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Date : 20090203

Dossiers : T-3197-90

T-2624-91

T-2983-93

 

Référence : 2009 CF 117

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 février 2009

EN PRÉSENCE DE MROGER R. LAFRENIÈRE, PROTONOTAIRE

 

ENTRE :

APOTEX INC. ET NOVOPHARM LTD.

demanderesses

et

 

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

défenderesse

 

 

No du greffe T-2624-91

ENTRE :

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED et GLAXO WELLCOME INC.

demanderesses

et

INTERPHARM INC. et APOTEX INC. et
ALLEN BARRY SCHECHTMAN

défendeurs


No du greffe T-2983-93

ENTRE :

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED et GLAXO WELLCOME INC.

demanderesses

et

NOVOPHARM LTD.

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]               La question en litige dans la présente requête est de savoir si Wellcome Foundation Limited et Glaxo Wellcome Inc. (collectivement GSK) devraient se voir accorder l’autorisation de déposer un nouvel énoncé modifié des questions en litige. GSK affirme que les modifications proposées sont adéquates et nécessaires et vont faire en sorte que les actes reflètent précisément les dommages-intérêts auxquels GSK a droit en raison de la contrefaçon de son brevet.

 

[2]               Apotex Inc. (Apotex) et Novopharm Ltd. (Novopharm), collectivement appelées les intimées dans les présents motifs, ne s’opposent pas à certaines des modifications proposées par GSK. Elles contestent les modifications proposées qui, selon elles, sont des rétractations d’aveux ou soulèvent de nouvelles causes d’action.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que les modifications proposées devraient être autorisées.

Contexte

[4]               En 1998, GSK a obtenu le brevet canadien portant le numéro 1,238,277 (brevet ‘277) pour l’utilisation de l’AZT dans le traitement et la prévention de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). En 1990, Apotex et Novopharm ont introduit une action (dossier T‑3197‑90) visant à obtenir un jugement déclarant que le brevet ‘277 était invalide et que leurs produits génériques d’AZT proposés ne contreferaient pas le brevet.

 

[5]               En 1991, GSK a introduit une action contre Interpharm Inc. (Interpharm), Apotex et Allen Barry Shechtman, dans laquelle il affirmait notamment que les produits proposés par ces derniers contrefaisaient diverses revendications du brevet ‘277 (dossier : T‑2624‑91). Par souci de commodité, les trois défendeurs seront appelés les défendeurs Apotex. En 1993, une action en contrefaçon semblable a été intentée contre Novopharm (dossier : T‑298‑93).

 

[6]               C’est dans les termes suivants qu’avec le consentement des parties, des ordonnances de disjonction ont été prononcées en 1994 dans les deux actions en contrefaçon:

[traduction] [Q]ue toute question de fait portant sur le montant des dommages découlant de toute atteinte portée aux droits des demanderesses dans les actions susmentionnées ou encore sur les profits réalisés par suite de toute contrefaçon fasse l’objet d’un renvoi après le procès conformément aux articles 500 et suivants (maintenant les articles 153 et suivants) des Règles si l’on constatait alors qu’il était nécessaire de trancher cette question de fait.

 

[7]               Les trois actions ont été réunies et instruites ensemble. Dans une décision rendue le 25 mars 1998, le juge Wetston a confirmé la validité d’un bon nombre des revendications du brevet ‘277. Il a conclu que GSK avait le droit exclusif de fabriquer, de construire et de vendre au Canada des formulations pharmaceutiques contenant de la zidovudine pour utilisation dans le traitement et la prévention du VIH/SIDA. Il a aussi conclu que les défendeurs Apotex et que Novopharm avaient contrefait le brevet ‘277 et leur a enjoint de s’abstenir de toute autre contrefaçon dans l’avenir. Convaincu que la réparation appropriée était d’accorder des dommages-intérêts comme le prévoit l’article 55 de la Loi sur les brevets, le juge Wetston a refusé d’autoriser la restitution des bénéfices.

 

[8]               Le 26 octobre 2000, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel relatif aux revendications non limitées à l’usage de l’AZT, mais a rejeté les appels à tous autres égards. La décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada, le 5 décembre 2002.

