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Date : 20090210

Dossier : IMM-2644-08

Référence : 2009 CF 126

Ottawa (Ontario), le 10 février 2009

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

ENTRE :

GURCHARN SINGH MANN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) porte sur une décision datée du 9 juin  2008 par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

Faits

[2]               Le demandeur, né le 10 octobre 1952, est citoyen de l’Inde. Il est Sikh et vient du Panjab. Il est marié et a deux enfants. Son épouse et ses enfants vivent en Inde et il les appuie financièrement grâce aux revenus qu’il gagne au Canada. En Inde, il était prêtre sikh et membre d’un groupe de musique.

 

[3]               Le demandeur est entré au Canada le 6 décembre 1985 en tant que visiteur mais a prolongé son séjour après l’expiration de son visa le 25 juin 1986. Pendant son séjour au Canada, il a profité pleinement de tous les recours offerts en matière d’immigration. Le 4 mars 1987, il avait affirmé son intention de présenter une demande d’asile, mais il a été conclu que celle-ci n’était pas fondée sur des éléments crédibles le 29 juin 1990. Le 14 novembre 1990, il a fait l’objet d’une mesure de renvoi pour laquelle il ne s’est pas présenté et il n’a été retrouvé et arrêté que le 3 août 1997. Le demandeur a été libéré sous caution avec l’obligation de se présenter aux autorités. La première demande d’établissement fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), présentée par le demandeur le 24 novembre 1999, a été rejetée le 21 février 2001.

 

[4]               Le demandeur a présenté sa deuxième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire depuis le Canada le 8 novembre 2004. Cette deuxième demande CH a fait l’objet d’un contrôle judiciaire, daté du 30 avril 2008, par lequel le demandeur cherchait à obtenir une ordonnance de mandamus pour établir les dates auxquelles la demande CH serait examinée et tranchée (dossier de la Cour fédérale IMM-2033-08).

 

[5]               Le 11 avril 2005, la deuxième demande CH du demandeur a été envoyée pour traitement au Centre de l’Immigration à Mississauga. Le demandeur a fondé sa demande en invoquant, après 22 ans, la réussite de son établissement et de son intégration au Canada, ainsi que la menace à sa vie et les difficultés auxquelles il s’exposerait s’il devait retourner en Inde. La décision de refuser cette deuxième demande CH a été rendue le 9 juin 2008, c’est-à-dire plus de quatre ans après son dépôt. Le demandeur a obtenu un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le 15 mai 2008 (2008 CF 612), où le juge a noté la faiblesse des arguments du demandeur.

 

[6]               Le demandeur a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi le 6 août 2004, laquelle a été rejetée le 5 janvier 2005.

 

[7]               Même s’il a reconnu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait réussi un certain degré d’établissement, l’agent a jugé que le demandeur avait prolongé la durée de son séjour au Canada par ses propres actions. Malgré son établissement et le fait qu’il a admis que le demandeur éprouvera certaines difficultés à devoir se réadapter à la vie en Inde, l’agent n’était pas persuadé que le dépôt d’une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada constituait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive.

 

[8]               La question à trancher en l’espèce est de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

 

La norme de contrôle

[9]               La norme de contrôle applicable à l’appréciation des faits est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; Kamara c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 785, [2008] A.C.F. n986 (QL); Nasir c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 504, [2008] A.C.F. n634 (QL)).

 

Analyse

[10]           Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas fait une appréciation raisonnable de son établissement et de son intégration à la société canadienne pendant ses 23 années au pays. Il allègue que l’agent n’a pas tenu compte de sa contribution à l’église et au groupe de musique dont il faisait partie. En outre, il prétend que l’agent s’est fondé sur des principes généraux relatifs au droit de travailler, d’étudier et de participer dans diverses activités de la collectivité et qu’il a appliqué le mauvais critère en examinant la demande CH. L’agent n’aurait pas bien tenu compte du risque de retour en Inde.

 

[11]           Le demandeur fait également valoir qu’il est déraisonnable que l’agent n’ait pas accordé beaucoup d’importance à la durée de son séjour ou à l’établissement qu’il a réussi au Canada. Il cite le juge Russel W. Zinn dans une récente décision dans l’affaire Ranji c. Canada (M.S.P.C.C.), 2008 FC 521, [2008] A.C.F. n675 (QL), où le juge Zinn a conclu que, lorsqu’il évalue une demande CH, l’agent est tenu d’examiner les circonstances particulières du demandeur :

[22]      Lorsque l’agente a conclu que l’établissement n’était pas plus important que ce à quoi l’on [traduction] « s’attend naturellement » de lui, cette conclusion devait être fondée sur la situation particulière du demandeur. Par conséquent, l’agente devait tenir compte de la preuve présentée quant à l’origine sociale et aux caractéristiques du demandeur.

 

[23]      M. Ranji est arrivé au Canada il y a environ dix ans. Son niveau de scolarité est la huitième année en Inde, où il travaillait comme agriculteur. Il n’est ni une personne instruite ni un travailleur qualifié.

 

[24]      Malgré cela, il a occupé des emplois non spécialisés d’une manière continue, sauf pendant une période de deux mois, ne gagnant pas plus de 50 000 $ par année. Il a tout de même réussi à épargner une somme considérable en banque, à acheter une maison avec son frère, à accumuler une valeur nette importante sur cette résidence, à cotiser à un REER, à appuyer financièrement sa famille en Inde et à inscrire ses deux enfants dans des écoles privées en Inde. Il a également présenté des lettres de soutien provenant de groupes communautaires et sociaux concernant ses activités au sein de ceux‑ci.

