Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20090212

Dossier : IMM-3082-08

Référence : 2009 CF 141

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

ENTRE :

Mohammed Saeed MOTEHAVER

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 juin 2008 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour raison de sécurité suivant l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et a pris une mesure d’expulsion en application de l’alinéa 229(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

Les faits

[2]               Le demandeur est né en Iran le 22 mars 1968. Il est arrivé au Canada le 4 janvier 1995 et a présenté une demande d’asile. Le 9 mars 1995, le demandeur a obtenu le statut de réfugié, mais il n’est ni résident permanent ni citoyen du Canada.

 

[3]               Le 26 janvier 2005, un agent d’immigration a rédigé un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel il alléguait que le demandeur était interdit de territoire pour raison de sécurité suivant l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. En particulier, il soutenait dans son rapport que le demandeur appartenait au Mujahedin-e Khalq (le MEK), une organisation terroriste.

 

[4]               Le rapport a été déféré à la Section de l’immigration, et une enquête a eu lieu le 8 janvier 2008 et s’est poursuivie le 20 mars 2008 et le 13 mai 2008.

 

[5]               Le 19 juin 2008, la Commission a rendu sa décision, selon laquelle le demandeur était interdit de territoire suivant l’alinéa 34(1)f) de la LIPR puisqu’il appartenait à une organisation terroriste qui avait été l’auteur ou qui serait l’auteur d’actes terroristes.

 

[6]               Une mesure d’expulsion a été prise contre le demandeur.

 

La décision contestée

[7]               Dans une décision de 17 pages, la Commission a examiné les dispositions applicables et la preuve, à savoir le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et des entrevues du demandeur, son témoignage et celui d’autres personnes, ainsi que des éléments de preuve documentaire au sujet de l’Iran et du MEK.

 

[8]               La Commission a examiné la nature et les activités du MEK, notamment les actes terroristes et les meurtres, et elle a conclu que le demandeur était interdit de territoire suivant l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, parce qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait au MEK, organisation qui avait été ou serait l’auteur d’actes terroristes.

 

Les dispositions légales

  34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

  […]

 

  f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

  34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

  […]

 

  (f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

  44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

  44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

La norme de contrôle applicable

[9]               La norme applicable aux décisions rendues sur le fond par la Commission dépend de la nature des décisions. Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme applicable aux questions de droit était la décision correcte et que celle applicable aux questions mixtes de fait et de droit et aux questions de fait était la décision raisonnable simpliciter.

 

[10]           La jurisprudence a établi que la norme applicable à la question de savoir si une organisation est visée à l’alinéa 34(1)c) de la LIPR est la raisonnabilité (Kanendra c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 923, [2005] A.C.F. no 1156 (QL)).

 

[11]           La norme applicable à la question connexe de savoir si le demandeur appartenait à une organisation visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR est également la raisonnabilité, étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Poshteh c. Canada (M.C.I.), [2005] 3 R.C.F. 487 (C.A.F.); Afridi c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et al., 2008 CF 1192; Faridi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 761).

 

[12]           Par conséquent, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la raisonnabilité.

 

Les questions en litige

1.  Qui est membre d’une organisation terroriste visée par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR?

2.  Le demandeur appartient‑il au MEK?

 

Analyse

[13]           En ce qui concerne la première question en litige, la notion de « terrorisme » n’est pas définie dans la LIPR, mais, au paragraphe 98 de l’arrêt Suresh c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada l’a définie comme suit :

[. . .] tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

 

 

[14]           Au paragraphe 114 de l’arrêt Mugesera c. Canada (M.C.I.), [2005] 2 R.C.S. 100, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

[. . .] cette norme [les motifs raisonnables de croire] exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile […].

 

 

 

[15]           Il s’agit d’une norme très peu élevée (Sivakumar c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.F.), page 445; Chiau c. Canada (M.C.I.), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.F.),  paragraphe 60).

 

[16]           Le juge James O’Reilly, dans la décision Sinnaiah c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1576, donne à entendre que la preuve, pour être de qualité, ne peut reposer sur des soupçons ou « de vagues soupçons » (paragraphe 16).

 

[17]           Le décideur qui doit déterminer si une personne appartient à organisation terroriste visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, doit donner une interprétation large à cet alinéa.

 

[18]           En ce qui concerne le MEK, le gouvernement du Canada l’a ajouté dans la liste des organisations terroristes, et, même si le Conseil de sécurité des Nations Unies l’a retiré de sa liste, le Canada et les États‑Unis n’ont pas enlevé le MEK de leur liste. La Cour doit accepter ce fait. Les cours ont de façon constante estimé que le MEK constituait une organisation terroriste : Poshteh, précité, paragraphes 2, 3 et 10; Noori c. Canada (M.C.I.), [1996] A.C.F. no 187 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphes 1 à 4; Sepid c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 907, paragraphe 18; Chogolzadeh c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 405, paragraphes 37, 41, 44 et 45.

 

[19]           Dans l’affaire Poshteh, précité, l’appelant était un citoyen de l’Iran et son père avait été membre du MEK. Après la mort de son père en 1999, l’appelant, alors âgé de 17 ans, avait essayé de devenir membre du MEK, mais le MEK l’a rejeté. Le MEK a par contre permis à l’appelant de participer à ses activités en distribuant des tracts du MEK; l’appelant a de facto été considéré comme appartenant au MEK. L’appelant est arrivé au Canada en 2002 et, après une entrevue avec un agent d’immigration, il a été déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. La décision a été confirmée à l’unanimité par la Cour d’appel fédérale.

