu’elle est mère de jeunes enfants nés au Canada, ce qui est un facteur inexistant dans la demande des demandeurs.

 

[14]           Les demandeurs citent le « Guide sur le traitement des demandes au Canada IP 5 », Yu c. Canada, [2006] A.C.F. n1217 (QL) et Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, au soutien de l’un des principes les plus importants qui devrait appuyer une décision CH favorable, à savoir la réunification familiale et l’intérêt supérieur.

 

[15]           Les demandeurs se fondent sur les faits suivants pour appuyer leurs prétentions selon lesquelles la décision de l’agent était déraisonnable :

a.         Ils vivent au Canada depuis 15 ans;

b.         Les enfants demandeurs seront privés de leur résidence et de leur emploi qu’ils ont établis au Canada;

c.         Les enfants demandeurs n’ont absolument aucune attache, racine ou occupation à Trinité;

d.         Les enfants demandeurs, Klein et Vandra, ont réussi avec succès à se bâtir des carrières solides dans leurs domaines respectifs et reçu d’excellentes références de la part de leurs employeurs;

e.         La demanderesse principale a des liens étroits avec tous ses enfants et ses petits-enfants;

f.           Les demandeurs travaillent fort, respectent les lois et sont dévoués à leur travail et à leur famille au Canada.

 

[16]           Comme l’a indiqué l’agent d’ERAR, les demandeurs ne sont pas d’âge mineur en l’espèce. Tous les enfants de la demanderesse principale sont des adultes. Les seuls enfants qui pourront être touchés par cette décision sont les petits-enfants de la demanderesse principale; l’agent a examiné les répercussions qu’entraînerait le renvoi de leur grand-mère, et il a jugé que celles-ci constituaient des motifs d’ordre humanitaire insuffisants.

 

[17]           Le défendeur soutient que les demandeurs demandent à la Cour d’apprécier de nouveau les facteurs examinés par l’agent, ce qui n’est pas son rôle. Dans leurs observations, les demandeurs reprennent simplement les motifs invoqués à l’appui de leur demande CH. À part l’allégation selon laquelle les décisions favorables rendues à l’égard de Tracy et de Sommar auraient dû être prises en considération, les demandeurs ne soulèvent aucune erreur particulière dans l’analyse de l’agent ou dans son processus décisionnel. À l’exception des décisions CH rendues à l’égard de Tracy et de Sommar, les demandeurs ne soulèvent aucun élément de preuve qui aurait été oublié.

 

[18]           Après avoir examiné la demande CH, les motifs de la décision et les observations relatives au contrôle judiciaire, la Cour déclare que les motifs de la décision sont exacts et raisonnablement bien fondés. L’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que le risque personnel auquel s’exposerait la demanderesse principale est de nature prospective, et il a eu raison de faire remarquer que la demanderesse principale est séparée de son ex-époux violent, qui vit toujours au Canada, depuis plus de dix ans.

 

[19]           Un séjour prolongé aboutissant à l’établissement n’est qu’un facteur parmi d’autres, mais particulièrement lorsque les circonstances ayant entraîné le séjour prolongé échappent au contrôle des demandeurs, ce qui n’est pas le cas des demandeurs en l’espèce.

 

[20]           Les demandeurs ont décidé de s’établir au Canada sans être certains que leurs diverses demandes seraient accueillies. Leur séjour prolongé semble être le résultat de leurs propres actions : leur demande CH initiale a été rejetée le 3 décembre 1999, et une mesure de renvoi a été prise contre eux le 12 juillet 2001; le 28 janvier 2004, la qualité de réfugiés au sens de la Convention leur a été refusée; le 7 juin 2006, leur demande d’ERAR a été rejetée; et le 30 novembre 2006, leur deuxième demande CH a été rejetée, suivie d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour fédérale, mais ce recours a été abandonné vu le consentement des demandeurs à ce que leur demande CH soit réexaminée par un autre agent; et enfin le 15 mai 2007, la troisième demande CH des demandeurs a été rejetée et fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[21]           Dans ces circonstances, on ne peut pas dire que les demandeurs n’ont rien à voir avec leur séjour prolongé. Ils ont assumé le risque d’entreprendre de longues procédures et de s’établir entre‑temps; malheureusement, ils doivent maintenant en assumer les conséquences.

 

[22]           Dans sa décision, l’agent d’ERAR a énoncé et appliqué le bon critère juridique : l’existence ou non de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives; il a repris fidèlement les arguments des demandeurs et analysé à fond les motifs d’ordre humanitaire invoqués. Les demandeurs n’ont cependant pas réussi à convaincre la Cour que la décision contestée est déraisonnable.

 

[23]           En résumé, la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et la Cour doit donc faire preuve de retenue à son égard. Pour ces motifs, la Cour conclut que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et que sa décision est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[24]           La Cour et les parties s’entendent pour dire qu’il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

                                                                                                            « Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2738-07

 

INTITULÉ :                                       RASHEENA ALLEYNE ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Lagacé

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 3 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raj Napal

 

POUR LES DEMANDEURS

Nur Muhammad-Ally

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Le cabinet Napal

Brampton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

FOR THE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

FOR THE

 

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