 

[25]      L’agente n’a pas mentionné la situation personnelle de M. Ranji décrite précédemment et rien n’indique qu’elle en ait tenu compte lorsqu’elle a conclu que les réalisations du demandeur ne dépassaient pas ce à quoi l’on s’attendait naturellement de lui.

 

 

Enfin, il conclut :

 

[28]      Vu l’importance de la situation personnelle de M. Ranji, le défaut de l’agente de la mentionner dans sa décision m’amène à conclure qu’elle a omis de les considérer dans le cadre de son évaluation du degré d’établissement du demandeur. Ce défaut, dans ce contexte, constitue une omission de prendre en compte une preuve pertinente et adéquate. Il s’agit par conséquent d’une erreur de droit.

 

 

 

[12]           Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur est arrivé pour la première fois au Canada le 6 décembre 1985 en tant que visiteur mais a prolongé son séjour après l’expiration de son visa le 25 juin 1986. Son épouse et ses enfants sont demeurés en Inde. Durant son séjour au Canada, il a profité pleinement de tous les recours offerts en matière d’immigration. Toutes ses demandes ont cependant été rejetées. En outre, il a fait l’objet d’une mesure de renvoi pour laquelle il ne s’est pas présenté en 1990 et il est demeuré caché jusqu’en 1997.

 

[13]           Le guide sur le traitement des demandes au Canada (IP 5) publié par Citoyenneté et Immigration Canada énonce :

5.21    Séjour prolongé au Canada aboutissant à l’établissement

 

Une étude favorable pourrait être justifiée si le demandeur est au Canada depuis  assez longtemps en raison de circonstances échappant à son contrôle.

 

 

 

[14]           Cette règle a été appliquée par le juge suppléant Maurice Lagacé dans Sabharwal c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 1128, [2008] A.C.F. no 1412 (QL), où il a écarté l’argument selon lequel l’établissement prolongé au Canada du demandeur appuyait une décision CH favorable puisque rien ne prouvait que la durée de la période découlait de « circonstances échappant à son contrôle ».

 

[15]           En l’espèce, le demandeur allègue que l’agent n’a pas tenu compte de sa situation particulière. Une simple lecture de la décision révèle néanmoins que l’agent a examiné en profondeur ces circonstances particulières. Il a tenu compte du séjour de 23 ans du demandeur, de son état d’emploi, de sa contribution à la collectivité et de sa participation à des activités religieuses et musicales. Cependant, il a jugé qu’il était évident que l’argument fondé sur le séjour prolongé était erroné puisque, pendant les deux premières années, le demandeur avait le statut de visiteur et que, pendant les sept années suivantes, à la suite du rejet d’une demande d’asile, il a disparu. Après son arrestation en 1997, il a exercé tous les recours autorisés par la loi, lesquels ont été rejetés, durant les onze ans qui ont suivi. Par conséquent, cette longue période découle de ses propres actions.

 

[16]           Il est difficile de comprendre pourquoi il est demeuré au Canada tandis que son épouse et ses enfants résidaient en Inde.

 

[17]           Il ne semble pas y avoir d’obstacle juridique applicable dans le cas d’un renvoi en Inde du demandeur.

 

[18]           En ce qui concerne les activités musicales du demandeur, dans les motifs de sa décision rendue le 15 mai 2008 accordant un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (2008 CF 612), le juge Michael L. Phelan a écrit :

[18]      […] se fier à l’atteinte à la capacité du demandeur de jouer dans son groupe musical ou d’enseigner dans son temple est un argument faible au point qu’il met en cause le caractère sérieux de la contestation du système de traitement des dossiers d’immigration.

 

[. . .]

 

[29]      La Cour est consciente que le présent demandeur a souillé son « attitude irréprochable » du fait qu’il a disparu pendant sept ans. La Cour n’est pas non plus particulièrement convaincue, même si le demandeur a fait usage de nombreuses procédures d’immigration, que le critère milite en sa faveur.

 

 

Cette conclusion peut s’appliquer dans le présent cas.

 

 

 

[19]           L’agent a pris en compte tous les arguments du demandeur et a rendu une décision fondée sur une explication raisonnée et une conclusion motivée qui répond amplement aux conditions énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[20]           Enfin, le dernier argument, selon lequel l’agent n’a pas tenu compte du facteur de risque dans le cas où le demandeur retournerait en Inde, est tout simplement inexact. L’agent a examiné longuement dans sa décision cet élément de preuve, y compris la récente preuve documentaire.

 

[21]           Il a relevé la conclusion suivante de cette preuve :

[traduction] […] Depuis l’accession de Manmohan Singh au rang de premier ministre en Inde, premier Sikh à occuper cette position, le fossé entre Sikhs et Hindous s’est comblé.

 

 

 

[22]           Quoi qu’il en soit, les allégations de risque ont été rejetées à maintes reprises par la Section du statut de réfugié et la Section d’examen des risques avant renvoi et ensuite par l’agent dans sa deuxième demande CH.

 

[23]           À mon avis, le demandeur a épuisé tous ses recours et peut toujours présenter sa demande CH de l’extérieur du Canada.

 

[24]           Pour tous ces motifs, la présente demande doit être rejetée.

 


JUGEMENT

 

 

 

            La Cour statue que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

            Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2644-08

 

INTITULÉ :                                       GURCHARN SINGH MANN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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