 

[20]           Dans la décision Ugbazghi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 694, la juge Eleanor Dawson a rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rejetant une demande de résidence permanente, parce que la demanderesse avait appartenu au Front de libération de l’Érythrée (le FLE), une organisation qui s’était livrée à des actes terroristes. La demanderesse a affirmé qu’elle n’appartenait pas au FLE, mais elle a admis appuyer les « combattants de la liberté » et « aider la cause » en donnant de l’argent et en distribuant des tracts, facteurs qui, a estimé la juge Dawson, établissaient l’appui de la demanderesse au FLE et justifiaient que la demanderesse soit déclarée interdite de territoire suivant les articles 33 et 34 de la LIPR.

 

[21]           Le juge Pierre Blais, dans la décision Omer c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 478, a rejeté une demande contestant une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui avait conclu que le demandeur était interdit de territoire par application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et devait être expulsé. Le demandeur, citoyen du Pakistan, avait été membre du Mouvement national unifié (le MQM) au Pakistan et avait admis lors de l’audience être à la tête de la section québécoise du MQM. Il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM était une organisation qui était, avait été ou serait l’auteur d’actes terroristes.

 

[22]           Dans la décision Yamani c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, la juge Judith Snider a rendu une décision semblable, laquelle portait sur un demandeur qui était résident permanent au Canada, mais qui avait appartenu au Front populaire pour la libération de la Palestine, une organisation qui s’était livrée à des actes terroristes alors que le demandeur en était membre.

 

[23]           À la lumière de ces précédents, la seconde question est la suivante : Le demandeur devrait‑il être considéré comme appartenant au MEK?

 

[24]           La Commission a fondé sa décision sur les faits suivants :

-           Dans son FRP, daté du 7 février 1995, présenté à l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a décrit la façon dont des textes portant sur le MEK avaient été portés à sa connaissance au début des années 1980. En 1989, il a fait la connaissance de sympathisants du MEK et il a commencé à secrètement distribuer des tracts du MEK sur le campus de l’université où il étudiait en Iran.

-           Il a quitté l’Iran parce qu’il avait été informé que les autorités voulaient l’arrêter en raison de ses activités au sein du MEK.

-           Dans son FRP, le demandeur a écrit que l’un des membres de sa famille, un frère, était particulièrement actif au sein du MEK et qu’il en était membre.

-           Dans sa demande de résidence permanente du 14 mai 1995, il a mentionné qu’il avait été un sympathisant des « moudjahiddines » de 1989 à 1994.

-           Il a déclaré à un agent d’immigration que, au Canada, il avait distribué des tracts comme sympathisant du MEK.

-           Il a participé à des réunions du MEK au Canada et a donné des fonds au MEK.

-           Il recevait le journal du MEK, le Nashrech.

-           Lors de l’audience, le demandeur a nié avoir participé aux activités du MEK et a nié que son frère en avait été membre. Il a également allégué ne pas être au courant d’actes de violence commis par le MEK alors qu’il demeurait en Iran.

-           Enfin, Majid, le frère du demandeur, a affirmé dans son témoignage que son frère, le demandeur, appuyait le MEK en Iran, mais qu’il n’était membre d’aucune organisation politique.

 

[25]           Dans son mémoire, le demandeur présente des arguments portant sur l’application de la Charte canadienne des droits et libertés et sur les obligations du Canada en matière de droit international.

 

[26]           Lors de l’audience, ni l’application de la Charte ou du droit international ni leur pertinence n’a été établie. La pertinence ou la justesse d’un tel argument en l’espèce m’échappe.

 

[27]           À la lumière de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR et de l’interprétation que lui ont donnée les cours et vu tous les facteurs décrits précédemment appréciés au regard du critère applicable, à savoir les « motifs raisonnables de croire », j’appuie la conclusion de la Commission, selon laquelle le demandeur appartenait et appartient au MEK.

 

[28]           La Commission a fourni des motifs clairs et intelligibles à l’appui de sa décision; elle a tiré des inférences des faits fournis par le demandeur lui‑même dans son FRP, ses entrevues et son témoignage.

 

[29]           Étant donné que le régime d’immigration accorde une grande importance à la sécurité publique et à la sécurité intérieure, la question de savoir si une personne est membre d’une organisation terroriste visé à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR doit être interprétée d’une façon large et sans restriction.

 

[30]           Aux paragraphes 33 à 38 de l’arrêt Poshteh, précité, la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la Section de l’immigration, selon laquelle la durée des activités du demandeur au sein du MEK ainsi que le fait que le demandeur avait diffusé la propagande du MEK et qu’il avait essayé d’en devenir membre suffisaient à faire de lui un membre de l’organisation aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

 

[31]           La présente affaire est semblable à l’affaire Poshteh.

 

Conclusion

[32]           Selon l’arrêt Dunsmuir, précité, si la Commission a rendu une décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », les cours ne devraient pas intervenir (paragraphe 47). En outre, les cours devraient faire preuve de déférence envers la Section de l’immigration (paragraphe 49), principe qui a été appliqué dans de nombreuses décisions : Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration, 2008 CF 971, paragraphe 22; Marshall c. Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration, 2008 CF 946, paragraphe 38; Mendoza c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 934, paragraphe 25).

 

[33]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

JUGEMENT

 

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 juin 2008 par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3082-08

 

INTITULÉ :                                                   Mohammed Saeed MOTEHAVER c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 JANVIER 2009

           

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT ORVILLE FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 FÉVRIER 2009

 

 

 

COMPARUTION :

           

Stewart Istvanffy                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Sébastien Dasylva                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                               POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.