 

[9]               Le 7 novembre 2003, GSK a demandé la tenue d’un renvoi visant à établir le montant des dommages qu’il était censé avoir subis en raison de la contrefaçon commise par les défendeurs Apotex et par Novopharm. Cette demande était accompagnée d’un énoncé des questions en litige, conformément au paragraphe 155(2) des Règles des Cours fédérales (RCF). L’action en dommages-intérêts de GSK comporte trois éléments généraux qui sont pertinents pour la présente requête :

 

(a)        Réclamation fondée sur le manque à gagner : GSK réclame un manque à gagner pour chaque unité de Retrovir qu’il aurait vendue n’eût été la concurrence du produit contrefait des défenderesses Apotex et Novopharm avec leur produit de comparaison.

 

(b)        Réclamation fondée sur la compression de prix : GSK allègue que, n’eût été la concurrence du produit contrefait des défendeurs Apotex et de Novopharm, il n’aurait pas offert de rabais et d’autres avantages aux consommateurs de zidovudine, et demande à être indemnisé en conséquence. GSK prétend également que, n’eût été la concurrence du produit contrefait, il aurait convaincu le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés de l’autoriser à monter ses prix pour le Retrovir et pour une famille complète d’autres médicaments.

 

(c)        Réclamation fondée sur la perte de la possibilité de réinvestir les profits : GSK allègue que tous les profits qu’il aurait réalisés, n’eût été la concurrence du produit contrefait, auraient été réinvestis dans l’entreprise. GSK estime à 14 % le niveau de rentabilité de son entreprise et affirme que tous ses autres profits lui auraient procuré un rendement comparable.

 

[10]           Dans son énoncé des questions en litige, GSK a allégué qu’il avait eu l’intention d’augmenter le prix du Retrovir à 1,88 $ par capsule de 100 mg à partir de 1994, et de l’augmenter par la suite selon l’indice des prix à la consommation (IPC). Il a aussi allégué qu’il avait eu l’intention d’augmenter le prix de ses produits Retrovir (Retrovir 100, Retrovir 300, et la partie Retrovir de Combivir et Trizivir), et qu’il aurait généré plus de revenus des ventes de son produit Retrovir, mais qu’il a été incapable de le faire en raison de la contrefaçon.

 

[11]           Le 11 décembre 2003, le Juge en chef a ordonné que le renvoi soit géré comme une instance à gestion spéciale, et a reporté la désignation de l’arbitre à une date ultérieure.

 

[12]           GSK a produit son affidavit de documents en 2004 ainsi que plusieurs documents pour les besoins du renvoi portant sur les dommages-intérêts. À la demande de Novopharm, GSK a aussi préparé des tableaux comptables servant à ventiler, à expliquer et à dresser la liste des documents étayant les dommages-intérêts réclamés dans son énoncé des questions en litige (tableaux des dommages-intérêts).

 

[13]           Le 6 avril 2005, GSK a déposé une requête visant à modifier son énoncé des questions en litige pour alléguer que, n’eût été la contrefaçon, il aurait augmenté le prix du Retrovir à 1,95 par capsule de 100 mg à partir du 1er janvier 1993. GSK a sollicité cette modification et d’autres modifications ayant trait au prix en se fondant sur l’affidavit de Peter Colton, vice président de UK Pharma Patents de GlaxoSmithKline Inc. (affidavit Dolton de 2005). Au paragraphe 14 de son affidavit, M. Dolton déclare ce qui suit :

 

14.       [traduction] Les modifications proposées par GSK Canada sont le résultat des efforts ardus que celui‑ci a déployés pour préparer les tableaux des dommages-intérêts donnant le détail de l’action en dommages-intérêts, lesquels sont annexés au nouvel énoncé modifié des questions en litige. D’autres dommages ont récemment été établis, soit pendant la préparation des tableaux des dommages.

 

[14]           Lors du contre-interrogatoire relativement à son affidavit de 2005, M. Dolton a témoigné que des renseignements et des documents avaient récemment été découverts. La modification portant sur la variation du prix proposée du Retrovir faisait suite à des discussions avec les responsables de la gestion du produit Retrovir [traduction] « qui étaient là à l’époque » et ceux qui étaient alors responsables de l’établissement des prix et des questions financières. Ces discussions ont amené GSK à conclure que le prix initial de 1,88 $ était « incorrect » et que celui de 1,95 $ « serait probablement correct ».

 

[15]           L’autorisation de déposer un nouvel énoncé modifié des questions en litige a, en fin de compte, été accordée par la Cour, le 3 août 2005, avec l’accord de toutes les parties.

 

[16]           La première série d’interrogatoires préalables des représentants des parties a commencé en décembre 2005 et s’est poursuivie jusqu’au 27 février 2007. Dans le cadre de ses obligations en matière de divulgation, GSK a produit des documents supplémentaires pour les parties adverses les 23 février et 23 novembre 2006 (documents découverts).

 

[17]           Avant d’entreprendre la deuxième série d’interrogatoires, l’avocat de GSK a informé Apotex et Novopharm qu’il présenterait une autre requête en modification. Les modifications proposées qui sont contestées en l’espèce consistent en des révisions des prix que GSK, selon ses propres allégations, aurait fixés pour le Retrovir et certains médicaments contenant de la zidovudine, n’eût été la contrefaçon (modifications des prix 2008), et en des modifications en conséquence aux tableaux des dommages. GSK sollicite aussi l’ajout d’une réclamation à l’égard de Novopharm pour une redevance raisonnable ayant trait aux ventes à l’exportation (modification relative à la redevance).

 

[18]           Les allégations les plus litigieuses, celles qui ont une incidence sur chacun des chefs de dommages‑intérêts réclamés par GSK sont reproduites ci-dessous :

[traduction]

37. GSK aurait augmenté le prix du RETROVR@ à 1,95 $2,2594 par capsule de 100 mg le 1er12 janvier 19932005, mais a été incapable de le faire en raison de la contrefaçon, comme il le fait valoir ci-après. En particulier, GSK aurait augmenté le prix de chaque capsule de RETROVIR :

 

(a) à 1,90 $ le 1er juillet 1991;

 

(b) à 2,10 $ le 1er juillet 1992;

 

(c) à 2,20 $ le 1er juillet 1993;

 

(d) à 2,2594 $ le 12 janvier 2005.

.....

 

38. En janvier 1991, Apotex a annoncé publiquement son intention de commercialiser la zidovudine au Canada.

 

39. Le 25 mai 1992, Apotex a reçu son avis de conformité l’autorisant à commercialiser et à vendre la zidovudine pour utilisation dans le traitement et la prévention du VIH/SIDA...

...

 

55. GSK n’aurait pas gelé le prix du RETROVIR à 1,70 $ par 100 mg n’eût été la contrefaçon. Si Apotex et Novopharm n’étaient pas entrés sur le marché, GSK aurait réalisé toutes les ventes de RETROVIR du 1er janvier 1993 jusqu’au moment présent au prix de 1,95 $1er juillet 1991 au 30 juin 1992 au prix de 1,90 $ par 100 mg, du 1er juillet 1992 au 30 juin 1993 au prix de 2,10 $ par 100 mg, du 1er juillet 1993 au 11 janvier 2005 au prix de 2,20 $ par 100 mg et du 12 janvier 2005 jusqu’au 31 décembre 2009, au moins, à un prix d’au moins 2,2594 $ par 100 mg. GSK a été incapable d’augmenter le prix du RETROVIR à 1,95 $ par capsule de 100 mg tel que souligné en raison de la contrefaçon.

 

 

[19]           GSK a demandé à M. Dolton un autre affidavit pour étayer sa demande d’autorisation de modifier. M. Dolton déclare que, depuis la préparation des tableaux des dommages en 2005, GSK a poursuivi son enquête relativement à ses demandes de dommages-intérêts, et en particulier, à sa conclusion de ce qu’auraient été les prix n’eût été la contrefaçon. Il déclare qu’à partir de cette enquête, et surtout des documents découverts (No de production GSK 2445, 2446, 2447 et 2402), la preuve étaye une tarification révisée pour le Retrovir et pour certains médicaments contenant de la zidovudine.

 

[20]           Lors du contre-interrogatoire, M. Dolton a admis qu’il n’avait aucunement participé à l’enquête mais qu’il avait été informé de son existence. Il a de plus reconnu qu’il n’existe aucun document ayant expressément trait aux prix révisés. Invoquant le secret professionnel, l’avocat de GSK s’est opposé à toute question sur les liens que les enquêteurs avaient avec la société et sur les arrangements prévoyant que les enquêteurs aideraient la société dans le cadre du litige. M. Dolton a aussi refusé de répondre aux questions visant à préciser qui avait formulé la nouvelle théorie sur les dommages-intérêts ou à celles portant sur les circonstances entourant les modifications et la découverte des documents découverts.

 

[21]           En réponse à la requête, Apotex a déposé l’affidavit de M. Stephen Cole, expert en comptabilité judiciaire. M. Cole déclare que les modifications proposées reflètent au moins 17 changements directs ou corrélatifs apportés à la demande de GSK et qu’elles ont une incidence sur chaque tableau et type de réclamation, faisant augmenter de 376 100 000 $ le montant global de la réclamation. Selon M. Cole, GSK n’a fourni aucune donnée factuelle qui justifie les nombreuses modifications apportées à la méthodologie et aux hypothèses de fait. Il conteste également les prétentions de GSK selon lesquelles les modifications proposées sont mineures et ne changent en rien la réclamation existante. M. Cole affirme qu’en l’absence de toute documentation permettant d’étayer les modifications : [traduction] « une révision complète de tous les documents produits par les demanderesses à ce jour, combinée avec une révision de tous les renseignements présentés lors des examens à ce jour, seront nécessaires pour justifier ces modifications ».

 

[22]           En contre-interrogatoire, M. Cole a admis n’avoir pas passé en revue tous les documents produits dans l’instance ni les transcriptions des interrogatoires préalables. Il a de plus reconnu que les tableaux des dommages lui avaient permis de saisir la nature des réclamations de GSK.

 

Analyse

[23]           Avant de traiter des modifications proposées, il convient d’examiner la nature du document faisant l’objet de la requête en modification.

 

Énoncé des questions en litige

[24]           En tant que partie ayant demandé le renvoi, et conformément au paragraphe 155(2) des Règles des Cours fédérales, GSK devait signifier et déposer un énoncé des questions en litige. Le paragraphe 155(2) des Règles ne précise rien en ce qui a trait à la forme et au contenu de ce document en particulier, et la jurisprudence en la matière est rare. Cependant, comme son nom l’indique, l’énoncé des questions en litige vise à énoncer les questions de fait et de droit qui font l’objet du renvoi. L’énoncé peut aussi servir à divulguer la position de la partie à l’égard de ces questions, de même qu’à établir la liste des documents qui sont d’une importance cruciale pour sa cause.

 

[25]           Dans Procter & Gamble c. Calgon Interamerican Corp. (1983), 71 C.P.R. (2d) 130 (C.F.1re inst.) (Procter & Gamble), le juge Patrick Mahoney a examiné le paragraphe 500(5) des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., 1978, ch. 663, la disposition antérieure à l’article 155. Le paragraphe 500(5) prévoyait que la partie ayant demandé la tenue d’une audience de renvoi devait fournir une copie certifiée des actes de procédure, l’ordonnance de renvoi, ainsi que les « questions en litige ». Réfléchissant sur la signification à donner aux mots « questions en litige », le juge Mahoney a déclaré que ces questions pouvaient être créées par consentement ou par une série de documents semblables aux plaidoiries. Il a conclu que ces documents devaient être conformes, « autant que possible », aux règles régissant les plaidoiries.

 

[26]           Comme il s’agit d’un acte par lequel les prétentions des parties sont énoncées, l’énoncé des questions en litige présente les mêmes caractéristiques qu’un « acte de procédure » au sens de l’article 2 des Règles. Les règles qui régissent la modification de documents devraient conséquemment être appliquées « autant que possible ».

 

Critère applicable à la requête en modification

[27]           Les principes applicables à une requête en modification d’un acte de procédure ne sont pas contestés. Il ressort clairement des règles et du droit, tel qu’il a évolué, que la Cour pourrait accepter, qu’en tout temps, des modifications soient apportées à des actes de procédure. Dans Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605, la Cour d’appel fédérale a décidé qu’en matière de modification d’actes de procédure et de rétractation d’aveux, elle devait adopter une approche généreuse. Les modifications fondées sur les interrogatoires qui précisent et concentrent les points en litige sont généralement perçues comme venant faciliter le procès en aidant à déterminer les véritables questions litigieuses : Hoechst Marion Roussel Deutchland GmbH c. Adir et Cie (2000), 190 F.T.R. 233, 2000 CarswellNat 967 (1re inst.).

 

[28]           Cependant, l’autorisation peut être refusée quand les modifications sollicitées visent la rétractation d’un aveu important et auraient pour conséquence un changement radical de la nature des questions en litige : Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488 (Merck), par. 32.

 

[29]           Parmi les facteurs pertinents permettant de déterminer si une modification causerait un préjudice, mentionnons le stade auquel en est l’instance, la mesure dans laquelle la modification pourrait retarder la tenue rapide de l’instruction sur le fond, et la mesure dans laquelle la position de l’autre partie, selon ses plaidoiries et ses arguments, serait minée par la modification : Yeager c. Canada (Service correctionnel) (2000), 189 F.T.R. 196, 2000 CarswellNat 711 (1ère inst.).

 

Modifications des prix 2008

[30]           Les intimées ont soulevé un certain nombre d’objections relativement aux modifications des prix 2008. Essentiellement, elles soutiennent que les modifications proposées sont incompatibles avec la position adoptée antérieurement par GSK et constituent une rétractation d’aveux, et que les autoriser entrainerait des complications et causerait un préjudice.

 

[31]           Les intimées font valoir que, depuis le début, la réclamation de GSK fondée sur la compression de prix repose sur les stratégies de prix élaborées par la société au début des années 1990 et, simultanément, sur ses intentions réelles d’augmenter les prix. Elles soutiennent que les modifications de prix de 2008, contrairement à ce que GSK veut laisser croire, ne précisent pas simplement les questions en litige, mais cherchent plutôt à introduire les augmentations de prix, entièrement nouvelles et hypothétiques, auxquelles GSK aurait procédé, n’eût été la concurrence faite par le produit générique. Les intimées soutiennent que les modifications proposées ne doivent pas être autorisées parce qu’elles constituent une rétractation d’aveux et sont incompatibles avec les aveux de GSK inscrits au dossier.

 

[32]           Une question fondamentale à trancher est de savoir si les allégations de fait contenues dans le nouvel énoncé modifié des questions en litige, et en particulier celles formulées aux paragraphes 37 et 55, et si les déclarations faites par les représentants de GSK dans les affidavits et lors des interrogatoires préalables constituent des aveux, et si, dans les circonstances, GSK peut les rétracter.

 

[33]           Dans Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Ministre du Revenu national, (2001) 202 F.T.R. 287 (C.F.), le juge Francis Muldoon devait déterminer si un aveu fait au cours d’un interrogatoire préalable est défini comme étant « formel » ou « informel » et quel impact peut avoir cette définition sur l’instance. Il a conclu que, même si une allégation est généralement considérée comme un aveu formel, un aveu devrait régler les questions faisant l’objet de l’aveu. En d’autres mots, l’aveu doit aussi être fait dans le but de ne pas avoir à présenter de preuve à l’instruction.

 

[34]           Dans le Black’s Law Dictionary, 5th ed. (West Publishing, 1979), l’aveu est défini comme étant [traduction] « la reconnaissance par une partie de l’exactitude de certains faits allégués par la partie adverse, dans le cadre d’un acte de procédure, dont la conséquence est de limiter les faits et les allégations devant être établis par la preuve ». Bien qu’elle ne requière aucune formulation particulière, l’admission doit être sans équivoque. Pour qu’une déclaration soit considérée comme une admission, il faut que la partie qui l’a faite ait agi de façon délibérée et l’ait présentée comme étant une concession faite à la partie adverse.

 

[35]           Les intimées n’ont fait état d’aucune déclaration particulière dans les actes de procédure de GSK, ni ailleurs au dossier, qui pourrait être considérée comme une reconnaissance ou une concession envers elles. D’ailleurs, dans leur réplique, les intimées ont contesté les dommages que GSK prétend avoir subis. Elles ont aussi vivement contesté la méthode et les documents utilisés par GSK dans le calcul des dommages-intérêts au cours des interrogatoires préalables, notamment les intentions déclarées de GSK en ce qui concerne les prix de ses produits. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que les modifications de prix 2008 constituent une rétractation d’aveux.

 

[36]           Les intimées soutiennent également que les modifications de prix 2008 sont incompatibles avec la théorie que GSK a fait valoir dès le départ. Il ne fait aucun doute que GSK a modifié sa position quant aux modalités d’évaluation de ses dommages-intérêts; cependant, une nouvelle théorie ne peut en soi constituer un obstacle à une modification.

 

[37]           Quoique les réponses fournies par les représentants de GSK au cours des interrogatoires préalables soient considérées comme des aveux informels, elles peuvent être nuancées, développées, ou même contredites avec préavis à la partie adverse. La possibilité de remédier à une réponse inexacte ou incomplète est expressément prévue à l’article 245 des Règles selon lequel la personne interrogée au préalable qui se rend compte par la suite que la réponse qu’elle a donnée à une question n’est plus exacte ou complète, fournit sans délai, par écrit, les renseignements exacts ou complets.

 

[38]           Le véritable objet du litige qui oppose les parties en l’espèce est, et continue d’être, le montant des dommages-intérêts, bien qu’il repose sur une théorie différente et sur un montant substantiellement plus élevé de dommages‑intérêts. Conséquemment, je ne rejetterais pas la requête simplement parce que les modifications proposées sont incompatibles avec la position adoptée antérieurement par GSK.

 

[39]           Les intimées soutiennent que GSK n’a déposé aucun élément de preuve de fond et n’a pas fourni d’explications relativement aux modifications proposées. Quoique je partage l’opinion selon laquelle la preuve produite par GSK aurait gagné à être plus étoffée, le fait demeure qu’elle suffit à expliquer le changement de position de GSK. La partie qui demande une modification n’est pas tenue d’étayer par des éléments de preuve les faits qu’elle allègue, et la partie intimée ne saurait s’opposer avec succès à une modification en alléguant que celle‑ci repose sur un fait qui est inexact ou qu’elle n’est étayée par aucun élément de preuve. Si la nature des modifications est claire, il n’y a pas lieu d’invoquer la preuve devant servir à prouver ces faits : Nidek Co. c. Visk Incorporated, (1996), 72 C.P.R. (3d) 19. La Cour doit aussi présumer que les faits allégués dans les modifications sont vrais : Rolls Royce plc c. Fitzwilliam (2000), 10 C.P.R. (4th) 1, 2000 CarswellNat 2973 (C. F. 1re inst.).

 

[40]           Malgré un contre-interrogatoire approfondi, le témoignage de M. Dolton voulant que la découverte de nouveaux documents ait changé le contexte de la réclamation de GSK est demeuré solide. M. Dolton a longuement témoigné concernant les personnes consultées au sujet des modifications, la façon dont les documents mentionnés dans son affidavit étayent l’établissement de prix hypothétiques, ainsi que les raisons pour lesquelles il n’existe aucun document récent ayant trait à ces prix en particulier, compte tenu de la nature hypothétique des prix.

 

[41]           Les intimées soutiennent qu’il est à la fois illogique et incompréhensible que des documents vieux de 15 ans, mais produits récemment, concernant des prévisions de prix établies par GSK par suite de la concurrence du produit générique, puissent étayer la prétention selon laquelle les prix fixés par GSK auraient été encore plus élevés que ne le reflètent les documents n’eût été la concurrence exercée par les fabricants de produits génériques. Cependant, les affaires qui reposent sur l’appréciation de la preuve doivent être tranchées au procès après que les témoins aient été entendus et contre-interrogés devant le juge, qui doit se prononcer sur la question de la fiabilité, du poids et de la valeur qu’il convient d’accorder à l’ensemble de la preuve. Dans le cadre d’une requête interlocutoire, la Cour doit être totalement convaincue que l’allégation est dépourvue de tout fondement avant de la rejeter. En l’absence d’une telle certitude, je suis d’avis de laisser au juge du procès le soin de déterminer si la preuve étayait la position de GSK.

 

[42]           L’intérêt de la justice commande que la question soient tranchée devant le tribunal le mieux placé pour découvrir la vérité, à moins que les intimées ne subissent un préjudice dans la présentation de leur preuve dans la mesure où cela créerait une injustice.

 

[43]           Les intimées prétendent avoir subi un préjudice en raison des modifications proposées. Elles laissent entendre que d’autres interrogatoires préalables détaillés seront nécessaires. Les intimées prétendent aussi que les modifications occasionneront d’autres retards dans une affaire qui dure déjà depuis trop longtemps; ils ajoutent que ce sont là des aspects dont il faut tenir compte et que des dépens ne sauraient compenser.

 

[44]           Compte tenu de l’historique des poursuites, je ne suis pas convaincu que GSK ait causé des retards indus. Avec le consentement des parties, la Cour a ordonné en 1994 que les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts soient jugées séparément. La disjonction des questions en litige a effectivement retardé, pendant plus de dix ans, l’examen de l’action en dommages-intérêts intentée par GSK.

 

[45]           Ce n’est qu’en 2003 que GSK a établi pour la première fois le fondement de son action en dommages-intérêts. Quoique GSK puisse ne pas avoir saisi la pertinence des documents découverts, rien ne porte à conclure qu’il a agi par inadvertance. Seulement en ce qui concerne la question des dommages-intérêts, les parties ont échangé de nombreux documents et ont procédé à des interrogatoires préalables exhaustifs. Les interrogatoires préalables ont donné lieu à plusieurs requêtes et audiences, et une semaine de plus a été prévue en mars 2009 pour l’instruction des requêtes interlocutoires. Tout au long du processus, les parties ont bénéficié d’une gestion d’instance rigoureuse et active.

 

[46]           Je ne dispose d’aucun élément de preuve permettant de croire que les modifications apportées par GSK causeront aux intimées un préjudice que des dépens ne pourraient réparer.

 

Modification relative à la redevance

[47]           Novopharm s’oppose à la modification par laquelle une demande de versement raisonnable de redevances pour les ventes d’exportation serait ajoutée contre elle, parce que cette demande est fondée sur des faits matériels qui ne faisaient pas partie de la déclaration modifiée déposée contre elle. Selon Novopharm, les exportations alléguées n’ont pas été considérées lors du procès devant le juge Wetston, et pour cette raison, elles ne devraient pas pouvoir être soulevées lors du renvoi relatif aux dommages-intérêts. Novopharm soutient que la modification relative à la redevance constitue un changement de cap radical dans l’action que GSK a intentée contre elle qui, non seulement retardera le renvoi, mais occasionnera aux parties des frais supplémentaires importants.

 

[48]           À mon avis, les modifications proposées soulèvent une question justifiant un procès qui doit être tranchée dans l’intérêt de la justice. Il n’est pas évident ni manifeste que la demande visant à obtenir une redevance raisonnable ait débordé le cadre des conclusions sur la responsabilité du juge Wetston. De plus, je ne suis pas convaincu que la demande de redevance raisonnable s’écarte de façon importante de la demande actuelle de GSK. Il convient de souligner qu’au paragraphe 95 du nouvel énoncé modifié des questions en litige, GSK allègue que les intimées, dont Novopharm, ont offert en vente et ont vendu de la zidovudine générique au « Canada et à l’étranger ». GSK a déjà réclamé le plein montant des ventes perdues et souhaite plaider, subsidiairement, qu’il a droit à une redevance raisonnable sur les ventes réalisées par Novopharm là où GSK n’aurait pas vendu de zidovudine. Même si la modification relative à la redevance a sans doute l’effet d’étendre la portée de l’action intentée contre Novopharm, l’essentiel de la revendication pour pertes de ventes est demeuré inchangé.

[49]           Quoique la modification demandée par GSK ait entrainé un certain retard, je ne suis pas convaincu que le préjudice subi par Novopharm soit tel que l’on doive la refuser. Pourvu que Novopharm ait la possibilité d’interroger au préalable GSK à propos de la modification relative à la redevance, la question factuelle soulevée par la modification proposée peut être débattue de façon équitable et régulière, et tranchée lors du renvoi.

 

Modification des documents déposés

[50]           GSK demande à être dispensé de l’obligation de se conformer à l’article 79 des Règles, qui prévoit que les modifications apportées à un document sont soulignées. Novopharm soutient que GSK ne devrait pas être autorisé à déposer de nouveaux actes de procédure modifiés parce que les questions posées et les réponses fournies lors des interrogatoires préalables seront inintelligibles en raison de la reformulation de l’acte de procédure et des nouveaux chiffres qui y seront inscrits. De plus, l’arbitre devrait pouvoir constater et examiner la version actuelle et modifiée de l’action en dommages-intérêts déposée par GSK.

 

[51]           Il ne fait aucun doute que le soulignement des parties modifiées serait utile pour les parties et aiderait grandement l’arbitre. Cependant, dans la présente affaire, le nombre élevé de modifications fait en sorte qu’il est difficile de lire et de comprendre l’acte de procédure modifié. En tenant compte du fait qu’une ébauche soulignée a été déposée à l’appui de la présente requête, et qu’elle pourrait facilement être reproduite pour les besoins du renvoi, je conclus que l’autorisation de présenter un nouvel acte de procédure modifié doit être accordée.

 

Conclusion

[52]           Les actes de procédure doivent refléter les véritables questions en litige entre les parties de sorte que l’on puisse statuer sur le fond de l’affaire et que tous les points soient valablement soumis à la Cour. Dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.), le juge Décary a énoncé ce principe fondamental comme suit :

... même s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s’il est juste, dans une situation donnée, d’autoriser une modification, la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

 

 

[53]           J’estime que les intimées ne subiront aucun préjudice par suite des modifications, puisqu’elles ont été informées de ces modifications avant la fin de la première série d’interrogatoires préalables, et qu’il se peut que d’autres interrogatoires préalables aient lieu. En revanche, GSK subirait un préjudice si ces modifications n’étaient pas autorisées puisqu’il serait dans l’impossibilité d’évaluer avec précision le montant des dommages-intérêts, ce qu’il serait autrement en mesure de faire. Les modifications aideront aussi l’arbitre à trancher les questions en litige.

 

[54]           Les intimées devront engager des dépenses additionnelles pour se défendre contre l’action en dommages-intérêts, principalement en raison du dédoublement des efforts déployés pour préparer les interrogatoires préalables. Il convient donc de leur accorder des dépens pour tous les frais raisonnablement engagés pour interroger à nouveau au préalable les représentants de GSK relativement aux modifications des prix 2008, dépens qui seront taxés conformément au milieu de la colonne IV du tarif B.

 

[55]           En règle générale, la partie qui cherche à obtenir une modification doit assumer les dépens, en particulier lorsque les modifications demandées sont attribuables à l’inadvertance. Les intimées se sont opposées sur le fond à la présente requête pour autorisation de modifier, non seulement sur la forme. Puisque GSK a réussi à obtenir la réparation qu’il demandait, je conclus qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés dans la présente requête.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que :

 

1.         The Wellcome Foundation Limited et Glaxo Wellcome Inc. sont autorisées à signifier et à déposer un nouvel énoncé modifié des questions en litige dans les 7 jours de la date de la présente ordonnance.

 

2.         Apotex Inc. et Novopharm Ltd. ont droit au remboursement des frais engagés lors du nouvel interrogatoire préalable des représentants de Wellcome Foundation Limited et de Glaxo Wellcome Inc. relativement aux modifications des prix 2008, dépens qui seront taxés conformément au milieu de la colonne IV du tarif B.

 

3.         Aucuns dépens ne seront adjugés dans la requête.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Judes Basque, B. Trad.

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

COUR FÉDÉRALE

 

 

DOSSIER :                                                    T-3197-90

                                                                        T-2624-91

                                                                        T-2983-93

 

INTITULÉ :                                                   Apotex Inc. et al. c. The Wellcome Foundation Ltd.
The Wellcome Foundation Ltd. et al. c. Interpharm Inc. et al

                                                                        The Wellcome Foundation Ltd. et al. c. Novopharm Ltd.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE- BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 AVRIL 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 FÉVRIER 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brodkin / Miles Hastie

 

POUR LA DEMANDERESSE

Valerie Dyer / Mary Paterson

 

POUR LA DÉFENDERESSE, NOVOPHARM LTD.

Jane Caskey / Patrick Kierans /

Randy Sutton

POUR LES DÉFENDERESSES, THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED/GLAXO WELLCOME INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, NOVOPHARM LTD.

Ogilvy Renault, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES, THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED/GLAXO WELLCOME INC.

 

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